Clément MICHU

 

AEZAIE Vous ne connaissez peut être pas son nom mais son visage ne vous est pas inconnu. A l'instar de Dominique Zardi ou d'Yves Barsacq, Clément Michu - puisque c'est de lui dont il s'agit - est l'un des grands seconds rôles du cinéma français. L'inspecteur Guyomard, adjoint du commissaire Moulin durant près de trente ans c'est lui. Martin, le compagnon de Thierry La Fronde encore lui. Le Gendarme maladroit et ahuri des "Aventures de Rabbi Jacob", toujours lui !

AEZAIE Car Clément Michu a tourné avec Louis de Funès à trois reprises et à chaque fois dans un film de Gérard Oury. Dans "La Grande Vadrouille", il est l'un des employés postaux de la gare de Chalon sur Saône auprès duquel Bourvil vient s'enquérir et dans "La Folie des Grandeurs", le serviteur bègue annonçant à Louis de Funès l'arrivée de la reine. Considéré comme son acteur fétiche par Oury, il lui obtiendra à chaque fois des compositions, hélas souvent brèves, dans ses films à succès. On regrettera que les professionnels du métier ne lui aient jamais accordé plus de confiance et de libertés dans ses compositions. Ce comédien nous a quittés en octobre 2016 à l'âge de 80 ans.

AEZAIE Ayant fait de sa principale passion son métier durant de nombreuses années, il tournait un regard éclairé et lucide sur sa carrière lorsque nous l'avions interrogé. Humble et disponible, nous vous retranscrivons l'interview intégrale qu'il nous a accordée en 2011. Un grand merci à lui.

 

 

Interview de Clément Michu du 26 août 2011 par Franck et Jérôme

 

- M. Michu, votre première apparition remonte à 1957 dans "Périclès, Prince de Tyr" au théâtre de l'Ambigü, comment a débuté votre carrière d'acteur ?

- J'étais élève au Cours Simon et Périclès était une pièce que nous avions montée avec l'ensemble de la promotion et dans laquelle nous tenions tous des rôles secondaires. Je viens de province, je suis né à Villeurbanne et j'ai commencé par faire du cabaret. Je me produisais à Lyon, à Grenoble puis en Savoie et j'ai fini par monter sur Paris où j'ai fait quelques attractions dans des cabarets qui marchaient plutôt bien. Ensuite avec le théâtre Gramont nous sommes partis en tournée. Ce furent mes premiers véritables débuts.

 

- En 1962, vous tournez dans "Un clair de lune à Maubeuge", votre premier film, quels souvenirs gardez-vous de ce premier rôle ?

- Je devais avoir un rôle consistant mais c'est finalement Claude Brasseur qui a été choisi car il était plus connu. Je me suis donc retrouvé dans la peau d'un photographe qui était un rôle plus modeste. Par la suite j'ai toujours aimé mélanger les genres puisque j'ai tourné évidemment au cinéma mais aussi des séries télé et j'ai fait quelques pièces de théâtre.

 

- Est-ce au début des ces années 60 que vous rencontrez Louis de Funès ?

- Non je ne l'ai pas connu avant les tournages. En revanche Gérard Oury était un ancien du Cours Simon et il venait souvent assister aux auditions, c'est ainsi que nous nous sommes connus. Il voulait que je sois de tous ses films, il me disait toujours "Tu es mon porte bonheur, je vais encore te faire tourner". Par la suite il a tenu parole puisque j'ai été des grands films qu'il a réalisés jusqu'à "La Carapate". Hélas je n'ai jamais eu de rôles très consistants, je tournais en règle générale deux ou trois jours et souvent dans des rôles de gendarmes ou de militaires.

 

Avec Bourvil dans "La Grande vadrouille" en 1966

 

- Comment se sont déroulées vos scènes avec de Funès ?

- J'aurais beaucoup aimé tourner plus longtemps avec lui. Je ne restais que brièvement sur les plateaux et par conséquent nous n'avons pas pu vraiment discuter. J'étais logiquement très réservé face à lui mais il n'était pas quelqu'un de très abordable. Avec Oury il rigolait beaucoup, mais il était un peu plus distant avec les autres. Je me rappelle que sur le plateau, en raison de sa personnalité et de sa nature, les gens étaient toujours un peu tendus et devenaient plus souriants dès que Bourvil était à ses côtés. La scène de la Gare de Lyon de "La Grande Vadrouille" a duré deux jours je crois, c'était relativement court mais je me rappelle une anecdote qui m'avait beaucoup fait rire. Un matin, alors que nous attendions de tourner, j'étais posté près d'un poteau et derrière moi Bourvil feuilletait un cahier pour voir le travail effectué la veille. Il lança alors à Oury de sa voix inimitable "Gérard tu as fait beaucoup plus de gros plans de Louis que de moi hier" (rires). Malgré tout, j'ai pu constater une bonne complicité entre ces deux immenses acteurs.

 

- Parler de la Seconde Guerre Mondiale de cette façon était-il risqué ?

- Je pense que la manière dont Gérard Oury l'a traitée passe très bien. Bien sûr que le sujet était difficile mais sa façon de l'envisager, avec humour, fait que c'est un film qui réconcilie vraiment plus qu'il ne dénonce. Il y a eu tellement de comédies très lourdes par le passé concernant cette période qu'il fallait vraiment le style de Gérard pour faire un film de cette qualité. D'ailleurs à sa sortie, je n'ai vu qu'une presse dithyrambique.

 

- Vous tournez aussi dans "La Folie des Grandeurs", quels souvenirs gardez-vous de ce premier vrai face à face avec Louis ?

- J'avais une très bonne scène mais celle-ci a été coupée au montage. Cela m'avait d'ailleurs rendu triste puisque peu de temps après le tournage, je rencontre la monteuse du film lors d'un voyage en avion qui m'aborde et me dit "Clément nous venons de visionner ta scène avec Louis et Yves, qu'est ce que nous avons ris avec Gérard !" Et lors du visionnage je me suis aperçu qu'elle avait été coupée, Oury est venu s'en expliquer : "J'ai plus de deux heures de pellicules j'ai dû faire beaucoup de coupes". Finalement on ne me voit que dans cette courte scène où j'annonce la reine en bégayant face à De Funès.

 

En valet face à Louis de Funès et Yves Montand dans "La Folie des Grandeurs" en 1971

 

- Quelle était exactement cette scène coupée ?

- Il s'agissait d'une scène de nuit dans laquelle je me levais, me déplaçais avec un chandelier et où je surprenais De Funès et Montand dans une pièce. Je me rappelle qu'Oury me disait "Fais attention de ne pas trop faire rire, Louis n'aime pas ça !". Cela m'avait d'ailleurs posé un peu problème lors de notre scène commune des "Aventures de Rabbi Jacob" où je jouais un flic complètement abruti. Je ne savais vraiment pas si je devais faire rire ou non j'étais perdu face à lui.

 

- Comment travaillait-il ?

- Louis donnait toujours l'impression d'improviser mais en réalité le travail d'Oury en amont était tel que cela laissait peu de places pour la création. Mais c'était sa façon d'être et de jouer. D'ailleurs lorsqu'il a interprété "La Valse des Toréadors" au théâtre cela n'a pas très bien fonctionné parce qu'il ne faisait pas du De Funès. Il avait son style qui lui était propre. Il avait en outre une famille de cinéma avec laquelle il se sentait bien. Je pense bien sûr à Michel Modo que j'ai bien connu et qui avait un immense respect pour lui ! Je pense que contrairement à un Fernandel, il aurait eu plus de mal à tourner des rôles plus tragiques ou tristes. Il n'avait pas envi d'émouvoir. D'ailleurs il s'en défendait toujours en disant "Pas besoin de ça !". Ce n'était pas un style qui l'intéressait. Aujourd'hui il est toujours aussi populaire, grâce à son comique nerveux et efficace dans lequel les jeunes se retrouvent. Et quel comique ! Je l'ai vu sur scène dans "Oscar", il était hallucinant ! A mille lieux du film, où l'on peut couper les scènes et se reposer entre les prises mais sur les planches c'était du délire. La scène de massage avec Mario David, quel moment de pur bonheur ! Je suis fan des acteurs de cette trempe. Hélas je n'ai plus jamais tourné avec lui mais j'ai su plus tard que j'avais été pressenti pour interpréter un Gendarme mais cela ne s'est pas fait.

 

- Comment se déroulait un tournage avec Oury ?

- Il était très pointilleux, assez autoritaire et exigeant. Mais il avait en même temps beaucoup d'humour et il était rempli d'humanité et de gentillesse. Il veillait constamment à vous prendre dans un coin du décor pour essayer de discuter avec vous du rôle et tenter de l'améliorer. Il arrivait avec un plan de travail très abouti et il est d'ailleurs dommage que tous ses films n'aient pas connus le même succès car certains étaient aussi forts ! Concernant le tournage de "La Folie des Grandeurs" je me rappelle que Montand avait été particulièrement charmant avec moi. Il me répétait toujours " Ca va fils ? ". En définitive tous les tournages se sont bien déroulés.

 

- Aujourd'hui vous êtes nostalgique de cette époque de cinéma ?

- Oui tout à fait, vraiment nostalgique ! Je possède plusieurs films avec Gabin qui restera intemporel. Il a crée une véritable façon de parler au cinéma, qui n'a d'ailleurs pas fonctionné au théâtre où l'on ne l'entendait plus à partir du troisième rang ! Ma vidéothèque contient aussi énormément de Fernandel. Pensez d'ailleurs qu'il a tenu 150 rôles en tant que vedette avec son nom en immense au générique. Il a fait de très bons films et aussi de très mauvais mais il ne s'en est jamais caché et a pleinement assumé ! Et puis tous les acteurs sont passés par des films alimentaires. J'ai moi-même tourné dans des films tels que "Le Caïd de Champignol" qui n'était pas bon mais il fallait bien vivre ! Vous savez lorsque vous sortez du Cours Simon vous pensez que c'est le début du vedettariat. J'avais obtenu le prix François Périer ainsi qu'un chèque de l'espérance mais ce sont des gratifications qui ne sont qu'éphémères et vous devez toujours vous relancer lorsque vous rentrez de vacances sinon tout le monde vous oublie. Il est très difficile de durer dans ce métier. De plus vous devez faire face à la critique. J'ai eu quelques papiers qui m'ont fait plaisir, d'autres moins mais je pense que si j'avais été une star oui j'aurais été sensible aux critiques qui peuvent parfois être blessantes. Lorsque je jouais "Périclès" à mes débuts j'avais renversé sur scène un brasero alors que je reculais et le lendemain Le Figaro l'avait mentionné et mes camarades de me charrier ; "Alors on parle de toi ?", c'était un peu vexant (rires).

 


avec Yves Rénier dans Commissaire Moulin (www.serietele.com)

 

- Vous avez tourné pendant près de trente ans dans Commissaire Moulin, avez-vous participé à l'intégralité des épisodes ?

- Pas l'intégralité puisque le rôle était précédemment tenu par Guy Montagné qui est ensuite parti au Collaro Show. J'ai tourné sept épisodes, au début des années 80, sous le nom d'inspecteur Galland puis par la suite Yves Régnier a tenu à ce que je redevienne l'inspecteur Guyomard comme Montagné à l'époque. Nous tournions quatre épisodes dans l'année et en parallèle je jouais aussi dans une autre série télé, c'était une période où je tournais beaucoup. Evidemment quand vous passez autant de temps à jouer le bras droit d'un commissaire on vous étiquette vite, c'est le problème du cinéma français. Mais dans la rue les gens me parlent aussi bien de Moulin que de Thierry La Fronde. Cela ne me dérange pas, c'est au contraire très chaleureux de constater que malgré les cheveux blancs les gens ne vous oublient pas. D'autant que je reste un simple acteur populaire que les gens aiment, je ne suis pas une star. Evidemment j'ai quelques regrets dans ma carrière. J'aurai souhaité jouer des rôles parfois plus consistants et faire un peu plus de théâtre mais je n'étais pas assez vedette pour que le téléphone sonne aussi souvent que je l'aurai souhaité ! (rires) J'aurai souhaité avoir une carrière comme Carmet ou Villeret, c'est-à-dire être suffisamment connu et populaire pour tourner régulièrement mais sans avoir les inconvénients des grandes stars. Je me rappelle d'une phrase de Michel Serrault qui m'avait touchée. Il disait à un journaliste "Clément je pensais sincèrement qu'il aurait fait une plus belle carrière". Peut être n'avais-je pas le profil, j'étais sans doute trop inverti. Je ne suis pas allé aux cocktails et aux théâtres pour débaucher des rôles. Quand vous êtes jeune et que l'on vous dit "Ne fais pas trop de théâtre parce que ça donne des tics, ne fais surtout pas de pubs et dans la mesure du possible évite les séries télé" il est difficile de savoir exactement quelle ligne tenir ! J'ai vraiment appris mon métier pendant Thierry La Fronde où l'ambiance était magnifique. Que de bons souvenirs avec Jean Claude Drouot, Robert Rollis ou Jean Gras qui sont des acteurs qui ont partagé les belles époques des Branquignols, la troupe de Robert Dhéry et Colette Brosset. Nous avons passé de vrais moments de camaraderie lorsque nous tournions dans la forêt de Rambouillet ou en Sologne. Aujourd'hui encore la série marche bien, le public est toujours présent lors des rediffusions.

 

Un grand merci à Clément Michu et à Jérémy Joly

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