Pierre GUENIN

 

AAAAA Pierre Guenin est un personnage hors cadre et ce pour bien des raisons. Journaliste cinématographique de renom (Cinémonde, CinéCoulisses…), artiste peintre, écrivain et militant LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres) il fut un précurseur de la création, puis de l'édition de la première presse gay en France. Agissant pour la valorisation de leur statut qu'il considère comme trop souvent décrié, il poursuit aujourd'hui encore son objectif en tentant de développer la visibilité et la compréhension de leur orientation sexuelle. C'est ainsi que chaque année est remis le Prix Pierre Guenin pour l'artiste qui aura le mieux défendu la cause homosexuelle au travers de son œuvre.

AAAAA Ayant à son actif les interviews et confidences des plus grandes vedettes de ces quatre dernières décennies, Pierre Guénin est avant tout l'un de leurs puisqu'il débuta sa carrière professionnelle comme acteur avant de se tourner progressivement vers le journalisme. Cette doublette facette lui permis de créer des concepts originaux tels les "interviews vachardes" dont le style était aussi télévisuel que journalistique.

AAAAA Il eut le privilège d'interviewer plusieurs fois Louis de Funès grâce à son ami Sydney Bettex, célèbre décorateur de films (Pouic Pouic, la série du Gendarme, L'Avare, La Soupe aux choux), avec qui il entretint une amitié très forte. Il livre ici une interview inédite concernant l'acteur qu'il a connu à tous les stades de sa carrière : de troisième rôle peu médiatisé à vedette du box office français.

AAAAA Outre sa vision du comique, sa personnalité et son rapport avec les professionnels de la presse, il livre aussi un regard lucide et éclairé sur l'avenir du métier de journaliste, sa déontologie et sa politisation croissante. Merci à lui pour le temps qu'il a consacré à cet entretien et pour sa sympathie. Pour en savoir plus sur sa vie et son œuvre, n'hésitez pas à visiter son site à l'adresse suivante : http://www.pierreguenin.com/

 

 

Interview de M. Pierre Guénin du 9 novembre 2011 par Franck et Jérôme

 

- M. Guénin, avant d'être journaliste, vous fûtes acteur. Quels sont vos souvenirs du cours Simon aux côtés de Jacqueline Maillan, Pierre Mondy et Jean Carmet ?

- C'était une belle époque malgré qu'elle fût courte car je n'ai joué que quelques panouilles dans de petits films. Jacqueline Maillan paraissait déjà beaucoup plus âgée que son âge et elle jouait souvent ma mère dans les pièces que nous interprétions alors qu'elle n'avait que 22 ans. Je me rappelle que ma petite taille me posait beaucoup de problème. Je m'interrogeais constamment sur mes possibilités de devenir célèbre car ma taille n'était vraiment pas un avantage, tout comme Carmet d'ailleurs. Je me débrouillais plutôt bien malgré tout mais quelques personnes m'ont fait remarquer que j'étais plus doué pour l'écriture. Je me suis donc tourné vers le journalisme pour le cinéma.

 

- Une façon de vivre de votre passion ?

- Tout à fait. J'ai intégré Ciné Coulisses où j'ai terminé rédacteur en chef à tout juste 20 ans. Je m'y plaisais beaucoup mais hélas le succès ne fût pas au rendez vous et le magazine fit faillite. Aves de grandes difficultés j'ai pu rentrer à Cinémonde qui était une véritable institution à cette époque. L'ambiance était beaucoup plus bourgeoise et j'ai du faire mes preuves. Je n'avais que trois ou quatre personnes pour travailler à mes cotés et il me fallait avoir des idées avant les autres pour gagner mes gallons.

 

- Vous cumulez de plus les activités de peintre et d'écrivain ?

- C'est exact j'aime essayer de nouveaux challenges. Etre là où personne ne m'attend. J'ai horreur de la monotonie. En peinture j'ai débuté dans le figuratif puis je suis allé plus loin et j'ai longtemps travaillé sur le thème de l'abstrait. Professionnellement, j'ai crée les interviews vachardes dont le concept était autant télévisuelle que journalistique. J'ai été un précurseur avant Bouvard et ses Samedis Soirs ou les émissions de Polac telles que Droits de Réponse. Je passais beaucoup de temps dans la rue à interviewer des citoyens ordinaires à propose de leurs opinions sur telles ou telles stars. Cela a valu quelques moments cocasses. En revanche je n'ai jamais fait de radio. On m'avait proposé un concept à Radio Luxembourg mais je ne me sentais pas prêt. J'ai eu peur et j'ai refusé.

 

Pierre Guénin a attendu deux heures pour interviewer Jean Gabin (collection Pierre Guénin).

 

- Vous êtes aussi un militant actif pour la cause homosexuelle...

- En tant qu'homosexuel, j'essaie de véhiculer une image positive, loin des stéréotypes qu'on a trop souvent fait. A l'époque il était strictement interdit d'envisager la thématique de l'homosexualité masculine mais je m'y suis pourtant risqué en étant le premier à mettre en œuvre une presse spécialement dédiée au monde gay. Ce fût très difficile à l'époque de faire de telles revues. J'étais convoqué tous les trois mois à la Brigade Mondaine et je subissais les railleries de beaucoup de collègues dans le métier. On m'a obligé plusieurs fois à changer les titres mes magazines. Il a fallu lutter mais aujourd'hui encore je continue. Je décerne chaque année un prix Pierre Guénin pour la personnalité la plus militante de la cause homosexuelle.

 

- Aujourd'hui le journalisme est-il toujours un "quatrième pouvoir" ?

- Oui je crois et ce de plus en plus, en grande partie à cause du monde politique. Aujourd'hui le journalisme est fortement politisé. Il y a des enquêtes très importantes qui sont menées et certains disposent de pouvoirs et d'appuis importants dans leur travail quotidien. La difficulté principale réside dans le fait que la déontologie ne suffit parfois plus. Il faut faire très attention a ce que l'on dit. Il y a une forme d'auto censure qui s'est répandue et c'est cela que je trouve le plus dangereux pour le métier.

 

- Parlons de vos relations avec Louis de Funès, comment l'avez vous rencontré et quels sont vos souvenirs le concernant ?

- Je l'ai surtout connu quand il était un petit rôle secondaire. Nous étions au milieu des années 50 et j'avais alors une rubrique consacrée aux acteurs de seconde zone. A cette époque, ce n'était pas un acteur qui roulait sur l'or. Je me souviens être allé le voir dans une sorte d'HLM où il vivait avec sa femme et ses deux enfants dans un tout petit appartement. Nous avons réalisé l'interview puis je suis resté manger avec eux. Je me rappelle d'une famille vraiment charmante. Par la suite, lorsque je le croisais il était toujours très content de me voir.

 

Louis de Funès dans "Ah ! les Belles bacchantes" (1954). Au milieu des années 1950, certains de ses rôles sont déjà plus consistants et la presse commence à s'intéresser à lui (coll. cinemovies)

 

- A cette époque, peu de gens de la presse s'intéressaient à lui ?

- Non personne ne faisait vraiment attention à lui. Il n'était pas suffisamment populaire pour faire la une des journaux. Je me rappelle en revanche qu'il était très content de l'interview que nous avions réalisée. Il espérait que cela le fasse un peu plus connaître. Mais De Funès n'était pas le seul. De tout temps les acteurs comiques ont été décriés de leur vivant. La comédie a toujours été très mal vue.

 

- Vous l'avez ensuite interviewé lorsqu'il est devenu star comique numéro un ?

- Oui et cela s'est d'ailleurs gâté. Avec ce nouveau statut, il est devenu très méfiant des journalistes et il n'accordait pas d'entretiens facilement. C'est grâce à mon ami Sydney Bettex, décorateur sur énormément de films avec Louis de Funès, que j'ai pu l'approcher. Je me rendais souvent sur les plateaux lorsque j'en avais l'occasion. Mais lui-même me confiait qu'il n'était pas facile avec les journalistes. Il était souvent grincheux. Nos rapports se sont dégradés lorsque j'ai réalisé une interview un peu avant "Le Gendarme à New York". Cela s'était passé très vite, il ne m'avait pas dit grand-chose et j'avais par conséquent dû "meubler" ses propos pour rendre un article cohérent au journal. Apparemment il n'a pas apprécié et il est était allé voir Sydney en grommelant "Tu m'as mis un ami journaliste faux jeton, il raconte vraiment n'importe quoi !". A ce jour il est devenu vraiment froid avec moi.

L'interview en question : ICI

 

Au festival de Berlin 1960? David Niven met en joie Maurice Gardett (animateur d'Europe 1 et comédien dans "La Belle Américaine") et Pierre Guénin (collection Pierre Guénin).

 

- Comment se sont déroulées ces interviews ?

- Il n'y a jamais eu d'accrochages entre nous pendant nos entretiens. Mais je reconnais que c'était à chaque fois impressionnant. Parfois, je ne savais plus quelle question lui poser. Autant la première fois il était vraiment gentil, autant les fois d'après il était plus difficile à aborder. Je me rappelle d'un acteur très timide, réservé, n'osant pas se confier. Cela est typique des acteurs. Ils ont toujours une certaine réticence à notre égard car ils craignent que nous ne déformions leur propos. Surtout moi qui durant de nombreuses années ait réalisé des interviews totalement inédites par rapport au format utilisé alors. Tout dépend de comment vous abordez l'acteur. La sympathie joue énormément. Il y en a de très bavards et certains dont vous ne pourrez pas tirer trois mots. C'est le cas de Françoise Arnoul notamment et De Funès était plutôt dans cette catégorie d'acteurs. Je reconnais aussi que je n'ai jamais été un inconditionnel de son jeu. Il a fait d'excellents films et d'autres plus moyens. Je ne peux bien évidemment pas dire "mauvais" car De Funès est un acteur génial mais bizarrement je n'ai jamais vraiment accroché à ce comique.

 

- Vous n'avez donc jamais vraiment suivi sa carrière ?

- Non c'est exact mais je connais ses grands succès. Les films qu'il a tournés avec Gérard Oury sont vraiment excellents. A cette époque tout marchait très bien pour lui. Je me rappelle d'une phrase qu'il m'a dite. Je l'ai toujours gardée en mémoire car je l'avais trouvé un peu spéciale. Il m'avait confié : "Tout ce qui enlève de la dignité à l'homme m'amuse". Lorsque je me suis rendu à l'étranger, j'ai pu constater à quel point il était populaire. A Moscou notamment où il était une énorme vedette adulée des foules. Qu'importe où vous vous rendrez, vous trouverez forcément un DVD de Louis de Funès avec les doublages correspondants.

 

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