AAAAAAApparu sur les écrans des cinémas français en 1961, " La Belle Américaine " , dont le scénario est cosigné par Pierre Tchernia et Robert Dhéry, est une comédie hilarante, une avalanche de gags et composée d'un casting de rêve : Louis de Funès, Colette Brosset, Jacques Legras, Jean Carmet, Bernard Lavalette, Christian Duvaleix, Pierre Dac, Grosso et Modo, Michel Serrault, Jean Lefèbvre, Roger Pierre et Jean Marc Thibault, Christian Marin…et bien entendu les inoubliables Jacques Fabbri et Alfred Adam ! Une chose est sûre, la base du film est bonne !

AAAAAALe compositeur Gérard Calvi, membre fondateur des Branquignols et collaborateur fidèle de obert Dhéry depuis 1949, se charge une fois encore de la bande originale du film. La direction de la photographie est confiée à Ghislain Cloquet. Sur des décors réalisés par Lucien Aguettand, la mise en scène est effectuée de manière complémentaire par Maurice Frydland et Tony Aboyantz. Enfin Pierre Lhomme se retrouve derrière la caméra (en complémentarité du duo d'auteurs) et le montage sera confié à Albert Jurgenson, probablement le meilleur monteur de sa génération en France. Maurice Frydland confirme d'ailleurs : "Avec Robert tout était parfait, je garde un très bon souvenir de ce film, tout s'est très bien passé. L'équipe était formidable. C'est Pierre Lhomme qui était opérateur et Ghislain Cloquet directeur de la photographie. Nous avons quasiment tout tourné au studio de Billancourt, qui n'existe plus aujourd'hui, sauf quelques scènes comme le concours de beauté. Mais en ce qui concerne le salon de coiffure, le bistrot et le quartier, tout était en studio.

 

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Colette Brosset, Robert Dhéry et le compositeur Gérard Calvi - interviewés par Pierre Tchernia - effectuent la promotion du film dans l'émission Discorama le 21 octobre 1961 (archives INA).

 

Naissance d'un scénario

AAAAAALa trame du film est simple : Le testament d'un riche industriel lègue la splendide voiture américaine du défunt à sa dévouée secrétaire, avec qui il entretenait secrètement une liaison. Furieuse, sa veuve décide pour se venger de céder le véhicule à un prix dérisoire. C'est Marcel, un ouvrier, qui l'achètera peu de temps après, créant alors une véritable surprise dans son modeste quartier, regorgeant de personnages atypiques, simples et attachants. Mais comment une telle idée a pris naissance dans le cerveau des scénaristes ? Pierre Tchernia explique : "Un jour, je retrouve Robert Dhéry et Colette Brosset et l'on dine ensemble. Je leur ai raconté que quelques jours plus tôt, il m'était passé une idée par la tête et qu'elle pouvait être le sujet d'un film. Ce jour-là, j'aillais rendre visite à ma mère et je m'étais garé près d'un chantier. Devant un vieil immeuble vétuste et noir il y avait une voiture américaine blanche. J'ai été frappé par le contraste entre la blancheur symbolisant le luxe et la misère de l'immeuble sur fond noir. Il me vient alors une idée : si cette voiture appartenait à une personne résidant dans cet immeuble ? C'est ce que je racontai à Robert et Colette. Le lendemain, je devais prendre le train et avant d'embarquer je trouvai Robert sur le quai qui me dit "Il faut que nous réalisions le film". Nous avons réalisé quelques synopsis de départ avec des noms différents : La belle auto blanche, la fierté du quartier… et c'est Colette qui trouva le titre parfait : "La belle américaine". "

 

 

AAAAAAPierre Tchernia ajoute : "A cette époque, de nouveau modèles automobiles font leur apparition, notamment avec les Ford Versailles, qui ont eu une forte influence américaine. Le rêve de nombreux Français résidait dans l'achat d'une auto. C'est pourquoi l'objet principal du film c'est la voiture, le film tourne autour de cette voiture. La difficulté principale résidait en ce que Robert était à Londres avec la troupe puis ils sont partis à New York. Il s'est passé beaucoup de temps, environ quatre ans entre la première idée et la réalisation. Nous avons donc correspondu longuement de manière épistolaire. "

AAAAAAMais Colette Brosset ne manque pas de rappeler que si le scénario à été développé par Dhéry et Tchernia, c'est en revanche Alfred Adam qui signa les dialogues. La réalisation du film aussi s'effectue dans une ambiance bon enfant : "Robert était l'homme qui ne se trompait pas mais il hésitait parfois" selon Roger Pierre. Pour Pierre Tchernia, Robert Dhéry est un homme qui avait un œil unique, il comprenait tout et devinait tout, il savait pêcher dans ses acteurs les choses dont il avait besoin. " Il m'a beaucoup appris sur les rapports que l'on peut avoir avec les acteurs." Maurice Frydland se rappelle d'ailleurs : "il ne demandait pas de refaire beaucoup de prises, il se contentait de trois ou quatre" et Jacques Legras se souvient que " Il savait tirer de nous le principal ".

AAAAAAMaurice Frydland, alors assistant réalisateur, se souvient de la manière dont il est venu à travailler sur ce film. Il nous confiait dans notre interview : "Je crois que Robert Dhéry cherchait un deuxième assistant ce qui tombait bien puisque je venais de passer second. Quelqu'un a dû donner mon nom à Robert Dhéry qui m'a appelé. A cette époque, je faisais de la pub et je fus très heureux que l'on fasse appel à moi car j'étais un fan assidu de la troupe des Branquignols et de leurs spectacles tels qu "Ah les belles bacchantes!". A cette époque ils revenaient des Etats-Unis où ils avaient longtemps tournés notamment à Broadway. Ils ont par la suite écrit le scénario de "La Belle Américaine" avec Pierre Tchernia. Le premier assistant devait être Tony Aboyantz, je crois, et je me suis donc retrouvé à travailler à ses côtés "

 

L'équipe du film

 

AAAAAARoger Pierre se souvient de son engagement dans le film en confiant : "Je connaissais Robert Dhéry et Colette Brosset depuis 1947. Nous jouions avec Jean Marc Thibault au caveau de la terreur Rue de la huchette. Robert nous a dit " j'envisage de vous prendre dans la troupe pour l'année prochaine " mais arrivé le mois de septembre, c'est Francis Blanche, sa femme et sa belle sœur qui ont décroché la place, nous n'étions pas assez connus. Nous nous sommes retrouvés plus tard dans la revue que j'avais monté et qui s'appelait Chocolat Show et en 1961 ils nous ont demandé de participer au film, Jean Marc et moi. Je dois avoir le rôle le plus court du film, je disais simplement à Robert Dhéry " Alors mon vieux relax ? " et cette phrase m'a poursuivi pendant des années.".

 

AAAAAABernard Lavalette nous racontait son grand bonheur d'avoir fait parti de cette troupe : "J'étais au lycée avec Pierre Tchernia, et notre amitié dure depuis plus de soixante ans. C'est lui qui a eu l'idée de "La Belle Américaine", donc il a travaillé avec Robert Dhéry, et le film est crédité à Dhéry mais il ne faut pas oublier que Tchernia a collaboré! D'ailleurs quand Robert était à l'image, c'est Pierre qui était derrière la caméra! Le succès de "La Belle Américaine" lui a donné cette étiquette de réalisateur. Les préparatifs du film étaient presque achevés et le rôle du ministre devait être pour Jean Poiret car il y avait Michel Serrault. Il fallait donc reconstituer le duo mais il tournait dans un autre film et il a eu des dépassements, ce qui fait qu'il a dû abandonner le projet. Tchernia a donc pensé à moi pour ce rôle de ministre. C'est comme ça que j'ai discuté avec Robert Dhéry qui m'a dit de penser à Chaban Delmas pour jouer ce rôle, c'est à dire de jouer un ministre un peu mondain, un peu snob. J'ai tourné pendant 14 jours et il y a même une scène qui a été coupée, ce qui est dommage car elle était très amusante, mais bon le film faisait déjà plus de 90 minutes."

 

AAAAAADans le rôle savoureux du marchand de glace amoureux au cœur tendre, c'est Christian Marin qui se voit confier le rôle. Le futur gendarme Merlot nous racontait il y a quelques mois : "On avait une très bonne équipe. A cette époque Dhéry revenait d'Amérique, où il avait un gros succès, je crois que c'était avec la pièce "Les Plumes de Ma Tante". Il a par la suite décidé de faire un film et il cherchait quelqu'un pour jouer le rôle d'un amoureux...ce film c'était "La belle Américaine". J'ai eu beaucoup de chance car j'ai côtoyé tous les acteurs comiques tels que Legras, Alfred Adam... " Robert Rollis nous avait également confiés l'ambiance si particulière qui régnait sur le plateau avec, quand même, un De Funès qui imposait son comique : " C'était marrant! L'important c'était de ne pas faire trop rire quand on était avec lui (rires)... mais bon il était bien entouré avec Legras, Duvaleix, Carmet! Mais il fallait que l'on sente que c'était du De Funès quand même! C'était un gars formidable! Il était très précis! Il est arrivé tard, il a fait beaucoup de seconds rôles comme Carmet et moi, mais j'ai quand même connu une carrière formidable, je ne regrette rien et je serais prêt à recommencer! On constate en effet, à travers ces quelques lignes, le plaisir, la joie et la fierté pour l'ensemble de ces acteurs de se retrouver tous ensemble et de partager l'univers comique des Branquignols."

 

Christian Marin nous confia par la suite : " Il y avait aussi Bernard Lavalette, Pierre Dac, Grosso et Modo... Ce sont tous des gens merveilleux. Vous savez, à cette époque, nous étions surtout de grands enfants! Il y avait une distribution fantastique...mais nous étions tous assez modestes pour ne pas dire qu'elle était exceptionnelle (rires)! ". Propos confirmés par Bernard Lavalette qui ne manque pas de rappeler que s'il n'était pas Branquignol d'origine, beaucoup d'entre eux comme Roger Pierre ou Jean Marc Thibault notamment n'en étaient pas moins Branquignols dans l'âme et tout le monde se retrouvait avec grand plaisir sur le plateau. "Nous étions tous des copains de la même famille d'esprit et le comique de Dhéry nous emballait."

 

Christian Marin et Colette Brosset se rappellent la bonne humeur et l'ambiance formidable qui régnait au sein de l'équipe de Robert Dhéry

 

AAAAAALa générosité des acteurs et l'ambiance bon enfant où le plaisir reste le fil directeur et le mot d'ordre font dès lors dire à Roger Pierre : " Il n'a jamais été question d'argent. C'était un honneur que l'on nous ait téléphoné pour nous dire " voulez vous faire un petit passage dans le film ? " ". C'était en effet pour Colette Brosset " une grande histoire d'amitié ". "Nous étions tout simplement heureux de tourner pour l'équipe de Robert Dhéry, énonce Bernard Lavalette, car il y avait une véritable ambiance de détente, d'improvisation puisque l'on pouvait proposer nos trouvailles".

 

Louis de Funès comme vedette montante du cinéma français

 

M.M. Viraleau et Viraleau, respectivement contremaître dans une usine de grosse artillerie et inspecteur de police, suivent une course hippique à Vincennes

 

AAAAAAExécrables avec leurs personnels respectifs au commissariat et à l'usine, les frères Viraleau sont formidablement interprêtés par un Louis de Funès en pleine forme, qui se sent confortablement installé dans une famille de cinéma qui lui est chère. Dhéry, Brosset, Duvaleix, Carmet... Il les connait tous de longue date et a déjà travaillé à maintes reprises en leur compagnie. Une amitié s'était forgée au cinéma - notamment dans "L'Amour n'est pas un pêché" - et surtout au théatre en 1951 dans la revue "Ah les belles bacchantes !", adaptée au cinéma trois ans plus tard sous la réalisation de Jean Loubignac. De plus, à la sortie de "La Belle Américaine", Louis de Funès s'apprêtait à débuter les répétitions de "La Grosse Valse", la prochaine pièce de théâtre mise en scène par Robert Dhéry et sa troupe, au théâtre des Variétés.

AAAAAAToutefois, en 1961, s'il est connu de la profession et par les plus grands cinéphiles pour quelques rôles remarquables dans "La Traversée de Paris, "Comme un cheveu sur la soupe" ou encore "Ni vu, ni connu", Louis de Funès n'est pas encore une grande vedette du cinéma français au même titre qu'un Bourvil, un Gabin ou encore les jeunes premiers Delon et Brialy. Néanmoins, la prestation de Louis de Funès dans ce long-métrage, qui tient en fait un double second rôle, ressort indiscutablement comme un grand plus pour la qualité du film. De Funès peaufine ses personnages, les travaille déjà avec une extrême rigueur, afin que la douzaine de minutes qui lui est accordée soit parfaite. Christian Marin se rappelle de Louis de Funès et de ses improvisations : " Louis improvisait beaucoup mais pas à tous les coups. Il improvisait dans sa tête mais ne créait pas toujours de surprises. Il s'essayait de nombreuses fois pendant les prises mais ça ne se développait pas à chaque fois! C'était un homme très perfectionniste. Je n'ai pas donc le souvenir d'un improvisateur constant! ". Maurice Frydland se souvient aussi des différentes improvisations et gags proposés par les acteurs : "L'impro marchait à fond dans ce film, tout le monde proposait des choses et Dhéry écoutait toujours. De Funès faisait beaucoup d'impro et Robert était vraiment preneur de tous ses gags. Tout le monde avait un petit rôle dans ce film, c'était très sympa, même les techniciens avaient droit à une petite panouille. C'était un réel bonheur, une vraie complicité et une ambiance très familiale."

 

Louis de Funès en contremaître jovial, respectueux et téméraire !

 

Un mélange de classes sociales inédit et savoureux

AAAAAAC'est incontestablement la particularité et le charme majeurs du film. Le contraste entre le luxe et la modestie tant niveau matériel, voiture de luxe au fin fond d'un quartier populaire, qu'humain puisqu'un ouvrier se lie d'amitié avec un ministre qui devient ambassadeur, un commissaire de police… Toutes les classes sociales sont représentées et se côtoient et ce mélange permet de toucher plus facilement le public puisque chaque français peut s'identifier à un personnage. Il y a donc une représentation complète de ce que la France comptait à l'époque comme couches sociales. Et peut être était-ce la volonté de Pierre Tchernia et Robert Dhéry : pouvoir permettre à chaque français de s'identifier le temps d'un film en propriétaire de voitures de luxe, côtoyant les grandes personnalités de ce monde.

AAAAAAPierre Tchernia explique d'ailleurs : "Marcel est un ouvrier qui habite dans une petite impasse. C'est un ouvrier de qualité dans cette usine, il a de l'allure. Cette impasse est dans une banlieue parisienne avec en fonds les grands buildings modernes ". Nous retrouvons donc bien ici le contraste tant recherché par les auteurs entre vie modeste, grandeur et luxe. Il s'agit de petites gens, c'est-à-dire le peuple d'en bas. Et Tchernia confirme l'intérêt d'évoquer cette classe sociale : "Ce sont eux qui représentent et qui portent la générosité, l'amitié et la sensibilité. C'est une bande d'amis un peu démodés, mais il fallait que la voiture arrive dans un lieu quelque peu démodé. Nous avons construit nos personnages autour de ce contexte. C'est un petit monde un peu dépassé qui permet à la voiture d'être encore plus extraordinaire ".

 

Il n'y a qu'un pas entre un modeste emploi dans une grande usine et le plaisir éprouvé à conduire une voiture américaine. La jonction peut se faire à moto

 

Les échos de la Presse

AAAAAA"A l'époque, il y avait beaucoup de films français qui étaient des films sur lesquels on a beaucoup blagué. Et sur ce film la critique s'est emballé et a cité des noms comme René Clair ou Charlie Chaplin. On avait dès lors un film typiquement français qui touchait un immense public et qui tranchait avec les films de l'époque." Le succès est unanime, comme vient de le rappeler Pierre Tchernia, et Maurice Frydland se souvient d'une anecdote assez amusante à ce sujet : " Le film était coproduit par Henri Diamant-Berger et un américain richissime marié à Patachou. Diamant-Berger avait vraiment le style du producteur avec une grosse chaîne en or. C'était l'image du producteur traditionnel. Un jour des gars trainaient dans le couloir et Diamant-Bergr se lamentait devant les techniciens en disant "Le film est une catastrophe, on perd de l'argent, ça ne marchera jamais". L'américain lui dit alors "Arrête de pleurer, si tu veux je te rachète tes parts". Diamant Berger lui a dit "tu plaisantes?" et ils sont allés dans son bureau. Or du jour au lendemain il a revendu 50% de ses parts. Le film sort et j'assiste à une projection privée avec des amis techniciens et on était écroulés de rire pendant tout le film. Dhéry était inquiet, il me disait "tu crois que ça va marcher, je ne suis pas sur", j'essayais de le rassurer en lui disant que le film était formidable et qu'il n'y aurait aucun problème. A sa sortie le film a eu de très bonnes critiques et a réuni 600 000 personnes à Paris en premier exclusivité je crois, ce qui était phénoménal. A l'époque un film sortait dans deux cinémas principaux puis dans les salles de quartier et "La Belle Américaine" a merveilleusement bien fonctionné partout. "

 

Interview de Pierre TCHERNIA sur le tournage du film diffusée au JT de 20h le 8 juillet 1961 (INA)

 

AAAAAADès lors comment expliquer un tel succès ? Maurice Frydland ne voit qu'une explication : "Tout simplement parce que le film est drôle et que l'on rit beaucoup aux gags. Vous savez à cette époque aucun technicien ne se posait la question de savoir si le film allait marcher ou pas, on faisait notre travail. C'est d'ailleurs ce film qui a lancé la carrière de Dhéry car ses précédents films n'étaient pas très bons." Bernard Lavalette se rappelle fort bien du succès que le film a connu auprès du public : "Oh immense succès! Le film a fait 2ème du point de vue des entrées derrière un film avec Bardot. Les Français ont vu que l'on pouvait rire et ne pas rire bêtement car à cette époque il y avait quand même de sacrés nanars! Pour vous donner quelques chiffres, "La Belle Américaine" a fait 600 000 entrées ce qui pour l'époque était énorme !" Enfin, selon Jacques Legras, "L'accueil a été extraordinaire ". Et plus 40 ans après sa sortie en salle, le film a connu une réédition DVD à succès, prouvant que "La Belle américaine" est un long-métrage encore fort apprécié...

 

un petit montage des auteurs

 

 

un article de presse de 1962 : ICI

Pagée créée le 23 décembre 2008, modifiée le 9 mai 2011

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