Christian TOMA
Originaire de l’Aveyron, Christian Toma embrasse d'abord une carrière sportive à Nantes, où il pratique le basketball, avant de suivre des cours au conservatoire et entreprendre une carrière au cinéma. Il joue à la télévision et au cinéma, où il fréquente notamment Jane Fonda et Roger Vadim dans « Barbarella » (1968) et « Hellé » (1972). En France, il est connu pour avoir participé aux deux premiers « Fantomas », dans un double rôle. Par la suite, il s'installe à Hollywood où, parfaitement bilingue, il dispense des cours de français aux enfants de comédiens et producteurs de cinéma. Aujourd'hui, il nous évoque ses souvenirs à propos de Fantomas, Jean Marais et Louis de Funès. Qu'il en soit chaleureusement remercié.
Interview de M. Christian TOMA du 24 octobre 2016 par Franck et Jérôme
- M. Toma, vous avez joué dans « Fantomas » comme inspecteur de police. Vous connaissiez les vedettes du film Jean Marais et Louis de Funès ? - J’ai rencontré Louis de Funès à cette occasion. Quant à Jeannot, je l’avais déjà rencontré à Nice et à Megève où il venait avec Jean Cocteau [ndlr : décédé en 1963, un an avant le tournage de « Fantomas »]. Nous fréquentions alors une boîte qui s’appelait « Les Parents terribles », dont le nom était éponyme à la célèbre pièce de Cocteau jouée par Marais. Sur le tournage de « Fantomas », Jeannot me parlait de sa mère qui dédicaçait les photographies et répondait au courrier que ses admirateurs et admiratrices lui écrivaient. Dans ce film, je jouais deux rôles, d’abord celui de l’assistant de Juve, où on me voit à visage découvert, portant une petite moustache postiche à la demande d'André Hunebelle. De plus, je portais le masque de Fantomas dans les scènes où Jean Marais interprétait Fandor. A ce titre, le terme « doublure » parfois employé pour désigner ce rôle est impropre et ne me plaît pas tellement car je tenais le même rôle que Jeannot.
- Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez préparé votre rôle de Fantomas ? - Je me suis rendu chez le créateur de masques Gérard Cogan. A cette époque, les méthodes de fabrication n’étaient pas aussi développées qu’aujourd’hui et, pour obtenir les formes de mon visage, Cogan m’a fait plonger la tête dans du plâtre pendant une heure, le temps que celui-ci durcisse, avec une paille dans la bouche pour tout moyen de respiration. J’aurais voulu conserver le masque à la fin du tournage mais Hunebelle l’a gardé. Il a fini dans son garage à Nice, où s’est déclaré un incendie ravageant toutes les archives du réalisateur. A ce jour, il me reste le costume de Fantomas, réalisé sur mesures à cette occasion, chez le plus chic tailleur parisien André Bardot. Je le conserve précieusement et, pour la petite histoire, il m’est arrivé de le porter à quelques occasions. Je possède aussi la veste de Jean Marais pour ses scènes de moto, que je portais aussi sur le tournage.
- Vous avez donc tourné en studios dans le repère de Fantomas ainsi que dans le bureau de Juve… - Oui et j’ai aussi fait les extérieurs en conduisant la grosse moto de la course poursuite finale. Sur cette scène, j’ai retrouvé mon excellent copain Gil Delamare, cascadeur qui réalisait ses cascades intelligemment. En amont, il se documentait sur les appareils qu'il devait conduire, qu'il s'agisse de locomotives ou d'avions. Il s’est malheureusement tué sur une autoroute qui venait d’être refaite. Avec Jeannot – qui était également proche de Gil – nous sommes allés à son enterrement.
- Quels souvenirs conservez-vous d’André Hunebelle ? - André était un monsieur charmant comme tout, qui aimait les femmes, en particulier celles qu’il faisait tourner dans ses films. Quand un groupe de demoiselles jouaient dans une scène, il passait beaucoup de temps à vérifier si elles étaient bien habillées (rires). A côté de moi se trouvait son épouse (rires). Toujours très aimable, il était un homme du monde. Sur le plateau, il improvisait beaucoup, laissant deviner qu’il ne préparait pas beaucoup ses scènes à l’avance. Lorsqu’un journaliste le sollicitait, il laissait tomber le plateau et allait le rejoindre. Son fils, le scénariste Jean Halain, lui donnait souvent des conseils, ainsi que son très bon assistant Jean-Pierre Desagnat. Pour être honnêtes, reconnaissons qu'André Hunebelle n'avait ni une solide technique, ni un découpage précis. Néanmoins, il s'en sortait toujours bien ! Ainsi, un matin, tandis qu'il était absent, une réalisatrice a été appelée pour le remplacer. Son caractère très strict et pointilleux nous conduit à refaire les prises, si bien que nous accumulons du retard sur les plans à tourner dans la journée. Dans l'après-midi, Hunebelle revient et constate le temps et l'argent perdus. Il a alors repris les choses en main et, à une vitesse impressionnante, nous avons enchaîné les plans à tourner. A la fin de la journée, le retard était rattrapé ! (rires)
De gauche
à droite : Christian TOMA, Louis De FUNES, Michel
DUPLAIX, Jacques DYNAM et Antoine
BAUD
- Vous vous êtes bien entendu avec Louis de Funès ? - Très bien oui, nous avons sympathisé assez vite. « Fufu » était accompagné de son épouse, toujours à ses cotés pour le tournage. Beaucoup de gens ont dit des choses désagréables sur lui mais, avec moi, il s’est toujours montré d’une grande gentillesse et surtout d’une grande simplicité. Ayant l’habitude de fréquenter les vedettes du cinéma, je n’étais pas impressionné à l’idée de travailler avec lui. Nous n’avons donc eu que de bons contacts, en studios à Paris mais aussi à Rome, au Vésuve...
- Louis de Funès improvisait-il ? - En permanence et au grand dam de Jean Marais, suivant rigoureusement le texte. Lorsque « Fufu » changeait une réplique, Jeannot ne savait plus quoi répondre et il fallait recommencer une prise. C’est pour cette raison que, bien des années plus tard, Jean Marais m’a dit : « Louis était un homme très talentueux mais un emmerdeur car il était très difficile de travailler avec lui. » En effet, pour un comédien qui n’aime pas improviser, tourner avec de Funès était un enfer. Je dois dire que nous improvisions sans cesse, notamment pour les scènes sensées se déroulées dans le train, où nous sommes enfermés dans les toilettes. Florence Blot de la Comédie française, y tenait un petit rôle. Là, Louis de Funès a eu des trouvailles et André Hunebelle l’a laissé faire. Mais cela ne signifie pas que le réalisateur retenait tout au montage.
- Comment estimez-vous les relations entre les deux vedettes du film ? - Jean a été mis en difficulté devant les improvisations de son partenaire mais il n’y avait pas de problème particulier sur le plateau. Les deux hommes n’avaient pas la même personnalité : Jean Marais était un garçon posé, bien élevé, respectueux du texte et des consignes du réalisateur, tandis que Louis imposait nettement son jeu. Pendant le tournage, Marais avait souffert en endossant un rôle contraignant avec un masque difficile à porter mais, à la sortie du premier « Fantomas », la presse a fait l’éloge de Louis de Funès, si bien que dans le deuxième épisode « Fantomas se déchaîne », les producteurs et scénaristes ont davantage mis l’accent sur le personnage de Juve. Cette ascension de Funès a certainement joué sur leurs relations... Jeannot m'en a parfois parlé, mais sans jamais montrer d'animosité à ce sujet.
Photographie
d'exploitation ouest-allemande de "Fantomas" avec Christian
TOMA masqué et Jean MARAIS
- A propos des producteurs du film, Alain Poiré et Paul Cadéac venaient-ils régulièrement sur le tournage ? - Surtout Paul Cadéac qui représentait la maison de production d’André Hunebelle, la PAC. Sur le plateau, Cadéac ressemblait moins à un producteur qu'à un technicien. Il intervenait assez peu mais a pu parfois réaliser le tournage d'un plan lorsqu'André Hunebelle était absent ou occupé. Jean-Pierre Desagnat et Jacques Besnard ont également géré ce genre de situation. La PAC était une maison à l'esprit familial, le genre de petite société qui gère des projets importants. Elle offrait un budget confortable pour tourner mais, pour des raisons d'organisation parfois artisanales, l'équipe de tournage était contrainte d'improviser, faisant attendre longuement les comédiens prêts à jouer. Mes rapports avec cette maison de production étaient très bons mais mon nom n'a pas figuré sur l'affiche du premier « Fantomas » car je n'en ai pas fait la demande. Cette erreur fut réparée pour le deuxième film. Ces longs-métrages représentaient une bonne opportunité pour ma carrière car ils ont fait le tour du monde. D'ailleurs, tandis que j'étais devenu professeur de français aux Etats-Unis quelques années plus tard, mes élèves s'exclamèrent un matin « Mister Toma, we saw you on television last night ! » Ne souhaitant pas associer ma carrière en France et mon rôle d'enseignant en Amérique, j'ai prétexté une confusion avec un comédien me ressemblant furieusement. Catégoriques, elles ajoutèrent : « we saw your name, too ! », j'étais démasqué (rires). Cette anecdote révèle la portée de ces films d'Hunebelle qui furent exploités aux Etats-Unis et partout ailleurs.
- Porter le masque et jouer masqué était assez contraignant, non ? - Oui, c’était beaucoup de travail car je devais venir aux studios à sept heures du matin pour être maquillé mais la préparation ne s’achevait que vers onze heures trente, surtout lorsque je jouais des personnages chauves, comme le professeur Lefebvre dans « Fantomas se déchaîne ». Même la pose du masque vert, d’une matière translucide et fragile, n’était pas évidente et prenait du temps. Les journées étaient donc très longues (rires). De plus, lorsque nous tournions, il n'était pas facile de s'exprimer distinctement sous ce masque, ce qui pouvait poser des problèmes de prise de son. Un matin, Jeannot et moi étions tous les deux habillés et masqués en Fantomas. Tandis que Jeannot tournait, j’attendais sur le plateau que mon tour vienne pour aller devant les caméras. Un jeune garçon efféminé est alors venu à ma hauteur et m’a parlé de notre nuit d’amour de la veille. Il m’avait pris pour Jean Marais ! (rires)
- Louis de Funès amusait son partenaire lorsqu’il le trouvait trop efféminé à l’écran... - Je me souviens du tournage d’un plan où le journaliste Fandor, dans son appartement, devait répondre au téléphone. A la première prise, la sonnerie retentit, Marais décroche et prononce un « allo ? » très efféminé. Hunebelle fait couper et lui réclame un « allo » plus masculin. Il y a du mieux à la deuxième prise mais le réalisateur l’estime encore trop efféminé. Petit à petit, il est parvenu à un prononcer sa réplique sur un ton plus viril (rires).
- Et vos rapports avec Mylène Demongeot ? - J'ai une anecdote la concernant. J'avais été maquillé et je me tenais prêt à tourner, attendant d'être appelé sur le plateau. Le travail accompli par les maquilleurs s'avérait si fragile que je devais être particulièrement vigilent. Il fallait vraiment faire attention à ce que rien ne touche le maquillage pour éviter toute détérioration. Mylène Demongeot, qui s'ennuyait dans les couloirs et ne prenait pas le tournage très au sérieux, m'a lancé un carton sur la tête pour me faire une blague. Mais la plaisanterie a tourné court car elle m'a coûté une demi-heure de retouches du maquillage dans la loge.
Comme en
témoignent les nombreuses publicités de l'époque,
la vedette du premier "Fantomas" se nommait Jean MARAIS.
Le rôle du Commissaire Juve était davanatage un second rôle
amélioré. La pose des masques, par le responsable des effets
spéciaux, pouvait nécessiter plus de deux heures.
- Combien de temps étiez-vous engagé sur ce type de production ? - Entre les scènes aux studios de Billancourt et les extérieurs à Rome et au Vésuve, cela représentait deux mois de tournage pour moi. Nous tournions beaucoup de prises, que ce soit la scène de l'interrogatoire dans le premier « Fantomas » ou pour le gag de la main postiche qui a été difficile à mettre en place. Comme je vous le précisais auparavant, je me souviens également que plusieurs scènes avec Louis de Funès et Jacques Dynam à l'écran – notamment celles du train Paris-Rome dans « Fantomas se déchaîne » – ont réclamé de nombreuses prises. Au Vésuve, le tournage fut éprouvant en raison de la chaleur. La descente de la DS, qui était périlleuse sur le terrain, a été accélérée au montage. Autant Jeannot était audacieux en acceptant toutes les cascades et même de la chute libre, Louis se montrait moins courageux et craignait qu'il ne lui arrive quelque chose en descendant dans le Vésuve (rires).
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