Yves VINCENT première interview / deuxième interview / troisième interview / Une biographie du comédien
AAAAA Nombreux sont les internautes qui nous demandent régulièrement des nouvelles d'Yves Vincent, comédien populaire qui a tenu des premiers rôles dans les années 1950 tant au théâtre qu'au cinéma, avant d'être appelé pour des rôles secondaires, notamment auprès de Louis de Funès dans la série du "Gendarme", et à la télévision dans le rôle du juge Garonne dans la série télévisée "Tribunal". Nous avons à nouveau fait appel à lui pour réaliser notre mise à jour consacrée à "Hibernatus" (juillet 2013). Dans le film d'Edouard Molinaro, Yves Vincent tient le rôle d'Edouard Crépin-Jaujard, partageant ainsi plusieurs scènes aux côtés de Louis de Funès. Yves Vincent nous évoque ci-après ses souvenirs de tournage sur ce film et fait un bilan de sa carrière. Qu'il soit chaleureusement remercié pour le temps qu'il nous a une nouvelle fois consacré.
Interview de M. Yves Vincent du 11 février 2013 par Franck et Jérôme
- M. Vincent, comment avez-vous été engagé pour le film d'Edouard Molinaro "Hibernatus" ? - Louis de Funès m'avait déjà fait engager un an auparavant pour le tournage du "Gendarme se Marie" et pour "Hibernatus" c'est lui qui m'imposa auprès de la production. Il m'avait renvoyé l'ascenseur car je l'avais connu il y a très longtemps, à la fin des années 1940, dans la pièce "Un tramway nommé désir" que mettait en scène Raymond Rouleau. Auparavant j'avais joué dans "Winterset", une pièce dans laquelle Louis de Funès, que je ne connaissais pas, jouait du piano. Il était très maigre et portait une moustache si mes souvenirs sont bons. Rouleau recherchait ce type d'acteur, avec un physique marquant, j'ai pensé à Funès et lui ai soumis l'idée. C'est ainsi qu'il fut intégré dans cette pièce dans laquelle il ne disait qu'une réplique "Allez quoi ! On joue ?". Il fut présent pendant les 200 représentations de la pièce et chaque soir, il ne fit que dire cette petite phrase. Plus tard, devenu vedette, il s'est souvenu de ce coup de pouce. Il m'a appelé en me disant "Je m'appelle Louis de Funès, vous vous souvenez de moi ? Je souhaiterais que vous jouiez le rôle du colonel de Gendarmerie dans le film que je vais tourner prochainement".
Yves Vincent, Louis de Funès, Yves Acarnel et Maurice Regamey dans "Un Tramway nommé désir"
- Quels sont vos souvenirs concernant le tournage d' "Hibernatus" ? - Je me rappelle d'une ambiance difficile même si les relations entre Molinaro et De Funès étaient correctes. Mais un jour, nous réglions un plan important avec Molinaro. De Funès n'était pas présent car il avait une doublure lumière, il était donc parti se reposer et se préparer dans sa loge. La préparation avait nécessité beaucoup de temps car le plan était assez compliqué je dois dire. Nous étions prêts et de Funès arriva alors sur le plateau. Lorsque Molinaro eut fini de lui expliquer ce qu'il attendait de lui, il partit dans une colère noire. Les 80 personnes présentes sur le plateau étaient médusées car nous ne nous attendions pas du tout à cette réaction de sa part. Au final, je dois admettre qu'il avait raison et que techniquement le plan n'était pas bon. Il eut en revanche des mots très durs à l'encontre de Molinaro puis, de colère, après avoir fixé les exigences pour ce plan, il quitta le plateau et rentra dans sa loge. Molinaro dit alors d'une voix très faible "Soyez gentils de faire ce que M. De Funès demande". J'ai patienté dans un coin du décor pendant quelques minutes et c'est alors que j'ai vu le metteur en scène caché dans un coin du décor entrain de pleurer. Je suis allé le voir, lui ai mis la main sur l'épaule pour le réconforter "Il ne faut pas lui en vouloir, il n'est pas méchant vous savez !" lui ai-je dit. Molinaro me répondit alors "Oui je sais ne vous inquiétez pas je le connais". Les techniciens préparèrent alors la nouvelle scène, selon les volontés de Louis, et celui-ci arriva sur le plateau sans que personne ne soit venu le chercher. Nous étions à vingt mètres l'un de l'autre et nos regards se croisèrent. Je lui fis un petit sourire amical et il me lança "Je donnerais cher pour savoir ce que tu penses". Je lui répondis "Louis, j'ai été dans ta situation il y a quelques années et ce que tu as fait, je ne me serais jamais permis de le faire !". De là, nous n'avons plus jamais tourné ensemble.
- Le film a connu de nombreuses réécritures... - Oui c'est exact il y eut une première mouture, pour laquelle j'avais signé et sur laquelle nous avions commencé à travailler. Environ deux semaines après le début de tournage je crois, Louis n'a plus voulu de cette version et il fallut réécrire et repenser le film en profondeur. Des personnages ont été créés, notamment celui de ma femme dans le film, interprétée par Annick Alane. Dans la première version, les scènes que je devais tourner ne faisaient pas mention d'une femme à mes côtés. Certains personnages ont gagné en importance, je ne crois pas me souvenir que le mien ait été avantagé ou non par le second scénario. Dans mes souvenirs, je crois que c'était assez égal. Il est vrai que de nombreuses réécritures sont apparues, très souvent au jour le jour. De Funès changeait beaucoup de choses mais c'était son mode de fonctionnement. Sur les Gendarmes aussi, l'équipe nous donnait notre texte à apprendre pour les scènes du lendemain et fréquemment, Louis arrivait en proposant totalement autre chose. Ce fut notamment le cas pour la scène du concours qu'il passait avec Galabru. Girault ne s'opposait jamais à ses volontés. Sur le plateau, Louis veillait aussi bien à la technique, qu'aux dialogues et aux acteurs qui l'entourait. Il souhaitait toujours plus de comique et il lui arrivait donc souvent de "sortir" du fil original de l'histoire. Cela fut fréquent pour "Hibernatus" où Louis souhaitait orienter cette comédie vers le vaudeville mais Molinaro se montrait plus réticent.
Louis de Funès avec son fils Olivier, Annick Alane et Yves Vincent
- De Funès, comme à son habitude, s'entoure d'une équipe de comédiens qu'il apprécie... - Oui c'est exact il a imposé beaucoup d'acteurs pour jouer à ses côtés. Cela révèle une fidélité mais aussi un intérêt. En choisissant ces acteurs, il savait qu'on ne le gênerait pas pour développer son comique. Nous allions dans le même sens que lui et il y trouvait un certain confort. Il me semble qu'il eût plus de réticences avec Paul Préboist, un clown génial dont il se méfiait. Je me rappelle d'une scène où il passait et repassait devant de Funès. La situation était comique mais j'ai senti Louis quelque peu dérangé par ce que faisait Préboist. Il me semble, mais ce n'est que mon avis, qu'il existait une petite rivalité, ou en tout cas méfiance, vis-à-vis de ce qu'il apportait.
- Comment s'est déroulé votre travail avec de Funès ? - Il y avait beaucoup d'improvisations mais cela ne me dérangeait pas. En revanche j'étais plus gêné par les changements continuels de texte. Apprendre consciencieusement ses lignes et arriver le matin pour constater que tout avait changé fut parfois pénible. Il fallait en permanence se réadapter. Ce film était une grosse production, avec énormément de personnes à payer et les dépassements ont coûté très cher. Les changements successifs qu'imposait de Funès avaient un coût, derrière il fallait tout chambouler, les contrats pour les acteurs et figurants, les décors, les équipes techniques... Il est intervenu dans énormément de domaines comme je vous l'expliquais. Pour le montage en revanche je n'en sais rien car je n'y participais pas.
- Quel souvenir général gardez-vous de ce film ? - Oh vous savez nous l'avons tourné il y a tellement longtemps qu'il est difficile de m'en rappeler avec précision. Je garde de très bons souvenirs de mes tournages avec Louis de Funès. Je garde en mémoire qu'il a fait appel à mes services alors que plus personne ne s'intéressait à moi pour le cinéma. Heureusement j'ai continué à vivre de mon métier grâce au théâtre. Je comprends aussi ses attitudes face au statut qu'il possédait car peu de temps auparavant je fus moi aussi tout en haut de l'affiche.
Louis de Funès, Yves Vincent et Claude Gensac dans "Hibernatus".
- Quel bilan tirez-vous de votre carrière ? - C'est un métier très dur, où il est toujours compliqué de percer et surtout de durer. Peu d'acteurs ont eu la chance de rester continuellement au plus haut niveau. Je n'ai pas honte de dire que j'ai tourné dans des films alimentaires car j'avais une famille à nourrir et qu'il me fallait trouver de l'argent mais je suis fier de mon parcours. J'ai joué dans de nombreuses pièces de Sartre, j'ai participé à la création de "La Putain Respectueuse". J'ai d'ailleurs une anecdote à ce sujet : Je reçois un jour un appel d'un professionnel qui me voulait dans un film. Il me prévient que le rôle est muet et qu'il s'agit d'une production allemande. Je m'attends donc, un peu étonné, à ce qu'on me propose de faire de la figuration mais il m'explique que le rôe, malgré l'absence de texte, gagne en profondeur au fur et à mesure du film. J'avais besoin d'argent et je signe donc pour tourner durant quelques jours. Le tournage se déroulait au Parc Monceau à Paris et à mon arrivée, on me présenta l'actrice avec laquelle je devais jouer. Elle ne parlait pas français donc nous conversions en anglais. Elle me demanda "Etes-vous comédien ? Dans quels films avez-vous joué ?" Je ne savais pas trop quoi dire mais je lui ai expliqué effectivement que j'étais comédien et qu'au théâtre j'avais notamment crée "La putain respectueuse". Yeux ébahis de ma partenaire qui me regarde et me lance "Mais je joue cette pièce actuellement à Munich !" Elle a certainement cru parler avec un fou et elle ne m'adressa plus la parole. Le lendemain, pour la seconde journée de tournage, j'attendais dans un coin du Parc Monceau lorsque je la vis arriver. Elle me regarda et me fit un grand signe amical. Elle tenait dans ses mains un exemplaire de la pièce où mon nom apparaissait. Elle s'est alors montrée parfaitement charmante jusqu'à la fin du tournage (rires). Comme beaucoup d'acteurs, j'ai connu le creux de la vague et ce ne fut pas toujours facile c'est vrai. J'ai véritablement pris un coup au moral lorsque mon imprésario, après quelque temps sans travail, m'appela, l'air un peu gêné pour me dire "Yves, je vous ai trouvé un rôle mais vous ne serez que très peu payé... et vous n'apparaîtrez pas en haut de l'affiche". J'ai alors compris que ce statut était terminé. Un mauvais film peut vite vous faire tomber dans l'anonymat. J'ai tourné dans un film très médiocre, "M. Scrupule, gangster" de Jacques Deroy, qui fut vraiment lamentable à tout point de vue. Par la suite, beaucoup de mes rôles ont surtout servi à payer mon gaz et mon électricité mais je m'en suis quand même sorti car j'ai pu vivre de ma passion toute ma vie. J'ai fait de belles choses et malgré le temps qui passe, grâce à des gens comme vous, je me remémore encore des souvenirs charmants.
Première interview (2007) / Troisième interview (2014) à propos de ses Mémoires Haut de page / Retour au sommaire des témoignages / Retour au sommaire principal
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