Jacques ARY
ou l'éloge des seconds rôles au cinéma

 

AffAA Avec 80 films tournés de 1949 jusqu'à sa mort prématurée en 1974, Jacques (ou Jack) Ary a oeuvré à ce que l'on appellerait désormais l'âge d'or des seconds rôles exentriques du cinéma français. A ce formidable Panthéon, il rejoint les "escadrons de la gaité" qu'ont été les Dominique Zardi, Jacques Dynam, Mario David, Jacques Marin, Albert Rémy, Robert Dalban ou - quelques années auparavant - Paul Frankeur, Julien Carette, Noël Roquevert et Jean Tissier. Des exhausteurs de goût qui ornaient agréablement le cinéma des années 1950 à 1970, de façon sans doute plus significative que certaines vedettes actuelles sans personnalité ni relief (pas toutes heureusement !)... Jacques Ary a aussi travaillé à la radio et fait de multiples apparitions télévisées en France, en Allemagne et aux Etats-Unis. Portrait de ce comédien authentique et farfelu au travers un hommage aux attachants seconds rôles du cinéma français...

 

AAA La différence entre un Jacques Ary et une grande vedette de cinéma ? Le "second couteau" est épargné d'une attirance malsaine qu'exercent - malgré eux ? - les acteurs de renommée sur les médias et les admirateurs. Invariablement, ces derniers s'empressent de conjuger leurs remarquables performances à l'écran, leurs succès commerciaux et leur vie privée. Car l'exarcerbation inquiétante du star-system, dont les conséquences sont parfois artistiquement calamiteuses, ne concerne guère les seconds rôles. Après tout, ils ne tournent que quelques jours sur un film, dont le succès même ne repose pas sur leurs épaules. Mais paradoxalement, leur présence est indispensable aux grands comédiens français qui les exigent. De Funès, Gabin, Ventura n'avaient-ils pas pour principale angoisse de tourner une scène avec un mauvais ou une "tête nouvelle" ? Aussi un second rôle comme Jacques Ary est-il dépourvu de toute gène quotidienne. Rares sont les personnes qui l'importunent dans la rue et ceux qui l'aiment ne peuvent l'aimer que pour de bonnes raisons : il est un bon acteur !

AAA D'ailleurs, il serait plus commode de le considérer comme un touche à tout. Outre le cinéma, il se manifeste régulièrement dans des émissions de variétés, quelques instants pour divertir un public en quête de rire. Artiste complet, il règle différents ballets pour des spectacles parisiens ou au cinéma ! Néanmoins, contrairement à une idée reçue, il n'a jamais été auteur, compositeur - et parfois interprête - de morceaux de twist ("Défendu-défendu") ou de cha-cha-cha ("Mange des tomates mon amour"). En réalité, ces morceaux joués par le groupe Jack Ary et son High Society Cha Cha ne cachait qu'un homonyme. Il semblerait d'ailleurs que les deux Jack Ary ne se connaissaient pas.

 

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Avec André Verchuren à la télévision (collections francois.faurant.free.fr / coll.cinema-français / andre-verchuren.com)

 

AAA Né Henri Beauger à Saint-Sulpice-Laurière (Haute-Vienne) le 23 novembre 1919, Ary est un comédien de caractère. Son visage personnifie admirablement les personnages qu'il interprête : regard espiègle ou désabusé, parfois sec et autoritaire, menton en galoche, le cheveu noir en brosse. Son phrasé, énergique et tranchant, contient une pointe de gouaille parisienne que son accent occitan natal trahit à l'occasion. Dès le début de sa carrière, il est naturellement catalogué pour des rôles sur mesure, où il porte un uniforme de douanier, de policier ou le manteau d'un inspecteur. A l'instar d'un Rudy Lenoir dont le crâne chauve et la figure sèche le cataloguent au rang de soldat ou officier allemand, Ary est rapidement étiqueté et les personnages en uniforme - essentiellement des flics - représenteront au moins la moitié de sa filmographie.

AAA Le début de sa carrière professionnelle n'est pas banale. A l'âge de 19-20 ans, il excèle en lutte, en boxe et au catch ! Son brevet industriel en poche, il monte à Paris en 1941 et commence comme dessinateur industriel dans une usine. Néanmoins, il se sent une vocation d'artiste. Doté d'une nature comique et d'un caractère convivial, il débute et s'impose au music-hall, dans des cabarets rive-gauche, où il se fait apprécier dans des numéros remarquables. Parallèlement, il forme avec son épouse Germaine Beauger (sous le nom d'emprunt Anne Rey) un couple de danseurs. Et comme les Américains sont alors en vogue dans ce domaine, il choisit le pseudonyme Jack Ary, qui sera plus tard francisé en Jacques au cinéma.

AAA Il fréquente la célèbre troupe des Branquignols de Robert Dhéry et règle les ballets de la revue "Branquignols", jouée en 1948 au théâtre de La Bruyère. Il retrouve la troupe de Dhéry et Brosset dans le premier long-métrage auquel il participe : "La Patronne" (1949). Il devient rapidement un comédien fort apprécié de Jean Boyer qui le fait tourner à sept reprises. Le comédien croise alors Bourvil ("Le Trou normand"), Darry Cowl ("L'Increvable" et "Bouche cousue"), Line Renaud ("La Madelon" et "Mademoiselle et son gang") et enfin Fernandel, dans "Sénéchal le magnifique". Il retrouve d'ailleurs le grand comédien sur "L'Ennemi public n°1" de Verneuil et sur "Dynamite Jack" qu'il co-écrit .

 

Jacques Ary avec Fernandel dans "Sénéchal de Magnifique" et "L'Ennemi public n°1"

 

AAA Mais, au gré des plateaux de tournage, Ary rencontre aussi un autre second rôle, dont la carrière reste sans aucun doute la plus prolifique de son temps. Ce comédien de second plan se nomme... Louis de Funès ! Au cours des années 1950, il tourne plus que Noël Roquevert, son ainé de plus de vingt ans. 15 films pour la seule année 1951, 17 en 1953 !

AAA Jacques Ary et Louis de Funès se sont pourtant rencontrés au cabaret Potofou, en 1951, en jouant la revue "Vache de mouche" avec Micheline Dax et Jean Carmet. La même année, ils tournent dans deux films de Maurice Labro, "Pas de vacances pour Monsieur le Maire" et surtout "Monsieur Leguignon, lampiste". Dans ce dernier, ils habitent tous deux un quartier de la banlieue parisienne et ils se croisent à plusieurs reprises, sans pourtant échanger quelques répliques. L'année suivante, ils ont deux scènes en commun dans "Au diable la vertu", un film sans prétention ni intérêt de Jean Laviron. Ary joue - une fois de plus - un agent de police.

 

Sur la photo, une parodie d'un ballet célèbre de Katherine Dunham. Les "danseurs" sont Louis de Funès, Christian Duvaleix, Jacques Ary et Jacques Emmanuel au bout de la corde (cliché collection personnelle de Micheline Dax, publié dans son livre de souvenirs).

 

Monsieur Leguignon, lampiste (1951)

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Jacques Ary avec Louis de Funès, Paul Mercey et Pierre Larquey dans "Monsieur Leguignon, lampiste" (1951)

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Au Diable la vertu (1952)

Louis de Funès, Jacques Ary, Maurice Régamey et Henri Genès dans "Au diable la vertu" (1952)

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AAA Sans partager une scène, ils se retrouvent tous les deux sur "La P... respectueuse" de Charles Brabant et Marcello Pagliero, un film dramatique adapté de l'oeuvre de Sartre. De Funès y campe d'ailleurs l'un des rares rôles à contre-emploi qui jalonnent la carrière formidable qu'on lui connait.

AAA Quelques semaines plus tard, les deux comédiens se croisent sur le plateau de "La Tournée des Grands ducs", un film réalisé sans sérieux par Norbert Carbonneaux et qui ne présente aucun intérêt, sauf peut-être celui de redécouvrir les cabarets, les cafés concerts et les boîtes de nuit qui contribuaient au charme parisien de l'après-guerre. En 1953, Carbonneaux fait appel à nouveau appel deux comédiens pour tourner son nouveau film : "Les Corsaires du bois de Boulogne". Cette fois-ci, Ary et de Funès partagent une scène, dans laquelle ce dernier impose sa présence dans le rôle d'un commissaire acariâtre et désabusé. En effet, sans prononcer le moindre mot, il révèle son potentiel comique par ses gestes et son regard indéfinissable. Une belle consolation pour ce film réalisé dans la précipitation et dont le scénario laisse perplexe. Quant à Ary, il se fois une nouvelle fois cantonné dans le rôle d'un brigadier. Port de l'uniforme et du képi obligatoire !

 

Louis de Funès et Jack Ary dans "Les Corsaires du bois de boulogne" de Norbert Carbonneaux (1953)

 

AAA En 1955, André Hunebelle fait appel aux deux comédiens pour "L'Impossible monsieur Pipelet". Ary interprête un pompier (encore un uniforme !) venu éteindre l'inondation qui a lieu dans l'immeuble de De Funès. Les comédiens se croisent dans une scène assez amusante.

AAA Quelques mois plus tard, Norbert Carbonneaux les engagent sur "Courte-tête", pour des scènes qu'ils ne partagent pas hélas... Tandis que de Funès joue un escroc minable des champs de courses parisiens, Ary campe une fois encore... un inspecteur de police !

 

A gauche, en pompier avec Louis de Funès dans "L'Impossible monsieur Pipelet"
A droite, avec Jacques Hilling dans "La p... respectueuse"

 

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Fernand Gravey dans "Courte-Tête" avec Louis de Funès et Jean Richard (à gauche) et Jacques Ary (à droite)

 

AAA Ary continue ses performances dans les cabarets de la rive gauche et se produit en 1961 à Bobino en première partie de Barbara. En 1962, Louis de Funès est en passe de devenir une grande vedette et reçoit déjà des rôles plus consistants. Il devient le personnage principal d'un sketch tourné par Jack Pinoteau intitulé "Le Gros Lot". Les cent millions de la loterie qu'il vient de toucher à Paris accompagné de sa femme et de sa fille Danielle lui font perdre sa belle tranquillité et lui occasionnent les pires soucis. Seule l'escorte de policiers peut alors le soulager. Une fois encore, Ary est appelé pour endosser l'uniforme. En outre, on remarque facilement un rictus sur son visage qui manifeste clairement son envie de rire devant les facéties de De Funès.

 

Louis de Funès et Jacques Ary - se retenant de rire - dans le sketch "Le Gros Lot" (1962)

 

AAA Mais enfin - et surtout ! - Ary signe l'une de ses plus belles prestations en inspecteur de police (c'est innovant !) véreux et malpoli dans "Le Corniaud" de Gérard Oury. Son jeu remarquable demeure probablement le plus célèbre de sa carrière. Alors que l'on retiendra un "T'as de beaux yeux tu sais" à Jean Gabin, la phrase culte de Jacques Ary sera l'invraisemblable "Ta gueule, écrase et barre-toi" adressée au rampant trafiquant Sarroyan. Cette scène d'anthologie est tournée à la douane de Menton à l'automne 1964. Le film remporte un triomphe et se place n°1 au box-office français de l'année 1965 en totalisant 11,74 millions d'entrées. Il consacre de Funès au rang de vedette après les succès du "Gendarme de Saint-Tropez" et de "Fantômas". Dans une moindre mesure, il classe définitivement Ary parmi les "gueules" du cinéma, celle qu'on reconnait immédiatement à la télévision ou dans les salles obscures, à défaut de pouvoir mettre un nom dessus.

 

Louis de Funès et Jacques Ary dans "Le Corniaud" (1964)

 

AAA Ary tourne le plus souvent dans des comédies. On le retrouve dans "A Pied, à cheval et en voiture", un grand succès de Maurice Delbez, ou les films de Champignol avec Jean Richard réalisés par Jean Bastia. Pour ce dernier, il devient le scénariste de "Dynamite Jack", avec Fernandel, sorti en 1960. Il se glisse aussi dans des films au genre plus sombre, comme le policier "Les Mémoires d'un Flic" de André Hunebelle et Pierre Foucaud ou le poignant "Des Gens sans importance" avec Françoise Arnoul et Jean Gabin. On le voit aussi dans le film musical hollywoodien "Gigi" de Vincente Minnelli qui ne remporte pas moins de 10 distinctions !

 

Jacques Ary dans "Le Trou Normand" et "A pied, à cheval et en voiture"

 

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A gauche, avec Jacques Marin et Françoise Arnoul dans "Des Gens sans Importance" de Henri Verneuil (1956)
A droite, avec Michel Simon dans "Mémoires d'un Flic" de Hunebelle et Foucaud (1955)

 

AAA Mais la véritable quète de Jacques Ary, dans la vie, était de faire des farces ! C'est sans surprise qu'il est un personnage récurent des Caméras Invisibles, née en avril 1964 d'une idée lumineuse de Jacques Legras, au physique à la fois anonyme et distingué, avec ces célèbres moustaches avenantes. S'il s'exécute régulièrement pour faire rire ses amis, Ary réalise le plus souvent ses facéties pour son plaisir égoïste car il en est l'unique témoin. En effet, lorsqu'il était invité à un cocktail, il se munissait de fil de nylon invisible et, au fur et à mesure de ses allées et venues, emmaillotait tous les invités en tenue de soirée fort incommodés ! Un jour qu'il partit pour un week-end à la montagne, il agrémenta son (long) voyage en wagon-lit en revêtant de truculents déguisements qu'il avait pris soin de fourguer dans sa grosse valise. Il se déguisa ainsi en curé à la recherche de ses enfants de colonies avant d'endosser le costume du contrôleur. Bien évidemment, il prit soin de descendre à chaque station et d'indiquer aux passagers ensommeillés les directions opposées à celles qu'on lui demandait ! Il ne reste malheureusement que très peu de traces de ses facéties. Les archives de l'INA contiennent cependant un court-métrage le montrant à l'oeuvre sur les bancs publics.

Voici la vidéo :

 

AAA Après plusieurs alertes cardiaques, il meurt prématurément le 23 septembre 1974 à Paris d'un infarctus du myocarde. S'il a essentiellement marqué les esprits en inspecteur de police humiliant de Funès dans "Le Corniaud", un public plus averti reconnaitra en lui un acteur de second plan familier et plaisant, dont seul le visage est passé à la postérité. Comme de nombreux seconds rôles après-tout...

 

 

- Remerciements spéciaux et chaleureux à la famille de Jacques Ary.
- CHIRAT Raymond et BARROT Olivier, Les Excentriques du cinéma français, Paris, Henri Veyrier, 1985.
- REGOURD Serge, Eloge des seconds rôles, Paris, Séguier, 2006.
- REGOURD Serge, Les Seconds rôles du cinéma français, grandeur et décadence, Clamecy, Klincksieck, collection "Essai caméra", 2010.
- VERLANT Gilles (dir.), "Jacques Ary" in L'Encyclopédie de l'Humour français, Paris, Hors collection, 2002, p.208 et 509.

 

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