Maurice DELBEZ

 

AAAA Maurice Delbez est né en 1922, dans un bistrot, à Bezons (Val-d'Oise). A vingt ans, pour se soustraire au S.T.O. (Service du Travail Obligatoire en Allemagne hitlérienne), il part au maquis et participe à plusieurs combats dans le Cantal, l'Aveyron et le Puy-de-Dôme. En 1945, après être reçu au concours d'entrée, il est étudiant à l'I.D.H.E.C. (Institut des Hautes Etudes Cinématographiques). Assistant réalisateur de 1947 à 1956, il devient réalisateur en 1957 avec "La Roue". Plus tôt, il a commencé sa carrière comme assistant réalisateur auprès de Guy Lefranc sur "Knock" er "Une histoire d'amour" (1951), "Elle et moi" (1952), "Capitaine Pantoufle" (1953) ou encore "Le Fil à la patte" (1955).

AAAA Devenu metteur en scène, il réalise six films sous son nom - dont un grand succès avec "A Pied, à cheval et en voiture" - et trois qui sont signés par d'autres. Ruiné à la réalisation de son film "Rues des Cascades", il quitte la mise en scène au cinéma. Il est engagé comme conseiller technique de Jean-Piere Mocky et de Claude Carliez, tandis que son ami Denys de La Patellière, avec qui il a commencé dans le métier, l'invite à le seconder sur certains de ses longs-métrages, dont "Le Voyage du père" avec Fernandel en 1966. Se détachant du cinéma, il devient réalisateur d'épisodes de séries à l'O.R.T.F, pour laquelle il entre au Service de la recherche en 1969. Par la suite, il devient successivement directeur des Programmes à FR3-Nord Picardie, directeur des Etudes de l'I.D.H.E.C, puis producteur à la télévision ("Mosaïque"). Il reprend son métier de réalisateur pour tourner deux fictions sur TF1 et une série d'émissions sur l'histoire du cinéma diffusée sur FR3. Aujourd'hui à la retraite, il se consacre essentiellement à l'écriture, il a d'ailleurs publié "Ma vie racontée à mon chien cinéphile" chez L'Harmattan.

AAAA Dans cette interview accordée en 2009, il revient en particulier sur son film "Dans l'eau qui fait des bulles", avec Pierre Dudan et Louis de Funès, réalisé en 1961, et dont les extérieurs furent tournés à Morat en Suisse. Merci à lui d'avoir répondu favorablement à notre sollicitation et pour sa chaleureuse disponibilité.

 

 

1ère partie (2009) / 2ème partie (2016)

 

Interview de M. Maurice Delbez du 26 juin 2009 par Franck et Jérôme

 

- M. Delbez, vous être originaire du Val d'Oise, pouvez vous nous expliquer comment vous en êtes venu au cinéma ?

- Je suis né dans le Val d'Oise en effet mais je n'y suis pas resté longtemps puisqu'au bout de deux ou trois ans mes parents qui étaient Auvergnats ont, comme tous les Auvergnats qui se respectent, monté un bistrot en banlieue parisienne et se sont par la suite installés à Puteaux où j'y suis resté plus longtemps. J'ai écrit un livre d'ailleurs où je raconte un peu tout ça.

 

- Entre 1951 et 1955 vous êtes l'assistant réalisateur de Guy Lefranc sur quatre films "Une histoire d'amour" (1951), "Elle et moi" (1952), "Capitaine Pantoufle" (1953) et "Le Fil à la Patte" (1955)

- Une anecdote amusante à propos de "Capitaine Pantoufle", c'est moi qui ait trouvé le titre du film et qu'à cette occasion la production m'a offert…une paire de pantoufles (Rires) !

 

- C'est à cette époque que vous emmagasiné l'expérience et le professionnalisme nécessaires à votre carrière ?

- Oui, et contrairement à ce que certains prétendent, il est important de commencer assistant pour bien comprendre le métier de réalisateur car, comme tous les soirs il y a la projection de ce qui a été tourné la veille, on peut se rendre compte des erreurs ou de ce qu'on aurait pu faire à la place, c'est une très bonne école. J'ai aussi travaillé avec un metteur en scène allemand qui avait fait des choses très intéressantes.

 

- N'avez-vous jamais été intéressé par une carrière d'acteur ?

- Non mais au départ, lorsque j'ai abandonné mes études car ne savant pas vraiment quoi faire, j'ai trouvé un travail à la Mairie de Saint Mandé puis ensuite au Ministère des Finances qui était à l'époque Place du Palais Royal et un jour, à midi, je rentre du Ministère pour aller déjeuner et avant de retourner au travail j'entends parler Jean Cocteau à la radio, cela a été une révélation pour moi et je me suis dit "je veux faire ça aussi" (rires) ! Je suis allé trouver un professeur de lettres qui m'aimait bien en lui disant "je veux faire du théâtre". Il était embêté car il ne connaissait personne sur Paris qui aurait pu m'aider, puis, en y réfléchissant bien, il me dit "Ah si je connais quelqu'un, un dentiste, qui a comme client Julien Bertaux, sociétaire de la Comédie Française". Et c'est grâce à Julien Bertaux que j'ai pu commencer car il a été formidable. Je me rendais avec lui à la Comédie Française et il me faisait travailler dans sa loge avec sa femme. Je me voyais bien être comédien. J'ai essayé puis, au fil du temps, je me suis rendu compte que je n'étais pas vraiment fait pour ça. Par la suite j'ai travaillé avec Jean Poiret à qui l'on avait demandé d'écrire une série de sketchs. Il m'a alors contacté pour les mettre en scène. Cela a bien fonctionné et Poiret a fait indirectement ma promotion en disant à tout le monde que Delbez était un grand metteur en scène. Je l'ai cru et je me suis alors pris à rêver de devenir un grand metteur en scène de théâtre. Nous étions alors en pleine Guerre et j'appartenais à la classe 42 qui devait partir en Allemagne pour le STO. Je n'en n'avais pas du tout envie, j'ai fait un peu de Résistance, au début en distribuant des tracts dans Paris puis ensuite en Province notamment en rejoignant le Maquis dans le Cantal et l'Aveyron. Un jour dans un cantonnement, un camarade me dit "Il vient de s'ouvrir une école à Paris qui s'appelle l'IDHEC" (Institut des Hautes Etudes Cinématographiques). Le cinéma ne m'intéressait pas particulièrement mais, après m'être dit que les gens de théâtre faisaient aussi du cinéma, j'ai pensé qu'il s'agissait éventuellement d'une bonne occasion pour débuter. J'ai passé le concours et j'ai eu l'agréable surprise d'être reçu et de me retrouver devant Pierre Fresnay qui m'a vraiment pris en main, notamment en m'offrant un stage sur un de ses films, "Monsieur Vincent" de Maurice Cloche.

 

 

PREMIERE PARTIE : Maurice Delbez évoque ses plus anciens souvenirs concernant Louis de Funès, lorsque le comédien débutait avec de petits rôles, notamment dans "L'amour n'est pas un pêché" (ou "Comme chiens et chats") de Claude Cariven en 1952. Il relate également la réalisation de son film "Dans l'eau qui fait des bulles" en 1961.

 

- Nous évoquions précédemment "Capitaine Pantoufle", film dans lequel joue Louis de Funès, est-ce à cette époque que vous le rencontrez ?

- Non ce n'était pas à cette époque, je me souviens de ses tout débuts qui se sont déroulés dans un cabaret rue du Faubourg Montmartre où il faisait un sketch déguisé en soldat, racontant la Guerre de 14 et les combats de Verdun. Il était très drôle, ses bandes molletières se défaisaient à chaque fois qu'il bougeait, ce qui posait problème. Je ne suis pas entré en contact avec lui mais c'est à cette époque que je l'ai connu. Nous étions en 1946 ou en 1947. Plus tard, sur un plateau à Billancourt où je m'étais rendu pour rencontrer un copain caméraman, j'ai entendu un grand cri " Oh un assistant ! " lorsque je suis arrivé sur le plateau. A l'époque l'assistant était Georges Lautner qui s'était désisté car il avait la jaunisse ou quelque chose dans le genre, et je me suis retrouvé assistant sur ce film qui s'intitulait " Comme chien et chat ". La première scène tournée était une scène avec de Funès. Dans cette scène il était dans un lit cage et il se réveillait en sursaut, cela a été extraordinaire. Il a fait un bond puis le tour du lit, puis plusieurs et lorsque le metteur en scène a dit " Coupez " il s'est retrouvé à côté de moi et il m'a dit " J'en n'ai pas trop fait ? " (rires).

 

- Vous le retrouvez ensuite sur l'un de vos films : "Dans l'eau qui fait des bulles", adaptation du roman de Prêtre "La chair à poisson", comment s'est déroulé ce travail d'adaptation ?

- Cela s'est mal passé. Je n'ai pas du tout aimé le texte que l'on m'a donné. J'ai travaillé dessus avec Michel Lebrun qui était un auteur de roman policier et nous avons tout chamboulé, ce qui a rendu Prêtre très en colère. Cela s'est par la suite arrangé puisqu'il a fini par me confier toutes ses œuvres afin que je les adapte. Mais ce fût très dur au départ. A cette époque, de Funès me semblait être entre deux chaises. Il venait de changer d'impresario - dont le nouveau allait lui suggérer les Gendarmes et d'autres succès, il avait donc bien fait de changer - mais il lui restait encore un film pour lequel il avait signé et ce fut "Dans l'eau qui fait des bulles". Non pas qu'il n'ait pas voulu tourner mais ce n'était quand même pas une chose qu'il avait envie de faire en toute honnêteté. Tout cela, je ne l'ai su qu'après. Entre lui et moi, on ne peut pas dire qu'il y ait eu une amitié indéfectible mais tout s'est bien passé quand même. Je sentais qu'il avait envie de faire de la mise en scène un jour et je voyais qu'il suivait de très près ce que je faisais. Je me souviens au passage que plus tard après le film, Place de l'Etoile à Paris, j'étais assis sur un banc et une voiture s'arrêta devant moi. C'était de Funès qui avait fait stopper son chauffeur pour venir me saluer, ce qui prouve que notre entente était bonne. Mais je pense tout de même que, dans sa filmographie, ce n'est pas un film qu'il a aimé faire parce que financièrement ce n'était pas très intéressant. De Funès était attentif à ce côté ci. Ce n'est donc pas moi qui l'ait imposé pour ce film. A l'inverse, j'ai choisi tous les autres acteurs : Marthe Mercadier, Pierre Doris, Jacques Dufilho…mais Louis de Funès était déjà imposé pour le rôle. Lorsque je suis arrivé, il avait son contrat avec le producteur. Je n'étais pas contre car j'aimais beaucoup cet acteur. Jacques Dufilho faisait partie de mes préférences, je lui ai d'ailleurs écrit ses deux scènes principales du film, notamment celle du cimetière.

 

- Comment pouvez-vous juger l'apport de Louis de Funès pour ce film ?

- Par sa présence. Je me souviens de plusieurs scènes qui étaient tout simplement inénarrables lorsque nous les regardions en projection : c'était de Funès. J'avoue que sur la plupart des scènes où il avait des choses à faire je le laissais libre de faire ce qu'il voulait.

 

- Comment travaillait-il sur le plateau ?

- Il me laissait faire mon travail, il avait une totale confiance en ce que je faisais. Il ne m'a par exemple jamais dit "Non celle-ci n'est pas bonne", tout s'est très bien passé. Je n'ai pas le souvenir de beaucoup d'improvisations puisque le scénario était déjà terminé mais je me rappelle par contre d'improvisations dans son jeu à lui, notamment dans une scène où il découvre le cadavre caché dans la malle, il s'est littéralement déchainé, comme seul lui pouvait le faire. Il s'est très bien entendu avec tous les autres acteurs. De Funès n'était pas un homme secret mais il s'appelait de Funès, un nom noble et il avait une certaine notion de son rang. A Morat, nous logions dans un hôtel de grand luxe, il était à l'aise dans ce genre d'endroit. Il était avec sa femme, qui comptait beaucoup pour lui, sa famille était primordiale.

 

 

Avec Marthe Mercadier et Pierre Dudan dans le film en 1961.

 

 

DEUXIEME PARTIE : Maurice Delbez évoque le tournage de "Dans l'Eau qui fait des bulles", en particulier une scène en extérieur à Morat. Il se rappelle des critiques à la sortie de ce film et raconte la suite de sa carrière. Enfin, il donne des explications concernant la nouvelle sortie en salles du film, titré "Le Garde champêtre mène l'enquête".

 

 

- Comment s'est déroulé le tournage ?

- Je n'ai pas le souvenir de difficultés particulières mais je me rappelle d'une anecdote sur une scène, un plan même, où Pierre Dudan et Maria Riquelme transportent le cadavre après l'avoir découvert. Nous tournions dans une partie pointue du lac. Un jour, je m'aperçois que le soleil se couchait juste en face entre deux peupliers. J'ai pensé qu'il serait beau d'avoir des personnages qui passent avec un soleil qui se couche en fond. J'ai donc fait ce jour là le plan travail en fonction de cette scène. Nous tournons la scène puis nous rentrons à l'hôtel. J'étais particulièrement heureux et fier de moi ce soir là. J'étais entrain de dîner lorsque le chef opérateur vient me trouver en disant "Maurice, il y a un problème. Le plan a été tourné avec de la pellicule ouverte à la douane." Je me suis mis dans une colère noire et j'étais tellement énervé que j'ai fait virer le second assistant opérateur.

 

- Comment ce film a-t-il été accueilli par les critiques à sa sortie ?

- Les critiques ont été dans l'ensemble plutôt bonnes. C'était la nouvelle vague qui était très remontée contre les réalisateurs de la période précédente, j'en ai donc pris pour mon grade mais je rappelle toutefois d'une critique qui disait que c'était le "moins mauvais film que j'avais fait" (rires). Ce n'était pas tout à fait vrai à mon goût. Je ne suis pas tellement fier des films que j'ai faits mais celui-ci est un bon film. Mon premier film avait été un succès, c'était un film comique et, en conséquence, l'on m'a catalogué comme " rigolo ". Mais cela m'énervait. Beaucoup ont dit de moi par la suite que j'avais pris la grosse tête, ce qui n'était pas vrai puisque je souhaitais simplement pouvoir sélectionner et choisir mes projets. J'ai d'ailleurs travaillé sur le premier film de Mocky, " Les Dragueurs ", où j'étais conseiller technique, puis avec Joffé aussi. J'avais dans la tête de monter un film important et je souhaitais pour se faire procéder à l'adaptation d'un roman de Robert Sabatier qui racontait l'amitié entre un enfant orphelin dont la mère prenait comme amant un Noir. A cause de cela ses copains se moquaient de lui et tout le film traitait de la conquête de l'amitié du gosse avec le Noir. Quand je l'ai monté en 1963, nous étions encore dans une société très raciste et je me souviens avoir été viré des bureaux que j'occupais car soi-disant je recevais trop de Noirs. J'ai eu un tas de problèmes notamment parce qu'on me reprochait de voir une femme blanche qui couchait avec un homme noir. Je me suis retrouvé démuni, le film avait été monté et le distributeur m'a lâché. Je n'avais pas les ressources financières pour continuer de tourner et toute l'équipe m'a soutenu en acceptant de travailler dans des conditions extraordinaires, à condition que je continue mon travail. J'ai accepté et je me suis retrouvé avec 40 millions de dettes. Ma carrière a été ruinée. C'est pourquoi je suis entré par la suite à la télévision en devenant directeur des programmes de France 3 à Lille, puis Directeur à l'IDHEC, avant de revenir à la réalisation, dont nous reparlerons plus tard.

 

- Pour clôturer le chapitre du film "Dans l'eau qui fait des bulles", pouvez vous nous raconter pourquoi, plusieurs années après, celui-ci est sorti sous un nouveau nom "Le Garde Champêtre mène l'enquête" ? Était-ce une exigence de la production ?

- Cet épisode ci m'a vraiment mis en colère. Les deux titres étaient mauvais selon moi. Le premier titre est l'œuvre de Pierre Dudan, garçon charmant mais qui était peut être un peu trop axé sur la question financière, car il cherchait constamment ce qui permettait de cibler le public. Il s'est fait avoir par Philippe Clay. Celui-ci avait connu le succès avec une chanson sur l'histoire d'un scaphandrier qui se perdait dans la mer et qui fût un gros succès. Je me suis retrouvé avec ce titre car Philippe Clay devait y participer et il n'a pas du tout participé au final. Par la suite, avec le succès du "Gendarme", ils ont décidé de l'appeler "Le Garde Champêtre Mène l'Enquête".

 

Plaquette publicitaire du film, ressorti en salles lorsque Louis de Funès devint une grande vedette du cinéma français. Document dédicacé par son réalisateur Maurice Delbez (collection Maurice Delbez)

 

 

TROISIEME PARTIE : Maurice Delbez revient sur Louis de Funès, notamment l'image qu'il garde de l'acteur et les éventuels projets qu'il aurait pu avoir avec lui.

 

 

- Y'a-t-il eu des projets avec Louis de Funès par la suite ?

- Etant donné que je me suis retrouvé sur la paille, je n'ai pas pu retravailler à nouveau. J'espère qu'il n'y aurait pas été opposé mais je n'ai plus refait de films donc la question ne se posait pas à l'époque.

 

- Quelle image gardez-vous de lui ?

- Une très bonne image. Il était très préoccupé par ce qui faisait. Il vivait dans son monde, dans sa famille. Il ne franchissait pas la barre du professionnalisme. J'ai suivi sa carrière par la suite. Il rêvait d'être metteur en scène et sur certains films cela se sentait qu'il avait envie de faire autre chose que ce qu'on l'obligeait à tourner. Je me souviens lorsque nous tournions en extérieur à Morat, il y avait le problème du soleil et il me disait " pourquoi tu tournes comme ça ?" alors je lui répondais "parce que le soleil va venir dans peu de temps" alors il comprenait et il me disait " ah d'accord, d'accord " (rires).

 

- Que pensez vous de son adaptation de "L'Avare" de Molière ?

- Je l'ai vu et j'en pense beaucoup de bien mais je ne pense pas que de Funès soit un comédien classique. Ce que je veux dire par là c'est que l'erreur a peut être été de faire du Molière sur du Molière, alors que Molière, comme de Funès de son côté, suffit à lui seul à faire rire. C'est un peu l'impression que j'ai, je ne pense pas que Louis était metteur en scène, il était avant tout un merveilleux comédien.

 

- Plus tard, vous réalisez des épisodes pour l'ORTF notamment " L'Inspecteur Leclerc enquête " et " Les Saintes Chéries ", pouvez vous nous en dire plus ?

- Oui j'ai fait les six premiers épisodes des Saintes Chéries avec Jean Becker, ces épisodes ont lancé son succès. On m'a demandé, toujours avec Becker, de faire la suite de la série mais je ne me sentais mal à l'aise car j'avais encore de gros soucis de finances et, de plus, j'étais opposé à la vision que l'on souhaitait donner à la femme dedans.

 

Une partie des comédiens de "Dans l'eau qui fait des bulles" : Claudine Coster, Jacques Castelot, Pierre Dudan, Maria Riquelme et Philippe Lemaire. Dans la Malle, Bernard Quatrehomme.

 

 

- Vous nous avez parlé de votre poste à la direction de France 3 Lille, quel souvenir gardez vous de cette époque ci ?

- Du malheur ! (rires). Oui car quand on a goûté à la mise en scène et que l'on a encore des envies, des projets avec l'espoir de se retrouver derrière un bureau et travailler avec des metteurs en scène, on a quand même un petit pincement au cœur qui fait mal. Du reste, cela s'est très bien passé puisque lorsque je suis parti on a même dû m'acheter des valises pour les remplir des cadeaux que l'on m'avait faits ! Au tout début, j'avais un simple contrat de deux ans mais le milieu politique en a décidé autrement. Le directeur de France 3, Claude Contamine, était un fonctionnaire dévoué à la politique de Giscard, alors Président, et je n'avais pas les mêmes opinions politiques ce qui m'a valu quelques difficultés. Parfois cela a été très dur ! Ce sont des souvenirs très divers et mitigés ! A l'époque, France 3 avait été crée pour faire passer la pensée du Gouvernement au plus près dans les régions. Ils se sont crus obligés d'y ajouter de la production. J'ai lancé vraiment la production à France 3 Lille. Je me souviens d'une journaliste du Monde qui faisait une enquête sur le journalisme des régions qui est venue me voir, avant de se rendre au journal. Le directeur était fou de joie et nous disait "Vous allez voir, elle va me faire un bel article !" et le jour où l'article paru, il y avait une demi page sur moi et ce que je faisais et rien sur lui ! (rires). Le lundi, en remontant de Paris je passe à la rédaction du journal et je le vois en train de lire l'article et il me dit "Je suis en train de lire ton article nécrologique" (rires) ! Un autre épisode assez dur a été celui où l'on m'a invité dans l'un des plus beaux restaurants de Paris en m'inondant de compliments, en me disant que j'étais le meilleur directeur de production et autres, soit dit en passant je n'avais rien demandé de tel, et quelques jours plus tard, j'ai reçu une lettre me disant que mon contrat était terminé. Je me suis dit qu'il s'agissait d'une simple procédure administrative puisque après l'épisode du déjeuner, je pensais que mon contrat serait reconduit mais il ne se passait rien. Alors j'ai téléphoné pour avoir des nouvelles, l'homme avec qui j'avais déjeuné était injoignable, je n'ai eu que sa secrétaire. Je lui ai demandé d'interroger son patron à mon compte. Que devais-je croire ? La lettre reçue ou le déjeuner que nous avions fait précédemment ? A partir de là, je n'ai même plus pu avoir la secrétaire…

 

- Puisque nous sommes dans le domaine des critiques, profitons en pour parler de celles de vos films. Comment réagissiez vous aux différentes critiques qui les jugeaient ?

- Les critiques sont dures car je savais ce que je voulais faire et on ne m'en laissait pas souvent la liberté. Il y a eu des mots très durs qui m'ont fait beaucoup de mal, surtout pour certains films qui étaient véritablement très bons et que l'on a démoli.

 

- Parlons un peu du domaine de la télé avec "Des Vertes et des pas mûres" et "Les menteurs".

- "Les menteurs" sont un peu la suite de mon passage à France 3 Lille et Dijon car tous les mois les directeurs de programme se retrouvaient dans une région pour discuter de ce qu'ils faisaient. J'avais réussi à montrer que mon travail était honnête et cela me valait beaucoup d'amitié, si bien que la région de Dijon m'a donné une idée a lancer qui était celle des "Menteurs". L'idée était un homme vivant seul, en pleine période de vacances qui rencontre une femme, seule elle aussi après avoir perdu sa mère, dans un square, assis sur le même banc. Par un incident, un ballon d'enfants arrive sur eux, ils se mettent à parler et chacun a envie d'épater l'autre. L'homme parle notamment de son fils qui est à New York. Ils essayent chacun de leur côté d'exister en mentant, et le courant commençant à passer, ils décident d'entamer un voyage ensemble, la Route des Vins en Bourgogne. Au retour, chacun rentre chez soi en se donnant rendez vous pour une prochaine rencontre et n'y vont finalement pas car ils prennent conscience de leurs mensonges. Concernant "Des Vertes et des pas mûres", il raconte l'histoire d'un jeune chef de bandes de gamins qui montre un revolver à ses copains en commençant à raconter des histoires invraisemblables, notamment des histoires de meurtre. Il se trouve qu'au même instant un meurtre se produit à côté et commence alors plusieurs interrogations autour du véritable meurtrier.

 

- Vous avez aussi réalisé un documentaire sur Grangier en 1990, que pouvez vous en dire ?

- J'ai connu Gilles lorsqu'il était lui aussi metteur en scène. Il faisait du très bon travail. Des jeunes sont venus me trouver en me demandant de l'aide car ils réalisaient des documentaires sur les metteurs en scène et ils avaient déjà pensé à Grangier. Le projet est par la suite un peu tombé à l'eau. Il était de plus difficile de parler de metteurs en scène sans montrer leurs films, c'était un peu boiteux.

 

- Quelle est votre vision du cinéma actuel ?

- Il y a de très bonnes choses. Nous avons passé une mauvaise époque, à savoir la Nouvelle Vague qui a failli faire mourir le cinéma. Heureusement sont arrivés des gens comme Tavernier qui ont rendu une véritable qualité aux films. Il y en a sur qui je fonde énormément d'espoir, tel Dupeyron qui a notamment réalisé "Drôle d'endroit pour une rencontre". Il est un futur grand metteur en scène. J'écris d'ailleurs en ce moment un scénario, j'écris beaucoup depuis que je suis à la retraite et j'ai été repris par la passion du théâtre, j'ai donc écrit une pièce de théâtre dont j'attends des nouvelles.

 

- Votre vision globale du métier ? Est-ce un milieu dans lequel il est toujours aussi difficile de durer ?

- C'est un milieu qui doit garder une part de hasard. Il faut de la chance et aussi des connaissances pour pouvoir continuer et durer. J'ai fait la plus belle des rencontres à mes débuts avec Pierre Fresnay. Je suis quelqu'un de naïf et je tiens à le rester. Je faisais confiance et je me suis fait souvent rouler dans la farine mais je continue quand même. Il y a toujours des regrets dans une carrière, j'aurais souhaité devenir un grand metteur en scène, c'est vrai...

 

Propos recueillis par Franck et Jérôme pour http://autourdelouisdefunes.fr - merci à M. Delbez - reproduction interdite

 

Jérôme et Maurice Delbez avec une affiche du film rebaptisé "Le Poisson sifflera deux fois"

 

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Dernière modification le 19 mai 2016, remerciements particuliers à William Dupoix pour son assistance

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