DVD Gaumont Vidéo (2008)

 

Philippe MONNIER

 

AAAAAA Philippe Monnier débute sa carrière de réalisateur en tant qu'assistant de Jean-Paul Le Chanois, en 1964 pour le film "Monsieur" avec Jean Gabin et Philippe Noiret en vedettes. Son apprentissage se poursuite sur les plateaux de Claude Sautet ("L'Arme à Gauche") puis de Christian Jacque ("Le Saint prend l'affût"). Professionnel reconnu de la télévision pour laquelle il travaille énormément (six épisodes de "Père et Maire", "Une femme d'honneur", "Le temps meurtrier"...), il se lancera aussi en tant que scénariste pour "Monsieur Papa" en 1977.

AAAAAA C'est en 1967 qu'il débute sa collaboration avec Edouard Molinaro dans son film "Peau d'espion". Il deviendra au cours de deux décennies suivantes un membre technique régulier de ses équipes professionnelles. C'est donc tout logiquement qu'il fera partie du projet "Oscar" en 1967 puis d' "Hibernatus" en 1969 avec Louis de Funès en vedette. De ces films, Philippe Monnier en garde un souvenir précis, se souvenant des difficultés rencontrées par Molinaro face à Louis de Funès, des exigences particulières de l'acteur notamment dans la réécriture des scénarios. Mais au final, lucide, il se rend aussi compte du grand professionnalisme habitant l'acteur qui, s'il pouvait souvent irriter l'équipe technique, se révélait toujours exact et d'un apport sans précédent pour la qualité finale du film. Il s'est replongé avec plaisir dans ses souvenirs au travers d'une heure d'interview inédite que nous livrons ici en intégralité. Merci à lui pour sa gentillesse et sa disponibilité.

 

 

Interview de M. Philippe Monnier du 26 février 2013 par Franck et Jérôme

 

- M. Monnier, vous travailliez sur les deux films que tourne Edouard Molinaro avec Louis de Funès, faisiez-vous partie intégrante de son équipe technique ?

- Oui à cette époque je travaillais très souvent sur ses films puisqu'il m'engagea pour "Peau d'espion", "Oscar", "Hibernatus", " Mon oncle Benjamin ", "L'emmerdeur" ou encore "Ironie du sort". Les films tournés avec de Funès étaient de grosses productions, comme tous les films de la Gaumont. Les techniciens étaient choisis parmi les meilleurs, nous disposions d'un budget très confortable et le cadre de travail était très sérieux.

 

- Quel était le degré de complexité des plans de travail des films de Molinaro ?

- Relativement classique pour une comédie des années 60 mais avec plusieurs crans d'avance au niveau de la technique par rapport à d'autres réalisateurs d'alors car Edouard est un metteur en scène extrêmement précis, connaissant parfaitement son métier. Il travaille de manière très rigoureuse mais le résultat est toujours fluide et élégant. Il procède selon un découpage très précis. Pour "Oscar" notamment, je me rappelle d'un plan de travail exigeant mais tournant autour d'un décor très bien étudié et construit de telle façon qu'il permettait un déplacement de caméra assez libre.

 

 

Tournage du film "Oscar", avec Edouard Molinaro au premier-plan. Louis de Funès, seul, paraît bien pensif.

 

 

- Comment se déroule le travail avec Edouard Molinaro?

- Je dirais qu'il dirige ses techniciens de manière très simple et précise. Ses ordres sont toujours nets. Il a des jugements assez tranchants, avec une certaine fermeté car il sait précisément ce qu'il souhaite obtenir et comment le mettre en oeuvre. A ses côtés j'ai énormément appris. Il est aussi très rigoureux avec les acteurs avec lesquels il communique très simplement avec beaucoup de douceur et de sérénité. Il ne s'étend pas sur l'étude de la psychologie des personnages car tout ceci est réglé à l'écriture du scénario. Il se concentre donc pleinement sur les scènes à tourner. Sur ses films, en règle générale, l'ambiance est très sereine, feutrée avec une bonne humeur constante.

 

- Qu'en était-il des relations avec Louis De Funès ?

- Le travail n'était pas facile entre eux, il faut le reconnaitre, mais il se faisait quand même car il s'agit avant tout de deux grands professionnels. Molinaro et moi-même avions compris l'anxiété de Louis qui se reflétait chaque jour sur le plateau. Il n'y avait pas d'éclats de voix ou de gros heurts, plutôt des petites prises de becs. Lorsque Louis était contrarié, il faisait la tête dans son coin, il prenait son temps. Le climat était donc parfois lourd mais cela ressemblait plus à une guerre silencieuse.

 

- Etait-ce une situation compliquée à gérer ?

- En réalité non car, sans fausse modestie, j'étais alors un professionnel avec suffisamment d'expérience pour gérer ce genre de situations et un assistant se doit de plus de savoir gérer cela, notamment sur des grosse productions comme celles de la Gaumont. Et comme je vous l'ai dit, nous étions entourés de techniciens parfaitement qualifiés. J'étais en revanche malheureux car je voyais mon metteur en scène parfois bousculé par Louis qui était la vedette. Je devais alors le protéger ainsi que tout le travail de la journée donc effectivement cela fut parfois compliqué à gérer. Louis chamboulait souvent le plan de travail et celui-ci a donc pris beaucoup de retard, mais je ne saurais vous dire avec précision le dépassement exact. Il y avait des réécritures quotidiennes et lors de ces moments, nous pouvions mesurer toute l'angoisse de Louis par rapport à son travail. Pour "Hibernatus", la seconde équipe dirigée par Pierre Cosson a pris une importance croissante, notamment pour les dernières semaines de tournage. Ils ont notamment tourné les scènes d'expédition polaire que l'on voit au début du film. Avec Edouard, nous avons rapidement enchaîné sur le tournage de "Mon oncle Benjamin".

 

- Quelles furent vos relations avec Louis de Funès ?

- Elles furent très polies de mon côté comme du sien. Sur les deux tournages, je ne me permettais pas de donner un avis quelconque sur le travail artistique car ce n'était pas mon rôle. Louis en revanche n'intervenait absolument pas dans la technique mais lorsque nous avions des suggestions à lui faire, il était toujours disponible pour en discuter. Je ne me souviens pas d'un homme distant, il n'était pas du genre à s'enfermer dans sa loge en disant de ne pas le déranger. Les relations furent plus compliquées avec Molinaro car Louis remettait souvent en cause la mise en scène qu'il proposait alors que les suggestions d'Edouard étaient celles d'un homme maitrisant admirablement son art. Je me souviens qu'ils discutaient beaucoup ensemble sur la préparation de scènes. Louis proposait énormément de choses et Edouard ne le freinait pas car il connaissait son apport pour la réussite et la qualité du film. Et inversement De Funès connaissait le talent de Molinaro, il pouvait donc souvent se "reposer" sur son talent de technicien et laisser libre à cours à son jeu.

 

- Sentiez-vous le besoin pour De Funès d'être entouré de comédiens qu'il connaissait ?

- Oui je l'ai senti et surtout compris. Il souhaitait s'entourer d'amis mais aussi de seconds rôles qui avaient du talent. Claude Gensac, Paul Préboist, Mario David et tant d'autres étaient de bons professionnels avec qui il s'entendait à merveille. Avec certains, ses rapports furent plus compliqués, je pense notamment à Claude Rich. Pour "Oscar", bien que très jeune, Claude était déjà un acteur très talentueux que Louis n'arrêtait pas de reprendre en lui disant "Guy Bertil faisait comme ça !". Je sentais Claude bouillir intérieurement et un jour cela a explosé. Il faut reconnaître que l'attitude de Louis n'était pas très délicate, il a beaucoup exagéré et aurait pu avoir plus d'égard.

 

Photographie d'exploitation allemande: Louis de Funès avec Claude Gensac et Claude Rich (collection F&J).

 

 

- Qu'en est-il de cette fameuse "grève" sur le tournage d' "Oscar" ?

- Elle a duré un peu moins d'une journée selon mes souvenirs. C'est incroyable mais j'avais complètement oublié cet épisode et lors d'une interview récente on me l'a rappelé. En y repensant, il est exact que Louis ne souhaitait pas tourner mais je ne me souviens plus précisément des raisons. En revanche, il a fallu faire venir l'état-major de la Gaumont afin de calmer les tensions. Louis a d'ailleurs exigé que toutes les pages de la pièce originale soient signées par lui-même et Molinaro afin d'être sûr que l'on ne dévierait pas. Là encore s'illustre toute l'anxiété de Louis et sa peur de mal jouer.

 

- De Funès était en définitive angoissé par l'absence du rire de Molinaro ?

- C'est exactement cela, vous avez tout à fait raison. Et pourtant, tout ce que proposait Louis plaisait beaucoup à Molinaro mais il est un homme trop introverti qui n'extériorise pas ses émotions. C'est un homme très sensible et comme tous les sensibles, il a du mal à les laisser transparaitre. Lorsque de Funès s'énervait de cette absence de rire, je devais alors faire le lien entre les deux hommes. Moi-même parfois je n'avais pas envie de rire à cause du climat régnant sur le plateau. Ce fut souvent le cas sur "Oscar" puis quand même plus facile sur "Hibernatus" pour moi. D'ailleurs j'ai une anecdote à ce sujet. Nous venions d'achever le tournage d' "Hibernatus" et Louis réfléchissait à la constitution de l'équipe technique pour son prochain film produit par la Gaumont [ndlr : "L'Homme orchestre" de Serge Korber]. Lors d'une réunion avec Sussfeld et Poiré, il demanda qui serait assistant réalisateur, les deux hommes me proposèrent et Louis fut catégorique : "Non il ne rigole pas à ce que je fais". Je n'avais pas eu vent de cette discussion et les fêtes de Noël approchant, comme je suis Nantais, je me rendis dans ma famille en avion car je disposais de peu de temps. En arrivant en salle d'embarquement, je tombe sur Louis qui patientait lui aussi. Comme nous étions deux timides, nous ne nous sommes pas dérangés. Une fois installé dans l'avion, l'hôtesse est venue me voir : "M. Monnier, M. De Funès aimerait beaucoup voyager en votre compagnie." C'est ainsi que je me suis retrouvé aux côtés de Louis durant tout le trajet. Nous avons énormément parlé et sympathisé et il fut parfaitement charmant. Quelques jours plus tard, il a appelé Sussfeld : "Je suis d'accord pour Philippe Monnier en assistant, il est vraiment charmant " ! Hélas entretemps, j'avais accepté un autre projet pour Jacques Perrin et je n'ai jamais retravaillé avec lui. Globalement sur les deux films, ce n'était pas facile de protéger mon metteur en scène et de satisfaire les exigences de Louis. Parfois il s'emportait : "Non je ne tourne pas". Sur le moment beaucoup pensaient qu'il était un emmerdeur mais avec le recul, on se rend compte qu'il ne s'agissait jamais de caprices de stars mais bien d'exigences professionnelles de bons sens qui allaient toujours dans le sens du film. Louis n'était absolument pas une star capricieuse, il était parfaitement poli et respectueux des techniciens.

 

- Quel regard portez-vous aujourd'hui sur ces films ?

- Je trouve qu'ils n'ont pas vieilli. D'une part parce que les scénarios étaient excellents et d'autre part parce que Edouard a su imposer une technique innovante, de très grande qualité avec une maitrise du récit cinématographique. Je suis catégorique pour "Oscar" qui selon moi est parfait sur énormément de points. On retire une certaine fierté lorsque l'on visionne un travail d'une telle qualité car nous nous étions vraiment donné du mal.

 

- "Oscar" dispose quand même d'un scénario de plus grande qualité qu' "Hibernatus", un vaudeville moins bien construit.

- Oui c'est exact, "Oscar" est d'une très grande qualité car de grands techniciens ont travaillé dessus, notamment Wakewitch pour les décors. La base d' "Hibernatus" était plus faible dès le départ et sans doute que les réécritures successives n'ont pas favorisé la cohésion globale.

 

- Le retour du duo De Funès - Molinaro pour "Hibernatus" résulte grandement d'exigences de la Gaumont ?

- Oui la Gaumont avait senti le potentiel de la réunion de ces deux grands professionnels. J'imagine donc que l'état-major a poussé pour qu'ils se réunissent à nouveau. Sans dire qu'ils se soient jurés de ne jamais retravailler ensemble, à chaud à la sortie d' "Oscar" il est vrai qu'autant Molinaro que de Funès n'étaient pressés de retravailler ensemble. A cette époque, les contrats étant généralement signés pour trois films et comme Molinaro souhaitait depuis longtemps monter "Mon oncle Benjamin", il a certainement aussi profité de l'occasion pour rebondir sur son projet une fois achevé le tournage avec De Funès.

 

Edouard Molinaro et Louis de Funès sur le plateau de tournage de "Hibernatus".

 

- Louis de Funès intervenait-il au montage ?

- Il ne me semble pas qu'il fut présent lors du montage. En revanche il était présent tous les soirs pour le visionnage des rushs.

 

- Outre l'anecdote évoquée auparavant, avez-vous eu des projets pour retravailler avec Louis de Funès ?

- Je me rappelle avoir lu un livre dont l'adaptation cinématographique me paraissait très intéressante pour Louis. A cette époque il était produit par Fechner et je suis allé trouver ce dernier afin de savoir si le projet l'intéressait mais il n'y a pas eu de suite.

 

- Quels souvenirs gardez-vous de Louis de Funès ?

- Je garde le souvenir d'un homme très intéressant, sensible et touchant dans son anxiété et sa volonté de bien faire. Il mérite toute notre admiration et notre respect. Toutes les péripéties qu'il put y avoir durant ces tournages et qui m'ont semblé parfois difficiles me paraissent, avec le recul, presque dérisoires tellement l'homme avait du talent et souhaitait apporter une énorme qualité à ses films. Il ne poursuivait qu'un but : faire son travail avec exigence, rigueur et sincérité.

 

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