Colette Brosset

Témoignage d'une branquignole à propos de Louis de Funès

 

AAAAAA Fondatrice de la troupe des Branquignols avec Robert Dhéry et Gérard Calvi, Colette Brosset une comédienne au style très singulier. Elle est à la fois metteur en scène, scénariste, directrice de plateau et parfois réalisatrice et régleuse de ballets dansants, Née le 21 février 1922 dans le IXème arrondissement parisien, elle est la fille de Daniel Brossé et de Marcelle Jambu et l'épouse de l'acteur Robert Dhéry avec lequel la troupe connut ses premiers pas sur les planches, en 1948. Elle s'est éteinte le 1er mars 2007 dans le XIVème à l'âge de 85 ans.

AAAAAA L'actrice a vu défiler nombre de grands talents à ses côtés, qui étaient également pour elle des copains. Citons entre autres : Jean Carmet, Roger Pierre, Jean Marc Thibault, Christian Duvaleix, Pierre Tornade, Francis Blanche, Jean Lefèbvre, Robert Burnier, Grosso et Modo, Jacqueline Maillan, Micheline Dax, Michel Serrault, Pierre Tchernia, Jacques Legras, Jacques Fabbri, Robert Rollis, Christian Marin. Pierre Dac, d'une génération précédente, avait aussi sympathisé avec la troupe et faisait une apparition dans les films "La Belle Américaine" ou "Le Petit baigneur". Enfin, Colette Brosset était une amie proche de Louis de Funès (et sa famille) dont elle rapporta souvent aux journalistes le bourreau de travail qu'il était sur le plateau mais aussi l'homme secret et attentionné qu'il devenait dans le privé. Probablement l'une des seules du métier à pouvoir partager la vie de Louis De Funès en dehors des plateaux télé, ses témoignages ont toujours montré une grande lucidité d'analyse sur l'acteur. Voici, pêle-mêle, des extraits des interviews qu'elle a accordées pour évoquer l'acteur.

 

Colette Brosset, Robert Dhéry et leur fille Catherine au début des années 1960

 

AAAAAA "Les souvenirs de tournage c'était toujours beaucoup de travail, beaucoup d'inventions de la part de Louis de Funès. En tant qu'acteur ce qu'il apportait était superbe. Il comprenait, il adhérait immédiatement dans le sens de Robert Dhéry et il partait comme un merveilleux cheval. Un coup de talon et il s'emballait. Ou alors il faisait la tête si ça ne lui plaisait pas. Et dans ces cas là, ce n'était pas la peine de lui faire faire. Par exemple il avait horreur que l'on fasse de la sensibilité. Il prétendait que c'était déchoir, se détruire, qu'un comique devait essentiellement être drôle et que c'était honteux de faire ce qu'il appelait de la "larmiche".

 

Colette Brosset et Robert Dhéry en vacances à Héry après la présentation aux Etats-Unis de "La Belle Américaine", début 1962.

 

AAAAAA Pourtant, il était lui-même profondément sensible. Toute sa vie le prouve : son amour pour sa femme, pour ses enfants, pour la nature et les animaux. Il avait cette authenticité de la langue comique où il ne voulait pas céder à l'émotion. Et il avait raison. Bien des comiques auraient pu se passer du morceau de bravoure. C'était trop facile. Lorsqu'un de nous partait dans un petit tremblement de voix, il faisait semblant de prendre un violon et il nous en jouait dans le dos. Cette pudeur ! C'était un grand pianiste, alors qu'il ne jouait plus que pour nous. Il ne voulait plus jouer en public. Il avait été au Conservatoire et ensuite il a longtemps gagné sa vie à faire le piano bar dans une boîte. C'est d'ailleurs ici que nous l'avons connu. Lorsqu'il nous voyait à une table il nous faisait des grimaces toute la soirée. Au début de sa carrière dans "Ah les belles bacchantes", Robert avait réussi à lui faire jouer du piano. Dans "La Grosse Valse", nous nous sommes un peu bagarrés pour qu'il en joue un peu, et puis après c'était fini. Ce devait lui paraitre une concession. Il était trop pur vis-à-vis de lui-même et de son comique.

 

Louis de Funès, Colette Brosset et Robert Dhéry dans "La Grosse Valse"

 

AAAAAA Il avait le don comique. Il adorait faire rire. Par exemple dans "Le Petit Baigneur", il y a un moment où Louis chante une chanson derrière un paravent et il endort Robert. Il est pris de fou rire. Nous avons du garder la prise dans le film car il n' pas pu tourner sérieusement. Les tournages étaient joyeux ! Ou alors, il piquait une gueulante et il partait tout seul dans son coin. Le lendemain bien sûr il avait tout oublié. Et puis il y avait les copains. Dans le fond tout cela n'était qu'une gigantesque affaire de timidité car lorsqu'il se retrouvait sur un tournage avec des copains qu'il connaissait très bien, comme Galabru ou Grosso et Modo, il était heureux et de bonne humeur. C'est sa timidité qui l'empêchait d'aborder les autres. Quand il y avait des étrangers sur un plateau il était mal à l'aise. Mais lorsqu'il était avec les copains… ! Dans "La Belle Américaine", il vient m'apporter un bouquet de violettes parce qu'il a mis Robert en prison. Il vient humblement offrir des fleurs puis il repart avec ses flics. Il nous regarde une dernière fois, les flics partent à gauche et lui à droite. Et on le voit retraverser en courant car il les a perdus. C'est gigantesque. C'est un ballet, c'est du domaine de la danse. Tout cela était improvisé et je ne sais pas s'il ne faisait pas cela pour nous faire rire. Il ne pensait pas encore au public. C'est un peu de là que naît le vrai comique. Les copains, c'est le premier public.

 

Le bouquet de violette dans "La Belle Américaine"

 

AAAAAA Il y avait des fous rires suprêmes lors des tournages. Ce que Louis avait d'admirable, c'est que quand par hasard il avait envie de rire en scène, il le passait dans son jeu. La façon dont il disait "Regardez moi cet imbécile, il me fait rire, il me fait rire". Il lui tapait dessus et le public adhérait complètement et était persuadé que c'était dans son jeu. Robert en particulier le faisait beaucoup rire. Louis lui demandait toujours de pleurer comme tante Jeanne. Et lorsqu'il commençait, Louis hurlait de rire. Il ne pouvait plus tourner. Dans "Le petit baigneur", vers la fin, lorsque Louis va soi disant mourir, il y a une scène où Robert est auprès de lui et pleure. On voit nettement, si on observe bien la scène, que Louis a le fou rire. Il y avait une très grande complicité entre Louis et Robert. Ils avaient cette vraie passion pour le comique muet, c'était pour eux la chose la plus belle au monde de faire rire sans parole et ils en ont surement beaucoup parlé ensemble car Louis ensuite voulait limiter le plus possible son texte. Ils avaient un tel rapport d'emploi entre eux que c'était vraiment l'opprimé face à l'opprimeur.

AAAAAA Il y avait entre eux des choses exceptionnelles que l'on n'a pas toujours sues. Par exemple, ils parlaient ensemble loin de nous tous et ils pleuraient de rire. On en savait jamais pourquoi. Puis ils revenaient tous les deux, très sévères, le visage fermé et disaient "Allez au travail". Ce qui était drôle, c'est lorsqu'on tournait la prise, ils y repensaient et le fou rire les reprenait. Pour "Le Petit Baigneur", je crois que la scène où ils débouchent des tubes sont de la pure improvisation de leur part.

 

"Le Petit Baigneur" de Robert Dhéry, 1967

 

AAAAAA En dehors des tournages, il était totalement différent. Il était attentif, d'une immense timidité. Les interviews le rendaient très malheureux. Il ne voulait pas livrer ce qu'il était vraiment. J'ai le souvenir de la mort de Bourvil. Il n'a rien pu dire alors que nous savions tous le chagrin qu'il avait. Il ne pouvait rien dire et s'enfermait sur lui-même. Dans la vie privée, c'était un homme charmant. C'est un monsieur qui m'a appris à tailler mes rosiers. J'adore jardiner et il m'a tout appris. Il avait un véritable amour de la nature.

AAAAAA Cette déférence pour Jeanne, sa femme. Il l'adorait. A partir du moment où elle avait dit quelque chose… Ses enfants, Jeanne, les animaux, les choses qu'il faisait sans les dire. Nous sommes allés un jour donner des chiens à la S.P.A. Nous avons trouvé je ne sais pas combien de cages sur lesquelles il y avait écrit "offert par M. et Mme De Funès". Ca il ne s'en vantait pas du tout. Il ne voulait pas avoir l'air de faire de la larmiche et qu'on le sache. C'était un homme fantastique. Nous avons perdu beaucoup, nous, ses copains et puis, tout le public, en particulier les enfants. Remarquez, le cinéma est une chose consolante, car je crois que les enfants auront leur Louis de Funès à Noël comme ils ont leur Walt Disney. Peut être pas tous, mais les très bons films."

 

Propos recueillis par Eric Leguèbe et Stéphane Lerouge (Canal +)

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