Pascal Djemaa et son ouvrage sur Louis de Funès (collection P. Djemaa)

 

Pascal DJEMAA

 

Interview de M. Pascal Djemaa du 21 février 2009 par Franck et Jérôme

 

AAAAAA Né le 10 mars 1968 à Romans, spécialiste du cinéma français et étranger, Pascal Djemaa est correspondant de presse depuis 1999, mais aussi auteur. Il a déjà, publié de nombreux ouvrages consacrés aux grandes stars françaises dont un dédié à Fernandel ("Fernandel, mon père") et écrit en collaboration avec son fils Franck, et un autre à Thierry Le Luron ("Mémoire de Thierry Le Luron", en collaboration avec Jacques Collard en 2006). Il est également l'auteur de "Max Linder, du rire au drame". Traitant de sujets plus sérieux et à connotation aussi bien politique que sociale, Pascal Djemaa a abordé la question du tabac dans la société française "L'hystérie anti-tabac en France ou l'avis d'un fumeur modéré" . Enfin, ce talentueux écrivain s'est récemment penché sur une biographie consacrée à Louis de Funès - "Le sublime anti-héros du cinéma" - dont il nous relate ici les grandes lignes de son travail, l'approche qu'il a souhaité privilégier, ainsi que sa vision du cinéma de cette époque aussi bien que contemporain. Disponible, amical et professionnel, nous remercions encore une fois M. Djemaa d'avoir pris la peine de répondre à toutes nos questions.

 

- Pouvez-vous nous dire comment est née votre volonté d'écrire un livre sur Louis de Funès ?

- De manière très simple. On peut définir mon travail d'auteur comme un cycle, ce n'est pas mon premier ouvrage puisque j'avais déjà écrit sur Fernandel, avec son fils Franck, sur Max Linder, sur Thierry Le Luron ainsi qu'un livre sur le tabagisme et sa législation. Mon éditeur attend d'ailleurs mon prochain ouvrage qui sera consacré à Bourvil. Je suis tout simplement fan de cinéma et j'écris sur ce sujet qui me passionne. Le livre sur Louis de Funès aurait d'ailleurs dû sortir un peu plus tôt, en 2007, mais il y a eu quelques complications.

 

- Y a t-il eu un gros travail d'archives pour réaliser ce livre ?

- Pas tellement car la ligne directrice de l'ouvrage était de réaliser un livre qui soit le plus iconoclaste possible, qui sorte véritablement de l'ordinaire et de ce qui avait déjà été écrit sur Louis de Funès par le passé. C'est pourquoi j'étudie bien évidemment sa filmographie, en donnant mon opinion sur des films moins connus, anciens, où peu de choses ont été dites jusqu'à présent, mais je développe essentiellement le fait que Louis de Funès soit toujours aussi actuel et présent dans notre société moderne. Je déplore que des génies comme Chaplin ou Bourvil voient leurs livres et films vieillir assez mal avec le temps, c'est vraiment regrettable. Ce n'est en revanche pas le cas avec Louis de Funès. Prenez un magasin Fnac et mettez un présentoir Louis de Funès et un pour Chaplin : le constat sera sans appel. Je ne vois d'ailleurs pas beaucoup d'acteurs d'une autre époque aussi populaires que Louis de Funès à l'heure actuelle. Il est assez difficile de plaire aujourd'hui et Louis de Funès lui parvient à satisfaire toutes les tranches d'âges.

 

- Avez-vous interviewé beaucoup de personnes qui ont travaillé avec lui ?

- Non, contrairement au livre de Thierry Le Luron qui m'avait demandé de rencontrer un grand nombre de personnes, je n'ai discuté qu'avec une dizaine d'acteurs pour celui-ci, notamment Roger Pierre et Michel Galabru. Je voulais surtout une analyse.

 

- Comment la critique a-t-elle accueillie votre livre ?

- Plutôt bonne pour ceux qui l'ont lu (rires) malgré le fait que peu de médias m'ont accordé de l'attention au niveau national. Le succès s'est surtout fait par le bouche à oreilles. Certaines critiques m'ont reproché d'insister peut être un peu trop sur mon opinion personnelle concernant le personnage.

 

Couverture de l'ouvrage de Pascal Djemaa (collection Rue des Livres)

 

- Pouvez vous expliquer le fait que Louis de Funès soit toujours aussi populaire ?

- Il m'est impossible de pouvoir vous donner une quelconque explication, je m'interroge d'ailleurs tout le long du livre à ce sujet. Comment expliquer qu'un acteur qui joue dans "Les Aventure des Rabbi Jacob" un antisémite et un raciste ou dans ses autres films un patron hargneux et odieux soit aussi populaire ? Je ne peux personnellement pas comprendre, c'est un mystère. Son personnage est unique. Il existe des acteurs qui - tout comme lui - ont joué les salauds… on ne les voit plus aujourd'hui. Lui si ! Il est unique dans ce genre.

 

- Y'a-t-il eu un véritable manque de reconnaissance des professionnels du cinéma pendant les premières années de sa carrière ?

- On en revient une fois encore à son personnage : dans les années 50, incarner un tel bonhomme n'était pas bien vu. Les gens voulaient de la poésie, du romantisme. Nous sommes à la sortie de la guerre et la violence n'est pas ce qui intéresse les familles. Elles veulent avant tout se divertir avec des images reposantes, apaisantes, c'est notamment pour cette raison que les films à l'eau de rose ont très bien fonctionné à cette époque. Et n'oubliez pas non plus que, à cette époque, de Funès est unique dans son genre : les stars de l'époque sont des acteurs comme Noël-Nöel, Fresnay, Fernandel…à mille lieux de ce que proposait Louis de Funès. Il avait un personnage très avant-gardiste que l'on retrouve véritablement dans les comédies d'aujourd'hui, même si le contexte et les sujets sont différents ; on retrouve une vitesse, tout est basé sur le rythme. Cela va très vite. Lors de ses débuts, c'était véritablement un autre type de cinéma qui intéressait les gens, c'est pourquoi de Funès n'était pas tellement apprécié. On parlait de lui comme un amuseur, un grimacier…

 

- Comment jugez-vous l'apport de Louis de Funès dans ses films ?

- Il donnait son maximum, il était toujours à fond. Certains films, plutôt mauvais il faut bien le reconnaître, ne tiennent que parce que De Funès est présent. Prenez par exemple la série des gendarmes, le sujet s'est petit à petit appauvri et la qualité s'en ressent sur la fin.

 

- "Sur un arbre perché" évoque aussi ce que vous dîtes ?

- Tout à fait, c'est un très bon exemple que ce film vous avez raison. Cette histoire d'un industriel qui, après avoir recueilli des auto-stoppeurs, se retrouve, à la suite d'un accident, suspendu à un arbre tient surtout grâce au comique de Louis de Funès. Il est difficile de faire une heure et demie de film comique avec une voiture perchée sur un pin parasol.

 

- Est-il important pour vous que le cinéma français dispose de grands films comme "La Grande Vadrouille" ou "Le Corniaud" ?

- Oui tout à fait, notez d'ailleurs que la mode d'aujourd'hui est aux remakes. Je ne suis pas particulièrement partisan de ce genre de choses mais nous sommes dans une autre époque et les sujets, les centres d'intérêts changent. Je peux comprendre même si je regrette aujourd'hui que les artistes prennent trop partie pour des causes externes au cinéma. A l'époque, les comédiens étaient beaucoup moins engagés. Aujourd'hui, vous devez avoir l'étiquette de la personne qui pense comme tout le monde. Prenez Bourvil, de Funès ou Fernandel : ces acteurs n'étaient pas ou peu engagés. C'est leur point commun : ils sont des légendes populaires mais sans s'être orientés vers un quelconque parti pris. Ils touchent toutes les classes sociales, du balayeur au PDG d'entreprise, des pauvres aux riches…

 

- Un acteur comme de Funès manque pour le cinéma actuel ?

- C'est sûr que je préférerais qu'il soit encore parmi nous, oui bien sûr c'est un type d'acteur qui manque aujourd'hui. Mais, vous savez, le temps évolue et aujourd'hui certains ne pourraient pas revenir. Je ne suis pas sûr qu'un acteur qui fait des grimaces aurait autant de succès à l'heure actuelle. Il y a des comiques qui n'existent plus mais qui ont bien fonctionné par le passé, je pense par exemple au comique normand. Aujourd'hui les comiques s'appellent Timsit, Bosso, Elie Semoun, ils sont plus des sociologues.

 

- Je pense à Gad Elmaleh qui est très observateur de la société, de ses mœurs et habitudes ?

- Exactement, nous rigolons aujourd'hui sur les gens qui fument, les gamins qui sortent de l'école, les gens qui font du jogging, vous avez raison. Il serait impossible maintenant de débuter avec "Les abeilles" de Bourvil. Le comique des années 70 était varié, il y avait les films de Lamoureux, notamment la trilogie de "La Septième Compagnie" qui a connu un énorme succès auprès du public. Il ne fait pas non plus oublier les Charlots, les comédies de Jean Pierre Marielle, les films d'Alain Delon… On trouvait aussi le cinéma de Belmondo, qui fait d'ailleurs un retour émouvant. Le film de Francis Huster est triste mais j'aime des films aussi émouvants, aussi beaux. C'est un très beau retour pour lui je trouve. J'ai remarqué qu'un acteur pouvait se métamorphoser en fonction de la personne qui le dirigeait. Bien employé, j'ai remarqué qu'un comédien comme Franck Dubosc pouvait faire de choses extraordinaires, pareil pour Jean Dujardin qui est un véritable comédien de son époque. Mais aujourd'hui le public est vraiment ciblé, tout est commercial, on sait ce qu'on veut, il faut notamment cibler les jeunes.

 

- Il nous semble que le cinéma des années 60 et 70 semblait bien plus honnête et authentique que celui d'aujourd'hui . Qu'en pensez vous ?

- Je vois que nous partageons les mêmes points de vues. Les films des années 70 ne peuvent pas être comparés à ceux des années 2000 c'est certain. Il y avait sans aucun doute plus de respect, plus de fraternité. Mais beaucoup de facteurs peuvent expliquer ces modifications : un confort a outrance des familles, une modernisation toujours croissante, une véritable évolution des mœurs…C'est une question complexe, très intéressante qui mériterait un véritable développement de fond, plus approfondi. Le rire est aujourd'hui très orienté. Des films comme ceux de Tati faisaient appels à la réflexion, ces sont des vecteurs que l'on trouve de moins en moins aujourd'hui. Ce genre d'orientation ne paie plus. Il y a une tendance actuelle qui est que tout doit être "cool". Nous subissons aussi la concurrence des films américains, ils mettent le paquet même dans les comédies simplistes, avec des budgets et des effets spéciaux souvent colossaux. La qualité coûte cher, en France cette optique est souvent oubliée. Nous souffrons d'un manque de qualité évident. Nous sommes dans un véritable cycle cinématographique, un cycle des genres, peut être que dans quelques années nous connaîtrons totalement autre chose. Je regrette l'époque où les films n'étaient conçus que pour divertir le public, sans message arrière quelconque. Encore une fois, on peut de nouveau dire que l'époque est au commercial. La preuve en est des rééditions de DVD de Louis de Funès où il n'apparaît que quelques secondes et se trouve présent en premier plan sur la jaquette avec son nom inscrit en gros. Louis de Funès est très vendeur encore aujourd'hui. Des éditeurs comme René Château misent beaucoup sur ses films qui sont des valeurs sûres.

 

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