Vincent CHAPEAU

 

AAAZER C'est l'histoire d'une rencontre qui a eu lieu à l'occasion du vernissage de l'exposition organisée par le CROUS de Paris, en mars 2014. Parmi les invités figurait Vincent Chapeau, auteur du livre « Sur la route de la Grande vadrouille » qu'il présentait et dédicaçait. L'endroit est propice, aux murs plusieurs affiches françaises et étrangères rappellent que le film de Gérard Oury occupe une place de premier choix tant dans la carrière de Louis de Funès que dans la mémoire collective. Nous ne nous sommes encore jamais croisés, mais nous connaissons de longue date l'ouvrage, devenu une solide référence, qui doit figurer en bonne place dans la bibliothèque de tout cinéphile qui se respecte. Richement documenté, soigneusement illustré, « Sur la route de la Grande vadrouille » est un livre d'une qualité rarement égalée dans la bibliographie qui concerne – de près ou de loin – Louis de Funès. D'une façon comparable, les lectures plus récentes de « Louis de Funès, l'oscar du cinéma » par Jean-Jacques Jelot-Blanc et du dernier ouvrage de Jean-Marc Loubier nous ont également laissé cette (très) agréable impression. En fin de journée, nous échangeons quelques mots, buvons un café entre deux dédicaces... avant de démarrer l'interview à propos de son ouvrage qui – mine de rien – fête déjà son dixième anniversaire. Une bonne occasion d'évoquer les coulisses du film de Gérard Oury, mais aussi de comprendre la démarche et les impressions de l'auteur. Retour sur la route de « La Grande Vadrouille ».

 

Entretien avec Vincent Chapeau du 7 mars 2014

 

- Vincent, votre livre est paru en 2004, il fête donc cette année son 10ème anniversaire. Quand était né ce projet de livre sur « La Grande Vadrouille » ? Vous le teniez de longue date ?

- Le projet est né quatre ans plus tôt, en 2000, lorsque j'ai rencontré des personnes qui ont assisté au tournage de certaines scènes de « La Grande Vadrouille », notamment en Bourgogne, dans de petits villages qui s'en souvenaient encore tant le tournage avait marqué les esprits : Bourvil, Louis de Funès, de nombreuses caravanes et beaucoup de matériel venaient tourner chez eux. En 2000, j'ai écouté leurs histoires, j'ai pris quelques photos de lieux de tournage, puis je me suis dit qu'il était dommage de rien faire de ces premières informations collectées. D'autant plus qu'il n'existait pas d'ouvrage sur le sujet, alors que le film détenait toujours à cette époque le record d'entrées en France, tous films confondus, depuis la création du cinéma.

 

- En effet, à cette époque, ce genre de livres se faisait déjà pour les films de la Nouvelle Vague ou « Les Tontons flingueurs », mais pas pour un de Funès. Quand vous vous êtes lancé, vous a-t-on pris pour un « fafelu » ?

- Quand je devais me présenter et qu'on me demandait ce que je faisais dans la vie, je répondais « je suis en train d'écrire un livre sur « La Grande Vadrouille », ce à quoi on me répondait « non mais en vrai, vous faites quoi ? ». Mais je croyais en ce projet, que je trouvais intéressant.

 

- Le film a-t-il fait partie de votre univers dès votre enfance ?

- Oui, tout est parti du comédien Louis de Funès, qui habitait près de chez moi car je suis originaire des bords de Loire. Le 27 janvier 1983, j'ai fêté mes 11 ans le jour de sa disparition, je m'en souviens encore parfaitement. Dans la cours de l'école, on était un peu « en deuil » car on était forcément « fan » de lui. "La Grande vadrouille" est déjà un de mes films préférés et Louis de Funès certainement le premier acteur dont j'ai connu le nom, dès 3 ans je l'appelais Louis de Punaise.

 

La dernière scène du film, celle des planeurs (1966).

 

- Comment avez-vous contacté les personnes qui ont travaillé sur ce film, à commencer par Gérard Oury ?

- J'ai commencé par contacter Gérard Oury pour obtenir sa caution morale. Il m'a répondu « avec plaisir, mais travaillez d'abord et on se verra après. » J'ai trouvé cette méthode judicieuse car elle m'a permis de vraiment m'atteler à ce projet. J'ai voulu reconstituer le plus possible l'ensemble du travail fait par l'équipe sur ce film, de l'écriture du scénario jusqu'à la sortie en salles. Pour cela, j'ai rencontré d'autres personnes qui ont travaillé sur le film – comme des techniciens, des acteurs – puis je suis reparti sur les lieux de tournage. Après avoir fait un gros travail de fond, j'ai recontacté Gérard Oury qui m'a ouvert ses archives. J'ai notamment pu m'appuyer sur ses agendas, qu'il avait tous conservés année après année et qui étaient très précis. Ces documents m'ont permis de valider le planning général de la conception puis du tournage du film.

 

- Retracer chronologiquement l'histoire du tournage de « La Grande Vadrouille » a donc été votre fil conducteur.

- Effectivement, car comme chacun sait, le tournage ne respecte pas l'ordre des scènes du film. D'une façon plus large, j'ai aussi voulu reconstituer les étapes de la réalisation d'un film des années 1960. A mon avis, c'était une approche intéressante car la construction d'un film pour le cinéma aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celui de « La Grande vadrouille ».

 

- Cela permet aussi de voir comment Gérard Oury a compris qu'il tenait un duo gagnant avec Bourvil et de Funès, car les moyens sont importants.

- Oui, et cela permet de comprendre la gageure qu'un film comme celui-ci représentait à l'époque. On réalise d'ailleurs que tout s'enchaîne rapidement. Pendant le tournage du « Corniaud », les deux comédiens, Oury et la production s'entendent pour un second film. « Le Corniaud » sort en mars 1965 et l'équipe de scénaristes se remet au travail dès le printemps autour d'un vieux scénario de Gérard Oury. Alors que le scénario est en cours d'écriture, l'assistant réalisateur Gérard Guérin est déjà envoyé sur les routes de France pour les premiers repérages, afin de coller au plus près au récit construit par Oury, sa fille Danièle Thompson et Marcel Jullian. L'écriture se poursuit jusqu'à l'été 1965, puis interviennent les frères Tabet pour les dialogues. Ensuite, je raconte les préparatifs qui ont lieu pendant l'hiver, le casting, les repérages pour les tournages en extérieur.

 

Vincent Chapeau en compagnie de Marie Radel lors de l'exposition au CROUS (mars 2014, cliché F&J)

 

- Vous mettez aussi l'accent sur le rôle important qu'a joué le producteur Dorfmann.

- Oui ce producteur avait déjà pris des risques financiers avec « Le Corniaud ». Trois jours avant le début du tournage, afin de boucler son budget, il a trouvé l'idée géniale de se rendre au Festival de Cannes 1966, accompagné pendant une journée de Bourvil, de Funès et de l'acteur britannique Terry-Thomas. Il parle alors avec les distributeurs et les exploitants de salles, leur fait constater que « Le Corniaud » est en train d'exploser le box-office, que le film remplit les tiroirs caisses. Fort de ce succès, il les convainc de signer des chèques pour obtenir la première exclusivité de « La Grande vadrouille », dont il annonce déjà la sortie pour la fin de l'année. Trois jours plus tard, en mai 1966, ont lieu les premiers jours de tournage en Bourgogne, alors que le film débute à Paris. Je raconte ensuite les différentes pérégrinations de cette aventure, jusqu'à la fin de tournage aux studios de Boulogne.

 

- Que vous a appris l'assistant Gérard Guérin à propos des premiers repérages qu'il a entrepris ?

- Il m'a révélé que ces repérages l'ont entraîné jusque dans les Alpes, pour envisager le tournage de scènes supposées se situer dans les Pyrénées. En effet, à l'origine, le film devait se terminer tout autrement. Les protagonistes menaient une course poursuite avec les Allemands en luge et en ski dans les Pyrénées. Mais le film aurait été extrêmement long, et il y avait aussi des questions de météo à prendre en compte. Donc les scénaristes ont abandonnée cette idée et ont imaginé les scènes des planeurs, qui ont d'ailleurs demandé d'importants moyens financiers.

 

- Et avez-vous rencontré le monteur Albert Jurgenson ?

- Non, il était déjà décédé mais j'ai rencontré sa compagne de l'époque qui était son assistante sur ce film. Le rôle de Jurgenson démontre comment « La Grande vadrouille » s'est construit rapidement. Il a débuté le montage parallèlement au tournage, travaillant scène après scène, dès que les bobines arrivaient à son studio. Quand on sait que les derniers plans sont tournés début octobre et que le film sort début décembre, on constate son importance.

 

- Dix ans après sa sortie, le livre rencontre toujours un bon succès, c'est fou non ?

- C'est fou, mon éditeur et moi ne nous attendions pas à un tel succès. Je m'attendais à l'intérêt d'un public plus restreint, composé de passionnés de cinéma, de ceux qui ont travaillé sur ce film. Mais je me suis rendu compte que le livre pouvait marcher lorsque j'ai cherché à contacter ceux qui ont travaillé sur ce film. Pour le plus grand nombre d'entre eux, ils étaient partis à la retraite aux quatre coins de la France et ne figuraient plus dans les annuaires des professionnels. J'ai donc passé des centaines de coups de téléphone pour les retrouver. Lorsque je tombais sur des homonymes, ceux-ci me me donnaient leur avis sur le film, me posaient des questions, voulaient en savoir plus. Je me suis rendu compte que le film parlait à tout le monde. Mais ce fut malgré tout une vraie surprise. La durée de vie d'un livre de ce genre-là n'est certainement pas d'une dizaine d'années. Habituellement, ces livres fonctionnent bien les premiers mois, parfois deux ou trois ans, puis ils disparaissent des rayons. Encore aujourd'hui, dans les musées ou aux expositions autour de Bourvil et de De Funès, le livre est en vente. Avec l'ouverture du musée au Cellier et le centenaire de la naissance de Louis de Funès, ce livre a toujours une petite actualité et je reste sollicité à ce titre dans plusieurs manifestations.

 

- Une réédition du livre avec des mises à jour est-elle envisagée ?

- Oui effectivement, le temps serait venu. Depuis, j'ai fait de nouvelles rencontres, obtenu de nouveaux témoignages, de nouveaux documents. Et en 2016, « La Grande vadrouille » fêtera son cinquantième anniversaire. La nouvelle version serait enrichie de documents inédits. Il est possible que j'obtienne la permission de publier des photos inédites prises dans l'Opéra pendant le tournage.

 

- Votre livre a fait des émules avec le livre de Marc Lemonier sur les « Fantomas » (2005) puis de Sylvain Raggianti sur la série du « Gendarme » (2007).

- Oui, les ressemblances tant dans le format que la maquette sont troublantes. A la suite du succès de mon livre, la maison d'édition et moi avons souhaité poursuivre sur ce type d'ouvrages dans le but de décliner une collection. Finalement, je n'ai fait que participer à réalisation du livre sur «Fantomas » et, un peu plus tard, Flammarion a repris le concept en publiant « La Saga du Gendarme ». Peut-être la rançon du succès ?

 

- Les retours de ceux qui ont travaillé sur ce film ont été bons à propos de votre livre ?

- Oui et c'est vraiment une chose qui m'a fait très plaisir. Je me rappelle notamment d'une lettre très touchante de Jacques Bodoin, dans lequel il me racontait qu'il était bluffé par le fait que quelqu'un de 40 ans s'intéresse à ce film et parvienne à faire revivre cette aventure qu'il avait connue. C'était fort en terme de sensations.

 

Jacques Bodoin dans le rôle de Méphisto, dans "La Grande vadrouille" (1966).

 

- Avant d'entreprendre l'interview, nous évoquions brièvement votre théorie des « trois temps » sur ce film. Pouvez-vous l'expliquer ?

- Il y a trois temps à propos de ce film, comme pour beaucoup d'autres (pour le dire vite, c'est le cas des films "historiques", qui se situent à une époque passée). Pour "La Grande vadrouille", le premier temps concerne les années 1960, qui correspondent à la réalisation du film, aux films de Louis de Funès, au cinéma de papa, à la France gaulliste. Le second, c'est la Seconde Guerre mondiale, car le film se déroule en juillet 1942, sur un ton très léger, ne montrant ni collaboration, ni déportation etc... D'ailleurs, à la sortie du livre, j'ai été invité dans un salon. Pour la séance de dédicaces, je me suis retrouvé à la même table que Maurice Rajsfus, l'auteur de « Opération étoile jaune » pour qui j'ai un profond respect. J'ai changé de place, je ne me voyais pas dédicacer mon livre sur « La Grande vadrouille » à côté de lui car son livre relatait un récit autobiographique bien loin de la comédie. Le troisième temps est le nôtre, contemporain, où de nouvelles générations découvrent le film à la télé et en DVD. Ces trois temps permettent de comprendre les différentes manières d'appréhender un film comme celui-ci, selon du point de vue où l'on se place.

 

- Prévoyez-vous l'écriture d'autres livres ?

- Certains projets pourraient voir le jour mais c'est toujours compliqué quand on souhaite, comme moi, raconter et retrouver les témoins d'une époque bien lointaine. Lorsque j'ai travaillé sur « La Grande vadrouille », j'ai été en contact avec Colette Brosset et Robert Dhéry. Ils m'avaient donné leur autorisation pour réaliser un livre semblable sur les Branquignols. Malheureusement, les artistes disparaissent aussi... Je pense plutôt retourner à mes premières amours et, comme je vouls le disais, reprendre et enrichir l'histoire de la création de cette belle et grande vadrouille.

 

Vincent Chapeau, Sur la route de La Grande vadrouille, préfacé par Danièle Thompson, Paris, Hors Collection, 2004, 120 pages.

Sa page officielle : ICI

 

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