Chronique du film

Hibernatus

d'Edouard Molinaro - 1969

 

AAAAAAA S'il est bien un film dont le tournage fut réputé tourmenté, nous pouvons citer sans hésitation "Hibernatus" d'Edouard Molinaro. Pourtant à regarder de plus près, malgré un climat certes délétère, le résultat ne parait pas si mauvais, bien au contraire. Tourné à partir de février 1969, le film raconte les (més)aventures d'Hubert de Tartas, grand patron d'une société française d'emballage. Marié à sa ravissante femme Edmée, actionnaire majoritaire de la société, ce PDG voit sa vie bousculée le jour où le grand père d'Edmée, naufragé du cargo mixte La Galante, disparu en mer 65 ans plus tôt, est retrouvé par une expédition polaire. Conservé durant ce temps dans la glycérine, le corps est placé dans un caisson puis transféré à l'hôpital où l'on constate une reprise des battements cardiaques. Afin de lui épargner un retour à la réalité qu'il ne maitriserait pas, un panel de scientifiques décide d'accorder au convalescent un soutien médical et psychologique. Pour se faire, l'homme sera replacé au centre du cocon familial, chez Hubert de Tartas, tandis que le quartier vivra désormais au rythme des années 1900.

 

Louis de Funès portant une barbe postiche qui n'est pas sans rappeler Landru.

 

Un projet initial compliqué et instable

AAAAAAACertaines critiques évoquent un rendez-vous manqué pour Louis de Funès. En effet, beaucoup considèrent que son interprétation aurait été beaucoup plus crédible s'il avait joué lui-même le rôle de l'hiberné. Ce qui surprend en réalité, ce n'est pas tant le choix du rôle que de celui du réalisateur. Car Edouard Molinaro et Louis de Funès ont déjà travaillé ensemble peu de temps auparavant pour "Oscar", adaptation cinématographique de la célèbre pièce boulevardière de Claude Magnier. Les rapports, tout en étant respectueux, ne furent pas au beau fixe. Un metteur en scène renfermant chacune de ses émotions ne peut être compris d'un homme qui sollicite le rire de ceux qu'il a en face de lui afin d'être rassuré quant à sa capacité à être drôle. Entre les deux hommes pourtant, une estime réciproque. Tous deux sont des professionnels aguerris dont la qualité de travail n'est plus à démontrer. Mais déjà pour "Oscar", la complicité n'est pas au rendez-vous comme se souvient Edouard Molinaro : "Nos rapports ont été bons avant de débuter le tournage mais ce fût plus difficile sur le plateau c'est vrai. Les conflits étaient relativement sous-jacents mais un jour cela a éclaté au grand jour à propos du chapeau de la bonne qui selon lui n'étais pas assez comique. Il voyait que je ne rigolais pas, alors souvent il me demandait "Cela ne vous fait pas rire ce que je fais ?" Si énormément mais cela ne se voyait pas sur mon visage".

AAAAAAAMolinaro éprouve certaines difficultés à canaliser Louis de Funès. Sa conception du comique diverge d'avec celle de l'acteur souhaitant toujours plus de burlesque et prônant le rire comme unique fil directeur du film. "De Funès n'aimait pas être dirigé. Sur le tournage, il trouvait que je faisais trop de plans. Je voulais pouvoir être maître de mon montage mais lui préférait des plans à l'américaine. (…) Il m'a même dit un jour que je n'étais pas un metteur en scène. Ce n'était pas un intellectuel et il était difficile de lui expliquer la continuité et la logique de l'histoire. Il était dans l'efficacité de la scène. Donc sa "construction" ne correspondait pas à celle du metteur en scène. Mais finalement même si cela était pénible, ça restait vivable. Nous avons quand même fait le boulot.". Tempérant parfois les ardeurs de Louis, Edouard Molinaro rit pourtant de ses facéties…mais d'un rire très intérieur comme nous l'explique Philippe Monnier : "Tout ce que proposait Louis plaisait beaucoup à Molinaro mais il est un homme trop introverti qui n'extériorise pas ses émotions. C'est un homme très sensible et comme tous les sensibles, il a du mal à les laisser transparaitre. Lorsque De Funès s'énervait de cette absence de rire, je devais alors faire le lien entre les deux hommes. Moi-même parfois je n'avais pas envie de rire à cause du climat régnant sur le plateau. Ce fut souvent le cas sur "Oscar" puis quand même plus facile pour "Hibernatus".

AAAAAAALouis de Funès reconnaissait d'ailleurs que très peu de metteurs en scène le satisfaisaient. Lorsque des noms lui étaient demandés, trois ou quatre sortaient systématiquement pourtant : Gérard Oury, Jean Girault, Yves Robert et Edouard Molinaro. Ce dernier est donc désigné pour réaliser le nouveau De Funès. Le comédien et le metteur en scène sont tous deux sous contrat chez Alain Poiré, ce dernier a eu le nez fin avec le succès d'Oscar et les rapproche une nouvelle fois. Idée judicieuse ? De Funès espérait tourner "Hibernatus" sous la direction de Jean Giraul : un projet qu'il envisageait avec son réalisateur fétiche dès 1967, soit deux ans avant le premier tour de manivelle. En outre, de l'aveu de Molinaro, les deux hommes s'étaient "jurés de ne jamais retravailler ensemble". D'ailleurs, à l'occasion d'une visite de Serge Korber sur le plateau d'Hibernatus, Molinaro lui glissera "J'ai appris que tu vas faire un film avec Louis. Je te le déconseille vivement ! Il va t'emmerder, t'insulter. Il est terrifiant tu ne mérites pas ça." explique Korber, préparant son prochain film "L'Homme orchestre". Il est vrai que la relation douloureuse qui unira Molinaro à De Funès reste à part entière dans la carrière de l'acteur. Globalement, ses rapports avec les metteurs en scène furent toujours bons, parfois excellent comme avec Gérard Oury.

AAAAAAAOn comprend ainsi que les deux hommes ne soient pas dans le meilleur état d'esprit pour aborder ce prochain film. Et en effet la tendance se confirme. Molinaro, n'acceptant le film que dans le seul but d'accéder à la réalisation de "Mon oncle Benjamin" une fois achevé ce tournage, ne propose pas moins de huit scénarios que l'acteur refusera systématiquement. La base s'avère donc particulièrement compliquée à mettre en œuvre. Molinaro confirme d'ailleurs cette difficulté : "L'écriture du film a été un cauchemar même si l'idée de départ était assez amusante. Il est vrai que ce vaudeville était bien moins construit qu' "Oscar" et Louis de Funès n'a accepté de débuter le tournage qu'à la huitième ou neuvième adaptation…et au bout d'une semaine, il décida de revenir à la première ! Ce fût une longue aventure mais finalement nous sommes restés à l'écriture initiale de Jean Bernard Luc. Vilfrid a beaucoup travaillé sur l'adaptation mais Louis avait le dernier mot. Je ne dirai pas un droit de regard, mais il donnait des idées. Dans les faits il était diplomatique de l'écouter bien évidemment. C'est moi qui ai choisi Bernard Alane, jeune comédien assez beau, avec une formation classique. De Funès a donné son accord. C'était une star, il était le patron mais le tournage a été très tendu, en situation de paix armée."

 

A gauche : Edouard Molinaro et Louis de Funès préparant une scène.
A droite : visite de Serge Korber sur le tournage en extérieurs de "Hibernatus".

 

AAAAAAACette lacune dans le scénario n'est pas sans rappeler les difficultés connues par Louis de Funès sur le tournage du "Tatoué" au côté de Jean Gabin… Chat échaudé craint l'eau froide comme dirait le célèbre proverbe… Il redoute certainement un futur fiasco (Denys de la Patellière reconnait lui-même qu'il a redouté un ratage complet et que son film n'est pas un chef d'œuvre) et tente donc de calmer son anxiété en retravaillant du mieux qu'il peut le scénario…un mauvais film où il est la vedette risquerait de porter un coup fatal à sa carrière et de lui faire perdre ce statut si durement acquis. Le début des prises se déroule dans un climat très froid mais Molinaro et Philippe Monnier comprennent rapidement l'état d'esprit de l'acteur : "Le travail n'était pas facile entre eux il faut le reconnaitre mais il se faisait quand même car il s'agissait avant tout de deux grands professionnels. Molinaro et moi-même avions compris l'anxiété de Louis qui se reflétait chaque jour sur le plateau. Il n'y avait pas d'éclats de voix ou de gros heurts, plutôt des petites prises de becs. Lorsque Louis était contrarié, il faisait la tête dans son coin, il prenait son temps. Le climat était donc parfois lourd mais cela ressemblait plus à une guerre silencieuse. Parfois il s'emportait : "Non je ne tourne pas" confirme Monnier.

 

Un tournage en situation de paix armée

AAAAAAANombre de protagonistes ont fait état de difficultés durant le tournage. Mais beaucoup de choses ont été exagérées car pour autant, chacun travaille sérieusement et les caprices de Louis de Funès ne sont pas des exigences de star comme l'explique l'assistant de Molinaro : "Sur le moment beaucoup pensaient qu'il était un emmerdeur mais avec le recul, on se rend compte qu'il ne s'agissait jamais de caprices mais bien d'exigences professionnelles de bons sens qui allaient toujours dans l'intérêt du film. Louis n'était absolument pas une star capricieuse, il était parfaitement poli et respectueux des techniciens". Son anxiété est d'ailleurs calmée par son équipe professionnelle. Sur le plateau, énormément de "copains" sont venus lui donner la réplique : Claude Gensac évidemment, dont Molinaro dira qu'elle était le lien entre De Funès et lui, Paul Préboist, Jacques Legras, Yves Vincent, Pascal Mazotti, Michel Duplaix, Robert Destain, Robert Le Béal, Carlo Nell, Claude Piéplu, Max Montavon, Paul Bisciglia… D'excellents comédiens mais aussi des amis qu'il estime et auprès de qui il peut librement exploiter son style comme l'explique Yves Vincent : "Il a imposé beaucoup d'acteurs pour jouer à ses côtés. Cela révèle une fidélité mais aussi un intérêt. En choisissant ces acteurs, il savait qu'on ne le génerait pas pour développer son comique. Nous allions dans le même sens que lui et il y trouvait un certain confort." Bernard Alane explique le choix de ces comédiens, dont certains disposent de très bons rôles : "Il avait eu des soucis de critiques dans le film précédent où on disait qu'il bouffait tout et qu'il laissait peu de part aux autres acteurs. De ce fait, il était très vigilant de laisser la place aux autres personnages pour aérer le film. Il souhaitait que l'histoire romantique du jeune que j'interprétais prenne de l'ampleur afin d'équilibrer, presque à 50/50, avec son rôle. C'est aussi le cas pour les personnages de Claude Gensac, Martine Kelly, Paul Preboist qui avaient tous des choses intéressantes à faire." Philippe Monnier se souvient aussi de ce besoin d'être entouré de gens qu'il aime : "Il souhaitait s'entourer d'amis mais aussi de seconds rôles qui avaient du talent. Claude Gensac, Paul Préboist et tant d'autres étaient de bons professionnels avec qui il s'entendait à merveille." Enfin, certains seconds rôles sont engagés à la dernière minute. Ainsi Carlo Nell se souvient : "c'est assez drôle car je rentrais de voyage avec ma femme et je suis passé le saluer sur le plateau. Il m'a dit "Il y a un petit rôle pour toi" et j'ai effectivement joué ce petit rôle de journaliste qui interviewe Michael Lonsdale. Je me souviens de Louis comme un acteur merveilleux vis a vis des autres comédiens, il essayait toujours de nous aider, de nous épauler."

 

Avec Paul Préboist, éternel souffre-douleur. Sur le plateau, Louis de Funès veillait à ce qu'il n'en fasse pas trop et ne lui vole pas une scène.

 

AAAAAAAD'autres, tels Michael Lonsdale, sont moins admiratifs de son style. Ce dernier explique parfois ses souvenirs plateaux : "Hibernatus" je l'ai fait parce que j'étais fauché. Quand on me l'a proposé, j'ai longuement réfléchi, d'autant que le rôle n'était pas très important. Et puis il fallait bien manger, alors, après réflexion, j'ai accepté et je dois dire que j'ai bien fait. D'une part ce fût un énorme succès mais aussi parce qu'au bout de huit jours de tournage, Fufu (Louis de Funès) est arrivé un matin en disant : "J'arrête tout ça, cette version ne m'intéresse plus". Mon rôle a été étoffé et j'ai gagné de l'argent. Je ne vous raconte pas la tête des producteurs ! Mais de Funès avait droit de regard sur tout : les comédiens, la musique, le montage, le générique, tout !" Selon Lonsdale, son premier jour de tournage fut particulièrement marquant. Arrivant devant le plateau de tournage il fut étonné de constater la lumière rouge clignotante (signalant qu'une prise était en cours) devant la porte alors que Molinaro était assis non loin en train de boire un café. Il s'approcha afin d'avoir une explication et le metteur en scène, stoïque, lui répondit : "Louis ne veut pas que je sois présent lorsqu'il tourne". Cette anecdote est assez similaire de la relation que Louis entretiendra avec Jean Anouilh, professionnellement parlant. Lors des représentations, de peur de le décevoir, Louis ne souhaitait pas la présence du tragédien dans la salle. Ici s'illustre le manque de confiance dont Louis pouvait parfois souffrir. Perturbé par l'absence d'expression sur le visage de Molinaro, il est alors persuadé que ce qu'il propose est un fiasco. L'anxiété grandissante, Louis peut alors devenir désagréable, involontairement, et perturber ainsi une journée entière de travail. Pourtant ces périodes durant lesquelles il s'absente du plateau ne sont pas des caprices de star. Au contraire, elles lui permettent de réfléchir à de nouvelles trouvailles.

AAAAAAADans l'équipe technique, Louis s'entoure aussi de professionnels qu'il connait : Jean Halain participe une fois encore aux dialogues, une fonction intrigante pour Molinaro qui considère son apport comme quasi nul. Il est entouré de Jacques Vilfrid et de Jean Bernard Luc. Jean Paul Schwartz quant à lui se voit confier le poste de caméraman et sera dirigé par Marcel Grignon. Pierre Cosson encadre la deuxième équipe avec Raymond Lemoigne en chef opérateur assistés de Michel Le Bon et Jean Benezech. Anatole Paris, maquilleur attitré est évidemment de la partie, tout comme René Christian Forget au son et Jacques Fonteray aux costumes. Enfin, François de la Mothe, dispose d'un gros budget pour construire ses décors : "On a trouvé une maison normande ce qui correspondait avec le style du début de siècle. L'intérieur était une caricature des maisons de cette époque avec des découpages de bois, des profondeurs, des escaliers, des couleurs assez fortes et caractéristiques. Nous les décorateurs, étions très heureux de ce projet, il reste l'un de mes décors préférés".

AAAAAAALa Gaumont compte donc sur une équipe technique de premier ordre pour cette superproduction, comme l'explique Philippe Monnier : "Les films tournés avec De Funès étaient de grosses productions, comme tous les films de la Gaumont. Les techniciens étaient choisis parmi les meilleurs, nous disposions d'un budget très confortable et le cadre de travail était très sérieux."

 

Molinaro - De Funès : Consciences professionnelles et rejets

AAAAAAAEn cours de tournage, certains heurts éclatèrent dont Yves Vincent, M. Crépin-Jaujard dans le film, fut le témoin direct : "Un jour il y eut un incident très malheureux et qui m'a blessé personnellement. Louis à cette époque était une énorme vedette et par conséquent il bénéficiait d'une doublure lumière qui le remplaçait lorsqu'il fallait régler auparavant les différentes lumières pour la prise que nous allions tourner. Ne disposant pas d'une doublure, je faisais personnellement les différents réglages avec Edouard Molinaro, le metteur en scène. Je me rappelle d'ailleurs que ce plan était assez compliqué. Quand tout fut prêt, Molinaro dit "allez chercher Louis de Funès". Lorsque ce dernier arriva, Molinaro lui dit ce qu'il attendait de lui et là à la stupeur générale, Louis est parti dans une colère noire en lui criant qu'il ne connaissait rien au cinéma et qu'il fallait exactement faire tout le contraire ! Vous imaginez le silence sur le plateau ! Lorsque Louis partit, presque en claquant la porte, pour rejoindre sa loge, le metteur en scène dit "soyez gentil de faire ce que Monsieur de Funès demande" et alla se réfugier dans un coin du décor. J'y suis allé, je lui ai mis la main sur l'épaule et lui ai dit "Vous savez il n'est pas méchant, juste un peu nerveux. Il ne faut pas lui en vouloir" et Edouard me dit "oui, oui, je sais, ne vous en faîtes pas". Par la suite, Louis est revenu sur le plateau sans qu'on lui demande, il est passé près de moi et je lui ai fait un sourire, il me dit alors "je donnerai beaucoup pour savoir ce que tu penses". Je lui répondis : "Louis, j'ai été dans ta situation et ce que tu as fait, je ne l'aurai jamais fait !" Mais globalement sur le plateau les relations entre lui et Molinaro étaient correctes."

AAAAAAAEt paradoxalement, Molinaro riait souvent des facéties de Louis ainsi qu'il le confie : "J'avais beau être en colère, un jour j'ai dû me détourner de la caméra tellement je riais en le regardant jouer la scène où il explique que sa femme a explosé parce qu'elle a trop mangé. C'était les Monthy-Python avant l'heure !". Bernard Alane, jouant le rôle de l'hiberné confirmera aussi les moments de complicité avec Louis de Funès : "Il était absolument charmant avec moi, faisait tous les contrechamps - ce qui n'était pas le cas de toutes les vedettes à l'époque - me donnait de petites indications. Je me souviens notamment que pour les scènes où je devais être étonné, il me répétait "Essayez de faire la soucoupe avec vos yeux !" Lors d'une scène ensemble, où il me racontait la mort de sa femme, il improvisa sur la fin en me disant "Elle n'a pas souffert, du tout, du tout", j'entendais glousser derrière moi et j'ai eu du mal à tenir jusqu'au "Coupez" avant d'éclater de rire. Louis avait besoin du répondant, comme dans une salle théâtrale." Et concernant les heurts entre Molinaro et De Funès : "Edouard est un homme du monde et Louis était très bien élevé. Tout restait à fleurets mouchetés, tout était très gentleman. Ça se passait dans les bureaux ou dans les loges, rien n'éclatait sur le plateau. Chacun devait trouver sa place et celle d'Edouard Molinaro était excessivement délicate au niveau des négociations quotidiennes avec Louis. Je sentais que parfois l'ambiance était lourde mais je n'étais pas très au fait des tensions apparues entre eux."

 

A gauche : Louis de Funès et Yves Vincent, Jacques Legras au second plan.
A droite : avec le réalisateur Edouard Molinaro lors du tournage en extérieurs.

 

AAAAAAALeur conscience professionnelle prend donc le dessus sur les rancœurs et les incompréhensions nées du tournage d' "Oscar" comme se souvient le metteur en scène : "Louis n'était pas un acteur que l'on déplaçait comme une marionnette, il était un véritable créateur et cela nécessitait donc un dialogue constant avec moi. Nous discutions de beaucoup de choses comme en démocratie. Mais cela s'est mieux passé que sur "Oscar", qu'il avait joué au théâtre et pour lequel il avait des revendications précises et des points de vues desquels il ne voulait pas sortir, souvent à juste titre d'ailleurs. Alors que pour "Hibernatus", qu'il n'avait pas joué, c'était comme s'il jouait un script ordinaire." Une impression confirmée par son assistant : "Les relations furent compliquées avec Molinaro car Louis remettait souvent en cause la mise en scène qu'il proposait alors que les suggestions d'Edouard étaient celles d'un homme maitrisant admirablement son art. Je me souviens qu'ils discutaient beaucoup ensemble sur la préparation de scènes. Louis proposait énormément de choses et Edouard ne le freinait pas car il connaissait son apport pour la réussite et la qualité du film. Et inversement De Funès connaissait le talent de Molinaro, il pouvait donc souvent se "reposer" sur son talent de technicien et laisser libre cours à son jeu."

AAAAAAAL'une des scènes les plus mémorables reste celle où Louis de Funès - De Tartas avoue à l'hiberné sa véritable identité. Molinaro se remémore : "Une scène difficile à tourner. Le jour où elle était au plan de tournage, nous avons fait quelques prises mais Louis n'était pas vraiment dedans. Au bout d'un moment il a demandé à ce qu'on arrête parce qu'il ne trouvait rien. Le lendemain on a tourné d'autres scènes. Il a demandé à reprendre le surlendemain et là, en quelques prises, ça été l'explosion de génie."

AAAAAAAMichel Lebon, assistant opérateur de la première équipe confie les difficultés techniques exigées par le metteur en scène : "Le plan de travail était complexe mais ceci est propre aux films de Molinaro qui a une approche très compliqué des plans. Je me rappelle avoir escaladé des décors du studio pour pouvoir filmer certaines scènes. Edouard était très professionnel, dirigeant ses acteurs et son équipe technique avec fermeté". Il est vrai qu'à cette époque, le jeune metteur en scène, assez proche de la Nouvelle Vague, propose une technique totalement inédite avec des plans compliqués. Son approche du cinéma est moins populaire que le format généralement proposé à Louis de Funès. Molinaro envisage un style plus intellectuel, moins souple et ce mélange de rigueur et d'intransigeance marque donc le film d'une empreinte toute particulière. Philippe Monnier l'explique d'ailleurs : "Edouard est un metteur en scène extrêmement précis, connaissant parfaitement son métier. Il travaille de manière très rigoureuse mais le résultat est toujours fluide et élégant. Il procède selon un découpage très précis. Pour "Oscar" notamment, je me rappelle d'un plan de travail exigeant mais tournant autour d'un décor très bien étudié et construit de telle façon qu'il permettait un déplacement de caméra assez libre."

 

Photos de tournage. A droite, une visite de l'auteur Jean Anouilh, Louis de Funès jouera plus tard sa pièce "La Valse des Toréadors".

 

AAAAAAADe plus, les successions de scénarios ne facilitent pas la cohérence globale du film. Toujours selon Philippe Monnier, "Louis chamboulait souvent le plan de travail et celui-ci a donc pris beaucoup de retard, mais je ne saurais vous dire avec précision le dépassement exact. Il y avait des réécritures quotidiennes et lors de ces moments, nous pouvions mesurer toute l'angoisse de Louis par rapport à son travail". C'est ainsi que de nombreux plans passent à la trappe. Bernard Alane s'en souvient : "Il y a des choses qui ont été tournées et qui n'ont pas été montées notamment ma visite de Paris avec Eliette Demay où l'on nous filmait aux pieds de bâtiments célèbres de la capitale entrain de regarder la vie moderne". En cours de tournage il faut même repenser certains rôles (celui de Lonsdale notamment s'étoffe) et en créer de nouveaux. C'est ainsi que Madame Crépin-Jaujard, jouée par Annick Alane, fera son apparition. Comme pour "Le Tatoué", le film évolue au jour le jour mais surtout prend du retard. Molinaro, impuissant face à ces aléas, se retrouve bloqué pour pouvoir tourner "Mon oncle Benjamin". De guerre lasse, il s'enquiert donc auprès du producteur Alain Poiré de quitter le film. Refus immédiat de Louis de Funès comme se rappelle le metteur en scène : "De Funès et moi avions des rapports exécrables mais il a quand même exigé que ce soit moi, le réalisateur en titre, qui dirige toutes les scènes dans lesquelles il apparaissait". Afin de mettre tout le monde d'accord, le plan de travail est de nouveau repenser en profondeur. Ainsi, les plans avec Louis de Funès seront tournés d'affilée afin de libérer Molinaro et la seconde équipe se chargera des scènes secondaires et des extérieurs, notamment pour les scènes de l'expédition polaire comme l'explique Molinaro : "Pierre Cosson a eu un rôle très important. Il était mon assistant depuis mon premier film en 1957, j'avais demandé à ce qu'il soit près de moi car je savais que je ne pourrais pas terminer le plan de travail à temps. J'ai donc abandonné les scènes secondaires qui enveloppaient le propos et la fausse époque de l'hiberné ainsi que les scènes de l'expédition polaire. Cela représentait un très gros travail mais il s'en est très bien sorti. Il s'agissait plus d'un travail de co-metteur en scène que d'un travail de réalisateur seconde équipe."

AAAAAAABeaucoup de scènes sont réécrites parfois au jour le jour comme l'explique Yves Vincent : "Il y avait beaucoup d'improvisations mais cela ne me dérangeait pas. En revanche, j'étais plus gêné par les changements continuels de texte. Apprendre consciencieusement ses lignes et arriver le matin pour constater que tout avait changé fut parfois pénible. Il fallait en permanence se réadapter. Ce film était une grosse production, avec énormément de personnes à payer et les dépassements ont coûté très cher. Les changements successifs qu'imposait De Funès avaient un coût, derrière il fallait tout chambouler, les contrats pour les acteurs et figurants, les décors, les équipes techniques…" Le plan de tournage se répartit sur près de quatre mois, prenant ainsi un retard considérable. Les derniers plans en boîte, le montage peut débuter et De Funès suit cette étape de très près. "Il ne venait pas tous les jours, mais il était présent très régulièrement. Ce qui est surprenant c'est qu'il n'y avait pas du tout les tensions du tournage. Il faisait même des suggestions techniques de bon sens "selon Molinaro.

 

Un succès amer

AAAAAAASorti dans les salles en septembre 1969, le film connait un joli succès mais la presse réserve des critiques mitigées. Film entièrement bâti pour garantir le succès de Louis de Funès pour certains au détriment des acteurs et de l'intrigue, certaines plumes qualifient toutefois le film de très bonne comédie. Une critique marque de façon très intelligente la sur-présence de Louis de Funès dans tous les domaines du film, au détriment de son jeu : "Louis de Funès, s'il n'ose encore diriger ses films, fait lui-même ses dialogues et il les signe ici pour la première fois. Qu'il prenne garde pourtant : il se surveille mal et ferait mieux de laisser ce soin à son metteur en scène. L'extraordinaire, la jaillissante drôlerie que l'on voyait par exemple s'exercer au naturel dans "Le Gendarme de Saint-Tropez" est désormais moins spontanée et moins efficace. Louis de Funès risque d'être de moins en moins Louis de Funès à mesure qu'il se prendra pour Louis de Funès" (Le Figaro Littéraire, 28 septembre 1969). Le nombre de spectateurs enregistrés en salles ne laissent pas planer le doute : "Hibernatus" est un succès pour De Funès. Dans six salles parisiennes (Ambassade, Berlitz, Bosquet, Images, Montparnasse et Pathé Orléans), ce ne sont pas moins de 56 894 spectateurs que l'on dénombre lors de la première semaine de parution du mercredi 10 au jeudi 18 septembre 1969. Le film se permet même le luxe de détrôner le magnifique "Il était une fois dans l'Ouest" de Sergio Léone. "Hibernatus" restera en tête d'affiche durant cinq semaines, un beau succès mais pas le plus grand de la carrière de l'acteur. En Province, le film fait un carton et les spectateurs répondent présents durant de nombreuses semaines.

AAAAAAAEdouard Molinaro garde en revanche un souvenir global quelque peu mitigé allié à une élégante modestie : "Ce n'est pas un modèle de comédie dans la mesure où la structure me parait un peu lâche. En revanche certaines scènes sont mémorables grâce à Louis. C'est encore un film qui doit la plus grande partie de sa qualité à son interprète principal. En définitive, "Oscar" et "Hibernatus" sont des films que j'ai faits par raison. Ce ne sont pas des films dans lesquels j'ai mis quoi que ce soit de moi-même".

AAAAAAAToutefois, Bertrand Dicale, biographe de Louis de Funès, pose un problème intéressant, révélant l'état d'esprit dans lequel se trouve Louis de Funès en cette fin de décennie 60's : "Les quatre films qu'il vient de tourner lui posent question : "Le Grand restaurant" et "Le Gendarme se marie" ne lui ont guère donné l'occasion que de réutiliser ses recettes les plus éprouvées, tandis que les films de Denys de la Patellière et Edouard Molinaro ne lui ont pas permis - et bien au contraire - de se renouveler harmonieusement. Sans penser à un virage radical, il est prêt à essayer quelque chose de neuf. Peut-être même une récréation." Les prochains films seront signés Serge Korber…

 

Louis de Funès et le réalisateur Serge Korber, avec lequel il tournera ensuite "L'Homme orchestre".

 

Crédits

- Interviews de Philippe Monnier, Michel Lebon, Carlo Nell, Jean Paul Schwartz et Yves Vincent par Franck et Jérôme - www.autourdelouisdefunes.fr
- Interview de Michael Lonsdale : www.lanouvellerepublique.fr
- Interview d'Edouard Molinaro pour "Hibernatus" in Bertrand Dicale, "Louis de Funès, Grimaces et Gloire" Editions Grasset.
- Interview d'Edouard Molinaro par Guillemette Odicino in Télérama, Hors-Série spécial Louis de Funès
- Interviews d'Edouard Molinaro et Bernard Alane in DVD Gaumont Vidéo "Hibernatus", section Bonus, "Rompre la glace".
- Chiffres d'exploitation du film in Bertrand Dicale, op.cit.
- Interview Edouard Molinaro pour "Oscar" in DVD Oscar - Pathé Gaumont, section Bonus "La mouche dans un bocal"