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Michel MAGNE

(deuxième partie)

 

André Hunebelle : "OSS 117" et "Fantômas"

AAAA André Hunebelle fut le réalisateur avec qui Magne travailla le plus dans les années 60. Sorti en 1963, "OSS 117 se Déchaîne" fut le premier de leurs huit films communs. Cette première bande-son révéla que Magne était un compositeur surfant sur la vague de la mode en faisant d'un rythme très en vogue - le hully-gully - le thème principal du film. Parodiant les fantaisies de James Bond avec cascades et filles légèrement vêtues, les aventures de Hubert connurent trois suites se déroulant respectivement à Bangkok, à Bahia et à Tokyo, l'occasion pour Magne d'explorer les musiques ethniques et folklores asiatiques. Les bossas, batucadas et sambas qu'il signa laissèrent entrevoir un nouveau visage du compositeur. Toutefois, pour plusieurs morceaux, Magne exploita encore son goût immodéré pour le jazz. De plus, comme il en avait l'habitude, il imposa un gimmick pour thème principal, exécuté tour à tour par de puissants cuivres, un piano à queue ou quelques violons. Sa méthode des déclinaisons d'un thème principal prééxistant, Magne la conserva pour composer la musique d'une autre série : "Fantômas".

 

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Deux 45 tours très recherchés, récemment vendus sur Ebay pour plus de 200 € l'unité. A gauche, la bande originale du film "Le Monocle rit jaune" de Georges Lautner (1964). A droite, les thèmes mélodiques "Fantômas flirte" et "Ma chère Hélène" commercialisés sur l'unique 45 tous de la trilogie : "Fantômas se déchaîne" (1965).

 

AAAA "Fantômas" à la sauce Hunebelle, c'était avant tout les cascades de Marais et un personnage mystérieux et diabolique, dont le masque vert placide faisait froid dans le dos. De plus, la parodie reste également une comédie appréciée pour la vis comica de Louis de Funès. Cependant, sa bande originale - signée Magne - n'a pas non plus sombré aux oubliettes. Et force est de reconnaitre que la présence de De Funès au générique est un facteur important à ce succès. En effet, c'est peut-être avec le jeu de cet acteur que Magne a pu véritablement mettre en lumière sa "musique visuelle", en unissant au mieux la manipulation picturale et la musique. Selon Alain Lacombe et François Porcile, il réinventa la musique "dite psychologique basée sur des réactions psycho-physio-logiques", c'est à dire des relations manifestes entre les "ondes sonores et les courants magnétiques du corps humain". Cette théorie se veut particulièrement crédible au regard de la scène dans laquelle le commissaire Juve s'explique, par des gestes désespérés et des exentricités, avec la police ferroviaire romaine ("Fantômas se déchaîne"). Un vértiable clin d'oeil au cinéma muet, basé sur un morceau intitulé "Juve s'explique", qui permet de comprendre que la musique fait également passer des émotions.

 

Générique de "Fantômas", de André Hunebelle, 1964

 

AAAA Selon Marc Lemonier, "Le gimmick associé à Fantômas, un peu emphatique, ajoute de la séduction lugubre au personnage. De même, les petits airs guillerets qui illustrent les gesticulations de Louis de Funès donnent à celles-ci des allures de commedia dell'arte." En outre, la mélancolie et le lyrisme de la bande-son de "Fantômas se déchaîne" sont purement savoureux et figurent encore aujourd'hui parmi les compositions les plus abouties de Michel Magne. La réussite de ses compositions vaut la sortie d'un 45 tours, le seul de la trilogie qui sera commercialisé et qui est désormais très prisé des collectionneurs. Par ailleurs, le générique de ce second volet est un pur chef d'oeuvre. Résumant le premier épisode en moins de trois minutes, cette animation en couleur est un mélange savoureux d'instruments variés (cuivres, guitares, harpe...).

AAAA A l'inverse, l'innovation musicale fut moins percutante pour "Fantômas contre Scotland-Yard". A l'exception des performances des cors pour les scènes de chasse à cours, Magne se contenta de reprendre - à plusieurs reprises - le thème principal du premier volet. Signe d'un essouflement, le troisème épisode s'achève comme le premier avait débuté, c'est à dire par la fuite de Fantômas en auto après un vol de bijoux. La musique choisie pour ces deux scènes reste le gimmick principal. Tant pour le scénario que pour la musique, l'appauvrissement témoigne que la boucle est bouclée. Il n'y aura pas de quatrième épisode.

 

Générique de "Fantômas se déchaîne" de André Hunebelle (1965)

 

Spécialiste de l'enregistrement

AAAA En 1962, Michel Magne avait acheté le château de Hérouville, situé dans le Val d'Oise, où il avait aménagé un petit studio d'enregistrement. Piètre financier, l'acquisition puis les aménagements furent coûteux et obligèrent Magne à composer sans relâche pour le cinéma. Le 26 mai 1969, un incendie sévère ravagea toute l'aile gauche du Château, où se trouvaient la plupart de ses bandes magnétiques, ses partitions et ses disques. Ainsi, lorsque Universal Music souhaita commercialiser les bandes sons de la trilogie "Fantômas", il fallut fouiller dans les archives de la société de production Gaumont. Si quelques maquettes furent dénichées et dépoussiérées, le résultat final fut en grande partie reconnu au travail de Raymond Alessandrini, ancien orchestrateur de Michel Magne. En 2001, ce dernier repiqua à l'oreille la bande originale des trois films.

 

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Michel Magne orchestrateur (à gauche) et preneur de son dans son studio à Hérouville (à droite).

 

AAAA Dès la fin de l'année 1969, Michel Magne reprit le goût de vivre et décida d'élaborer son propre studio d'enregistrement dans la tour refaite à neuf. Le 18 Novembre 1969, la S.E.M.M (Société d'Enregistrement Michel Magne) vit le jour, forte d'un capital de 25.000 francs. Le studio 4 pistes qu'il avait monté fut baptisé Strawberry Studio. Mais Michel Magne se laisse rapidement déborder. Dans ses mémoires, il relatait : "Hérouville devenait une énorme machine qui accaparait tout mon temps et toute mon énergie..." Par ailleurs, en 1972, Magne installa des pistes supplémentaires dans son studio avant d'en aménager un second dans le château, des frais qui mirent à mal ses finances. Accaparé par son rôle d'hôte, ses répartitions SACEM devenaient insuffisantes pour faire tourner le Château. En outre, selon l'analyse de Stéphane Lerouge, Magne délaissa le cinéma pendant quelques années et, par conséquent, le cinéma s'éloigna de lui. Pourtant, à cette époque, s'il composait peu pour l'image, il ne demeurait pas pour autant inactif. En effet, dans ses locaux, il enregistra et mixa les pistes d'Elton John, des Pink Floyd, des Grateful Dead ou encore de Cannet Heat et T. REX ! Dans un tout autre esprit, le groupe de rock parodique Au Bonheur des Dames y enregistra son succès "Oh les filles !" en 1974. L'on raconte même que Johnny Hallyday, stupéfait par les prouesses du compositeur et arrangeur, lui aurait proposé de travailler exclusivement avec lui et de devenir son associé !

 

Les films de Jean Yanne

AAAA Au début des années 1960, le cinéma avait accueilli Michel Magne à bras ouverts, pour finalement le monopoliser pendant une décennie, à une cadence infernale d'une douzaine de films par an ! Pourtant, ses partitions consensuelles étaient le reflet d'un autre objectif musical que Michel Magne ne s'était peut-être pas fixé, au regard des différences fondamentales qui séparent son "monde expérimental" des B.O. de "Fantômas" et du "Repos du Guerrier". Au travers de sa collaboration avec Jean Yanne dans les années 1970, il devait revenir à une entreprise provocante et caricaturale qui le caractérisait mieux, tel un "Ionesco de la double croche" (Stéphane Lerouge). En 1972, Jean Yanne contacta Magne afin d'obtenir une maquette pour son film "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil". A ce sujet, Olivier Cachin et Christophe Geudin écrivent : "Décapante, luxuriante et extravertie, la musique de Michel Magne procurait le parfait contrepoint aux films anars de Jean Yanne." Dans ce long-métrage, les genres musicaux sont tous profanés, qu'il s'agisse du tango avec "Jésus Tango", le rock avec "Jésus, rends-moi Johnny", la pop avec "Tilt pour Jésus-Christ" et le folk baba avec "Jésus San Francisco" ! Cachin et Geudin concluent : "Un fantasme analogique daté, mais un objet de culte garanti. De tels films ne pourraient plus voir le jour aujourd'hui. De telles bandes originales non plus." L'année suivante, Jean Yanne fit à nouveau appel à lui pour la B.O. de "Moi y'en a vouloir des sous". Les résultats furent fort convaincants. Car Magne fut un compositeur motivé pour signer la BO de ces deux films. Par ailleurs, Magne s'imposait - telle une évidence - pour prolonger musicalement le délire des situations imaginées par Jean Yanne. A l'instar de Fancis Lai pour "L'Aventure, c'est l'aventure", Magne puisa son imagination dans les tubes de variétoche, venus du flower power américain ou de la pop anglaise. L'utilisation de cuivres et la mise en évidence de la guitare basse en sont les preuves les plus convaincantes.

AAAA Néanmoins, ces deux films conclurent la période la plus féconde de Magne, qui signa jusqu'à douze bandes originales par an ! Par la suite, Magne devait changer d'esprit. Il venait de se marier et avait vendu le château d'Hérouville, dont la faillite pesa lourd pour le compositeur.

 

 

"Petrol Pop", pour le film "Moi y'en a vouloir des sous" de Jean Yanne, 1973.

 

Clap de fin

AAAA Paradoxalement, s'il fut sa principale source de reconnaissance et de revenus, le cinéma ne fut pas pour autant le véritable échappatoire du compositeur. Michel Magne, comme il revendiquait lui-même, c'était avant tout l'habitude de "mêler le très sérieux au farfelu, à l'impossible", ce qui choquait son entourage. Avant-gardiste loufoque et baroque, symphoniste iconoclaste, il n'hésitait pas à mélanger instruments et taches sonores. Les exemples les plus absolus sont probablement les respirations haletantes, le bris d'assiettes (violemment jetées sur le sol du studio) ou le carillon de fourchettes ! Ainsi, il faisait preuve d'une remarquable ubiquité en apparaissant sur des oeuvres radicalement distantes les unes aux autres.

AAAA Malheureusement, des problèmes juridiques nés de difficultés financières le conduisent à quitter Hérouville. En effet, à la suite de divers démêlés, la justice décida de vendre le château en juin 1979 et de saisir à la source les droits d'auteur du compositeur. Dépité, il était désormais installé à Saint-Paul-de-Vence, où il se donnait notamment à la peinture et la sculpture. La rémunération de ses performances n'assurant désormais que le remboursement des créanciers d'Hérouville, Michel Magne se suicida à Pontoise en décembre 1984. "Les hauts et les bas ont fait de ma vie une balançoire d'enfant, écrivit-il en 1980. Mais les chutes et les larmes salées n'ont jamais pu en tarir les rires fous." Il laisse derrière lui un riche patrimoine musical avec deux albums et 110 bandes originales de films.


Sources / bibliographie :

- José-Louis BOCQUET, Georges Lautner, Foutu Fourbi, Genève, Horizon illimité, 2002.
- Olivier CACHIN, Christophe GEUDIN, 100 B.O. cultes, Paris, Tournon, 2008.
- Michel CHION, La Musique au cinéma, Paris, Fayard, 1995.
- J-L DENAT, P GUINGAMP, Des Tontons flingueurs et des Barbouzes, Paris, Terrain Vague, 1993.
- "Michel Magne" in Jean-François HOUBEN, 1 000 Compositeurs de cinéma, Paris Cerf / Corlet, 2002, p.459-461.
- Alain LACOMBE, François PORCILE, Les Musiques du cinéma français, Parsi, Bordas, 1995.
- Marc LEMONIER, Sur la piste de Fantômas, Paris, Hors Collection, 2005.
- Michel MAGNE, L'Amour de vivre, Paris, 1980.

- Compartiment tueurs / Le Départ des copains, bandes originales des films de Costa Gavras et Terence Young par Michel Magne, Universal Music, vol. 31, 2004.
- Fantômas, Fantômas se déchaîne, Fantômas contre Scotland-Yard,
bandes originales des films de André Hunebelle par Michel Magne, Universal Music, vol. 35, 2004.
- Le Repos du Guerrier / Barbarella / La Ronde / Don Juan 73
, bandes originales des films de Roger Vadim par Michel Magne, Universal Music, vol. 43, 2007.
- Mélodie en Sous-sol / Un Singe en Hiver, bandes originales des films de Henri Verneuil par Michel Magne, Universal Music, vol. 41, 2006.
- OSS 117 se déchaîne / Banco à Bangkok pour OSS 117 / Furia à Bahia pour OSS 117 / Atout coeur à Tokyo pour OSS 117, bandes originales des films de André Hunebelle par Michel Magne, Universal Music, vol. 35, 2004.
- Tout le Monde il est beau, tout le monde il est gentil, bande originale du film de Jean Yanne par Michel Magne, Universal Music, vol. 38, 2006.

 

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