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Michel LEBON

 

AAAAAA Professionnel apprécié de la Gaumont, Michel Lebon fut embauché en 1969 comme assistant opérateur de la seconde équipe du film "Hibernatus", dirigée par Raymond Lemoigne et assisté de Jean Benezech. Technicien polyvalent, Michel Lebon a énormément travaillé, à l'instar de Jean-Paul Schwartz ou Edouard Molinaro, pour la publicité et la télévision mais c'est au cinéma qu'il fit véritablement ses armes. Se souvenant d'un tournage relativement complexe sur le plateau d' "Hibernatus", Michel Lebon avait toutefois déjà pu appréhender la technique de Louis de Funès pour le film "Oscar" tourné en 1967 et pour lequel Edouard Molinaro lui avait accordé sa confiance. Lorsqu'il évoque Louis de Funès, il se remémore un acteur très professionnel, concentré, particulièrement investi dans son travail et parfaitement respectueux des techniciens travaillant sur ses films.

AAAAAA Dans sa carrière, Michel Le bon aura plusieurs fois eu la chance de travailler à ses côtés puisqu'il partagea aussi l'affiche technique de "Fantomas se déchaîne" (assistant seconde équipe) et du "Grand Restaurant" (assistant seconde équipe notamment pour les extérieurs à Val d'Isère) et du "Petit Baigneur" (assistant de Jean Tournier pour certaines scènes). Remercions cet homme charmant pour le temps qu'il nous a accordé à nous faire partager ses souvenirs.

 

Interview de M. Michel Lebon du 15 février 2013 par Franck et Jérôme

 

- M. Lebon, comment avez-vous été engagé pour le film "Hibernatus" ?

- J'ai beaucoup travaillé avec Marcel Grignon [ndlr : directeur de la photographie, notamment sur "Fantomas", "Les Grandes vacances" et "Le Gendarme se marie"] qui fut engagé en tant que chef opérateur première équipe sur ce film. Je travaillais avec Jean Paul Schwartz en tant qu'assistant opérateur. La technique était une petite famille à cette époque, nous retrouvions donc souvent les mêmes professionnels de film en film.

 

- Le plan de travail du film était -il complexe ou au contraire classique pour une comédie de cette époque ?

- Relativement complexe mais ceci est propre aux films de Molinaro qui a une approche très compliquée des plans. Je me rappelle avoir escaladé des décors du studio pour pouvoir filmer certaines scènes. De mémoire, le tournage d' "Oscar" fut plus compliqué notamment à cause de la chaleur étouffante. Nous alternions entre les trois étages de ce décor immense : le rez-de-chaussée, la fosse et le premier étage où je me rappelle que nous tournions des scènes dans un bureau. La chaleur nous posait des problèmes pour l'éclairage. Il y avait plusieurs soucis de parasites et nous avions donc des rapports parfois compliqués avec les électriciens pour nous régler.

 

- Quels étaient les rapports entre de Funès et Molinaro ?

- Je ne me souviens pas de difficultés particulières durant les deux tournages. Edouard dirigeait avec beaucoup de calme, sans hausser la voix. Je le revois encore très précisément sur le plateau nous donnant ses indications. Je sais que beaucoup ont évoqué des tensions entre de Funès et lui mais je n'ai pas le souvenir d'éclats de voix. Avec les techniciens aussi Edouard était ferme mais poli, sachant très précisément ce qu'il attendait d'une scène. Je me rappelle de mon arrivée sur le plateau d' "Oscar" où nous n'avons échangé que trois ou quatre phrases avec Molinaro. Je me suis dit que l'ambiance n'allait pas être très amusante. Lorsque nous avons débuté la prise de la première scène, pour laquelle je souhaitais un plan fixe, Molinaro commença à me faire bouger afin de donner du mouvement. J'ai essayé de rester immobile et il a continué à me secouer ce qui nous fit beaucoup rire. Même s'il paraît froid de prime abord, il est un homme charmant et doté d'un grand sens de l'humour. Son style de film se rapprochait de la Nouvelle Vague, un cinéma moins populaire, plus intellectuel avec une technique complexe et très aboutie pour l'époque.

 

Edouard Molinaro et Louis de Funès sur le tournage en extérieurs de "Hibernatus".

 

- Vous fûtes un technicien régulier des films de Molinaro ?

- Oui j'ai tourné plusieurs fois avec lui mais je l'ai surtout côtoyé lorsque je travaillais dans la publicité car il en fit beaucoup également, de même que Jean Paul Schwartz.

 

- Quels rapports entretenait Louis de Funès avec les techniciens ?

- Excellents ! Je me souviens d'un homme très poli et respectueux envers les hommes qui dirigeaient la technique de ses films. Il avait un contact très chaleureux. Je n'ai en revanche pas le souvenir de l'avoir vu intervenir ou nous demander des exigences particulières. Peut-être est-il passé une ou deux fois derrière la caméra pour se rendre compte mais je pense que c'était tout. Sur le plateau, il était très souvent présent, dans un coin, même lorsqu'il ne tournait pas. Il était très concentré, ce n'était pas le genre d'homme à raconter des blagues entre deux prises mais si nous avions des recommandations ou des demandes particulières, je ne crois pas me souvenir qu'il y ait eu de difficultés particulières pour lui en faire part. Il avait besoin de sentir le rire lorsqu'il nous regardait. Parfois, l'exigence d'un plan ou les contraintes techniques faisaient qu'il était plus compliqué pour nous de nous concentrer sur son jeu, nous devions alors un peu nous forcer pour qu'il soit satisfait. Je me rappelle notamment d'une scène d' "Oscar " avec le masseur où Louis a improvisé, nous ne nous y attendions pas. Mais cela fut très rare, tant il déclenchait rapidement ce rire lorsqu'il se déchaînait.

 

- Filmer le jeu de Louis de Funès était-il compliqué ?

- Pas du tout mais il fallait être très précis. Chaque jour, vous deviez être à 100% et donner le maximum. Louis était intransigeant envers son métier. Avant une scène, je le revois d'ailleurs, très concentré, assez fermé. Il était attentif aux explications et indications des techniciens pour la préparation d'un plan. Dès que nous tournions, Louis développait son jeu à tel point que parfois il lui arrivait de quitter le fil directeur de l'histoire, mais cela était dû à son génie et à sa créativité qui prenait rapidement le pas sur ce qu'on lui demandait. De manière générale, le travail s'est toujours fait dans la bonne humeur mais avec beaucoup de sérieux, notamment avec Molinaro. Sur "Le Grand restaurant" en revanche l'ambiance était beaucoup plus détendue avec Jacques Besnard qui plaisantait énormément. Globalement, il est vrai que ses films disposaient de gros budgets et je dois dire que nous n'avons jamais manqué de rien, nous travaillions relativement confortablement. Ce qui facilitait peut-être un climat favorable.

 

- On évoque souvent le plan de travail d' "Hibernatus", qui aurait vraisemblablement pris beaucoup de retard, quels souvenirs en gardez-vous ?

- Impossible de vous répondre précisément, je ne me souviens pas d'un dépassement particulier mais en règle générale les tournages de comédies prennent toujours du retard. Nous avons l'habitude de multiplier les prises même si la première est bonne.

 

- Vous avez travaillé aussi en tant qu'assistant seconde équipe pour "Le Petit Baigneur", pouvez nous parler de ce film ?

- Je garde un excellent souvenir de ce tournage avec l'équipe des Branquignols. Il régnait une vraie camaraderie et je dois dire que c'était agréable de travailler avec tous ces comédiens. Je me souviens de la scène finale du bateau qui coule que nous tournions à proximité de Toulon. Hélas je n'ai pas participé à l'intégralité du tournage, je ne fus présent que quelques jours. J'ai pu constater que Dhéry était un homme dirigeant ses comédiens avec beaucoup de douceur, très gentiment et dans un style totalement inédit, avec une certaine folie et beaucoup d'imagination. Il cherchait en permanence la formule la plus efficace et donc en règle générale le travail global était peut-être moins bien orchestré que d'autres réalisateurs.

 

- Et concernant "Le Grand restaurant" ?

- Je n'ai pas participé à l'ensemble du tournage. J'étais assistant de la seconde équipe et je me rappelle que nous avons tourné les extérieurs à Val d'Isère ainsi que la scène du ballet où Louis de Funès danse avec ses serveurs pour laquelle j'étais présent. Je suis désolé mais je n'ai pas de souvenirs très précis de ce film (rires) ! Je me souviens tout de même de l'ambiance générale qui était très bonne, avec Jacques Besnard qui plaisantait énormément. Techniquement en tous cas le film n'est pas un chef d'oeuvre de réussite, il représente à mon sens un style très classique, très ordinaire.

 

Louis de Funès exécutant le ballet du "Grand Restaurant", avec sa famille de cinéma (Grosso, Modo, Pierre Roussel, Jean Droze, Paul Preboist)

 

- Terminons d'évoquer Louis De Funès en parlant de "Fantômas se déchaîne" ?

- Je garde de bons souvenirs de ce tournage. Hunebelle n'avait pas du tout la même approche, nous prenions beaucoup plus notre temps et tout était moins méticuleux, moins précis que les exigences d'un Molinaro par exemple. Edouard était très professionnel, dirigeant ses acteurs et son équipe technique avec fermeté alors qu'Hunebelle aimait tout modifier au dernier moment. Je me rappelle les briefings du soir, où il nous donnait les indications pour le lendemain concernant les cadrages, les grosseurs de plans... Nous avions le schéma général et nous commencions à le préparer puis très souvent, Hunebelle à son arrivée, nous demandait de tout chambouler. Ce fut une vraie contrainte je dois le reconnaître. Hunebelle était poli mais assez distant, nous ne nous tapions pas sur les épaules ! J'ai d'ailleurs une anecdote amusante concernant le tournage à Naples pour les extérieurs sur le Vésuve. Nous nous déplacions en cabine téléphérique pour monter le matériel et un jour, en redescendant, nous sommes restés coincés durant deux heures dans les nacelles qui tombèrent en panne ! (rires) Cela fait partie des aléas des tournages en extérieur ! Que dire de plus ? Peut-être évoquer les relations entre Louis de Funès et Jean Marais ? J'étais simple assistant donc je n'étais pas le témoin privilégié de tout le déroulement du film mais j'avais l'impression de relations qui, tout en étant polies, n'étaient pas faciles. Il n'y avait pas de malaise mais Louis n'entretenait pas avec Jean les relations qu'il avait avec d'autres comédiens comme notamment Jacques Dynam. Une fois une scène tournée, il n'y avait pas d'échange. Il eut aussi des relations compliquées avec Claude Rich qui, bien que jeune, était déjà un comédien avec beaucoup de caractère. D'ailleurs je me rappelle que sur le tournage d' "Oscar", Agathe Natanson était terrorisée par Louis qui l'impressionnait beaucoup même s'il n'était pas du tout méchant (rires) !

 

- Quel souvenir gardez-vous globalement de Louis de Funès ?

- Le souvenir d'un homme très chaleureux et amical envers les techniciens mais aussi toujours très concentré et réservé, parfois à l'écart sur le plateau pour s'imprégner de son jeu. Lorsque je le croisais pour un visionnage de rushs, il prenait très souvent le temps de discuter quelques minutes avec moi et prendre de mes nouvelles. Globalement les grands acteurs sont des hommes très respectueux. Ma plus belle rencontre reste sans aucun doute Jean Rochefort avec qui nous avons développé une véritable intimité. Sur les tournages, nous avions l'habitude lors de la pause de midi, de manger en vingt minutes et de partir rapidement afin de discuter tranquillement à l'écart du reste de l'équipe.

 

- Evoquons votre carrière, combien de films avez-vous à votre actif ?

- Je ne sais pas exactement, je dirais 60 à 70 toutes fonctions confondues. J'ai fait beaucoup de publicité comme je vous l'ai expliqué mais aussi des courts métrages et de la télévision où je tournais des petites séquences sur des sujets divers. J'ai fait de belles rencontres, notamment Yves Robert avec lequel j'ai pris énormément de plaisir à tourner et qui m'a confié des fonctions et des postes importants m'ayant permis d'évoluer. Je dois reconnaître que durer dans le métier n'était pas facile et j'ai connu une période creuse dans laquelle je me suis "recyclé" professionnellement. J'ai eu la chance de prendre la direction du service audiovisuel de France Télécom pendant six ans avant de revenir aux longs métrages jusqu'à ma retraite.

 

Tournage sur le Vésuve de "Fantomas se déchaîne"

 

- La technique a-t-elle beaucoup évolué durant votre carrière ?

- Enormément oui ! J'ai commencé mes premiers films avec le noir et blanc puis la couleur a apporté une véritable révolution pour la pellicule. Techniquement, aujourd'hui, je trouve que le métier a perdu en charme. Depuis un certain temps déjà, le metteur en scène suit les prises sur un écran. A l'époque, l'opérateur était le premier spectateur et lui seul pouvait juger de la qualité de la scène. Même si cela est un avantage évident pour la mise en scène, je trouve que le métier de cadreur a perdu en intérêt. Et ma carrière s'est terminée sur la découverte du numérique qui ne fut pas évidente, il fallait s'accrocher pour suivre !

 

- Aviez-vous une préférence entre tournage en extérieur ou intérieur en studio ?

- A tout point de vue j'ai préféré tourner en studio car vous êtes évidemment beaucoup moins dépendant de certains aléas tels que la météo, le choix de la pellicule, l'éclairage et la lumière, le transport du matériel... Les tournages sont compliqués autant pour les comédiens que pour les techniciens.

 

- Globalement, la préparation d'un plan prenait combien de temps ?

- Difficile de pouvoir vous répondre très précisément car cela reste très aléatoire. Il faut tenir compte de l'image du champ, savoir si l'on englobe le décor global ou simplement une partie... Il se passe énormément de temps entre la préparation de chaque plan. J'en reviens au tournage d' "Oscar" où je vous ai parlé de la chaleur étouffante ! Les maquillages coulaient et nous râlions tous ! Ce fut l'un des tournages les plus compliqués que j'ai connus. De plus, dans le comique, il est toujours difficile de reprendre une scène à l'identique, notamment avec de Funès, un acteur très inventif qui n'avait pas pour méthode de recommencer la même chose.

 

- Etes-vous nostalgique de votre métier ?

- Oui énormément et je n'ai d'ailleurs plus de contacts avec le milieu car nombre de mes amis sont aujourd'hui décédés. Lorsque je visionne certains films, je ne peux m'empêcher de repenser à tous ces souvenirs. Je ne me plains de ma vie actuelle mais ma vie professionnelle était une vie trépidante, à deux cents à l'heure. J'habite désormais à la campagne et ma vie est devenue plus monotone (rires) !

 

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