Jean-Marc Loubier

 

première interview (juin 2009) / deuxième interview (août 2014)

 

aaaaaaaa Né à Paris en 1953, Jean-Marc Loubier fut d'abord professeur de lettres avant de devenir journaliste puis écrivain. Biographe de Louis Jouvet, Michel Simon, Pierre Brasseur ou encore de Mata Hari, il a reçu le prix Saint-Simon 1997 pour son livre d'entretiens avec Simone Valère et Jean Desailly, "Un destin pour deux". Il est également auteur d'un roman, "De verre et d'éclats", de récits et d'un livre de recettes de cuisines écrit en collaboration avec le Docteur Françoise Halphen intitulé "150 recettes gourmandes pour garder la forme". En 1991, Jean-Marc Loubier a publié "Louis de Funès : le berger des roses" aux éditions Ramsay, dont il prépare actuellement une mise à jour. Merci à lui pour cet entretien.

 

 

Interview de M. Jean-Marc Loubier du 18 juin 2009 par Franck et Jérôme


- M. Loubier commençons cette interview en évoquant votre carrière, vous avez d'abord été professeur de lettres, puis journaliste et enfin écrivain, pouvez vous nous expliquer cette évolution ?

- Il s'agit d'une évolution très simple. J'ai débuté en tant que professeur de lettres mais j'exerçais en parallèle le métier de journaliste. Par la suite, différentes occasions se sont présentées pour n'être plus qu'exclusivement journaliste ce qui m'intéressait beaucoup car, en exerçant deux métiers à la fois, j'avais l'impression d'en faire un moins bien que l'autre. Je travaillais à l'époque à Rouen et on m'a proposé un poste à Paris, il s'agissait d'une belle opportunité. J'ai donc travaillé pour Radio France, Télé Star et aussi pour un mensuel qui s'appelait 92 Express dans lequel j'avais en charge la rubrique spectacle avec des articles divers tels que des portraits d'artistes, d'écrivains… Ma carrière d'écrivain a donc débuté comme ceci, par la suite, mon premier livre est sorti. Il s'agissait d'un livre de cuisine, écrit en collaboration avec un docteur, qui représentait pour moi un petit défi personnel. Etant particulièrement féru de théâtre et de cinéma, je souhaitais aussi écrire certains ouvrages liés à ce domaine et comme j'ai beaucoup fréquenté Arletty, la logique a voulu que je débute un livre consacré à Louis Jouvet, qui était un personnage considérable donc dur à traiter et à retracer dans un livre. J'ai aussi écrit, là encore dans un esprit de continuité, une biographie sur Michel Simon, puis comme vous le savez sur Louis de Funès. Concernant ce dernier, je sortais de deux biographies complexes et je me suis dit "voici une bonne idée de se reposer" en m'imaginant que la masse de travail serait certainement moins importante. C'était une belle erreur de considérer cela ! J'ai toujours aimé Louis de Funès, je regardais ses films lorsque j'étais gamin et une chose m'a toujours paru bizarre : cet acteur a connu une carrière magnifique, avec un énorme succès auprès des gens et paradoxalement peu d'ouvrages lui étaient consacrés, et surtout, aucune biographie complète. Cela représentait un beau challenge auquel j'ai décidé de m'atteler.

 

- Comment définir cette envie et ce besoin d'écrire chez vous ?

- Il s'agit d'une nécessité que je ne peux expliquer ! Il m'est impossible de passer une journée sans écrire car je pratique cette activité depuis très jeune. J'aime non seulement raconter mais aussi inventer et créer des histoires. C'est pour cela que je me suis volontairement penché sur différents genres littéraires, que ce soit la biographie, le récit, le roman, et même à la radio j'écrivais chacune de mes interventions radiophoniques. En fait mon écriture se fait un peu au coup de cœur, d'où la variété des genres. Par exemple on m'avait demandé il y a quelques années d'écrire sur les couples célèbres et j'avais dressé une liste de ceux qui m'inspiraient tels que Jean Gabin/Marlène Dietrich par exemple mais mon choix s'est véritablement arrêté sur Joséphine Baker et Georges Simenon car il y avait peu d'informations les concernant. Attention toutefois, je ne me suis jamais considéré comme un biographe au sens universitaire du terme. Je considère la biographie comme un genre complexe car il faut tenir compte de la dimension bien évidemment publique du personnage que l'on traite mais aussi de sa vie privée car il y a souvent un lien très étroit entre les deux. Un acteur a pu choisir des rôles en fonction de souvenirs, d'expériences ou de raisons purement privés. Prenez l'exemple de Louis de Funès qui a souhaité que son fils Olivier fasse du cinéma puis du théâtre, il y a certainement une raison privée. Ce genre de choix se fait en fonction de critères de la vie personnelle. D'ailleurs à l'époque où le livre est paru, nous ne savions que peu de choses sur la vie privée de Louis de Funès, il y en a aujourd'hui beaucoup plus à dire. Je parle ici d'une vie privée "racontable", respectueuse, je ne travaille pas à Voici, ce n'est pas le genre de détails qui m'intéressent. Il y a un certain nombre d'évènements privés dans la vie de Louis de Funès qu'il faut expliquer pour comprendre l'impact qu'ils ont eu sur sa carrière et les choix qui ont été faits. Evidemment, il y aurait beaucoup à dire sur sa carrière d'acteur. Louis de Funès n'est en effet pas devenu comédien par hasard mais sa notoriété a débuté par une rencontre heureuse, mêlée de chance, avec Daniel Gélin car De Funès n'avait pas spécialement étudié et été formé pour devenir acteur.

 

- Comment s'est déroulé votre travail, quel a été votre axe principal ?

- Tout simplement, si l'on peut dire, de suivre son parcours du début à la fin. J'ai essayé de comprendre l'évolution de sa carrière car il y a un certain nombre d'explications à apporter. Louis de Funès est un très grand comédien qui a la particularité d'avoir une carrière qui a évolué en même temps que la société française. Il débute dans son premier film comme portier puis finit chef d'entreprise. Il est de plus particulièrement dur et complexe de rendre un personnage aussi odieux, sympathique auprès du public qui l'adore ! Il a joué des rôles dans lesquels son personnage était d'une telle méchanceté qu'il le rendait grotesque, presque pitoyable, car il se mettait dans des situations invraisemblables, dans de véritables bourbiers. Là est le génie de Louis de Funès.

 

- Avez-vous interviewé beaucoup de personnes pour rédiger cette biographie ?

- Il m'est difficile de pouvoir vous donner un chiffre exact mais cela doit tourner autour d'une bonne cinquantaine. Beaucoup de personnes vous contactent, vous font savoir qu'elles ont connu Louis de Funès et qu'elles ont certaines choses à raconter. J'ai engrangé beaucoup de contacts et donc d'anecdotes et je continue de recueillir des témoignages, ce qui devient difficile puisque beaucoup d'entre eux proviennent de personnes hélas aujourd'hui décédées. Nous savions par exemple peu de choses sur son enfance ou encore sur sa famille. Il n'y avait rien à cacher mais il n'aimait tout simplement pas en parler à la maison. Beaucoup de rumeurs fausses ont été dites sur lui et celles-ci ne sont en rien fondées. L'exemple de Jean Marais en est une illustration concrète. Il me semble être le seul à avoir interviewé Jean Marais sur un plateau pour en parler directement avec lui et il m'a expliqué que tout avait été déformé concernant leur collaboration puisqu'ils se trouvent qu'ils se sont parfaitement entendus. Sur le plateau sur lequel il travaillait, Jean Marais n'appréciait pas les gens de mauvaise humeur et un jour, Louis de Funès est arrivé avec un caractère sans doute massacrant. Les deux hommes ont donc fait leur travail sans se parler franchement entre les prises, rien de plus. Mais un journaliste présent sur le plateau en a profité pour faire ses choux gras en lançant cette rumeur infondée. Plusieurs personnes ont dit de Louis de Funès qu'il était un homme odieux, ces gens acceptent sans doute mal d'avoir subi sa foudre pour n'avoir pas été aussi exigeant et professionnel que lui sur le plateau. Autre anecdote, De Funès, lorsqu'il tournait "Le Petit Baigneur" de Robert Dhéry et Pierre Tchernia, était descendu dans un hôtel de Narbonne qui s'appelait "La Résidence" et qui était un hôtel de grand standing. Le patron a tout d'abord refusé de lui donner une chambre et Louis lui a demandé une explication concernant un tel refus il s'est vu répondre "Il paraît que vous êtes un emmerdeur". Il lui a finalement donné une chambre et il y est resté environ deux mois. Ils se sont parfaitement entendus. A son départ, Louis de Funès a signé le livre d'or en écrivant "Pour la première fois de ma vie j'ai eu l'impression de ne pas rentrer à l'hôtel mais chez moi".

 

- Quelle fut la durée de votre travail, comment celui-ci s'est il reparti dans le temps ?

- La biographie m'a pris environ deux ans, si ce n'est plus. Il faut compter le temps de faire l'ensemble des recherches, de joindre les personnes, de décrypter, de clarifier et de trier leurs propos. Il faut de plus vérifier l'exactitude des sources. Ensuite concernant la rédaction pure, il s'agit de trouver un plan, de suivre le personnage, son évolution et le faire comprendre au lecteur qui n'en n'aura pas forcément la même vision que moi. Il y a eu beaucoup de corrections. Je me rappelle de la difficulté de passer d'une biographie consacrée à Louis Jouvet à celle de Michel Simon, puisque l'on passe d'un personnage très "carrée" à l'inverse total. Et j'avais débuté la structure du livre de Simon dans la même optique que celle de Jouvet, rien ne collait. Si bien qu'il a tout fallu reprendre depuis le début. Cela n'a pas été le cas avec De Funès, je n'ai pas refait l'erreur. Dans sa biographie, il me semble primordial de traiter avant tout sa mécanique. De Funès n'est pas un grimacier comme beaucoup ont pu le croire, il avait en outre horreur qu'on dise de lui qu'il était un acteur grimaçant. Dans son jeu, il y a un véritable travail de recherche, il y réfléchissait en privé, chez lui, il ne faut pas croire que ce ne sont que de simple tics. Je me souviens à ce sujet d'une anecdote sur le plateau des "Aventures de Rabbi Jacob". Un jour Louis de Funès a refusé d'aller sur le plateau et est resté enfermé dans sa loge, refusant catégoriquement de jouer. Gérard Oury a tenté de parlementer avec lui pour le faire changer d'avis et il apprit qu'il refusait de jouer tout simplement parce que le matin même il avait lu un article dans lequel le journaliste disait de lui qu'il était un grimacier.

 

- Beaucoup à l'époque l'ont dépeint comme un acteur vulgaire qui jouait dans des films un peu franchouillards, ce qui semble être une vision très réductrice…

- Bien sûr, mais cela est le propre de ce métier de coller des étiquettes. Qui peut prétendre n'avoir joué que dans des films à succès ? Qui n'a jamais joué dans des films médiocres ? Il y avait aussi des impératifs alimentaires et financiers à ne pas négliger à l'époque, nous étions dans un contexte particulier. Mais il est vrai qu'une série comme les "Gendarmes", même si elle est une bonne série malgré qu'elle s'essouffle comme toute série sur la fin, était à l'époque considérée comme un petit film de série B qui aurait du fait un succès honnête. Le public a très bien accueilli ce genre de films. Pour vous dire, j'ai vu de mes propres yeux des gens briser les fenêtres de cinémas car ils n'avaient pas pu entrer voir "Le Gendarme et les extra terrestres". Les gens avaient besoin à cette époque, et c'est d'ailleurs toujours le cas aujourd'hui, de rire et de se détendre. C'est en partie pour cela que Louis de Funès est à l'heure actuelle encore aussi populaire.

 

- Comment les critiques ont-elles accueilli votre livre à sa sortie ?

- Elles ont été très bonnes. Je n'ai pas eu une seule mauvaise critique. Patrick de Funès m'avait d'ailleurs appelé pour me féliciter et me dire que le livre était très bien sauf quelques petites choses à rectifier mais dont les erreurs étaient compréhensibles puisque je ne pouvais personnellement pas connaitre les histoires les concernant. Aujourd'hui comme vous le savez, je travaille sur une mise à jour, avec la volonté de le refaire différemment et de le compléter. Je pense qu'il est possible de faire un livre qui soit encore plus proche du personnage. Encore une fois je ne me considère pas comme biographe officiel de Louis de Funès, je suis un biographe parmi les autres. D'autres ont traité la carrière de cet acteur avec des approches et des fortunes diverses, je n'ai pas à juger de leur travail.

 

La couverture du "Berger des Roses" de Jean-Marc Loubier

 

- Louis de Funès a débuté, après ses ennuis de santé, une collaboration avec une nouvelle génération d'acteurs et de producteurs, comment auriez-vous imaginé la suite de sa carrière ?

- C'est une question difficile. J'aurai beaucoup aimé, il est vrai, voir Louis de Funès dans un rôle tragique. Il en a fait un peu mais cela s'apparentait plus à du tragi-comique. Même si je ne suis pas sûr que cela aurait marché, la tentative aurait été intéressante. Il avait aussi comme ambition de monter "Le Bourgeois Gentilhomme", dans lequel il aurait été fantastique, peut être moins au théâtre qu'au cinéma du reste. J'aime tout particulièrement "L'Avare" qu'il a su quelque peu "dépoussiérer" et adapter dans une forme novatrice et originale, ce qui n'était pas évident puisqu'il s'agissait d'un classique de la littérature française. Je pense qu'il ne s'en est pas trop mal sorti puisqu'aujourd'hui encore les professeurs font découvrir cette pièce aux élèves en visionnant l'adaptation de De Funès. Beaucoup d'acteurs ont joué cette pièce et chacun a proposé une version différente mais celle de Louis de Funès reste pour moi la plus évocatrice. Ces films ont traversé les époques, et même si certains ont vieilli ils restent populaires et font aujourd'hui rire les enfants. Comme vous l'évoquiez précédemment, beaucoup ont dit que ces films étaient des "navets" mais c'est faux. Je suis d'accord qu'on ne peut pas considérer "Le Gendarme et les Gendarmettes" comme chef d'œuvre, il n'est pas bon nous sommes d'accord mais tout de même certaines de ses compositions sont saisissantes. Je pense notamment au fameux Jambier, épicier réalisant du marché noir qui est le prototype même de l'homme qui à l'époque faisait de ce marché noir son fonds de commerce. Pour revenir à la série des "Gendarme", elle restera une bonne série. Je me rappelle d'ailleurs avoir un jour discuté avec une personne qui me demandant quel était mon métier fût ravi d'apprendre que j'étais écrivain et que j'avais consacré un ouvrage à Louis de Funès. Elle m'expliqua enchantée qu'elle rigolait à chaque rediffusion de ses films avec son enfant et son mari. Sa popularité est un phénomène qui reste inexplicable, une étude universitaire serait d'ailleurs très intéressante. Il ne faut pas oublier qu'un acteur comme Louis de Funès a galéré pendant des années. A l'époque, aux studios de Billancourt, se tournaient plusieurs films en même temps et des seconds rôles comme lui ou Carmet y étaient constamment présents ce qui fait qu'on les retrouve dans un grand nombre de films de cette époque.

 

- Concernant sa personnalité, il est assez frappant de voir quel acteur génial il pouvait être devant la caméra puis l'homme réservé, timide et secret en interview face aux journalistes.

- Oui, tout à fait. De Funès n'aimait pas parler de sa vie familiale par exemple. En interview, lorsqu'il en avait la possibilité, il laissait parler Gérard Oury ou Michel Galabru. Il n'était pas un homme mondain, il n'aimait d'ailleurs pas les récompenses. Cela se sent tout particulièrement lorsqu'il reçoit le César d'Honneur des mains de Jerry Lewis, on sent qu'il n'est pas à l'aise. D'autant que Lewis en fait des tonnes, Louis aurait certainement préféré le prendre et disparaitre en coulisses. Je crois qu'il était surtout extrêmement timide et pudique. Je ne l'ai croisé qu'une fois, dans les studios d'une radio, il rasait les murs pour qu'on ne le reconnaisse pas. Il allait sans doute faire une interview et n'étais pas à l'aise. Il était là mais ne voulait pas que ça se sache. Le problème est que les gens identifient le personnage à l'homme privé alors que rien ne les réunissait. Les gens s'imaginaient que dans la vie, en pleine rue, il allait les faire rire, mais il était un homme sérieux avec les préoccupations d'un homme ordinaire. Je pense qu'il y a une distanciation nécessaire que les gens ne font pas.

 

- Pour terminer, quelle est votre période cinématographique préférée de Louis de Funès ?

- Je considère son rôle dans "La traversée de Paris" comme l'un de ses plus grands rôles mais bien évidemment la collaboration avec Oury reste fondamentale. Il y a véritablement quelque chose qui s'est passé entre eux, une alchimie, ils se comprenaient et c'est d'ailleurs Louis qui a amené Oury à faire du comique. Il y avait un retour d'amitié chez Louis de Funès qui était exceptionnel, cela s'illustre très bien dans "L'Aile ou la Cuisse" avec Coluche, puisqu'il a demandé à Fechner que les deux noms apparaissent en haut de l'affiche en caractères identiques. Il avait repéré et senti que Coluche serait un grand talent. Il avait véritablement sa famille de cinéma et je pense qu'il devait imposer certains de ses amis dans le casting, par exemple Max Montavon.

 

deuxième interview (août 2014)

page créée le 27 juillet 2009, dernière modification le 5 août 2014.
Source pour la biographie : http://jmloubier.multimania.com

 

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