Chronique de film

Des Pissenlits par la racine

un film réalisé par Georges Lautner (1963)

 

 

Ames sensibles s'abstenir !

aaaaa Il n'est pas obligatoire de poser de tels gardes fous mais cela semble toutefois préférable tant le film de Georges Lauter a pu susciter de critiques, de méchancetés, de commentaires désagréables aussi bien des "fans" de Louis de Funès que de la presse écrite (bien pensante selon certains, abstention de rire s'il vous plait). Critiques qui - en outre - se veulent rarement fondées, mais ont toutefois le caractère d'exister…Pour le reste… Après tout, nous aussi nous ne défendons que notre propre opinion ! Et pourquoi s'attacher à démolir ce qui n'est pas original, ce qui ne rentre pas dans un moule précis ? Serge Korber a eu, lui aussi, à subir de front de vives oppositions. La faute à un scénario aux alentours de comédies musicales ou de tragico-comédie dans une voiture suspendue. Louis de Funès n'y joue pas que du de Funès : Scandale !

aaaaa Après tout il s'agirait de répondre aux irréductibles du jeu nerveux de Louis de Funès et de ses scénarios estampillés sur mesure que la période postérieure à ses premiers soucis de santé marquent un tournant radical dans son optique de jeu, alternant colère (classique mais qui peut lui en vouloir ?), humour, sensibilité et parfois même des touches d'amour (distribuées avec beaucoup de limites il est vrai). Ceux-là même viendront tour à tour vous confier que ces films se classent certainement parmi les meilleurs de Louis de Funès... en oubliant volontiers que l'intéressé lui-même confiait qu'il a pour la première fois abandonné sa marque de fabrique et joué autrement, mentionnant au passage que son ancien comique ne l'attire plus autant !

aaaaa Il ne s'agit pas de parler d'injustice mais, tout de même, on peut raisonnablement s'interroger sur le fait que certains de films de qualité passent parfois injustement à côté d'un succès qui aurait été justifié et mérité avec pour seule et unique raison un thème, une histoire, un jeu qui ne répondent pas à cette étiquette indécollable et pérenne que l'on fixe sur chaque acteur. Bref, on ne refait pas le passé mais on peut tout de fois essayer de le comprendre et d'en apporter une explication rationnelle, en tout cas plus rationnelle que certaines opinions de l'époque. Tentons au moins à travers ces quelques lignes de relever le défi. Les amateurs du cinéma de Lautner savent combien ce dernier est attaché aux acteurs, techniciens et collaborateurs qui lui sont familiers.

 

II

Louis de Funès dans le film en 1963. A gauche, une scène que Georges Lautner se rappelle parfaitement : "Les tournages avec lui [Louis de Funès] se passaient aussi bien qu'avec les autres acteurs. Louis savait exactement ce qu'il faisait. Je me souviens toutefois d'une improvisation : nous tournions une scène avec Mireille Darc et Raymond Meunier où il jouait un malade. Ce jour-là, Louis était arrivé en retard sur le plateau, ce qui l'avait rendu d'une humeur anxieuse. En jouant, il a fait de l'improvisation avec ces bredouillages. (propos recueillis en janvier 2008 par les auteurs).

 

Histoire de famille

aaaaa Parmi ces familiers donc, outre Mireille Darc, Francis Blanche, Venantino Venantini ou Maurice Biraud, se trouve un Louis de Funès au vedétariat grandissant. Pas exactement un compère récurent de la bande à Lautner mais une connaissance de longue date du réalisateur. En janvier 2008, Georges Lautner nous confiait au cours d'une interview : "J'ai rencontré Louis de Funès en 1942 lorsqu'il était pianiste à la Madeleine. Dans un bistrot à Bagatelle, il tenait le piano à 4 mains avec l'inspecteur. Lorsque ce dernier jouait seul, de Funès montait sur le piano et chantait. Nous nous connaissions car sa sœur était la meilleure amie de ma mère et nous nous entendions bien." A cette époque, Louis de Funès a multiplié les prestations en excellent second rôle, crédible et appliqué, en passe de confirmation pour grimper un échelon supérieur (et ô combien difficile et risqué). En 1963, il a déjà rencontré un formidable succès populaire en tenant le sommet de l'affiche dans l'excellent "Pouic Pouic", la confirmation ne tardera pas... Tandis que plusieurs projets apportés par Maurice Regamey ou Jean-Daniel Daninos ne voient pas le jour, Louis de Funès accepte de tourner dans le prochain film de Lautner. Alors, forcément, donnons à De Funès ce qui appartient à de Funès à cette époque ! Soit un bon rôle, pas de tout premier ordre mais capable tout de même de s'affirmer dans des plans longs, concrets, qu'il affectionne (et là réside le talent de Lautner) bon public, qui donne à ses acteurs à mesure qu'il reçoit. Par ailleurs, Lautner se souvient que "Louis n'était alors pas très connu et ce ne fut pas difficile de l'engager".

 

Louis de Funès, avec Mireille Darc et Guy Grosso. Film entièrement à part dans la carrière de l'acteur - comme "La Putain respectueuse" - ou erreur de casting ?

 

aaaaa Inspiré du roman de Clarence Weff intitulé "Y'avait un macchabée", le film met en scène Jo Arengeot et Pommes-chips, petits bandits fraîchement sortis de prison. Après avoir joué au tiercé pour son ami Jo, Pommes-chips glisse le ticket dans le revers de sa veste et disparaiten poursuivant Jack, un rival amoureux. Contre toute attente lors d'un corps à corps, le peureux Jack tue Pommes-chips, avant que Jo ne découvre qu'il a gagné au tiercé, et n'essaie de récupérer son ticket gagnant. Où se trouve donc le corps de Pomme chips ? Tous les protagonistes partent la recherche du défunt. En toile de fond du film, une pièce de théâtre intitulée "La Lune dans la bière", une pièce jouée pour la cinquième année au Théâtre de Paris. Jérôme, le cousin de Jack y joue de la contrebasse, dont la caisse servira à transporter le cadavre de Pommes-chips.

aaaaa C'est un rôle à contre emploi qui est ici étonnamment frappant mais nullement désagréable. Tout le paradoxe réside à faire cohabiter le drame au comique. En effet, il y est question de meurtres, de chasse au cadavre, de disparitions, de menaces.... Pourtant, comme dans "Jo" qu'il tournera en 1971, de Funès tue mais fait rire aussi ! Un comble tant les assassins ont d'habitude le rôle du salaud. Il s'agit donc de faire perdurer cette opposition tout au long du film. Peu évident. Très dur mais pas irréalisable. Pour cela, la distribution est essentielle et dans ce domaine Lautner pourrait être vulgairement baptisé comme un "vieux singe" tant ses castings se révèlent toujours aussi payants. Au comique de De Funès et de Serrault s'opposent les basses, les voix graves et profondes de Maurice Biraud, Raymond Meunier, Venantino Venantini…Aussi, de Funès est mis en lumière aux côtés de vraies valeurs du cinéma tels Francis Blanche et Darry Cowl. En définitive, il faut en conclure que, dans cette composition, tous ces qualificatifs n'ont en réalité pas beaucoup de sens puisque chacun donnant dans le comique ou le tragique en fonction des scènes.

 

AA

Francis Blanche joue formidablement l'oncle burlesque Absalon (collection F&J)

 

Les Cadeaux

aaaaa L'apport d'Audiard, que Jean gabin a un jour considéré comme "un cadeau", fait une fois de plus mouche. Les dialogues sont savoureux, précis. Peut être trop précis du reste pour Louis de Funès puisqu'ils ne sont guère crédibles chez celui qui à en adoration les films muets et souhaitent s'exprimer le moins possible par les mots ! Certains diront que de Funès n'avait vraisemblablement pas la bouche pour réciter les dialogues signés Audiard. Oui mais "réciter" n'est pas jouer... Il campe un Jockey Jack traqué, à l'affût, transpirant et peu sûr de lui ! Au final, il tient peut être un rôle peu adapté à son jeu habituel mais il ne dérange pas. Son comique cadre mal avec l'ambiance générale et l'atmosphère du film. Mais pas non plus de quoi oublier ce film parmi ceux tournés par de Funès. Ou alors il faudrait aussi se débarasser de "Faîtes sauter la banque", une comédie gentillette sans prétention tournée peu après et qui, contrairement à ce que l'affiche mentionnait, ne fut pas "un nouveau film de Funès à tout casser !"

 


DES PISSENLITS PAR LA RACINE 1

Générique et premières scènes du film avec d'excellents comédiens sur les dialogues d'Audiard

 

aaaaa Quelques seconds rôles, comme celui d'Yves Barsacq voire de Michel Duplaix, sont délicieux pour le peu de temps qu'il leur est consacré. Chose rare, ils jouissent d'un comique tout aussi construit ! Et quels partenaires en face pour notre cher de Funès ! Difficile de renvoyer aussi bien la balle à un Serrault ou un Biraud. Pourtant il y parvient, pas de la meilleure façon, mais la performance mérite d'être soulignée ! Mention bien aux deux acteurs cités précédemment pour leurs prestations à la fois solides et subtiles…un must !

aaaaa Ce qu'il y a enfin d'extraordinaire chez Lautner c'est aussi la palette de seconds rôles que l'on retrouve au travers de ses films. De vrais "cadeaux" aussi, et à eux seuls ! Barsacq y est excellent, tout comme Raymond Meunier, le génial La Douane. Nous n'allons pas établir un listing complet mais il faut aussi souligner les interventions courtes mais savoureuses de Guy Grosso, Hubert Deschamps, Albert Michel ou Venantino Venantini. Soulignons en dernier lieu le talent, la jeunesse et la fraîcheur de Mireille Darc qui apportent beaucoup à ce film.

 

Le film comprend d'excellents seconds rôles comme Mireille Darc, Maurice Biraud et Raymond Meunier (collection F&J).

 

Un chef d'oeuvre ?

aaaaa Alors pouvons nous parler de chef d'œuvre ? Ce terme ne signifie pas grand-chose c'est pourquoi il est préférable de l'éviter. En dépit d'une image très (trop ?) sombre, voire sordide, et quelques racords approximatifs, "Des Pissenlits par la racine" est un très bon film. Transcendant ? Non mais il reflète une bande de copains, un peu à l'image des "Tortillards" ou des films des Branquignols. Achevé en novembre 1963, sa sortie tarda en raison du succès des "Tontons flingueurs" et fut éclipsée par le succès "100 000 dollars au soleil". Un film sans prétention, agréable et recueillant un modeste succès à Paris en provine. De toute manière, il était couru qu'il serait décrié par beaucoup. Faute de budget, que l'on n'a pas accordé à Lautner après les dépenses générées par le tournage des "Les Tontons flingueurs", les décors quelque peu simplistes ne sont au final pas désagréables et restent dans le ton du film. Seul point faible, la représentation théâtrale plutôt longue et sans réel intérêt du point de vue purement scénique (puisque derrière au contraire se joue le meurtre de Pom'chips). Au mieux une parodie loufoque entre "Prince Igor" et "Guerre et Paix"... Au final il est difficile de pouvoir expliquer pourquoi ce film ne fût pas un véritable succès. Incompréhensible peut-être ? Pas tant que cela... Gageons que l'intelligencia considéra ce film comme "facile" et le catalogua dans la rubrique "sans intérêt particulier" sans avoir pris 90 minutes pour le regarder. Pari stupide car, de toute évidence, l'intelligencia et les critiques littéraires n'ont jamais aimé Lautner, pas plus qu'ils n'ont aimé Grangier ou Verneuil. Dommage car ce vaudeville bien ficelé vieillit bien avec une distribution parfaite et des dialogues signés Audiard. En outre, sa réédition en DVD prouve sa valeur, toujours actuelle. Bien plus actuelle que celle des critiques apprenti cinéphiles.

 

Michel Serrault en vedette dans la représentation théâtrale (collection F&J)

 

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