Gérard Oury

profession : comédien

(deuxième partie)

 

AAAaA En 1958, Oury se lance, certainement doté d'une grosse appréhension mêlée d'excitation, dans la grande aventure de la réalisation en démarrant l'écriture conjointe, avec André Cayatte, d'un scénario intitulé "Le Miroir à deux faces". Homme à la fois observateur de son temps, un peu sociologue à ses heures perdues, Cayatte n'aura de cesse au cours de sa carrière de filmer les maux de la société et les sujets brûlants tels la peine de mort. L'ensemble de son œuvre sera un long plaidoyer pour une justice plus humaine, moins aveuglément soumise aux règles et aux rites qui la rendent impitoyable. Ce sera Oury en personne qui proposera le scénario à Cayatte. Le résumé est assez simple : Grâce à une annonce, Pierre Tardivet, petit professeur besogneux, épouse Marie-José Vauzange, jeune fille intelligente et sensible au physique ingrat. Bien vite la mesquinerie de Tardivet apparaît et Marie-José se résout à une vie monotone. Deux enfants naissent, dix ans passent. Victime d'un accident de la route, Tardivet est soigné par le docteur Bosc, célèbre chirurgien esthétique qui opèrera par la suite Marie-José et la rendra belle. La transformation est totale. Devant cette femme magnifique qu'il ne considère plus comme la sienne, Tardivet amer et haineux, tue le docteur.

AAAaA A sa sortie le film connaît succès honorable jusqu'à être adapté, plus tard, au cinéma américain sous l'intitulé "Les leçons de séduction". Sorti outre atlantique en 1996, le film est une véritable comédie dramatique interprétée par une pléiade d'acteurs de renom puisqu'outre Barbara Streisand, nous retrouvons Lauren Baccal et Pierce Brosnan dans la distribution. Construite sur un scénario assez éloigné du fil directeur originel, le film relate les aventures de Gregory Larkin, professeur de mathématiques, lassé de sexe, qui décide de vivre une grande passion platonique et se met en quête de l'âme sœur. Il trouve Rose, qui lui convient tout à fait et ils se marient, à l'étonnement général. Problème : Rose a malgré tout du mal à réprimer l'attirance qu'elle sent monter en elle pour son mari et va devoir déployer des trésors d'imagination pour trouver sa vraie place.

 

Gérard Oury en chirurgien dans "Le Miroir à deux faces" (coll. AlloCiné)

 

AAAaA Gérard Oury, à la fois pris au jeu et poussé par Cayatte va même jusqu'à interpréter le rôle du docteur, saisissant l'occasion de jouer la comédie, peut être pour la dernière fois. Sur le plateau du film, Oury voit naître des sentiments profonds et sincères envers l'actrice Michèle Morgan. Rencontrée brièvement lors d'un premier tournage, au cours d'une scène de "La belle que voilà", Oury ne tarit pas d'éloges sur cette ravissante actrice. Au cours de cette rencontre, il lui donnera un premier baiser, intimidé, mais sans toutefois tomber sous le charme absolu. Elle aussi revenue précipitamment dès la fin de la Guerre sur Paris en vue de poursuivre sa carrière, elle retrouve directement le succès du public, toujours présent et ne l'ayant pas oublié, dans "La Symphonie Pastorale", avec un rôle à la fois complexe et magnifique d'une jeune aveugle. Rôle qui lui valu d'ailleurs le prix de l'interprétation dans une toute nouvelle cérémonie nouvellement crée : le festival de Cannes. Reconnue valeur montante, et sûre, du cinéma français, Michèle Morgan tournera un grand nombre de films sous la houlette d'André Cayatte pour qui elle travaille cette année aux côtés de Gérard Oury. La belle actrice se rappelle d'ailleurs très bien de cette rencontre au micro de Céline Faucon pour le magazine L'Express : "Quand j'ai rencontré Gérard Oury, j'avais 37 ans et lui, 38. Nous avions chacun nos habitudes. Comme tout était merveilleux, nous n'avons jamais pris le risque de changer."

AAAaA Regards complices, empreints de discrétion, de respect mutuel tant pour la beauté que le talent conjugués…Après tout, ne poursuivent-ils pas le même objectif ? Oury disait d'ailleurs à propos de son travail : "Je désire avant tout divertir et s'il y a quelque chose à transmettre, il me semble que c'est un message social que de faire oublier leurs soucis aux gens préoccupés par les problèmes de ce temps, de les faire rire avec des éléments exempts de bassesse, de violence ou de vulgarité". Alors rencontre inévitable ? Il est vrai que certains philosophes ont pu dire que rien n'arrive par hasard… Michèle Morgan traverse à cette époque l'une de ses périodes cinématographiques les plus remplies avec, entre autres, six films de Jean Delannoy durant la décennie mais aussi "Les Orgueilleux" d'Yves Allégret, "Les Grandes manœuvres" de René Clair et, surtout, "Napoléon" de Sacha Guitry. Que dire qui n'ait pas été dit sur cette actrice intemporelle qui accordera, après plusieurs expériences aussi belles que douloureuses, sa vie à l'homme qu'elle aime. Née le 29 Février 1920 à Neuilly-sur-Seine, près de Paris, Simone Roussel, alias Michèle Morgan, débute au cinéma en 1935, à l'âge de quinze ans, avec "Mademoiselle Mozart" de Yvan Noé dans lequel elle côtoie Danielle Darrieux. Après plusieurs rôles de figuration, Michèle Morgan devient la partenaire de Raimu dans "Gribouille" de Marc Allégret en 1937. Le succès est au rendez-vous. Sa carrière est lancée. Elle choisit le pseudonyme de Michèle Morgan et enchaîne les films avec les partenaires les plus prestigieux: Charles Boyer puis surtout, Jean Gabin. Avec un regard la servant admirablement, aussi bleu que profond, elle parvient à séduire journalistes et spectateurs, jusqu'à la comparer parfois à l'actrice Greta Garbo. Après une première expérience réussie, doté de la motivation nécessaire pour pousser plus loin l'expérience, Oury s'essaie à un nouveau scénario en compagnie de Raoul Levy : "Babeth s'en va en guerre", réalisé par Christian Jacque en 1959. Particularité de ce film : il est le premier en France à traiter de manière humoristique le thème de la Seconde Guerre Mondiale. D'ici à voir les prémices d'une future "Grande vadrouille" il n'y a qu'un pas… En outre, le film dispose d'un casting intéressant, avec Brigitte Bardot, Francis Blanche, Jean Carmet, Noel Roquevert, Pierre Bertin, Jacques Charrier ou encore Yves Vincent.

 

Amoureux au cinéma comme à la vie...

 

AAAaA Mais sans doute en faut-il toujours plus à Gérard Oury qui veut s'essayer à plus grand, plus compliqué, plus haut. Passionné par cet art qu'il n'a de cesse de découvrir et d'explorer en tout sens, il jette son dévolu sur un projet incroyable : la réalisation de son premier film. Pari risqué pour un comédien d'expérience mais novice en matière de réalisation cinématographique complète. Nouvelles responsabilités, nouvelles attributions, nouveau costume, rien ne semble pourtant effrayer le jeune homme. L'idée principale, le fil directeur de son œuvre, mûrit en lui. Il la couchera sur papier très vite et la baptisera "La main chaude". L'histoire n'est pourtant guère originale : Une riche veuve prête la somme de 100 000 francs à M. Lécuyer, interprété par Alfred Adam, pour qu'il envoie son fils à la campagne. En réalité, Lécuyer donne cet argent à sa maîtresse pour qu'elle avorte. Mais elle n'est pas enceinte et remet la somme à son autre amant afin qu'il achète un scooter. Celui-ci se sert de la somme pour séduire une jeune femme qu'il croit riche... Sorti en salles, ce premier film fait un four retentissant et marque un premier échec dans la carrière débutante d'Oury. Pourtant celui-ci défendra toujours l'ensemble de son œuvre et ne reniera jamais ses projets. "J'aime les situations exceptionnelles et la manière dont réagissent à ces situations des personnages ordinaires." Peu suivi par ses pairs, Louis Chauvet écrira notamment à son propos : "Il s'agit sans aucun doute du premier et du dernier film de Gérard Oury".

AAAaA Il faut bien plus que cette clairvoyance pour décourager le soldat Oury. Il poursuit sans interruption ses projets et se lance à l'assaut d'un second film : "La Menace" en 1960. Nouvel échec auprès du public. Films sombres, destins croisés, vies brisées, solitudes en ennuis, meurtres et violences, ses sujets ne sont pas des plus réjouissants. N'oublions pas que même quinze ans après la Guerre, les séquelles sont encore bien présentes et le moral toujours aussi meurtri. Aussi, les comédies populaires et divertissantes reçoivent un accueil bien plus enthousiaste. Entre le rayonnement culturel et économique des Etats Unis, venant de lancer leur Spoutnik dans l'espace, et la découverte des nouvelles stars telles Elvis Presley, John Lee Hooker ou Miles Davis, le monde tourne et vit aux sons de nouvelles sonorités et de rêves "larger than life". Alors bien sûr le cinéma dramatique peut paraître quelque peu désuet. Pourtant il connaît paradoxalement un succès honorable et dispose de véritables morceaux de bravoure comme "La Traversée de Paris", "Les Misérables" ou "Ascenseur pour l'échafaud"…

 

Gérard Oury dans "Le Dos au mur"

 

AAAaA Alors Oury embraye et poursuit son cycle. Il souhaite toutefois disposer d'un format différent et novateur. Encore une volonté de se démarquer et d'aller où personne ne l'attend. Du dramatique certes, mais dans une conception encore peu exploitée jusque là en France. "Le crime ne paie pas", c'est son nom, sera un film à sketches réalisé d'après les bandes dessinées de Paul Gordeaux. Le film comporte quatre sketchs distincts intitulés respectivement "Le Masque" , "L'Affaire Hugues" , "L'Affaire Fenayrou" et "L'Homme de l'avenue". Bien que le format et l'adaptation de comics books puissent laisse entrevoir un côté plus gai à l'entreprise, celle-ci se révêle en fait être, encore une fois, une succession de côtés sombres ou s'entremêlent plan criminel diabolique, machination, diffamation, manipulation, assassinat crapuleux…un vrai résumé de Code pénal ! En effet, "Le Crime ne paie pas" est une bande dessinée à format vertical, publiée dans le quotidien France Soir au cours de années cinquante à soixante dix qui relate des affaires criminelles qui ont réellement existé : Landru, Casque d'Or, Jack l'éventreur, l'auberge sanglante de Peyrebeille, La bande à Bonot, le drame de Bologne ou encore l'énigme du pont d'Andert.

AAAaA Une scène pourtant se démarque de toutes les autres, une scène comique, interprétée par un acteur que l'on commence enfin à considérer comme artiste du rire à part entière. Entre ses futurs collègues de plateaux Dominique Zardi, Henri Attal, Christian Marin, Jack Ary et Mickael Lonsdale qui partagent aussi l'affiche, Louis de Funès va donner un relief non négligeable à l'ensemble de l'œuvre. Véritable contre-balancier de la situation principale - un mari voulant tuer sa femme se fait renverser et meurt juste avant d'avoir pu accomplir son acte - il apporte une coloration empreinte d'humour, tout en décalage, et avec justesse dans ce rôle de barman un peu gauche, charmant serviteur et bon bougre voulant simplement rendre service. Sur le plateau, De Funès sent en Oury des prédispositions naturelles pour le comique. En témoignent ses fous rires à chaque prise que Louis exécute et dont Oury expliquera, lors d'une interview promotionnelle pour "Les Aventures de Rabbi Jacob", sa nécessité face à cette situation de se fourrer un mouchoir dans la bouche pour éviter de gâcher la prise.

 

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Louis de Funès, Danielle Darrieux et Richard Todd dans "Le Crime ne paie pas".

 

AAAaA D'un simple petit rôle, dont il ne sera pas crédité au générique - la légende voulant que cela soit à la demande expresse de Louis de Funès - ce dernier prend le taureau par les cornes - lors d'une discussion avec le réalisateur lui confie qu'il rit beaucoup trop et s'amuse tant avec ses acteurs qu'il envisage beaucoup plus son œuvre dans une dimension comique. Dans son autobiographie "Mémoires d'éléphants", Oury en rapporte d'ailleurs la substance : "Quant à toi, tu es un auteur comique, et tu ne parviendras à t'exprimer vraiment que lorsque tu auras admis cette vérité là." Véritable électrochoc ? Toujours est-il que loin d'en prendre ombrage, et notant précisément ce conseil, il envisage désormais de changer son fusil d'épaule. Après tout, ses premières œuvres ne furent pas un succès et ne passeront jamais à la postérité pas plus qu'elles ne rentreront dans les rayons des cinémathèques. Alors que vaut le risque de s'essayer à cette nouvelle étiquette ? La suite lui donnera raison…

 

Crédits :

- Gérard OURY, Ma Grande vadrouille, Paris, Plon, 2001.
- Gérard OURY, Mémoires d'éléphant, Paris, Olivier Orban, 1988.
- Christian DUREAU, Dictionnaire des acteurs du cinéma, Paris, Tournon, 2001, p. 641.
- "Il est Poli d'être gai", Gérard Oury, DVD Bonus .
- Coffret Collector Gérard Oury-Bourvil-Louis de Funès, Canal Plus.
- DVD Bonus "La Grande Vadrouille", Coffret Collector, Canal Plus.
- DVD Bonus "Le Corniaud", Coffret Collector, Canal Plus.
- http://artistes1940.free.fr/michele_morgan.htm
- http://www.academie-des-beaux-arts.fr/membres/actuel/cinema/Oury/fiche.htm

 

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