Dans l'eau... qui fait des bulles !

Maurice Delbez, 1961

 

aaaaaa Bien que commercialisé de longue date en VHS puis en DVD, « Dans l'eau... qui fait des bulles ! » demeure un film assez méconnu dans la carrière de Louis de Funès. Bon nombre de biographes ont tenté de retracer l'histoire de ce film mais, le plus souvent, le travail s'est révélé soit incomplet soit erroné. Plus d'un cinéphile serait d'ailleurs étonné d'apprendre pourquoi et comment Louis de Funès s'est retrouvé embarqué dans cette gentille comédie policière, d'un genre assez inhabituel dans la filmographie du comédien, qui mérite qu'on s'y arrête un instant pour l'analyser. Depuis notre enfance, nous avons toujours apprécié ce long-métrage honorable, pour les extérieurs tournés autour du lac et des remparts de Morat, pour les excellents comédiens Jacques Dufilho, Pierre Dudan, Max Elloy... et pour Louis de Funès bien sûr. Nous souhaitions donc revenir sur l'histoire de ce film. C'est désormais chose faite, modestement, à l'aide de personnes qui ont collaboré à la réalisation de cette œuvre et qui nous ont confié leurs souvenirs de tournage. Pour leur généreuse contribution à ce dossier, nos remerciements les plus sincères vont à Mesdames Mariette Dudan, Claudine Coster et à Messieurs Maurice Delbez, Bernard Quatrehomme, Enrico Isacco et Philippe Condroyer.

 

La genèse d'un projet

aaaaaa En 1959, Louis de Funès tourne un film initialement intitulé « Pour un milliard », rebaptisé « Certains l'aiment... froide ! » pour son exploitation en salles. Si ce film bas-de-gamme ne présente pas un véritable intérêt artistique et n'a pas rencontré un franc succès commercial en dépit de la publicité qui lui avait été consacrée, « Certains l'aiment... froide ! » marque la rencontre de Louis de Funès avec Pierre Dudan, chanteur talentueux en vogue, comédien qui s'affirme, récemment converti en producteur. Avec sa première épouse Marie-Reine Kergal, il a lancé sa société Kerfrance productions et, contre l'avis des distributeurs, a exigé la présence de Louis de Funès dans la distribution pour un rôle secondaire. Les deux hommes ont des points communs : ils ont tous deux été pianistes de bars au début de leur carrière et sont sensibles aux mêmes comiques burlesques américains. De Funès et Dudan sympathisent rapidement et envisagent de retravailler ensemble. A cette époque déjà, ils envisagent de réaliser un film qui s'appellerait « Le Grand restaurant », dont les ressorts comiques seraient inspirés par leurs expériences similaires dans les établissements du « bon vieux temps » où ils « tapaient sur la commode ». Ainsi, au terme du tournage de « Certains l'aiment... froide ! », de Funès et le producteur de Kerfrance sont unis par un contrat qui projette une collaboration sur un autre film.

 

Dans "Certains l'aiment... froide !" (1959), Louis de Funès avec Max Elloy (derrière) et Pierre Dudan (à droite) qu'il retrouvera sur le film de Maurice Delbez

 

aaaaaa Dans les mois qui suivent, Louis de Funès ne chôme pas. D'une part, il retrouve le réalisateur Jean Bastia – avec lequel il vient de travailler sur « Certains l'aiment... froide ! » – pour une comédie titrée « Les Tortillards » avec Jean Richard, Roger Pierre et Danièle Lebrun. Il se retrouve aussi au générique d'un « Candide » de Voltaire modernisé par Norbert Carbonneaux et du « Capitaine fracasse » réalisé par Pierre Gaspard-Huit. D'autre part, il connaît un important succès théâtral à la Porte-Saint-Martin au cours de la saison 1960-1961, avec « Oscar » prolongé sur la saison suivante en 1962. Entre-temps, la société Kerfrance a projeté l'adaptation cinématographique d'un livre de Marcel Prêtre intitulé « La Chair à poisson ». Dudan recontacta alors Louis de Funès et lui confia un rôle assez important dans ce film.

aaaaaa Il est vraisemblable que le producteur a un temps envisagé de reconstituer le trio Dudan – Funès – Bastia de « Certains l'aiment... froide ! ». Toutefois, ce dernier était alors indisponible car fort occupé à écrire et tourner le western « Dynamite Jack » avec Fernandel. Le couple a alors cherché un réalisateur à la technique suffisamment solide pour assurer la mise en scène. En 2016, Maurice Delbez se rappelle de son arrivée sur le projet : « Le film était produit par Pierre Dudan et son épouse Marie-Reine Kergal. Je connaissais un peu cette dernière car elle avait été la scripte du réalisateur André Berthomieu, dont j'avais été l'assistant au début de ma carrière. Ce sont eux qui m'ont contacté pour réaliser le film et qui ont décidé d'adapter le livre de Marcel Prêtre. »

aaaaaa De Funès et Dudan liés par un contrat, les droits du livre obtenus et le metteur en scène engagé, il reste alors à adapter le livre afin d'avoir un scénario et distribuer les rôles.

 

Scénario et distribution

aaaaaa Pour ce film qui doit initialement conserver le titre original du livre « La Chair à poissons », Maurice Delbez est engagé pour en assurer la mise en scène. Au début des années 1960, c'est un réalisateur qui a le vent en poupe. Son premier assistant Enrico Isacco le présente comme « un très bon technicien qui connaissait son art sur le bout des doigts ». En effet, sorti de l'IDHEC, il a appris son métier en étant longtemps assistant (avec Denys de La Patellière notamment) puis en signant quelques longs-métrages. Son premier film « A Pied, à cheval et en voiture », une comédie gentillette avec Noël-Noël, a obtenu un grand succès commercial à sa sortie. Une réussite qui l'a classé aussitôt, aux yeux des producteurs, dans la catégorie des « rigolos » spécialisés dans les comédies à la française sans prétention. Aussi lui est-il difficile, à cette époque, d'exploiter un autre genre que la comédie sans l'accord des producteurs. Mais lorsqu'il découvre le livre de Marcel Prêtre, Maurice Delbez réalise avec stupeur que l'histoire « est assez inintéressante à l'origine » et comprend rapidement qu'il va devoir produire « un énorme travail d'adaptation sur le scénario ». En 2009, il complète : « L'adaptation s’est mal passée. Je n’ai pas du tout aimé le texte que l’on m’a donné. J’ai travaillé dessus avec Michel Lebrun qui était un auteur de roman policier et nous avons tout chamboulé, ce qui a rendu l'auteur Prêtre très en colère. » Ainsi, Maurice Delbez travaille sur ce film en qualité de réalisateur, scénariste et adaptateur. Malgré la difficulté à concevoir un scénario assez solide, il est ravi d’œuvrer avec Marcel Lebrun, avec lequel il s'entend admirablement et dont il conserve encore un excellent souvenir.

aaaaaa Au terme d'un important travail fourni, quel scénario livrent Delbez et Lebrun ? A dire vrai, le film « Dans l'eau... qui fait des bulles ! » dévoile une histoire policière plutôt bonne, mélangeant à la fois la comédie, du suspens et un ton macabre pas déplaisant. L'histoire s'avère assez simple : à l'occasion d'une partie de pêche sur un lac, Paul Hernzer (Louis de Funès) découvre le cadavre de Jean-Louis Preminger, son concurrent qui l’a récemment mis en faillite, mais que beaucoup d'autres personnes avaient également intérêt à supprimer. Ce cadavre, dont tous les protagonistes vont chercher à se débarrasser, va devenir très encombrant. Ainsi, la principale intrigue pour les spectateurs consiste à deviner l'identité de l'assassin de Jean-Louis Préminger.

 

Louis de Funès cherche à se débarasser du corps encombrant du noyé.

 

aaaaaa Le metteur en scène a pratiquement carte-blanche pour distribuer les rôles. Seul Louis de Funès lui est imposé par le contrat qu'il a signé avec Kerfrance. Le réalisateur engage alors des comédiens avec lesquels il a envie de travailler. Ainsi, Marthe Mercadier devient l'épouse de Louis de Funès, les malfaiteurs sont interprétés par l'expérimenté Jacques Castelot et le jeune premier Philippe Lemaire, décrit par tous comme « un charmant garçon ». D'autres comédiens aguerris, formés au cabaret ou au théâtre, sont appelés à rejoindre cette comédie. Le flegme et le regard sévère d'Olivier Hussenot correspondent au rôle de l'inspecteur qui enquête sur la disparition de Preminger. Quant au jovial Pierre Doris, il joue un brave scout, affable mais cancanier. Pour se mêler des affaires qui ne le regardent pas, il se voit même insulter de « saint-bernard » par l'inspecteur de police. Le rôle du vagabond excentrique, livrant un faux témoignage, est attribué à Serge Davri. Mais Maurice Delbez se remémore que ce rôle secondaire lui a été imposé : « Davri était un un personnage pour lequel je n'avais pas d'admiration particulière. Je crois que c'est Pierre Dudan qui a insisté pour lui donner un rôle car, à l'époque, il avait subitement acquis un statut de vedette éphémère. Alors, pour faire plaisir à Dudan, j'ai ajouté au scénario la scène où Davri intervient. » A y regarder de plus près, le rôle du vagabond s'avère assez inutile au cœur de cette histoire, puisque le faux témoignage qu'il livre n'apporte rien à l'intrigue, mais les caractères comique et tonique assez réussis du personnage sont les bienvenus à un moment où le film présente quelques longueurs.

aaaaaa Entourée de comédiens expérimentés, la jeune comédienne Claudine Coster entame sa carrière sur grand écran : « Ce film marque mes tous débuts au cinéma. Les comédiens avec lesquels je jouais étaient tous charmants comme Philippe Lemaire, Jacques Castelot mais aussi Pierre Dudan, un personnage un peu fou et extravagant mais adorable. Avec son épouse, il produisait le film. Quant à Louis de Funès, il était une personne très courtoise. L'ambiance tant avec les comédiens que les techniciens fut particulièrement bonne et m'a laissé de très agréables souvenirs ».

aaaaaa Enfin, le rôle du noyé échoit à Philippe Clay. Ce chanteur et comédien est très populaire au début des années 1960, il compte parmi ses plus grands succès le titre « Le Noyé assassiné » qui raconte ses malheurs depuis le fond de la Seine. Clay avait promis à Pierre Dudan de s'investir sérieusement dans ce film. Néanmoins, son rôle s'est limité à celle du narrateur, puisqu'il prête sa voix au noyé. Le comédien Bernard Quatrehomme se rappelle qu' « à l'origine, c'était le chanteur Philippe Clay qui devait tenir le rôle du mort. D'ailleurs, sa femme Maria Riquelme jouait son épouse à l'écran. Dans l'un des premiers plans tournés à Paris, où il devait être filmé en gros plan, Philippe Clay a refusé d'apparaître mort à l'écran. Je suis donc devenu sa doublure. » Ainsi, Bernard Quatrehomme dans un double rôle – le noyé et l'assistant du commissaire Hussenot – ainsi que la comédienne espagnole Maria Riquelme complètent la distribution.

 

Photographie d'exploitation allemande (collection F&J) de gauche à droite : Claudine Coster, Jacques Castelot, Serge Davri, Philippe Lemaire, Marthe Mercadier, Maria Riquelme, Jocelyne Darche, Louis de Funès, Bernard Quatrehomme, Pierre Dudan et Olivier Hussenot.

 

Le tournage du film

aaaaaa Le tournage débute le lundi 1er août 1960. Si le film dispose d'un budget convenable, les moyens financiers limités et les exigences du scénario ne réclament pas la construction de nombreux décors en studios. Pour les plans du générique sensés montrer le fond du lac de Morat, l'équipe s'est rendue à l'Aquarium de Paris, au Trocadéro. Le premier assistant réalisateur Enrico Isacco se rappelle qu'un mannequin posé au fond d'un aquarium a fait l'affaire. Un dernier gros plan est tourné sur Bernard Quatrehomme, jouant le noyé assassiné puis l'équipe quitte l'Aquarium. Quelques scènes sont tournées aux studios d'Epinay-sur-Seine, comme celles se déroulant dans la maison du couple Louis de Funès - Marthe Mercadier. En 2009, Maurice Delbez évoquait le tournage d'un plan : « Je me rappelle d’improvisations que Louis de Funès a faites dans son jeu, en particulier dans une scène où il découvre le cadavre caché dans la malle, où il s’est littéralement déchaîné, il en a fait comme pas permis, comme seul lui pouvait le faire. Mais quand on a la chance d'avoir de Funès, on le laisse faire ses trouvailles ». L'équipe doit ensuite mettre en boîte les scènes extérieures. Le lieu de tournage choisi est la ville de Morat, en Suisse, située sur les bords du lac qui porte le nom de la cité médiévale. Est-ce un choix du producteur Pierre Dudan qui était de nationalité suisse ? Après tout, le premier film qu'il avait produit – « Certains l'aiment... froide ! » – avait été tourné à Genève. Si elle est très plausible, cette hypothèse n'a pu être confirmée car le metteur en scène et ses assistants ne se rappellent pas des raisons qui ont conduit l'équipe à s'installer en Suisse.

aaaaaa Sur place, les comédiens et le metteur en scène s'installent dans un hôtel proche du lac et du port – aperçu dans le film – tandis que les seconds rôles et techniciens logent dans le village. Au gré du tournage, l'équipe s'adapte en fonction de l'apport des comédiens aguerris. Ainsi, le réalisateur a étoffé les rôles de comédiens qu'il apprécie tout particulièrement. Pour Jacques Dufilho qui interprète le fossoyeur, il a écrit la scène du monologue dans le cimetière, qui figure sans aucun doute parmi les plus réussies du film. Quant à Max Elloy, « il était un merveilleux comédien qui n'a pas fait la carrière qu'il aurait dû faire, rappelle Maurice Delbez. Comme je l'aimais beaucoup, j'ai étoffé son rôle lors de l'adaptation. Et sur place à Morat, on a eu quelques trouvailles pour lui. Par exemple, il n'était pas prévu dans le scénario qu'il devait se servir chez de Funès en cigarettes et en vin rouge. » Le metteur en scène peut aussi s'appuyer sur ses assistants qui l'ont accompagné en Suisse. Philippe Condroyer, son second assistant, se rappelle qu'il était « très peu sur le tournage, courant ici et là pour aller chercher mille et une petites choses qui manquent pour tourner le plan en préparation etc… Par exemple, pour une scène que nous avons improvisée sur place, j’ai dégoté en vitesse une fanfare. » Cette fanfare, traversant la Grand Rue de Morat, apparaît dans l'une des dernières scènes du film. Le premier assistant Enrico Issaco raconte une autre anecdote : « A Morat, nous avions besoin de figurants pour jouer des policiers. Ce sont finalement les vrais policiers suisses de la commune qui ont joué leur propre rôle. »

aaaaaa L'une des premières scènes tournées à Morat est celle qui suit le générique du film, lorsque de Funès pèche le cadavre de Jean-Louis Préminger. « La production m'avait fait un costume sur mesure, se souvient Bernard Quatrehomme. Lorsque j'ai enfilé ce costume pour la première fois à Morat, la scène exigeait que je sois plongé dans l'eau du lac pour être repêché par de Funès. Pauvre costume neuf et impeccable ! (rires) »

 

Bernard Quatrehomme et Louis de Funès à Morat (collection F&J)

 

aaaaaa Le tournage pourrait être qualifier de « sans histoire ». Philippe Condroyer a souvenir d'un « tournage tranquille » tandis qu'Enrico Isacco précise : « En studio et en extérieurs, nous n’avons pas été confrontés à des difficultés particulières. Il s’agissait d’un film techniquement ordinaire et simple de réalisation. Il me semble d’ailleurs que le plan de travail a été respecté, c'est-à-dire que nous n’avons pas pris de retard. » Et Maurice Delbez de confirmer : « Je n’ai pas le souvenir de difficultés particulières mais je me rappelle d’une anecdote sur un plan, où Pierre Dudan et Maria Riquelme transportent le cadavre après l’avoir découvert. Nous tournions dans une partie pointue du lac. Un jour, je m’aperçois que le soleil se couchait juste en face entre deux peupliers. J’ai pensé qu’il serait beau d’avoir des personnages qui passent avec un soleil qui se couche en fond. J’ai donc fait ce jour là le plan travail en fonction de cette scène. Nous tournons la scène puis nous rentrons à l’hôtel. J’étais particulièrement heureux et fier de moi ce soir là. J’étais entrain de dîner lorsque le chef opérateur vient me trouver en disant « Maurice, il y a un problème. Le plan a été tourné avec de la pellicule ouverte à la douane. » Je me suis mis dans une colère noire et j’étais tellement énervé que j’ai fait virer le second assistant opérateur. »

 

Et Louis de Funès dans tout ça ?

aaaaaa Au générique, Pierre Dudan et Louis de Funès sont les principaux protagonistes de cette histoire mais, en dépit de l'immense talent que révèle l'excellent Pierre Dudan, force est de constater que c'est Louis de Funès qui rafle la mise dans cette affaire. Maurice Delbez estime que de Funès « donne du poids au film rien que par sa présence. Je me souviens de plusieurs scènes qui étaient tout simplement inénarrables lorsque nous les regardions en projection : c’était de Funès ! » Très fin, le réalisateur comprend vite qu'il ne doit brider son comédien que s'il s'éloigne du scénario mais le laisse libre dans son jeu : « J’avoue que sur la plupart des scènes où il avait des choses à faire je le laissais libre de faire ce qu’il voulait. » Son premier assistant Enrico Isacco garde l'image d'un homme « très nerveux, qui transpirait avant même de tourner, mais très aimable. Comme comédien, il était parfait. D’une part, c’était un vrai pro, jamais en retard et qui connaissait toujours son texte. D’autre part, il était très imaginatif et improvisait sans cesse dans le jeu. »

aaaaaa Ayant le sens des responsabilités, Louis de Funès se montre rigoureux et exigent avec lui-même afin de ne pas décevoir le public. Le comédien a d'autant plus de mérite à honorer son contrat avec une grande honnêteté qu'il n'est guère ravi d'être au générique de ce film pour plusieurs raisons. D'une part, ce n'est pas lui qui a choisi son scénario. Maurice Delbez se souvient : « Au départ, je dois dire qu'il n'était pas très chaud à l'idée de faire ce film qui lui était imposé car ce n’était pas vers ce genre de films qu’il avait envie de s'orienter en toute honnêteté. Mais tout cela, je ne l’ai su qu’après ! Il n'a jamais montré son mécontentement pendant le tournage et mes rapports ont été très bons avec lui ». Ainsi, sa présence au générique correspond avant tout à une obligation contractuelle. D'autre part, si sa carrière cinématographique n'arrive pas encore à véritablement décoller, de Funès commence à sérieusement s'imposer au théâtre, à Paris, avec la pièce « Oscar » qu'il joue depuis une saison à la Porte-Saint-Martin et qu'il doit reprendre à la rentrée, lorsqu'il rentrera de Suisse. Enfin, puisque sa côte continue à grimper avec son succès théâtral, le contrat qu'il a signé avec Dudan n'est financièrement pas très intéressant pour lui. Maurice Delbez confirme : « A cette époque, de Funès avait une autre préoccupation d'un ordre plus commercial car il s'agissait de la suite de sa carrière. Il me semblait être entre deux chaises car il venait de changer d’impresario – dont le nouveau allait lui suggérer la série des Gendarmes et d’autres succès, il avait donc bien fait d'en changer. Mais il lui restait à honorer intégralement le contrat de son ancien impresario avec lequel il lui restait un film à faire. Ce fut ''Dans l'eau... qui fait des bulles !''. En conclusion, je pense tout de même que, dans sa filmographie, ce n’est pas un film qu’il a aimé faire parce que financièrement ce n’était pas très intéressant. Or, de Funès était attentif à ce côté ci. » Et Bernard Quatrehomme de compléter cette impression générale : « Mes rapports ont été sympathiques avec cet homme charmant mais réservé, un peu distant. Il n'était pas du genre à vous taper sur l'épaule et, de notre côté, on ne montrait pas de familiarité à son égard non plus. Comme de nombreux grands comiques, il n'était pas très drôle en privé. En revanche, quand il tournait, on voyait qu'il était un grand professionnel qui se livrait à beaucoup d'improvisations. »

 

Louis de Funès improvise dans son jeu avec Marthe Mercadier. "Ce jour là, précise Maurice Delbez, il s'est déchaîné".

 

aaaaaa Bien que sa présence lui soit imposée, de Funès n'en demeure pas moins professionnel et collaboratif avec l'équipe du film. Il se donne à fond lorsqu'il entend ''action !', refait une prise lorsque le metteur en scène l'exige et ne manifeste aucune aigreur sur le plateau. En outre, il n'hésite pas à poser des questions techniques au réalisateur lorsque celui-ci prépare le plan à tourner « Entre lui et moi, raconte Maurice Delbez, on ne peut pas dire qu’il y ait eu une amitié indéfectible mais tout s’est bien passé quand même. Je sentais qu’il avait envie de faire de la mise en scène un jour et je voyais qu’il suivait de très près ce que je faisais ».

aaaaaa Son personnage de Paul Ernzer, d'un caractère assez faible et lâche, n'annonce pas encore ses personnages autoritaires du gendarme Cruchot ou du commissaire Juve. Néanmoins, l'énergie qu'il déploie en jouant un personnage immodérément paniqué et couard révèle déjà tout son potentiel comique.

 

Quel carrière pour ce film ?

aaaaaa Sorti le 25 octobre 1961, « Dans l'Eau... qui fait des bulles ! » est un film convenable principalement soutenu par l'efficacité de ses comédiens. La mise en scène, sobre mais soignée, propose quelques scènes intéressantes tels les échanges entre Louis de Funès et Pierre Doris ou encore le monologue du cimetière de Jacques Dufilho. Pierre Dudan est impeccable dans son rôle d'amant tendre qui tente de surmonter ses craintes au gré des épreuves qui se présentent à lui. Par ailleurs, plusieurs jolis plans tournés en extérieurs à Morat rendent le film esthétiquement plaisant. Une fois de Funès devenu vedette, le film connaîtra deux nouvelles exploitations en salles, dès 1969, sous les titres « Le garde-champêtre mène l'enquête » puis « Le Poisson sifflera deux fois ! », pour la plus grande colère de son réalisateur et de Louis de Funès, comprenant que les distributeurs profitèrent de son succès populaire des « Gendarmes » auprès d'un public trompé sur la marchandise. A cette occasion, Funès devait commenter « Ils viennent de ressortir ''Le garde-champêtre mène l’enquête'' que j’ai tourné il y a dix ans, sous le titre ''Dans l’eau... qui fait des bulles !'', et où je n’ai qu’un rôle de cinq minutes, en mettant sur la bande publicitaire ''Funès dans Le garde-champêtre mène l’enquête''. Vous vous rendez compte ? Il y a eu sept mille entrées à Nantes. Autant de spectateurs trompés ! »

aaaaaa A l'arrivée, s'il ne peut pas être considéré comme un chef d'œuvre, il s'agit d'un film respectable assez bon-enfant, un peu pastoral mais surtout ni grossier, ni vulgaire. L'intrigue autour de l'identité de l'assassin, qui s'exprime depuis l'au-delà, est assez bien menée. Maurice Delbez a revu récemment le film et, de son propre aveu, il en a « une impression plutôt bonne mais ça m'a paru tout de même un peu longuet. Si vous voulez, dès le début, je n'ai jamais eu l'intention de faire le film du siècle avec ce scénario. Au mieux, je dirais que j'ai essayé de faire un bon film. Mais je ne suis pas mécontent de moi car, à mon avis, le film comporte de bonnes choses. » A sa sortie dans les salles obscures, le film rencontre un honorable succès. Les critiques du film sont, dans leur ensemble, assez bonnes. « A sa sortie, le film a bien marché, conclut Maurice Delbez. Ce fut une bonne affaire et, avec Pierre Dudan, nous avions d'autres projets communs qui, malheureusement, n'ont jamais abouti. C'est dommage car j'aurais volontiers retravaillé avec cet homme charmant. »

 

Tournage au poste de police de Morat (1961)

 

Fiche technique : Un film réalisé par Maurice Delbez, assisté par Enrico Isacco et Philippe Condroyer ; d'après le roman de Marcel G. Prêtre La chair à poissons. Adaptation : Michel Lebrun et Maurice Delbez, Dialogues : Michel Lebrun, Musique : Pierre Dudan, Images : Jacques Ledoux, Opérateur : Jean Fontenelle, Décors : Raymond Nègre, Montage : Denise Natot, Ingénieur du son : Raymond Gauguier, Script-girl : Audrey de Ryan, Maquillage : Jacqueline Pipart, Habilleuse : Lucie Brunet, Photographe : Gaston Thonnart, Régisseur : Louis Germain, Accessoiriste : Louis Charpeau, Production : Kerfrance (Pierre Dudan et Marie-Reine Kergal), Directeur de production : Maurice Saurel, Administrateur : Jean Desmonceaux, Secrétaire de production : Gilles Schneider, Distribution: Les Films Fernand Rivers.

 

Sources et bibliographie :

- Interview de M. Maurice Delbez du 26 juin 2009 par Franck et Jérôme.
- Interview de M. Maurice Delbez du 23 mars 2016 par Franck et Jérôme.
- Interview de M. Enrico Isacco du 30 mars 2016 par Franck et Jérôme.
- Interview de M. Philippe Condroyer du 30 mars 2016 par Franck et Jérôme.
- Interview de M. Bernard Quatrehomme du 12 mai 2016 par Franck et Jérôme.
- Entretien avec Mme Claudine Coster du 29 juin 2016 par Franck et Jérôme.

- Maurice Delbez, Ma Vie racontée à mon chien cinéphile, Paris, L'Harmattan, 2001.
- Robert Chazal, Louis de Funès, Poitiers, Denoël, collection Etoiles, 1972.
- Eric Leguèbe, Louis de Funès, Paris, France Loisirs, 1983.
- Bertrand Dicale, Louis de Funès : grimaces et Gloire, Paris, Editions Grasset, 2009.

 

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