Chronique d'un film

 

LA ZIZANIE

un film de Claude Zidi, 1978


Musique de fond : bande originale de "La Zizanie", Wladimir Cosma, éditions musicales Vogue International.

 

AAAAAA "Je sens en moi plein de possibilités encore inexploitées. J'ai l'impression de redémarrer. Finalement, ce coup d'arrêt qui n'a pas trop mal fini, c'est très bien ! J'y vois plus clair. Cela va me permettre de dire non à un certain nombre de gens qui, je le sens, vont bientôt de nouveau penser à moi. Tout ça, c'est fini. Si je n'ai pas un vrai scénario sur lequel je puisse travailler au moins un an à l'avance je dis non. Combien de fois je me suis fait avoir. […] Sur certains films, trois heures après le début du tournage, je savais déjà que c'était le naufrage assuré…Un film par an. C'est tout. Maintenant c'est mon cœur qui commande… ". L'interview accordée par Louis de Funès au Journal du dimanche du 17 octobre 1976 illustre parfaitement la détermination et l'optique avec lesquelles l'acteur abordait sa "nouvelle carrière ", véritable renouveau à la suite de ses problèmes de santé. Ceux-ci l'avaient éloigné des plateaux pendant trois années, et dores et déjà de Funès était enterré pour un grand nombre de producteurs et réalisateurs. Après un retour réussi auprès du public et d'une grosse majorité de la presse dans "L'Aile ou la Cuisse", fruit du tandem Claude Zidi-Christian Fechner, c'est avec cette même équipe qu'il aborde son nouveau défi : "La Zizanie". Film au sein duquel il doit retrouver Annie Girardot pour lui donner la réplique.

 

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Le réalisateur Claude Zidi et le producteur Christian Fechner

 

LA GENESE DU FILM - L'AFFAIRE MOCKY

 

Bande Annonce du film

 

AAAAAA Le grand retour de De Funès s'est fait dans des conditions plus ou moins mouvementées. Sans la pugnacité de Christian Fechner, il n'est pas à exclure que la suite de la carrière de l'acteur eut définitivement été rangée au placard. Le biographe Jean Jacques Jelot-Blanc écrit d'ailleurs "qu'à trente deux ans, ce jeune producteur réussit un pari ambitieux. Il va dépenser vingt millions de francs et aborder un tournage de treize semaines alors que son comédien vedette n'est pratiquement pas assuré puisque seules les cinq premières semaines le furent ! " La préparation de "La Zizanie" va donc s'engager dans un cadre de travail et une ambiance tout aussi studieuse que celle du précédent tournage. Le Journal du Dimanche du 11 septembre 1977 annonce "Annie Girardot sera donc à l'écran la femme de Louis de Funès. Depuis longtemps, ils avaient envie de jouer ensemble, se souvenant qu'ils ont débuté avec les Branquignols (Annie Girardot a remplacé Colette Brosset durant la tournée)".

AAAqAAAAprès avoir réalisé "L'Aile ou la cuisse", Claude Zidi a accepté sans problème de signer "La Zizanie". Né en 1934, chef opérateur formé à l'école Louis Lumière , puis cadreur de Claude Chabrol, Zidi s'est lancé dans la réalisation en 1971 avec "Les Bidasses en folie" qui enregistre plus de sept millions d'entrées ! Le succès des Charlots rencontré, il a renouvellé l'exploit en 1973 avec "Le Grand Bazard". Il a également forgé sa notoriété avec Pierre Richard ("La Moutarde me monte au nez", 1974, "La Course à l'échalote", 1976) et, depuis "L'Aile ou la cuisse", a connu un nouveau succès avec Belmondo et "L'Animal".

 

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AAAqAAAPourtant, tout ne fut pas si simple pour monter le film. Celui-ci s'ouvrit par un contentieux opposant Fechner au réalisateur Jean Pierre Mocky, alors en préparation pour un film dont Louis de Funès devait être le héros et qui aurait traité l'univers de l'industrie. Le long métrage devait s'intituler "Le Boucan". Dans son autobiographie "Cette fois, je flingue" (Florent Massot, 2006), Mocky s'explique sans macher ses mots : "Christian fechner a ouvert le feu de mes ennemis mortels. C'est un charlot et un magicien qui a réussi des affaires mirobolantes. Un jour il a décidé d'engager de Funès et Belmondo en leur versant une rente annuelle et avec l'obligation de leur trouver des sujets. L'été 1977, j'étais tranquillement installé dans ma maison en Bretagne et le soir, à 20h30, une chaîne diffusait "La Grande lessive" [ndlr : un film réalisé par Mocky en 1968 avec Bourvil et Francis Blanche, ce dernier ayant remplacé de Funès que le réalisateur souhaitait initialement obtenir]. A 22h30, je reçois un coup de fil, l'interlocuteur se présente comme étant Louis de Funès. Je crois à une blague. "Ecoutez Jean-Pierre, je viens de voir La Grande Lessive, j'aimerais faire un film avec vous. Voyons-nous à Paris". Après notre rencontre, de Funès dit à Fechner : "Il y a un film que j'aimerais faire avec Mocky." [...] J'écris le scénario tout le mois d'août, [que] je fais parvenir à de Funès et à Girardot, et plus de nouvelles."

AAAqAAAQuelques semaines plus tard, Mocky apprend de Pierre Mondy la préparation de ce qu'il appelle "son" film. Même production, scénario globalement identique, mêmes acteurs principaux retenus. Le scénariste Pascal Jardin aurait accentué le caractère comique en reprenant le travail de Mocky. Ce dernier apprend également que la réalisation est confiée à Zidi. Il explique : "Celui qui avait été mon assistant dans "La Tête contre les murs" avait remporté quelques succès comiques. Fechner a permuté, jugeant Zidi plus commercial, donc bankable". Pourtant, comme l'a souligné son biographe Eric Le Roy, Mocky connaissait également des accueils chaleureux de la part du public. Preuve en est avec "L'Ibis Rouge" qui avait réuni - dans une ambiance décalée, poétique et farfelue - les excellents Michel Serrault, Michel Galabru, Jean le Poulain et Dominique Zardi. En outre, avant "Le Corniaud", Mocky avait déjà souhaité réunir Bourvil et de Funès, dans un film qui devait donner quelques années plus tard "La Grande lessive" avec Bourvil... et Francis Blanche. L'agent de De Funès refusant tout contrat pour moins de 7 millions de francs, Mocky ne parvint pas - à la différence d'Oury - à réunir les fonds nécessaires. De plus, en 1976, Mocky avait souhaité engager de Funès dans "Le Roi des bricoleurs". Pour les mêmes raisons financières, un accord n'avait pas pu aboutir et le rôle principal fut confié à Sim.

 

 

AAAqAAASi le plagiat est courant dans le milieu cinématographique, il est rare que les différends soient conduits devant les tribunaux. Or Mocky innova en portant plainte contre Fechner. Le réalisateur témoigne : "La justice a retenu 108 points communs entre mon scénario et celui signé Jardin. [...] Fechner a le bras long et le réseau m'a coupé les ailes. Ca a été le début pour moi d'une mise à l'index." Le 30 septembre 1977, la première chambre de la cour d'appel de Paris interdit toute publicité pour le film qui est saisi. Cependant, la saisie est levée par un arrêt du Tribunal de Grande Instance de Paris du 16 mars 1978. Curieux ? Selon le biographe Jean-Marc Loubier (Louis de Funès, le Berger des roses, Ramsay, 1991), "les avocats ont fait valoir le préjudice énorme qu'aurait entraîné, dans tous les secteurs de la profession cinématographique, la non-sortie du film". Ainsi, "La Zizanie" apparait pour la première fois sur les écrans le mercredi 22 mars 1978. La similitude des deux scénarios ayant été reconnue, Mocky considère avoir gagné son procès. Mais à quel prix ? Certes, la réparation du préjudice subi se matérialise par le versement de 250 000 francs des Films Christian Fechner au réalisateur, dédommageant le travail de préparation pour son film "Le Boucan" effectué au mois d'août 1977. Mais Mocky mesure également les conséquences de ce procès inabituel en évoquant ironiquement la grande solidarité qui régit le milieu cinématographique : "exclu des circuits de distribution, je suis alors devenu un émigré de l'intérieur, un SDF de la pellicule". Un aspect négatif qui le poursuivra au cours de sa carrière : ses films ne seront désormais plus distribués par les plus importants groupes français.

 

La justice française a tranché

 

LE SCENARIO

AAAAAA Guillaume Daubray, maire de petite ville de province, est un industriel spécialisé dans la fabrication de machines dépolluantes. Le CX-22 avaleur de fumée intéresse grandement la délégation japonaise qui signe un contrat de 3 000 pièces. En contrepartie, Daubray n'a que 90 jours pour livrer les machines. Le préfet lui refuse l'autorisation de s'étendre sur un terrain voisin. Guillaume décide alors d'agrandir son usine en envahissant sa maison et en détruisant le potager que Bernadette, sa femme passionnée d'horticulture avait confectionné avec le plus grand soin. Furieuse, elle le quitte et part vivre à l'hôtel. Lors des élections municipales , Bernadette se présente contre lui sous la bannière "Défense de la nature". La confrontation entre deux têtes du box office du cinéma français s'annonce savoureuse, malgré un sujet grave et sérieux tenant particulièrement à cœur à Louis de Funès. En effet, la pollution, l'industrie de masse, le respect de la culture et des produits naturels sont autant de thèmes qui lui sont proches et dont il est l'exact contraire de Guillaume Daubray dans la vie privée. On comprend donc qu'il s'investisse pleinement dans le tournage du film qui selon Maurice Risch "était assez spécial en raison des décors d'usine, de brouillard, de pluie… ".

 

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Daubray épate ses futurs clients japonais avec son dépolueur CX22...

... et avec d'autres inventions burlesques !

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AAAAAA L'histoire pourrait à l'heure actuelle faire sourire tant elle concerne des sujets qui sont devenus primordiaux. Mais à l'époque du film, ces problèmes n'étant pas encore sérieusement mis à l'étude, leur banalisation a sans doute contribué à faire de celui-ci un film attachant et drôle mais sans véritable fonds a dégager. La particularité de " La Zizanie " reste qu'il s'impose plus aujourd'hui comme un véritable témoignage de l'état de la planète et de ses enjeux. En effet, à l'heure où il faut concilier, comme le dit si bien Annie Girardot, croissance et bien être de la population, cette double volonté s'apparente plus à une utopie qu'à un véritable projet d'avenir. C'est en cela que la trame de fonds du film trouve plus un écho favorable dans ce nouveau siècle, le rendant presque intemporel. Le combat mené entre Louis de Funès et Annie Girardot pour sauver un couple battant de l'aile, même si ce sauvetage est surtout à placer à l'actif de madame, est un sujet lui encore d'actualité. On considèrerait presque ce film comme une véritable représentation de la société contemporaine même si il doit être replacé dans son contexte.

AAAAAA Le tournage commence sous les meilleurs hospices avec une équipe soudée autour de l'acteur fétiche. Georges Staquet se remémorait d'ailleurs tout cela : "Il y avait une très bonne ambiance, de bons camarades avec lesquels je jouais et tout ceci a duré relativement longtemps, plus de deux mois, ce qui nous a laissé le temps d'apprécier la cantine ! Comme Louis de Funès revenait de maladie et n'était pas très en forme, il faisait une scène et il allait se reposer." Maurice Risch confirme d'ailleurs, "l'ambiance était spéciale dans ces décors et cette atmosphère mais nous nous sommes beaucoup amusés à tourner. Par contre, il y avait en permanence un bloc de réanimation pour Louis sur le plateau." L'acteur redécouvre les joies de la comédie en s'entourant -une nouvelle fois - d'acteurs qu'il connait et estime.

 

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Mme Lacaze aime son maire hyperactif de mari. M. Daubray est un industriel ambitieux, déterminé, fourbe, travailleur... mais amoureux !

 

 

LA DISTRIBUTION

AAAAAA Le film repose sur une palette d'acteurs brillants tels que Jacques François et Philippe Brigaud, avec qui il a tournés dans "Les Aventures de Rabbi Jacob", ainsi que de vieux habitués comme Robert Destain ("Ah Les belles bacchantes", "La Grosse valse", "Les Grandes vacances"...) Hubert Deschamps ("Des Pissenlits par la racine", "Le Tatoué"...), Mario David (le masseur et souffre-douleur de Barnier dans "Oscar'). Presque tous sont venus faire une petite apparition auprès d'un acteur qu'ilsrespectent. Le docteur d'Annie Girardot est interprété par Julien Guiomar, récemment rencontré dans "L'Aile ou la cuisse". Aussi, dans l'effectif de Daubray, on pourra aussi apercevoir Maurice Risch en homme à tout faire, Jean-Jacques Moreau en contremaître, Georges Staquet en ingénieur. Les scènes de bagarres ont été - une fois encore - assurées par les cascadeurs de Claude Carliez (Henri Guéguan, Lionel Vitrant, Eric Vasberg...). Parmi les ouvriers à qui de Funès remet un chèque dans son bureau, figurent Ibrahim Seck, Henri Attal et André Badin. Ce dernier est un comédien habitué aux seconds rôles au côté de Louis de Funès ("La Belle américaine", "Faites sauter la banque", "Une souris chez les hommes", "Fantômas", Le Grand restaurant" etc...), il a livré à Eric Leguèbe une anecdote à propos de l'amour du métier de De Funès sur le tournage de "La Zizanie". "Je l'avais trouvé fatigué, surtout lorsqu'il venait de tourner une scène assez épuisante avec Annie Girardot et, je l'avoue franchement, de le voir amaigri en pyjama, cela m'avait fait un choc, et me faisait craindre pour sa santé. Je lui disais donc avec ménagement qu'il se donnait peut-être un peu trop. Il me répondait : "Foutez moi la paix." Puis, désignant Annie Girardot : "Il y a quelqu'un de solide en face de moi, s'agit pas d'être en dessous." Puis il est parti un peu à l'écart dans le décor. Je l'ai suivi et il a poursuivi : "Je vais très bien, et je vais continuer à aller bien parce que cela me plait et il faut que je le fasse, car si je m'arrête trop longtemps pour me reposer, je ne retrouvrerai plus le même punch, je serai fichu. Je suis en haut, il faut que j'y reste et tant que je pourrai y rester, cela ira bien. Si je descends, ce sera pour aller à la pêche ou dans mon jardin, mais je ne reviendrai plus." "Et vous serez heureux ?" "Ca, ce sera mon affaire". J'ai continué : "Moi, je ne crois pas. Ou alors, vous monteriez une troupe théâtrale dans votre village pour redécouvrir les joies du départ à zéro." Il m'a regardé de ses yeux qui, je crois savaient lire dans le regard des autres et s'est mis à rire, et moi aussi."

 

L'ouvrier André Badin vient récupérer son chèque à la fin du mois.

 

AAAAAA Bien évidemment, "La Zizanie" est un énième "buddy-movie" pour Louis de Funès, qui partage cette fois-ci la vedette non pas avec un homme, mais avec une actrice touchante et talentueuse : Annie Girardot. Née en 1931, cette comédienne a déjà derrière elle une solide carrière lorsqu'elle tourne ce film. Elle a connu de vifs débuts, conservatoire, Comédie Française, Molière, Marivaux, et des soubrettes à foison avant que Jean Cocteau ne l'impose dans "La Machine à écrire" en 1956. Quatre ans plus tard, elle a connu un franc succès avec Alain Delon dans "Rocco et ses frères" de LuchinoVisconti. Avec Audiard, elle est une femme de ménage trop bavarde dans "Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas mais elle cause" (1969), puis "Elle cause plus, elle flingue" (1972). Elle a enfin rassemblé plus de six millions de personnes lorsqu'elle interprète l'authentique affaire Gabrielle Russier dans le boulversant "Mourir d'aimer" d'André Cayatte (1971).

 

Annie Girardot et Dominique Zardi dans "Elle Cause plus... elle flingue" de Michel Audiard

 

AAAAAA Comme avec Philippe Noiret dans "Tendre Poulet " qu'elle vient de tourner (1977), la comédienne est ravie de travailler sur "La Zizanie" avec un partenaire dont la qualité et le talent ne sont plus à démontrer. Dans son autobiographie "Partir, revenir" (Le Cherche midi, 2003), elle confie ses a priori sur le comédien avant de reconnaître son erreur. "On m'avait dit, tu verras, il n'est pas commode, le bonhomme. Je pensais qu'il devait se prendre pour le nombril du monde, le plus grand comique de sa génération, que sais-je encore... Et dire que j'aurais pu passer à côté de l'être le plus exquis, uniquement d'après des rumeurs idiotes, dont je devrais pourtant me méfier, depuis le temps ! Louis de Funès... Presque un monument national." Reconnaissante et admirative de son génie, touchée par sa discrétion, sa délicatesse et sa gentillesse, elle confiera lors de plusieurs interviews qu'elle ne garde que d'excellents souvenirs de lui. Dans son livre souvenirs, la comédienne ajoute : "La rencontre avec Louis est l'un des événements les plus importants de ma vie. Le bonheur que cet homme m'a donné ! Le plaisir que j'ai eu à tourner avec lui ! Il m'a tout appris. Je découvre un homme magique. Un clown grave. Je le pensais réservé, il est curieux de tout, il a le goût des choses, des autres, de son travail. Son talent éclate de partout, son inventivité n'a pas de fin. Il est artiste dans le sens où tout l'inspire, tout l'enchante, avec la volonté d'aller toujours plus haut."

AAAAAA Et cette complicité se sent dans chaque scène du film, transcendant ainsi la simple vision d'un couple cinématographique. La caméra apparaît véritablement dans leur quotidien qu'ils jouent comme s'ils vivaient ensemble depuis des lustres. Au vu de ses performances particulièrement brillantes, Louis de Funès ne tarira pas d'éloges sur sa nouvelle partenaire pensant avoir en face de lui à nouveau la complicité et la tendresse qu'il avait avec André Bourvil. Annie Girardot livre une nouvelle fois son témoignage à propos de lur complicité : "Lui et moi, nous nous comprenons. C'est une histoire d'amour très pure. Je ne le comprendrai que lorsqu'il nous quittera et que le manque de lui se fera sentir tous les jours, cruellement, définitivement."

 

 

M. Daubray improvise au billard...

 

AAAAAA Suffisamment à l'aise au sein de cette équipe, et doté d'un perfectionnisme méticuleux, il ira jusqu'à tourner la cascade de l'une des scènes finales en usine, suspendu à plusieurs mètres en dessus du sol. Maurice Auzel, sa doublure officielle pour les cascades, n'aura qu'à tourner un raccord de quelques secondes. Toutefois, si le tournage se déroule manifestement sans anicroche, l'accès aux plateaux à Boulogne-Billancourt sont rigoureusement interdits à la presse et aux curieux. Seuls le cardiologue et la femme de Louis de Funès sont autorisés à rester en permanence dans les studios. En parrallèle, la production n'hésite pas à investir 1,5 million de francs pour le budget promotionnel.

AAAAAA Si petits et grands trouvent leur bonheur dans cet ensemble de quiproquos, c'est non seulement parce que Louis de Funès laisse libre cours à son imagination, certes, mais aussi grâce à un travail de qualité de Claude Zidi pour lequel Louis n'aura que peu de corrections à effectuer. Certains gags sont irrésistibles, mention spéciale à la délivrance des chèques de fin de mois, dont la taille est proportionnée à l'aspect physique de chaque ouvrier.

AAAAAA A sa sortie, le 22 mars 1978, le film est projeté dans 277 salles et connaît un succès honorable en réunissant près de trois millions de spectateurs. Handicapée par les sorties parrallèles de "Rencontres du troisème type" et de "La Fièvre du samedi soir", peu épargnée par les critiques véreux de intelligentsia, "La Zizanie" demeure néanmoins la comédie française la plus vue dans les salles obscures de l'année 1978. Il n'empêche que le film ne confirma pas la réussite de "L'Aile ou la cuisse", ce qui inquiéta certains journalistes sur la durée de vie de cette seconde carrière que certains voyaient déjà comme un feu de paille. Le budget total du film avoisinant les vingt trois millions de francs, la production fut colossale mais parait a posteriori disproportionnées aux résultats. L'investissement lourd fut évidemment compensé par les recettes - car distribuer un "de Funès" ne relevait jamais du risque pour un producteur - mais ce ne fut pas une victoire écrasante pour le comédien français le plus populaire. Avec une pointe d'amertume et de revanche, Mocky constate dans son autobiographie : "Le film de Fechner, "La Zizanie", n'a pas marché fort."

 


AAAAAA Malgré tout, ce film, s'il est moins bon que "L'Aile ou la cuisse", marque une qualité de production dont Claude Zidi a le secret et vaut son pesant d'or en matière comique. Encore plus lorsqu'on connaît la suite de la carrière de De Funès, avec les deux derniers "Gendarme" ou "La Soupe aux choux", qui font véritablement pauvres face aux productions conséquentes des années 60 auxquelles nous avions été habitués. Mais il serait trop facile de jeter la pierre et parait davantage judicieux de saluer la performance non négligeable de Louis de Funès et d'Annie Girardot. Leur alchimie fonctionna, ils s'entendirent à merveille. Pourtant, ils ne se revirent plus jamais par la suite. La comédienne précisait en 2003 : "Avec Louis, la séparation est brutale, terrible. Du jour au lendemain, plus de nouvelles. Impossible de le joindre, de lui parler. Quand Louis ne tourne plus, il disparaît, sa vie privée le tient éloigné de la scène au point qu'on ne peut même pas lui parler ! [...] Pourtant, j'avais une jolie idée de film pour lui. Je sais que si Louis avait interprété des rôles dramatiques, il aurait été aussi bouleversant que Chaplin. [...] Deux ans plus tôt, José Giovanni m'avait raconté l'histoire vraie d'un homme emprisonné pour faute militaire en 1914 et qu'on avait oublié de relacher. Il passait sa vie en prison, à s'occuper de l'intendance, de la cuisine, ou à tailler les costumes des geôliers. Tout le monde s'était habitué à lui, on le traitait comme faisant partie du personnel, mais on l'enfermait tous les soirs. Plus personne ne se souvenait des raisons de sa présence. D'ailleurs, lui-même avait oublié. [Un] fonctionnaire demanda que cet homme soit libéré imméditement. Lorsque celui-ci mit le nez dehors après plus de cinquante ans, il fut pétrifié par le bruit de la rue, les voitures, tout allait trop vite, tout lui faisait peur. Bref, au bout de 48 heures de mésaventures cocasses ou poignantes, il supplia qu'on le remette en prison. Et l'administration accepta. Louis aurait été formidable dans ce rôle. L'occasion pour lui de montrer ses talents dramatiques. Malheureusement, je n'ai même pas pu lui en parler."

AAAAAA Là où plus d'un aurait préféré se reposer sur ses lauriers et sa suffisance, c'est la passion pour son métier et l'amour du public qui ont invité de Funès à se sublimer dans "La Zizanie". Certes en deçà des films précédents, mais sous un angle nouveau qui n'en reste pas moins attachant, direct et percutant. Beaucoup avaient dit de lui des choses fausses et souvent méchantes, notamment que ce film le verrait assis dans un fauteuil roulant et uniquement de dos, voire doublé pour la majorité de ses scènes. Joli pied de nez qu'il devait leur faire en répondant sur grand écran, sans méchanceté et avec les armes qui lui sied le mieux : celle de faire rire, d'amuser et d'émouvoir… Si certains ont été déçus de son retour, le public, lui, en a redemandé !

 

 

Dossier de presse du film, Espagne, 1978 (collection des auteurs).

 

Crédits - sources - bibliographie :

- Interviews de Georges Staquet et Maurice Risch par les auteurs - www.autourdelouisdefunes.fr

- Jean Jacques Jelot Blanc, Louis de Funès, une légende, Paris, Anne Carrière, 1993.

- Eric Leguèbe, Louis de Funès, Paris, Dualpha, 2002.

- Brigitte Kernel, Louis de Funès, Monaco, Édition du Rocher, 2004.

- Annie Girardot, Partir, revenir, Paris, Le Cherche mdi, 2003.

- Biographies d'Annie Girardot et Claude Zidi in C.-M. Bosséno, Y. Dehée (dir.), Dictionnaire du cinéma populaire français, Paris, éditions Nouveau Monde, 2004.

- Jean-Pierre Mocky, Cette fois, je flingue, Paris, Florent Massot, 2006.

- Eric Le Roy, Jean Pierre Mocky, Paris, Biffi/Durante, 2000.

- DVD "La Zizanie" Canal +, film et bonus (photos et interviews)

 

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