Marc LEMONIER
AAAAAAA Après Pascal Djemaa et Jean-Marc Loubier, il nous semblait intéressant de poursuivre les interviews de journalistes écrivains férus de cinéma. Et quoi de mieux que l'actualité littéraire pour rester à la page. Marc Lemonier, dont l'abécédaire "Louis de Funès l'intégrale" (Hors collection) est actuellement dans toutes les bonnes librairies nous a très gentiment accordé plus d'une heure d'entretien pour parler de sa vision du comique et de son travail. Un agréable moment livré ici en intégralité. AAAAAAA Marc Lemonier est un écrivain multiforme. Amateur du passé des grandes et petites villes, des acteurs de cinéma, de l'évolution de la société et de ses mœurs, il est à la fois journaliste, écrivain et romancier de son temps. Il se montre capable de remonter les époques pour mieux les faire renaître à travers sa plume, ses lignes et son style. Auteur de plus d'une cinquantaine d'ouvrages, de "Promenades policières à Paris" en passant par "L'intégrale de Julien Clerc" et jusqu'au "Petit Dico des cons et de la connerie", l'innovation est un trait récurrent de sa conception du travail littéraire. En démontre son dernier abécédaire consacré à Louis de Funès mais aussi des travaux à réflexion plus spécifique tel que "Les Bienveillantes décryptées". Ayant débuté sa carrière dans le Rhône au sein de plusieurs radios, son style s'est peu à peu tourné vers la rédaction de journaux, notamment pour l'édition lyonnaise de Libération. La télévision lui a aussi offert quelques beaux projets puisque l'on retrouve son travail dans "Le strip-tease dévoilé" (2008), "Secrets d'histoire, Napoléon et les femmes" (2008) et "Face à l'auteur" (2009). Très influencé par l'époque d'Audiard et de l'univers de Gabin auquel il consacra un livre, cet amateur de films de tous styles a dores et déjà rendu hommage aux plus grands.
Interview de Marc Lemonier du 10 mars 2011 par Franck et Jérôme
- M. Lemonier, vous êtes passionné d'écriture et de cinéma ? Devenir journaliste était pour vous le meilleur moyen de concilier les deux ? - Pas uniquement. A l'origine je suis un journaliste spécialisé dans l'urbanisme et l'architecture pour une presse sérieuse. Puis en m'intéressant aux décors des films et à la façon dont on les filmait au cinéma, j'ai constaté que les villes avaient un lien avec le cinéma. "La ville au cinéma" est donc le thème qui m'a intéressé et qui m'a rapproché du septième art. Je concilie loisirs et travail en me baladant en ville et en regardant beaucoup de films. C'est un moyen assez plaisant de gagner sa vie mais j'exerce avant tout le métier de journaliste.
- C'est ainsi qu'à ce jour, vous avez publié environ trente ouvrages sur la ville de Paris et le cinéma populaire français. - A vrai dire, j'en ai écrit une cinquantaine, dont une vingtaine sous des pseudonymes. Mes premiers travaux étaient des guides touristiques, j'ai aussi publié des dictionnaires sur différents sujets comme "Le Dictionnaire de la France insolite" ou "Le Petit dico des cons et de la connerie". Le cinéma est venu un peu plus tard, avec un premier ouvrage consacré aux décors extérieurs de 1 500 films tournés dans la France entière. Il ne s'agissait pas de critiquer les longs-métrages car, plutôt que de considérer les films comme bons ou mauvais, je suis parti d'un simple constat : tous les films montrent quelque chose et, en l'occurrence, ils montrent des villes. Je me suis par la suite intéressé au cinéma français populaire car les Français s'y reconnaissent, c'est ce qui m'intéresse. J'ai aussi écrit des biographies sur quelques acteurs qui ont symbolisé cette période, comme Jean Gabin puis Louis de Funès.
- Dans vos différents ouvrages, vous abordez des sujets variés comme la paresse, la connerie, l'érotisme, les injures… Bref des éléments qui constituent notre société. Faut-il être un peu sociologue pour être écrivain de son époque ? - Non mais j'analyse la façon dont les cinéastes ou d'autres artistes ont fait de la sociologie sans le savoir, comme Robert Lamoureux, Noël Noël ou Fernand Raynaud. Ces personnes étaient en prise directe avec la réalité des gens, qu'ils observaient d'un regard affûté.
- Parlons de votre intérêt pour le cinéma. Quelles sont vois époques de prédilection et vos genres favoris ? - Ce sont des périodes et des lieux bien particuliers. J'aime la France d'Audiard, son univers parigot avec la gouaille du titi, ainsi que l'argot à l'époque de Simonin, San Antonio de Dard. Les personnages à forte personnalité, c'est-à-dire des grandes gueules, me plaisent beaucoup.
- Comment vous est venu l'idée de rédiger un ouvrage sur Fantômas ? - Antérieurement, j'avais écrit des livres sur les polars, un genre qui est régi par des règles très strictes (comme la comédie d'ailleurs) et qui correspondent à la France des années 1950. Et puis j'ai toujours apprécié les personnages extravagants. Avec sa puissance ténébreuse, Fantômas en est un. Je me suis donc penché sur la trilogie de Hunebelle puis j'ai remonté le cours du temps pour finir dans l'univers de Souvestre, Allain et Feuillade. Il me semble d'ailleurs que "Fantômas se déchaîne" est l'un des tous premiers films que j'ai vus et qui m'a marqué. D'une part, contrairement à ce qui a pu être écrit, Hunebelle n'a pas trahi le mythe du personnage. D'autre part, j'ai été impressionné par la qualité du film, et même de la trilogie. En effet, c'est l'un des rares exemples français où la succession de trois films se tient, puisqu'ils sont tous basés sur leur propre univers : la musique de Magne, les décors et enfin le jeu des acteurs. Car contrairement aux "OSS 117" où le personnage principal est interprété par un acteur différent dans chaque film, Jean Marais et Louis de Funès jouent toujours Fantômas, Juve et Fandor. A mon sens, Les "Fantômas" sont aussi bons que les grands James Bond avec Sean Connery. Et dernier élément qui a son importance, Fantômas est sorti en 1964, soit l'année où la carrière de Louis de Funès a véritablement décollé avec aussi "Le Gendarme de Saint-Tropez" et "Le Corniaud". C'est donc un film qui a compté dans sa filmographie.
"Fantomas se déchaîne", de André Hunebelle (1965)
- Vous considérez donc vous aussi l'année 1964 comme déterminante ? - Oui, nous pouvons clairement identifier deux genres de cinéma chez de Funès. Il y a eu l'avant 1964 lorsqu'il était un acteur qui enchaînait les rôles, puis à partir de 1965 il est devenu responsable de ses films. Les trois films sortis en 1964 ont d'ailleurs changé la façon de tourner les comédies en France. "Le Gendarme de Saint-Tropez" a imposé la thématique des bidasseries, les "Fantômas" ou les Oury ont signé le début de l'utilisation du cinémascope en couleur… Ces films ont permis d'aborder différemment la comédie. Dans un même temps, "Les Tontons flingueurs" ont marqué le retour de la gouaille bien écrite.
- L'abécédaire "L'intégrale de Funès" que vous lui avez récemment consacré marquait-il une poursuite dans votre travail sur Fantômas ? - Non c'est une démarche indépendante du livre sur Fantômas, qui s'inscrit davantage dans la continuité de la biographie sur Jean Gabin. Celle-ci abordait le personnage à travers une analyse sociologique et réunit les grandes périodes de sa vie : lorsqu'il était gamin à l'époque du Front populaire, les premiers grands succès, la Seconde Guerre mondiale et enfin le patriarche à la fin de sa carrière.
- La forme abécédaire était prévue déjà à la base ou l'avez-vous progressivement modifiée ? - Elle s'est rapidement imposée car je souhaitais traiter tous les genres de cinéma qu'il a traversés, de l'après guerre au début des années 1980. Certains imagineront que c'est une tâche facile mais le choix de l'abécédaire implique des contraintes. Réaliser les biographies de réalisateurs qui ont une filmographie aussi longue qu'un ticket de métro n'est pas une mince affaire. Il en est de même pour des seconds rôles qui ont eux aussi disparu. Et enfin, pour aborder l'intégralité de sa carrière, il m'a fallu voir et analyser ses apparitions et son jeu dans tous les films à ce jour connus. Il est difficile de s'en procurer certains et nombre d'entre eux ne sont pas une réussite. - Quelle est votre vision du comique de Louis de Funès ? - Deux choses sautent aux yeux : d'une part, son jeu est issu du cinéma muet, dans la lignée de Chaplin, Buster Keaton, Jerry Lewis ou les Marx Brothers. C'est un acteur visuel qui joue avec son corps, façonnant des personnages inspirés de la comedia dell arte. D'autre part, de Funès est un formidable comédien mais aussi - et surtout - un personnage qu'il a conçu, comme Charlie Chaplin a inventé Charlot. Ainsi, les situations changent d'un film à l'autre mais le spectateur sait à l'avance comment le personnage va se comporter. La réaction du personnage de De Funès est prévisible : il se met en colère, s'emporte, explose. C'était la même chose avec Charlot qui finissait toujours par donner à son partenaire le coup de pied que l'on attendait. C'est le génie comique propre à l'avant-guerre, qui s'exporte d'ailleurs très bien car de Funès est connu dans de nombreux pays. Les titres de ses films portent son nom, comme Balduin en Allemagne.
"Sur la Piste de Fantômas" et "L'Intégrale de Funès" parus aux éditions Hors Collection, 2005 et 2010.
- D'ordinaire, un personnage veule, pleutre et irascible ne gagne pas un grand capital sympathie auprès du public, pourquoi le sien a-t-il séduit ? - Le personnage a plu car il rit de lui-même et il interprète des individus que les Français n'aiment pas. Il représente "l'autre", c'est-à-dire tour à tour le beau-frère, le gendarme, le voisin vicieux, le patron… Ce n'est pas "le bon copain" comme Belmondo. Mais le spectateur apprécie ce sale bonhomme car son ridicule est révélé. De plus, de Funès a séduit car il était un acteur authentique qui se donnait à fond, une véritable formule 1 qu'il fallait savoir piloter. Certains grands cinéastes - à commencer par Sacha Guitry - ont réussi à l'employer correctement.
- Les exemples que vous donnés font référence à ses grands personnages, mais aussi des rôles plus modestes qu'il a interprétés… - Le génie de De Funès tient souvent dans ses personnages de second plan. Dès qu'il apparaît, on ne voit que lui, même si son rôle est quasi-insignifiant. En quelques secondes, le spectateur est frappé par la puissance de son jeu. Il a ainsi pu, le temps d'une scène, voler la vedette à des monstres sacrés du cinéma des années 40 et 50. Mais la force de son comique ne permet pas toujours de tenir la longue distance. Lorsqu'il est devenu une vedette, son jeu a été étiré sur 1h30 et ça en devient parfois lassant, sauf sous la direction de rares réalisateurs. Mais une scène de quelques minutes avec de Funès, c'est à tomber par terre ! Une véritable bombe qui explose au bon moment ! Pendant quelques minutes, il donnait tout et faisait mouche. Venant de la scène et du cabaret, il savait comment faire rire très rapidement.
Louis
de Funès dans "Sans
Laisser d'adresse" de Jean-Paul Le Chanois en 1951.
- Aujourd'hui encore Louis de Funès est bien plus vendeur qu'un Bourvil ou un Charlie Chaplin, comment expliquez vous l'attrait que chaque génération a pour lui ? - Il a su faire rire les adultes et les enfants à la fois car ses films ne comprennent pas de grivoiseries. Et les Français sont nostalgiques de cette période révolue qu'étaient les Trente Glorieuses et ce qu'elles comportaient : l'accès à la modernité avec les frigos, les 2CV… Son coté kitsch ne déplait pas non plus.
- De Funès était-il selon vous un visionnaire qui savait dépeindre les travers de notre société ? - Il devait surtout être très observateur, mais c'est moins la société que les individus qui l'intéressaient. C'est autour de son personnage qu'il dépeignait la société.
- Quels ont été vos retours d'impressions des admirateurs de Louis de Funès ? - Peu sont négatives, même si une partie de la presse s'est contentée de recopier la quatrième de couverture en guise de critique. Charlie Hebdo a considéré le livre comme "panégyrique" mais c'est inexact, il s'agit plutôt d'un panorama. Je raconte deux éléments : le comédien mais aussi son monde, son époque. Cet univers has been des années 1950 est parfois mal connu voire ignoré.
- A la lecture de votre livre, il semblerait qu'il était important pour vous de rester dans la sphère publique et d'évoquer sa vie privée uniquement dans des lignes très générales. - Ceux qui peuvent légitimement écrire sur sa vie privée sont ceux qui l'ont connu au quotidien. Seule sa famille est donc concernée et ses enfants ont déjà abordé ce thème avec la co-écriture de leur ouvrage. Serait-il d'ailleurs si intéressant de creuser dans cette direction ? Contentons-nous de savoir que sa mère a été pour lui une source d'inspiration.
- Aujourd'hui quels sont les acteurs qui selon vous suivent cette lignée de comique à la De Funès ? - Je rejoins l'avis de l'un de ses fils au sujet de Christian Clavier. Dans la même dimension, je verrais probablement Poelvoorde qui a lui aussi un personnage très visuel qui sort du cadre.
- Nous allons bientôt célébrer les 100 ans de la naissance de Louis de Funès, pensez vous que son succès restera intemporel ? - Oui je le pense pour toutes les raisons que nous avons évoquées. Certes, ses films ont vieilli - les relations parents-enfants ne sont plus les mêmes, les Français ne roulent plus en 4L etc… - mais ses personnages ne bougent pas, ils sont éternels. Louis de Funès a créé un archétype en interprétant les râleurs, les soumis et les gens de mauvaise foi. Les gens identifient encore aujourd'hui ces caractères qui constituent notre société.
- Pour finir, avez-vous d'autres projets ? - Oui j'achève actuellement un dictionnaire sur Sherlock Holmes qui sortira à la rentrée, peu avant la sortie du deuxième volet de Guy Ritchie. "Le Guide du Franchouillard" sortira en mai chez City Editions. Je m'intéresse toujours à la culture populaire, qui ne doit jamais être traitée avec mépris mais avec sérieux. J'ai aussi en projet un ouvrage sur l'œuvre d'Audiard en tant que scénariste, dialoguiste et réalisateur.
Quelques ouvrages de l'auteur : L'intégrale de Funès, Hors collection,
2010.
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