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Michel MAGNE

(première partie)

 

AAAA Celui que Stéphane Lerouge a décrit comme un "créateur survolté, prince de la musique tachiste" a indiscutablement marqué le cinéma français. Féru de toute forme d'expérimentation et compositeur ouvert, Michel Magne a brillamment signé quelques unes des plus belles musiques du cinéma français, aux couleurs variées, allant du jazz aux effluves asiatiques en passant par les musiques ethniques, le british-beat et les mouvements mélodiques. Dans les années 1960, il fut le musicien le plus sollicité du cinéma français, travaillant tour à tour pour Jacques Deray, Claude Autant-Lara, Roger Vadim, Georges Lautner, André Hunebelle ou encore Jean Yanne. Dès ses premiers succès rencontrés en 1962 avec "Un Singe en hiver" de Verneuil et surtout "Le Repos du Guerrier" de Vadim, Magne travailla intensivement pour le cinéma (en 1965, il signa 12 bandes originales !) tout en enchaînant les enregistrements pour ses albums personnels dans son studio. Retour sur le parcours d'un artiste doué, trop tôt parti, qui avait compris que la musique ne s'entend pas uniquement, elle se regarde aussi...

 

La mise en musique des films par Michel Magne

AAAA Les premières orientations musicales de Michel Magne - né le 20 mars 1930 à Lisieux dans le Calvados - furent traditionelles. Ayant en admiration Bach et Wagner, il poursuivit des études classiques de composition et de direction d'orchestre au conservatoire de Caen, puis à celui de Paris dans la classe de Simone Plé-Caussade. Diplômes en poche, il signe au milieu des années 1950 les bandes originales de plusieurs courts-métrages aujourd'hui oubliés ("Matériel élecrique", "La Napoule", "Le Pain Vivant", "Les Buses"...) avant de composer pour la musique du film "Détournement de mineures" en 1959. En 1960, Jean Girault lui donna sa chance en lui confiant la musique des "Pique-assiettes", puis le réalisateur corse Jean Bastia pour "Les Tortillards", dans lequel apparaissent Louis de Funès, Jean Richard, Roger Pierre, Robert Rollis et Christian Marin. Premier film où les noms de Michel Magne et Louis de Funès apparaissent au générique, le compositeur imagina une musique guillerette qui donnait le ton de cette comédie sympathique et sans prétention, mais qui ne mettait pas encore l'accent sur le jeu du comédien, comme ce devait être le cas quatre ans plus tard sur "Fantômas".

AAAA En 1960, Michel Magne n'était pas encore un artiste confirmé et reconnu de tous. Toutefois, son talent et sa fougue - ainsi que l'évolution du monde cinématographique - allait le conduire à une brillante carrière. En effet, la Nouvelle Vague modifiait alors radicalement les relations entre cinéastes et compositeurs. Les nouvelles dimensions sonores rejetaient progressivement le code de fabrication jusque là en vigueur pour les bandes originales. Outre la disparition de l'académisme symphonique, un nouveau type de montage des films permettait une audace quant à la place de la musique au coeur d'un film. Aussi était-il devenu de plus en plus courant de demander aux compositeurs d'intégrer un air ou un thème à la fois facile et pouvant donner matière à une chanson. Michel Magne opta ainsi pour des mélodies facilements identifiables, celles qu'un quidam reconnaitrait entre mille et sifflerait dans son bain. Le gimmick de "Fantômas" aux cuivres ou celui des "Tontons flingueurs" au banjo en sont deux exemples. Malgré tout, il évita le plus souvent l'intervention d'un parolier, à l'exception notable du premier "OSS 117", ce qui ne dérangeait alors pas plus les producteurs que les réalisateurs. Aussi cette absence de chansons pouvait-elle paraître curieuse à une époque où "Les Parapluies de Cherbourg" rafflait de multiples récompenses.

 

Michel Magne dans l'un de ses studios à Hérouville

 

AAAA Cependant, avec Magne en figure de proue pour les films populaires de Hunebelle ou de Vadim, le cinéma français des années 1960 donnait naissance à un triomphe de la mélodie, soignée mais sobre, déclinée sous divers rythmes et différentes tonalités. La vague "mélodique" - à laquelle adhéraient également Michel Legrand et Georges Delerue - s'appuyait sur de grands modèles inattendus tel Jean-Sébastien Bach, avec "ses grandes arches mélodiques à la base de "rosalies", son dynamisme rythmique et ses enthousiasmes de trompettes" (Michel Chion). L'inspiration de Bach par Magne se ressent ainsi avec ses thèmes religieux pastichés dans "Le Repos du Guerrier" de Vadim (1962), voire avec "Le Diable et les dix commandements" de Julien Duvivier (tourné en 1961). A ce sujet, Vadim se souvenait "Pendant l'écriture du "Repos du Guerrier", j'étais resté en extase devant un mouvement de "La Passion selon Saint-Mathieu" de Bach. Quand Michel est intervenu sur le projet, nous l'avions écouté ensemble". A Vadim lui demandant s'il pouvait s'en inspirer, Magne répondit "Tu sais, en littérature comme en musique, il faut bien partir de quelque chose !" Ainsi, les quelques mesures empruntées à Bach et développées aboutirent à la bande originale du long-métrage.


Premiers succès avec les films de Verneuil

AAAA L'idée de Verneuil fut de confrontrer Gabin le patriarche du cinéma français à un comédien emblématique de la génération montante, Belmondo puis Delon. De cette idée devait naître deux films frères reliés par le même producteur Jacques Bar, le même dialoguiste Michel Audiard, la même équipe technique et enfin le même compositeur. Ce fut Michel Magne. Et sa collaboration avec le réalisateur (leur premier film commun fut "Des Gens sans importance" avec Gabin et Mondy) lui valut l'honneur de composer les bandes originales de "Un Singe en hiver" en 1962, puis de "Mélodie en sous-sol" l'année suivante.

AAAA Pour "Un Singe en Hiver", racontant la rencontre de deux hommes perdus dans leurs solitudes respectives, Michel Magne élabora une musique calibrée et délicate qui renvoie aux doux rêves et aux nuits d'ivresse des protagonistes. Habilement, Magne ne s'aventura pas dans l'exagération, car la folie de Gabin et Belmondo, raisonnée, s'achève sur leur renoncement avec eux-mêmes. La seule exception de taille est le morceau "Sol de España" qui accompagne le flamenco déjanté de Belmondo improvisé sur la table d'un bistrot. Pour autant, les dialogues d'Audiard évoquant le Yang-Tse-Kiang, le Prado et le soleil espagnol permirent au compositeur d'explorer de nouveaux horizons musicaux. En outre, certains morceaux annonçaient déjà sa musique ethnique concoctée pour la série "OSS 117" de Hunebelle.

AAAA Pour "Mélodie en sous-sol" racontant le hold-up préparé et exécuté par deux truands, Magne composa un thème principal assez fort qu'il déclina en plusieurs versions (blues, swing, pop). La dernière scène montrait Francis qui, traqué par la police, n'avait d'autre choix que de se débarasser du magot en jetant les billets dans une piscine. Dans cette longue séquence, devenue célèbre, la musique grandiose et rutilante de Magne remplaça les dialogues de Audiard. A Stéphane Lerouge, Henri Verneuil reconnut qu'il considérait Magne comme "un curieux personnage. Ses deux partitions étaient exemplaires mais je n'ai jamais réussi à le percer à ce jour, à le déchiffrer. Parfois, je me suis demandé si Magne jouait sciemment les disjonctés ou si sa folie était naturelle. Les péripéties de son existence m'ont fait opter pour la seconde solution, ce qui n'a rien de déshonorant car son extravagance servait sa musique."

 

Dernière scène de "Mélodie en Sous-sol" de Henri Verneuil (1963)

 


Les collaborations avec Roger Vadim et Georges Lautner

AAAA En 1958, Michel Magne et Roger Vadim avaient travaillé ensemble pour la première fois en montant un ballet imaginé par le réalisateur et Françoise Sagan. Si "Le Rendez-vous manqué", joué au théatre des Champs-Elysées, n'avait pas laissé un souvenir impérissable au compositeur, il matérialisa la première des collaborations entre les deux hommes, qui devaient être par la suite bien plus fructueuse. Pourtant, il fallut attendre quatre longues années pour que Vadim fasse à nouveau appel - dans l'urgence - à Magne. Pour son film alors en préparation, le réalisateur venait de refuser les bandes apportées par un premier compositeur. Pendant trois jours, Magne travailla comme d'arrache pied pour accoucher de la partition du "Repos du Guerrier", film remarquable sorti en 1962. Roger Vadim se rappelait que "Humainement, Michel Magne était un être tout à fait hors du commun. C'était un jeune homme qui aurait pu tourner bourgeois et, brusquemment, s'est mis à détester cette perspective. Il s'est alors construit un personnage de fou, de façon intelligente et logique, en s'imprégnant de principes dadaïstes et surréalistes. Il adorait les provocations, les canulars et, si je l'avais suivi dans ses extravagances, je me serais retrouvé nu sur le toit d'un autobus ou peignant en noir le dôme des Invalides. Cela dit, le fait même de s'inventer un personnage et d'aller jusqu'au bout dans l'expression de celui-ci révèle à la base une forme de folie. Mais une folie dont je n'ai pas eu à me plaindre car elle générait des idées."

AAAA C'est auprès d'un autre réalisateur que Magne devait s'épanouir et composer une bande son devenue mythique. Avec Georges Lautner, Magne avait notamment composé les musiques de la série du "Monocle" (Maul Meurisse). Toutefois, si les films avaient connus un honorable accueil auprès du public, les bandes originales - très jazzy - ne se détachaient pas de ce que le composteur avait alors l'habitude de composer. Mais en 1963, les aventures du bourru Fernand Naudin (Lino Ventura) allait avoir un tout autre impact. Georges Lautner nous confiait : "Tout en restant le metteur en scène, il fallait que je sache l'écouter. Avec Michel, nous discutions de nos différentes idées. Pour "Les Tontons flingueurs" par exemple, il m'avait proposé de baser la musique sur les quatre notes du bourdon de Notre Dame. Je me suis demandé s'il ne se payait pas ma tête ! Je l'ai laissé faire et la musique du film fut une réussite. Ainsi, j'écoutais les avis et les suggestions des gens que je côtoyais." Ainsi, Michel Magne s'amusa à décliner une sonate de Corelli, que ce soit une version noire, une yé-yé ou une version banjo soulignant un gag répétitif. Avec cette bande-son, toute simple mais accrocheuse, Magne a montré qu'il savait aussi puiser dans l'univers contemporain qui l'entourait. A la croisée de la B.O. de "Blues in the night", de "Gloria" de Van Morrison, et de "A hard day's night" des Beatles, Magne retranscrivit parfaitement l'ambiance des années 60 qu'a notamment connue la jeunesse dorée et parisienne de Patricia (Sabine Sinjen), la nièce de Fernand Naudin, avec Vespa, Coca Cola, et 45 tours de Johnny Hallyday et des Rolling Stones ! Enfin le brillant clin d'oeil à la musique conceptuelle de Magne, à laquelle le compositeur devait se consacrer quelques années plus tard dans son studio, se trouve dans l'appartement d'Antoine Delafoy (Claude Rich). L'installation baroque de tuyauteries et de robinets, qui provoque la stupéfaction de Lino Ventura (!), était en réalité une prouesse car leur organisation et la juxtaposition de sons - qui n'étaient pas nécessairement musicaux - visaient à concevoir une musique concrète.

 

 
MICHEL MAGNE ::: Le fantaisiste pop
envoyé par Gonzai_mag. - Clip, interview et concert.

 

 

AAAA La musique des "Barbouzes", autre film de Lautner sorti l'année suivante, fut différente de celle des "Tontons". Le compositeur s'est efforcé de traduire les ponctifs du genre du film, qu'il s'agisse de l'univers trouble des espions ou de l'exotisme oriental des rives du Bosphore. Chaque personnage se reconnait dans un instrument, qu'il s'agisse du violon slave, du banjo ou de la guitare country ! Enfin, comme avec Claude Rich dans les "Tontons", on note la présence d'un mélomane de service. Ce fut Francis Blanche, pianiste virtuose usant de son art pour séduire la riche veuve (Mireille Darc). En conclusion, Magne se sentit à l'aise dans l'univers décalé et complexe de Lautner. De cette union sortit deux films devenus cultes et aux musiques diverses et soignées.

 

 

Thème principal exécuté au banjo, "Les Tontons flingeurs" de Georges Lautner, 1963

 

AAAA Enfin, Magne signa la bande originale du film à sketchs "Les Bons Vivants" en 1965. Georges Lautner nous confiait à ce sujet : "Gilles Grangier, Michel Audiard et moi-même étions de bons amis. On nous a un jour proposé de tourner sur le sujet des maisons closes. Gilles a eu deux sketchs à réaliser. Quant à moi, j'avais le scénario d'une ouverture de maison close avec Louis de Funès en vedette et de nombreux comédiens avec qui tout se passait bien. Selon le réalisateur, qui avait déjà travaillé avec Louis de Funès sur "Des Pissenlits par la racine" avant que le comédien ne devienne une véritable vedette, "De Funès était resté le même. Son comportement n'avait changé ni envers moi, ni envers ses partenaires". Quant à la musique de Michel Magne, elle introduit notamment "La Valse brune", un ragtime de 1909 revu et corrigé, ainsi que d'autres morceaux traduisant parfaitement l'ambiance feutrée du domicile de Léon Hautpin (Louis de Funès). Dernier film où Magne et De Funès sont cités au même générique. A ce jour, aucune publication n'évoque une rencontre entre ces deux hommes différents mais hors du commun.

Bande annonce des "Bons Vivants" de Lautner (1965), où l'on entend "La Valse Brune".

 

 

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