Jean-Marc Loubier

 

première interview (juin 2009) / deuxième interview (août 2014)

 

aaaaaaaa Passionné serait un excellent terme pour désigner la relation que le journaliste Jean Marc Loubier entretient avec Louis de Funès. Fort d'un premier ouvrage consacré à l'acteur, la commémoration des cents ans de sa naissance furent l'occasion pour lui de se pencher à nouveau sur sa carrière de manière totalement inédite. « Petites et grandes vadrouilles », qu'il vient de publier chez Robert Laffont, n'est en effet pas une continuité du « Berger des Roses » (1991) mais bien un travail de fond original proposant des nouveautés et des informations jamais parues jusque là.

aaaaaaaa Se basant sur un travail d'archives de premier ordre, notamment d'articles de presse, Jean Marc Loubier souhaitait avant tout rétablir la vérité sur bon nombre de légendes et d'idées reçues. Pour se faire, il eut la chance de bénéficier du concours de la famille De Funès qui lui a fourni de nombreux renseignements et répondu à ses interrogations.

aaaaaaaa La presse et le public ont unanimement salué cet ouvrage de qualité que nous vous invitons à lire si la chose n'est pas encore faite. Remercions M. Loubier qui, une fois encore, a gentiment pris la peine de répondre à toutes nos questions.é à our cet entretien.

 

Interview de M. Jean-Marc Loubier du 2 août 2014 par Franck et Jérôme

 

- M. Loubier, lors de notre précédente interview, vous nous aviez confié travailler à l'écriture d'un nouveau livre sur Louis de Funès qui vient de paraître (« Louis de Funès, Petites et Grandes Vadrouilles »), comment s'est déroulée l'écriture de cet ouvrage ?

- Le travail s'est étendu sur presque deux ans pour ce qui concerne l'écriture. Il y a aussi eu un important travail de recherches à la fois pour révéler plusieurs choses encore jamais racontées mais aussi pour mettre fin à plusieurs erreurs parues dans divers ouvrages. Je souhaitais rétablir la vérité sur un grand nombre de points. J'ai eu la chance de bénéficier du concours de la famille de Funès, notamment Olivier et Patrick qui m'ont renseigné et expliqué beaucoup de choses. Ils ont répondu à beaucoup de mes interrogations.

 

- Ce livre s'inscrit-il dans la continuité du « Berger des roses » ?

- Non absolument pas, il est d'ailleurs écrit totalement différemment. Je n'ai gardé que quelques passages du « Berger des Roses ». Je dois bien reconnaître que mon premier ouvrage contenait aussi des erreurs que je me devais de corriger. Patrick m'avait d'ailleurs gentiment contacté à l'époque pour me les mentionner et rectifier ce qui devait l'être.

 

Couverture du premier livre de Jean-Marc Loubier, paru chez Ramsay en 1991.

 

- A-t-il été difficile de trouver un nouveau fond exploitable ?

- Non pas du tout, j'ai eu la chance de trouver énormément de choses. Pour se faire, j'ai lu un très grand nombre d'articles de presse. De Funès n'aimait pas la télévision qui était à l'époque un média relativement nouveau qui le mettait mal à l'aise mais on trouve beaucoup d'éléments dans la presse écrite. Les médias numériques m'ont aussi beaucoup aidé, aujourd'hui on trouve énormément de matière grâce à Internet ce qui n'était pas le cas à l'époque du « Berger des Roses ». La presse provinciale m'a beaucoup apporté aussi. Lorsque Louis était en tournée, il répondait rarement aux questions mais beaucoup de journalistes lui ont consacré un papier et on peut trouver aujourd'hui un grand nombre de sources totalement inédites.

 

- Beaucoup de livres ont récemment été écrits sur de Funès, de qualités inégales, y a-t-il une « surenchère » de Funès ?

- Je pense en effet qu'il existe une surenchère dans le sens où tout le monde copie tout le monde et reproduit les mêmes erreurs. Je voulais mettre un terme aux légendes et rumeurs dont tout le monde parle sans les vérifier. Je pense notamment à son avarice. De Funès était tout sauf un homme avare de ses sous. Pour information, il se rendait très souvent à la maison de retraite des vieux comédiens accompagné de Maurice Chevalier et laissait à chaque fois un chèque très conséquent. Au point que Jeanne, qui était en charge des comptes, le grondait pour offrir de telles sommes d'argent. Au restaurant aussi il était d'une grande largesse auprès du personnel. Il laissait des pourboires très généreux. Autre légende que j'ai récemment lue et qui m'a étonnée : Jeanne de Funès contrôlait de très près la distribution d'un film en choisissant des actrices lesbiennes pour être sûre qu'elles ne tourneraient pas autour de Louis !

 

- Avez-vous eu peur d'une certaine redite entre vos deux livres ?

- Oui je me suis beaucoup posé la question c'est pourquoi j'ai découpé sa vie d'une manière différente que pour le premier livre. Je me suis intéressé à son premier mariage, à son premier fils. Beaucoup de choses fausses ont été dites au sujet de Daniel. De Funès n'a pas été un père absent, cela relevait d'un marché avec son épouse Germaine lors du divorce. Il a constamment été anxieux pour son premier enfant. N'oublions pas que De Funès est toujours resté très secret sur sa vie privée ce qui rend facile l'élaboration de légendes et d'histoires fausses. Il n'aimait pas que les journalistes pénètrent chez lui. De tout mon travail d'archives, je n'ai d'ailleurs trouvé qu'un seul article dans lequel le journaliste a pu rentrer chez lui, à l'époque de la rue de Maubeuge, et le photographier. Il ne donnait sa confiance qu'à certains d'entre eux : Drucker, Chazal entre autres mais guère plus.

 

- Avez-vous rencontré de nouveaux protagonistes pour les besoins de l'écriture ?

- Absolument j'ai retrouvé beaucoup de monde notamment France Rumilly, la bonne sœur dans la série des Gendarmes, qui était très difficile à trouver mais j'y suis parvenu. Elle m'a expliqué la conscience professionnelle de Louis. Sur le plateau, il mangeait parfois à l'écart de l'équipe, scénario à proximité. Il notait, corrigeait et s'imprégnait constamment pour trouver des idées. Une histoire m’intéressait beaucoup : celle de Marcel Bluwal et du film « Carambolages ». Il a souvent été écrit que Bluwal n'aimait pas De Funès ce qui est absolument faux. Il aurait préféré que ce rôle soit confié à Bernard Blier. Selon lui, De Funès mourrait trop tôt dans le film et n'avait pas un rôle suffisant. Il m'a aussi expliqué avoir été en froid avec Jeanne de Funès car il ne supportait pas qu'elle s'invite pour donner son avis au montage. J'ai aussi retrouvé de petits comédiens qui m'ont apporté des détails et des précisions sur beaucoup de choses. En revanche Daniel De Funès n'a pas souhaité me recevoir ce que je regrette.

 

- Avez-vous à nouveau beaucoup appris de l'homme qu'il était ?

- Absolument j'ai découvert beaucoup de choses surprenantes. Un mystère restera à jamais résolu, celui de sa filmographie complète. Beaucoup d'auteurs ont évoqué une filmographie de 120/140 films. Or j'ai vu De Funès, lors d'un salon, confié à des enfants à qui il répondait, qu'il avait joué dans 160 films. Un grand nombre de films des années 40/50 ne sont jamais parus en DVD ou K7 et il doit très certainement y en avoir où il fait une apparition. Sa carrière est aussi assez surprenante. On se rend compte qu'il fût une vedette de théâtre avant d'être une vedette de cinéma. Son comique est totalement à part, uniquement fait de rythme. Roger Dumas m'a d'ailleurs confié que l'adaptation de la pièce de théâtre « Sans cérémonie » au cinéma (devenue « Pouic-Pouic ») aurait été impossible sans le rythme de Louis de Funès. Ils l'ont tournée à cent à l'heure en se basant uniquement sur son jeu. Son plus grand luxe est de s'être payé son « Avare » au cinéma. Il a longuement hésité avant de se lancer mais il a osé. C'est assez amusant de lire les critiques de l'époque, notamment de Télérama, parlant d'un film médiocre. Aujourd'hui cette même presse l'encense car il est diffusé dans les écoles et permet d'aborder Molière sous un angle différent.

 

Le nouveau livre de Jean-Marc Loubier vient de paraître (2014)

 

- Quel était votre état d'esprit pour l'écriture de ce livre ? Stress, plaisir, défi ?

- L'écriture d'un livre n'est jamais une chose facile mais je dois dire que ce ne fut que du plaisir. La difficulté réside dans le fait d'être précis et concis. Il faut sans cesse être au plus juste, ce qui demande beaucoup de rigueur.

 

- Votre vision de l'homme et de l'acteur a-t-elle changé ?

- Complètement oui ! A l'époque du « Berger des Roses », il n’existait presque aucune source. Seuls les livres de Kernel et de Chazal existaient mais rien de plus. J'étais parti de très loin d'autant que je n'avais pas eu le soutien de la famille de Funès. Aujourd'hui, la technologie rend le travail de recherches plus accessible. Tout mon travail m'a permis de mettre à jour un homme vraiment différent de ce qui a pu être précédemment écrit. Je souhaitais vraiment tordre le cou aux omissions et erreurs que je ne supportais pas de lire. Oui en effet il n'était pas un homme facile, Patrick dit même dans un reportage qu'il était « chiant » ! C'est certainement très vrai mais regardons sa vie. Il était la super star, il ne pouvait plus sortir dans la rue et devait se cacher. On devait aller jusqu'à lui faire ses courses. Autre fausse légende : il a souvent été dit qu'il ne s'entendait pas avec Bourvil ce qui est absolument faux. Ils étaient très proches, presque voisins dans leurs résidences en région parisienne et se retrouvaient le samedi matin sur le marché pour parler de légumes et de jardins. En revanche, pour des questions d’intimité, plus que de timidité, ils ne se sont jamais invités chez l'un ou l'autre. De manière générale, il était nécessaire d'apporter du contenu inédit. Personne n'avait jamais parlé de la fameuse remise de la légion d'honneur où Louis De Funès a été imité par Claude Vega. Bien qu'il détestait toute forme d’imitation, il fût enchanté de celle-ci...

 

- Pourquoi avoir choisi ce titre « Petites et Grandes Vadrouilles » ?

- Je souhaitais l'appeler « L'honnête homme » à la base car je trouvais qu'il était un homme foncièrement honnête avec son public dans le comique comme dans le tragique car il en a fait ! Dans « La grande vadrouille » lorsqu'il se fait faussement capturé à l'Opéra de Paris il est tragique. Pareil pour la scène du vélo et de la patrouille allemande à Vezelay. Je pense aussi à « La Traversée de Paris » où il est tout sauf drôle.

 

- Écrire un prochain ouvrage sous la forme d'un roman ou de nouvelles serait-il envisageable ?

- Je ne sais pas, je n'y ai pas réfléchi mais cela ferait un troisième livre consacré à De Funès, c'est beaucoup à mon sens. Je ne suis pas le biographe officiel et tout le monde peut écrire sous quelque forme qu'elle soit. On voit que beaucoup en ont profité lors du 30ème anniversaire de son décès. Personnellement nous n'avons pas voulu, avec mon éditeur, écrire dans cette optique-là. Il nous a paru plus intéressant de célébrer les cent ans de sa naissance.

 

- Quel fut l'accueil de la presse ?

- J'ai été assez impressionné du nombre de sollicitations. La presse a consacré plus de 90 articles au livre et, je les en remercie, ils sont tous bons.

 

- De Funès est donc un acteur encore commercialement attractif...

- Il est plus que jamais bankable ! Tout fonctionne, ses rediffusions télévisuelles font à chaque fois un carton ! Il est immortel c'est indéniable. Il y a une marque, un style de Funès. Même dans ses prestations les plus courtes, il a le petit geste de plus pour qu'on le remarque. Il voulait surtout le moins de texte possible pour se consacrer sur le visuel et la gestuelle. D'ailleurs j'ai vu des films de Louis de Funès en allemand et bien cela passe car il y a avant tout le visuel plus que le textuel.

 

- Une dernière anecdote inédite ?

- Je peux vous affirmer que, malgré de nombreuses sources, Louis de Funès, présent à l'enterrement de Maurice Chevalier, n'a jamais porté son cercueil. En revanche, sensible à l'amour qu'il lui portait, la famille a tenu à lui offrir sa canne personnelle. Louis la gardait religieusement et je vous garantis que personne n'avait le droit d'y toucher.

 

"Louis de Funès : Petites et grandes vadrouilles" est paru le 15 mai 2014. Editions Robert Laffont, 564 pages.

En vente dans toutes les bonnes librairies et en ligne sur le site de l'éditeur : ICI


première interview (juin 2009)

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