Chronique de film

Certains l'aiment... froide !

Jean Bastia, 1959

 

AAEDGF La création de cette page a une origine double. D'une part, il nous a été demandé à l'été 2014 par la municipalité de Port-Gitana (Suisse) de présenter le film "Certains l'aiment... froide !" avant sa projection en public. D'autre part, nous souhaitions de longue date en savoir un peu plus sur Jean Bastia, obscur réalisateur qui, à défaut d'avoir signé des chefs d'oeuve, a travaillé avec les plus grands comédiens de son époque. Pour leur aide apportée à la réalisation de cette page, nos remerciements les plus sincères vont à Madame Dudan, épouse de Pierre Dudan, au journaliste et réalisateur Armel de Lorme de L'Aide Mémoire, au spécialiste du cinéma corse Jean-Pierre Mattéi et à Jérémy Joly.

Franck et Jérôme, octobre 2014

 

EDJean Bastia : biographie pour un mystère résolu

AAEDGF Au début de nos recherches, les informations les plus "récentes" dont nous disposions à propos de Jean Bastia était sa participation, en qualité de directeur de production, sur des films tournés dans les années 1980. Et puis... plus rien ! Ainsi, lors de bavardages avec plusieurs comédiens ou techniciens qui avaient travaillé avec lui, il nous arrivait de demander s'ils étaient restés en contact avec le réalisateur. Tous nous fournissaient invariablement la même réponse : "non, personne dans le milieu ne sait ce qu'il est devenu." Toutefois, plusieurs d'entre eux nous ont précisé que, malgré les apparences, les origines familiales de Jean Bastia n'étaient pas aussi évidentes que son nom d'emprunt le suggérait. Nos recherches entreprises à l'automne 2014 ont enfin permis de connaître la véritable identité du cinéaste.

AAEDGF Contrairement à une idée largement répandue sur de nombreux sites internet, Jean Bastia n'est pas né à Bastia. Son véritable patronyme était Simoni. Ses ancêtres avaient des origines corses, venant de Figari, avant d'immigrer en Aquitaine vraisemblablement au XIXe siècle. Son père, Jean Simoni, était né à Bordeaux en 1878 et, une fois monté à Paris, fit les beaux jours des spectacles de la capitale à partir des années 1910 sous le pseudonyme de Jean Bastia. Bien qu'il existe des Simoni d'origine corse, en particulier de Prato di Giovellina (près de Corte) et de Vescovato où des membres de sa famille s'étaient installés au début du XIXe siècle, ce choix pour la ville de Bastia ne possède à ce jour aucune explication ou justification irréfutable. Le 21 février 1919 (et non le 15 comme l'attestent Wikipedia ou IMDB), son fils Jean Charles Paul Fortunio vit le jour dans le 9è arrondissement de Paris, rue Choron. Son père, qui exerçait la profession d' "artiste dramatique", possédait une renommée dans le métier, comme l'attestent la présence de Jeanne Roques (actrice du cinéma muet connue sous le pseudonyme de Musidora) et de l'auteur Paul Giafferi en qualité de témoins de sa naissance. A cette époque, Jean Bastia père dirigeait le cabaret Le Perchoir rue du Faubourg-Montmartre.

AAEDGF A la fin des années 1930, encore adolescent, Jean Simoni entreprend une carrière d'assistant à la mise en scène au cinéma, auprès de Jean Colombier, puis de Jean Boyer après la Seconde Guerre mondiale. Peut-être en hommage à son père mort prématurément en 1940, il devient à son tour Jean Bastia, deuxième du nom. A cette époque, il travaille aux côtés de Fernandel, qu'il a déjà rencontré à plusieurs reprises car son père était un ami du comédien.

AAEDGF Au fil des expériences dans le cinéma et au cours de sorties dans les boites à la mode, il fait la connaissance de Jacques Ary (qui a le même âge que lui), Roger Pierre et Jean-Marc Thibault qui se produisent déjà sur scène, et surtout de Jean Richard, qui remporte un succès croissant dans des cabarets avec plusieurs sketchs tels "L'Explorateur" et ceux du personnage de Champignol. Devant le succès rencontré, une adaptation cinématographique est décidée, ce sera "Nous autres à Champignol" (1956). Jean Bastia est l'homme tout trouvé pour assurer - pour la première fois - la réalisation d'une comédie légère et champêtre. Hélas, le scénario comme les décors suffisent à révéler le manque d'ambition que revêt cette entreprise. Pour preuve, ce film - aujourd'hui oublié - n'a pas encore connu de réédition en DVD.

AAEDGF Jean Bastia enchaîne alors les longs-métrages, en travaillant régulièrement avec Jean Richard et Roger Pierre sur les scénarii et les dialogues. Son frère Pascal Bastia, musicien, signe régulièrement les bandes originales de ses films et collabore occasionnellement aux scénarii. En 1959, dans "Le gendarme de Champignol", Jean Richard endosse l'uniforme, quelques années avant Cruchot. Néanmoins, la comparaison avec de Funès est aujourd'hui inévitable et, à ce jeu-là, force est de reconnaître que la brigade tropézienne remporte aisément le match. Dans la foulée, Jean Bastia réalise "Certains l'aiment... froide !" puis "Les Tortillards", film bon enfant et honorable, tourné l'année suivante avec Louis de Funès.

 

Louis de Funès et un journaliste (André Halimi ?) improvisent un petit sketch sur le tournage de Certains l'aiment froide. Le journaliste interroge aussi le réalisateur Jean Bastia. Une autre archive de tournage pour ce film se trouve à l'adresse suivante : ICI

 

AAEDGF En 1961, il retrouve son complice Jacques Ary qui lui propose une histoire loufoque mettant en lumière Fernandel dans un surprenant western à la française. La vedette accepte le projet pour plusieurs raisons : il joue les deux personnages principaux (ce qui le rend omniprésent à l'écran), il est féru de westerns, veut en réaliser un "sans le moindre acteur américain" et il ne voit aucun inconvéniant à ce que la mise en scène soit confiée à un homme qu'il connait de longue date. Pour une raison budgétaire et d'agenda (celui de Fernandel est particulièrement rempli), le tournage en extérieurs n'a pas lieu en Arizona mais dans le sud de la France, près d'Aix-en-Provence. Malgré toute la bonne volonté de Fernandel et quelques bonnes scènes, "Dynamite Jack" présente des longueurs et ne convainc qu'à moitié les critiques et le public. Un journaliste reproche même à Fernandel de ne pas en avoir fait assez (!!!). Ce semi-échec commercial pour ce film sera la seule véritable collaboration entre Jean Bastia et Fernandel. Aujourd'hui, "Dynamite Jack" fait figure d'ovni, s'inscrit à la fois comme un western méridional original, un projet ambitieux et un rendez-vous un peu manqué pour la vedette marseillaise.

AAEDGF Toutefois, il serait prématuré de penser que Jean Bastia n'a réalisé que des "navets" d'une qualité artisitique contestable. En effet, en 1957, il a mis en scène Jean Gaven et son épouse Dominique Wilms dans un film d'aventures, "Les Aventuriers du Mékong", qui est une oeuvre assez réussie sur bien des aspects. Le scénario plutôt bien ficellé, le cadrage et la photographie soignés, le jeu impeccable des acteurs sont autant d'atouts qui rendent le film plaisant et distrayant. Sa sortie en DVD donne d'ailleurs aux cinéphiles l'occasion de (re)voir ce film et de mesurer le talent - hélas trop rarement manifesté - du cinéaste.

AAEDGF Avec les années 1960, Jean Bastia se fait plus rare ; il signe encore "Le caïd de Champignol" en 1966. Après ce dernier volet de la série de Champignol, Jean Bastia signe l'obscur "Réseau secret" puis bascule vers le genre érotique, en vogue aux début des années 1970. A la suite de cette expérience, il quitte la réalisation et devient conseiller artistique avant d'évoluer comme directeur de production dans les années 1980. Retiré des plateaux peu de temps après, il prend sa retraite en Dordogne, retournant ainsi en Aquitaine, où est installé également son frère le musicien Pascal Bastia (1908-2007). Jean Bastia tire sa révérence en 2005, à Bergerac, à l'âge de 86 ans, dans l'anonymat le plus complet. A ce jour, nous n'avons pas réussi à entrer en contact avec des membres de sa famille. Jamais marié, il n'a peut-être pas eu de descendance. Néanmoins, plusieurs de ses films lui survivent, en particulier "Certains l'aiment... froide !" et "Les Tortillards" qui doivent leur modeste renommée actuelle à la présence de Louis de Funès au générique.

 

Affiche belge du film "Les Tortillards" (1960), seconde et dernière collaboration de Louis de Funès et Jean Bastia (collection F&J). Le film est ressorti en 1968 sous le titre "Les Tortillards sont là".

 

 

EDUn film de plus pour de Funès, redevenu second rôle

AAEDGF « Certains l'aiment froide » est un film peu connu du grand public car, tourné et monté en noir et blanc, il est rarement - voire jamais - diffusé à la télévision. Cette petite comédie fut tournée du 7 juillet au 17 août 1959, dans des studios parisiens et à Genève pour les extérieurs. Les dernières prises de vues ont lieu à Port Gitana, dans la banlieue genevoise. Le déplacement de l'équipe chez nos voisins helvètes tient d'une exigence de la société de production dont nous reparlerons.

AAEDGF L'histoire de ce film est la suivante : A Genève en 1959, le notaire Maitre Leboiteux (joué par Noel Roquevert) ouvre un testament vieux de 200 ans qui offre une fortune d'un milliard au seul descendant souffrant d'une maladie incurable. Les descendants sont Louis De Funes (Ange Galopin), Francis Blanche, Jean Richard et Robert Manuel, qui sont prêts à tout pour récupérer un milliard.

AAEDGF Le film a donc été réalisé par Jean Bastia, réalisateur que Louis de Funès devait rencontrer deux fois dans sa carrière. Initialement, le film doit s'appeler "Pour un milliard", bâti sur un scénario de l'auteur Jean-Daniel Daninos et des dialogues de Guy Lionel. Cependant, le film sort en France le 17 février 1960 sous un autre titre « Certains l'aiment froide » car entre temps est sorti « Certains l'aiment chaud » de Billy Wilder avec Marylin Monroe. Fort de ce succès, et malgré le thème principal « Pour un milliard » déjà enregistré pour la bande originale du film, les producteurs décident de rebaptiser le film et de profiter du marketing du film de Monroe.

 

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Affiche du film "Pour un milliard" (collection unifrance.org), rapidement rebaptisé "Certains l'aiment froide" pour des raisons commerciales. Le film a bien été présenté dans la presse sous le titre "Pour un milliard", comme le révèle cette publicité parue dans "Le Journal de Genève" en décembre 1959.

 

AAEDGF Ce film présente l'originalité de ne pas être centré sur une vedette en particulier, bien que Francis Blanche prédomine, mais bien sur une brochette d'acteurs de belle renommée à cette époque. C'est d'ailleurs l'un des paradoxes de ce film : des acteurs confirmés et bankable sont engagés mais le film n'a pourtant pas très bien marché. Par ailleurs, ce long-métrage ne représente pas un atout majeur pour Louis de Funès dans sa filmographie, qui relevait avant tout d'une obligation contractuelle. Néanmoins, il se place à une période charnière de sa carrière. En effet, à l'âge de 45 ans, il a déjà tourné près de 100 films, multipliant ainsi des « panouilles » (figurations) et s'est vu proposer quelques rôles plus intéressants. Trois ans plus tôt, en 1956, sa première véritable scène en tant que personnage phare de l'histoire reste celle de l'épicier Jambier aux côtés de Bourvil et Jean Gabin pour le film « La Traversée de Paris ».

AAEDGF Ayant réussi cet examen de passage relativement difficile, quelques réalisateurs – et surtout quelques producteurs – vont progressivement admettre et reconnaître son potentiel comique mais surtout sa capacité à assumer des rôles de premier ordre. Ainsi, devenant petit à petit un acteur reconnu par ses pairs, ses rôles s'étoffent film après film depuis le début des années 50 jusqu'à devenir un second rôle confirmé dès 1955. En outre, dès 1956, le producteur Jules Borkon mise sur lui pour le personnage principal de son film « Comme un cheveu sur la soupe » que met en scène Maurice Régamey. Peu après, le metteur en scène Yves Robert lui donne le rôle du braconnier Blaireau dans le film « Ni vu, Ni connu ». A priori, il fait donc taire les professionnels qui pensaient que son comique s’essoufflerait trop vite et devait se limiter à une voir deux scènes maximum. Il enchaîne ensuite avec "Taxi, roulotte et corrida" sous la direction d'André Hunebelle. Pourtant, si le comédien a eu l'honneur d'être un premier rôle à trois reprises en 1957 et 1958, force est de reconnaître que les films produits par Borkon n'ont pas reçu le succès attendu et d'admettre que, d'un point de vue commercial, Louis de Funès n'a pas convaincu. Aussi n'est-il pas étonnant de le voir revenir -probablement contre son gré - à des seconds rôles, souvent moins intéressants, entre 1959 et 1962. Néanmoins, les films précédemment cités ont déjà intrigué la presse. Ainsi, L'Humanité lui consacre un petit article pendant le tournage en juillet 1959.

AAEDGF Ce film n'est donc pas une exigence professionnelle de Louis de Funès. Il relève d'un contrat de la société de production KerFrance par lequel il est lié contractuellement le temps de deux films. S'il ne se fait guère d'illusions sur l'impact que ce film peut avoir sur l'évolution de sa carrière, son personnage d'Ange Galopin lui permet néanmoins de parfaire son jeu, en particulier sur le caractère anxieux qui devait caractériser plus tard plusieurs de ses personnages comme Sarroyan ou Juve.

AAEDGF A cette époque, sa notoriété grandit et sa carrière s'apprête à connaître un nouveau visage. Un signe ne trompe pas : juste après le tournage du film, de Funès part au théâtre de Fontainebleau pour monter « Oscar ». La pièce sera jouée en tournée en France à partir de décembre 1959 et dans les pays francophones (Maghreb, Belgique et Suisse) puis à Paris. Ce sera incontestablement son premier vrai succès théâtral, à la hauteur de son talent. Mais comment, en 1959, s'est-il retrouvé dans un film tourné en Suisse ?

 

EDDe Funès - Dudan, une belle rencontre


AAEDGF L'un des principaux comédiens du film se nomme Pierre Dudan. Ce musicien et compositeur suisse a rencontré un franc succès après guerre avec des morceaux comme « On prend le café au lait au lit » ou « Clopin clopant ». Il travaille alors avec Ray Ventura, Henri Salvador. Dans l'orchestre, figure également Max Elloy, un proche qu'il impose au cinéma dans plusieurs de ses films.

45 tours avec la bande originale du film composée par Pierre Dudan (collection F&J).

 

AAEDGF A la fin des anées 50, Dudan se lance dans le métier de producteur. Avec sa première épouse Marie-Reine Kergal, ils décident en 1958 de se lancer dans la production cinéma et fondent la société KERFRANCE PRODUCTIONS. "Certains l'aiment froide" est le leur premier projet. En musicien accompli, Dudan signe la bande originale du film, qui sera éditée en 45 tours. Contre l'avis des distributeurs de film, il engage Louis de Funès dans un second rôle et, pendant le tournage, les deux hommes s'entendent merveilleusement. Pierre Dudan et son épouse l'engagent alors pour un autre film à venir. Ce sera « Dans l'eau qui fait des bulles », deux ans plus tard. Parallèlement, Dudan et de Funès ont aussi un autre projet : faire un film sur un grand restaurant. Car Dudan est musicien et de Funès a longtemps été pianiste de bars pour nourrir sa famille lorsqu'il était figurant au cinéma. Le projet se fait en 1966, le film se nomme « Le Grand restaurant »... mais pas de Pierre Dudan au générique... Son absence s'explique par deux raisons. D'une part, il a entretemps été ruiné avec sa société de production, d'autre part il voyage beaucoup et il est de l'autre côté du globe quand il apprend que le projet a été monté. L'archive vidéo qui a été retrouvée par Aurélien Matti et son équipe révèle donc que "Le Grand restaurant" était un projet que de Funès portait en lui depuis de nombreuses années.

 

EDDistribution et fiche technique du film

AAEDGF Le casting de ce film présente avant tout des gens du music-hall et cabaret. La présence de Francis Blanche et du second rôle Noël Roquevert, déjà très connus, sont des atouts commerciaux de poids pour ce film. De plus, Jean Richard, qui a créé au cabaret son personnage de paysan de Champignol, est également de la partie. Il reprend son personnage de l'explorateur avec lequel, pour les dix dernières minutes du film, il sort le spectateur de sa léthargie. Son jeu impeccable sauve la fin du film. Avec la présence de ce comédien talentueux qui le connaît bien, Jean Bastia est le réalisateur tout trouvé pour tourner ce genre de film : il possède une technique assez solide car il a appris le métier comme assistant sur de nombreux films, mais il s'avère être un metteur en scène assez pauvre d'un point de vue artistique, ce qui laisse une grande liberté aux comédiens qui improvisent au maximum, cabotinent autour d'un scénario asez faible. La palme revient probablement à Francis Blanche qui rend son personnage américain vulgaire, sans aucune sobriété (c'était son intention initiale) et n'hésite pas à improviser une simulation de vol, tenant dans chaque main un ventilateur faisant office d'hélice. Ce comédien déjanté apporte un grain de folie quelque peu surréaliste qui, curieusement, n'apporte rien (ou presque) au film. Son streap-tease sous la pluie n'y change rien non plus, pas plus que l'invraisemblable scène qui le conduit, avec Noël Roquevert (!!!), à incarner des doux dingues hurlant, chantant et dansant sous une douche !

AAEDGF Probablement pour lui accorder une place de choix au coeur de la distribution, Louis de Funès "charge" aussi son personnage, dans ses attitudes et ses déplacements. Par ailleurs, d'après les souvenirs de Pierre Dudan confiés au journaliste Eric Leguèbe, de Funès improvise beaucoup et trouve des gags qui sont ajoutés au scénario. Robert Manuel, homme de théâtre, pensionnaire de la Comédie Française, trouve difficilement sa place dans cette comédie, où son jeu d'italien n'est guère convaincant. Dans l'ensemble, les personnages demeurent assez caricaturaux, plutôt grossiers : ainsi l'Italien est un baratineur filou, l'Ecossais est en kilt et porte une cornemuse, l'Américain porte des bretelles et fume un grand cigare etc... Toutefois, les cinéphiles retrouvent avec plaisir Mario David, qui joue un masseur (tout comme dans "Oscar", c'est décidement une étiquette qui lui colle à la peau) et découvrent Jean-Paul Rouland, tout jeune comédien et qui tire son épingle du jeu. Il sera connu plus tard pour sa présence récurrente à la télévision et pour ses livres d'Histoire vulgarisants.

 

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Louis de Funès et Jean Richard - reprenant son personnage de l'explorateur dans une scène donnant une vision coloniale de l'Afrique (Kerfrance Productions). La scène loufoque avec Noël Roquevert et Francis Blanche (Kerfrance Productions).

 

EDSortie, critique et analyse du film

AAEDGF Le film sort le 17 février 1960 et est immédiatement affligé d'une critique assassine, à tel point que certaines revues spécialisées refusent de lui consacrer un article. Paradoxalement, la présence de vedettes lui permet d'être en tête des entrées lors de sa première semaine de diffusion en cumulant 52 987 entrées. Toutefois, le bouche à oreille ayant du fonctionner, la seconde semaine le voit ralentir avec seulement 29 267 entrées. Face à ce constat, les producteurs décident immédiatement de le retirer des salles parisiennes et de le projeter en province pour limiter des pertes sèches. A l'inverse, une presse moins intelligentzia reconnaît le caractère plaisant du film, agrémenté de quelques bonnes scènes et de bons comédiens. Le journal « Aux Ecoutes » analyse : « c'était fatal, après le succès de Certains l'aiment chaud, d'astucieux cinéastes ont choisi cette antinomie pour leur petite comédie bouffonne. Si elle fait rire, c'est surtout grâce aux interprètes. Francis Blanche est étonnant, comme toujours. Jean Richard, Noël Roquevert et les autres exécutent leur numéro en virtuoses. » Dans un même temps, « Radio-Cinéma-Télévision » publie : « Ce n'est pas l'imagination qui manque à l'auteur de cette histoire farfelue. Un bon scénario et de bons acteurs pour le défendre ne suffisent pas. Soyons justes : il y a de bons moments et de bons gags dans ce film qui n'a sûrement pas été bâclé. »

AAEDGF Cinquante ans plus tard, une analyse la plus objective possible nous permet de confirmer que "Certains l'aiment froide" est globalement un mauvais film, qui de surcroît a mal vieilli. Ce qui n'est pas le cas de la seconde collaboration de Funès - Dudan, avec "Dans l'eau qui fait des bulles", qui est bien plus aboutie. A ce sujet, le long-métrage de Jean Bastia présente - outre des longueurs - quelques scènes avec une vision colonialiste aujourd'hui dérangeante. En 1959, dans un contexte de décolonisation française sur le point de s'achever (1960 pour l'Afrique noire, le Maroc et la Tunisie sont déjà indépendants), les scénaristes inventent un personnage d'un goût douteux. L'un des descendants est Noir, il parle « petit nègre ». Ce personnage offre ainsi une vision déjà obsolète de l'Afrique à la fin des années 50, à l'époque où Senghor ou Houphouët-Boigny s'émancipent en Europe. En outre, le personnage de Jean Richard, qui reprend son sketch de « l'explorateur » revient tout droit d'une Afrique sauvage, cannibale, où il a engagé des porteurs torses nus. Ce film constitue donc un peu un document historique, une vision qu'une partie de la société française - de plus en plus minime - avait encore de l'Afrique.

AAEDGF "Certains l'aiment froide" est un film qui remporte des titres - le Prix Courteline, le Grand prix du rire 1960 - et qui marche assez bien en province, permettant ainsi à Kerfrance Productions de couvrir les frais. Que dire de plus sur ce film ? L'expérience de Pierre Dudan dans la production cinématographique s'est soldée par un coûteux échec, l'artiste contractera des dettes importantes. Par ailleurs, ce film se situe à une époque où de Funès enchaînait une série de films (1959-1962) dont il n'a pas aimé le résultat à l'écran, et celui-ci n'a probablement pas fait exception. Néanmoins, "Certains l'aiment froide" marque incontestablement une rencontre intéressante entre de Funès et Dudan, qui se retrouveront pour "Dans l'eau qui fait des bulles" de Maurice Delbez. Après ce nouveau film tourné au lac de Morat (Suisse) en 1961, ces deux hommes talentueux ne se reverront plus. On peut regretter que des projets communs plus ambitieux n'aient jamais vus le jour...

 

Louis de Funès et Pierre Dudan, en compagnie de Marthe Mercadier, sur le tournage de "Dans l'eau qui fait des bulles" de Maurice Delbez, 1961.

 

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