Gérard Oury

profession : comédien

 

AAzAAA Le propre de la comédie est de susciter le rire ou le sourire en mettant l'accent sur le ridicule des personnages, les travers de la société, l'aspect caricatural des situations…De tous les genres qui composent la famille du cinéma comique, la comédie est le plus vaste mais aussi le plus difficile àcerner pour plusieurs raisons : la variété de ses expressions et les nombreux sous genres qu'elle génère, ses relations étroites avec d'autre genres visités par le cinéma… Film comique par excellence, Robert Chazal écrivit à propos de La Grande Vadrouille : "C'est le type de film sur lequel on aurait aimé qu'un reportage fût fait de A à Z pour en montrer les circonstances de tournage".

AAzAAA Bien plus que le film en lui-même, c'est sans aucun doute toute la carrière de Gérard Oury qui mériterait d'être passée au peigne fin, tant celle-ci fût, à bien des égards, variée, riche, bouleversante et instructive. Réalisateur de talent, acteur sans doute trop précoce, dénicheur de génies et surtout grand et bon public auprès de ses acteurs, nombre de ses films, devenus cultes, témoignent de l'empreinte indélébile que Gérard Oury laisse sur le cinéma français. Petits et grands s'extasient tour à tour face au petit écran devant des chefs d'œuvre tels que Le Corniaud, La vengeance du serpent à plumes ou Le cerveau.

 

Une partie de l'équipe du film trinque à la santé de "La Grande vadrouille" la veille du 1er jour de tournage, 15 mai 1966 (source : Vincent Chapeau).

 

AAzAAA Personnage cinématographique reconnu, entré au panthéon du comique et des films de qualité à la sauce française, souvent décriée mais rarement égalée, il est aussi plaisant que difficile de pouvoir retracer en quelques pages sa carrière. C'est pourquoi, en considération du nombre important de ses réalisations, notamment celles pour lesquelles Louis de Funès fût employé, il est de bonne augure de scinder le développement en plusieurs parties, retracé sous forme de chronologie. Entre le Gérard Oury acteur, le Oury dans la peau du réalisateur débutant, le Oury aux succès sans conteste et celui dont la carrière ira souvent croissante au fil des décennies au point d'être élu à l'Académie des Beaux Arts le 11 mars 1998, chaque partie de sa vie est un coffre fort où plusieurs trésors sont enfouis, témoignant d'une maturité, d'un professionnalisme et d'une exigence technique qui n'aura de cesse d'impressionner et d'attribuer respect à cet homme aussi simple et gentil que humain et généreux. Jean Tulard avait d'ailleurs bien cerné le personnage et ses motivations : "Est-ce le fait d'avoir joué le rôle de Napoléon dans La Belle Espionne de Raoul Wash ? Oury a accumulé les Austerlitz au box office. L'œil rivé sur la recette, il sait ce qui plaira au public du samedi soir. [...] Il n'y a plus alors qu'à tourner et à attendre l'argent. Car Oury est remarquable professionnel." Pour autant limité, il est vrai, que soit le genre dans lequel Oury a choisi de centrer sa carrière de réalisateur, il n'en reste pas moins qu'il est à jamais tributaire d'un certain esprit, d'une conception particulière, presque familière, du cinéma selon laquelle "le spectacle est démesure avant tout". Pour certains hélas, son œuvre aura souffert de ne pas avoir poussé cette démesure jusqu'à faire éclater le genre.

 

1ère partie

Gérard Oury, entre scènes et plateaux cinématographiques : les années 30 à 50.

 

AAzAAA Né Max Gérard Houry Tannenbaum le 29 avril 1929, fils d'un violoniste d'origine juive, Serge Tannenbaum, et de Marcelle Oury, journaliste critique d'art à Paris Soir qui aura une influence non négligeable sur l'ensemble de sa carrière, le jeune homme se cherchera, pendant de nombreuses années en tant qu'homme, sur sa vie à mener ou du choix du destin qui s'offrirait prochainement à lui. Etudiant au lycée Janson de Sailly, il fonde avec un ami, Edouard Sablier, le journal du lycée titré Le furet. Devenu presque malgré lui apprenti journaliste, il réussira alors à interviewer les plus grandes personnalités de l'époque, dont le président Edouard Herriot et se plaira dans cet exercice.

Gérard Oury et sa mère Marcelle en 1938

 

AAzAAA Par la suite, jeune débutant en tant que comédien, ses premiers essais, sans être particulièrement mauvais ou exceptionnels, ne laissent en revanche pas une trace impérissable aux gens du métier. C'est à cette époque qu'il rencontre des acteurs prometteurs tels François Périer et Bernard Blier mais aussi la future femme de sa vie, Michèle Morgan, qu'il croise parfois dans les dédales des bâtiments. Attiré par la possibilité qui se présente à lui en se disant comédien face à des jeunes femmes, il suit les cours du maître René Simon où il découvre et tente de peaufiner sa technique. En 1938, il devient pensionnaire de la Comédie Française, dans la classe de Madame Dussane. Nous sommes à une période historique charnière : la fin des années 30, c'est-à-dire en plein cœur d'un contexte économique, social mais surtout politique difficile. Acteur, cette fois sans trucage, des prémices de la guerre engendrée par l'Allemagne nazie en quête de territoire et obnubilée par une extension sans cesse plus grande de son idéologie, la Seconde Guerre Mondiale aura une incidence, aussi directe qu'évidente, sur la carrière du jeune Gérard.

AAzAAA Le 3 septembre 1939 est une date fatidique : la France déclare la guerre à l'Allemagne et s'immisce au sein des combats, poussée par des enjeux patriotiques et de conservatisme. En raison de son appartenance à la religion juive et la culture israélite, il se doit de fuir Paris afin de trouver un refuge favorable pour exercer son métier. Pour tenter de comprendre l'influence que la guerre a pu avoir sur les carrières de jeunes débutants tels Gérard Oury, il est possible de citer Jean Pierre Bertin-Maghit pour qui, "la déclaration désorganise le monde du cinéma. Le festival de Cannes est annulé, les cinémas doivent fermer à 20h30, et la mobilisation des hommes à provoqué une véritable hémorragie dans le personnel des salles. La moitié des cinémas parisiens a été obligé de fermer. Même bilan du côté des studios parisiens où techniciens et acteurs sont dispersés." Durant cette période difficile, plusieurs mesures draconiennes sont prises par les autorités françaises et la propagande afin de réglementer l'activité cinématographique : saisie des négatifs, censure des films en exploitation, interdiction de diffusion pour raisons plurales…

 

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A gauche : Gérard Oury en jeune premier.
A droite : Gérard Oury et Michèle Morgan dans "La Belle que voilà", 1949.

 

AAzAAA Certains réalisateurs de renom vont néanmoins exploiter les failles du système pour débuter leurs carrières : Christian Jaque ("Les disparus de Saint-Agil"), Marc Allégret ("Entrée des artistes") ou encore Pierre Chenal. Témoignant de cette rupture alors subie par le cinéma français de cette époque, André Labarrère explique que "la plupart des cinéastes se contentent d'exploiter les ressources élémentaires du sonore : plates adaptations de comédies boulevardières, films musicaux faisant appel à des vedettes de la chanson…le comique troupier et le vaudeville trouvent une seconde jeunesse. Des châteaux et des pays de fantaisie situés en Europe centrale ou orientale proposent des cadres convenus aux comédies ou tragi-comédies". Malgré la crise et les pénuries, le peu d'acteurs restant est mis en valeur parfois à l'extrême. Raimu, Fresnay ou Gabin accèdent à la postérité et au vedettariat grâce aux films de cette époque. Particularité du bouleversement social et géographique qui verra notamment Oury fuir le territoire français, l'exode des acteurs est une réalité. Labarrère en évoque quelques traits en retenant que "la présence dans la profession de nombreux étranger est une autre particularité de l'époque. Tout comme les Russes fuyant le communisme au début des années 20, des Allemands et des Autrichiens menacés par le nazisme arrivent en France. Ils restent le temps de tourner un, deux ou plusieurs films avant de partir pour l'Angleterre ou les Etats-Unis et exercent une influence bénéfique sur l'évolution stylistique du cinéma français".

AAzAAA Bien que loin d'être consacré "star" lui aussi, la période d'avant guerre aura toutefois vu Oury enorgueilli de quelques succès, notamment Britannicus, pièce classique montée par Edouard Bourdet en 1939, dont l'interprétation toute en subtilité n'est pas à la portée du premier novice venu et qui témoigne déjà d'un certain talent ainsi que d'un professionnalisme en devenir de la part d'un Gérard Oury qui, par la suite arrivé à Marseille avec sa compagne d'alors, Jacqueline Roman, et où il participera aux émissions de théâtre pour la radio nationale, se verra poursuivi par l'Allemagne nazie et contraint de fuir la France pour une terre d'exile : La Suisse. Avant son départ, il est remarqué par Paul Olivier, l'agent de Raimu qui le prendra alors sous son aile. C'est aussi à cette époque, en zone libre, qu'il fait ses premiers pas au cinéma, en tant qu'acteur, dans "Les Petits riens" et dans "Médecin des neiges" de Marcel Ichac. Notons au passage que les années 30 sont la période de création de la cinémathèque française, apparue tardivement et se calquant sur les modèles internationaux tels les Etats Unis. Patrick Olmeta en explique sa création : "La cinémathèque française n'est pas le seul organisme de conservation des films à avoir vu le jour au cours des années 30. Sa naissance s'inscrit dans un mouvement général et est liée à une idée qui était dans l'air " […] et a favorisé l'émergence de cinémathèques crées à partir de volontés politiques ou d'initiatives privées." L'on comprend alors le bouleversement du cinéma français de l'époque, tiraillé entre la difficulté d'exercice de l'art et sa reconnaissance par le biais de la cinémathèque. Cette véritable mutation a peut être une influence sur Gérard Oury. Nul ne le sait.

 

Dans britannicus en 1939

 

AAzAAA Et qui est Gérard Oury à cette époque ? Un comédien en quête de renom, parfois salué par la critique mais sans grand véritable succès à son actif. Certes professionnel, son manque de maturité dans son domaine le pousse néanmoins à persévérer dans cette branche si particulière des arts qu'est le théâtre. Il sera crédité dans des dizaines de pièces helvétiques, durant tout le long de la Guerre, protégé par les frontières d'un pays neutre qui ne verra jamais la barbarie entrer en son sein et où il demeurera jusqu'à la fin des hostilités. De même que la paix fait son retour sur le territoire français, meurtri pour longtemps encore des horreurs humaines perpétrées en son sein, Gérard Oury revient à Paris où son orientation va changer progressivement. Homme de théâtre, il se tourne pourtant de plus en plus vers les plateaux de cinéma qui vivent un véritable renouveau et sont en ébullition, pour des films le plus souvent légers et divertissants afin de tenter d'oublier les scènes passées. C'est Jacques Becker qui le fait "débuter" par un petit rôle dans "Antoine et Antoinette" en 1948 tout en poursuivant une carrière théâtrale en parallèle. Curieuse coïncidence, Louis de Funès - que Oury ne connait pas encore - joue également dans ce film. Son agenda théâtral est alors bien rempli, notamment grâce au célèbre Raymond Rouleau qui l'emploiera à de nombreuses reprises. L'acteur Oury sera de plus au générique de la pièce "Les Vivants" d'Henri Troyat, au théâtre duVieux Colombier.

AAzAAA Face à la caméra, voici entre autres quelques films, français, britanniques mais aussi italiens, dans lesquels le futur réalisateur sera présent : "Le fond du problème" d'après Graham Greene, "La nuit est mon royaume" de Georges Lacombe, "Le dos au mur" d'Edouard Molinaro et d'autres productions notamment "La meilleure part" et "Méfiez vous, fillettes" d'Yves Allégret. Il retrouve en 1949 une actrice rarement croisée mais jamais oubliée : Michèle Morgan. Sur le plateau de "La belle que voilà" réalisé par Le Chanois, il peut à nouveau partager l'affiche avec celle qui deviendra plus tard sa femme. Le titre du film est à lui seul un clin d'œil…Il lui donnera même un baiser lors d'une scène tournée dans un ascenseur mais qui n'enflamme pas Michèle Morgan. Gérard Oury s'envole ensuite pour l'Angleterre, où il y séjournera pendant deux ans, le temps d'y tourner pas loin de quatre vingt long-métrages. Lorsqu'il revient, Le Chanois fait à nouveau appel à lui dans "Sans Laisser d'adresse", film charmant dans lequel jouent Danièle Delorme, Bernard Blier, Pierre Mondy, Jacques Dynam et un certain Louis de Funès. Enfin, dans "La fille du Fleuve" de Mario Soldati, Oury a droit à un beau second rôle auprès de la sublime Sophia Loren. Alors qu'il fait un complexe de sa calvicie précoce, il porte à cette occasion un toupet.

AAzAAA Habitué des plateaux, il devient alors progressivement une figure familière, à laquelle nombre de professionnels font appel. Cette présence infatigable le pousse à rencontrer des personnes qui deviendront de véritables piliers de sa carrière mais aussi de sa vie personnelle et privée : Bourvil, Louis de Funès et bien d'autres vont croiser l'acteur, qui ne l'est d'ailleurs plus tout à fait puisque l'idée de réalisation d'un scénario lui trotte dans la tête depuis quelques temps déjà. Il est assez difficile de pouvoir quantifier à quel moment sa décision fût prise d'abandonner le rôle d'acteur afin de passer de l'autre de la caméra mais gageons qu'elle est le fruit d'une maturité acquise et ne demandant qu'à se confirmer. De plus, ne disposant pas d'un physique de jeune premier lui permettant de postuler pour les meilleurs rôles, il est contraint à se morfondre dans des compositions de méchants, de salauds, ou de gueules louches en tant que troisième couteau. Débute alors sa nouvelle vie d'artiste avec un film qui restera spécial pour lui, et ce à bien des égards : "Le miroir à deux faces"…

 

Crédits :

Jean Pierre BERTIN MAGHIT, Le Cinéma sous l'occupation, Paris, PUF, 1994, p.20.
Roger BOUSSINOT, L'Encyclopédie du cinéma, Paris, Bordas, 1980, p.1278.
Vincent CHAPEAU, Sur la Route de la Grande Vadrouille, Villeneuve d'Asq, Hors Collections, 2004.
Christian DUREAU, Dictionnaire des acteurs du cinéma, Paris, Tournon, 2001, p. 641.
André LABARRERE, Atlas du cinéma, Paris, Le Livre de poche, 2002.
Patrick OLMETA, La Cinémathèque française de 1936 à nos jours, Paris, CNRS Editions, 2000, p.63 et 64.
Gérard OURY, Ma Grande vadrouille, Paris, Plon, 2001.

Gérard OURY, Mémoires d'éléphant, Paris, Olivier Orban, 1988.
Vincent PINEL, Genres et mouvements au cinéma, Paris, Larousse, 2009.
Jean TULARD, Dictionnaire du cinéma, Tome 1 : Les réalisateurs, Paris, Robert Laffont, 2007, p. 726.
Site Internet Wikipedia : article "Gérard Oury".

 

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