Albert Rémy (1915-1967)

 

AAAAAA Né le 9 avril 1915 à Sèvres (Seine et Oise), Albert Rémy est un acteur pour le moins original. Original parce qu'il doit sa carrière à ses nombreux talents. Homme de cirque, il est formé à cette difficile et exigeante école où il fait ses classes de manière assidue. Il adopte progressivement un style qui lui est propre, mélange d'homme goguenard, tour à tour amusé, simplet, colérique ou brutal. Mais le plus souvent attachant... Sa carrure lui permet de jouer des rôles aussi divers que peuvent lui offrir ses expressions visuelles. Il a la faculté - et surtout la chance - de ne pas être limité à une production particulière comme beaucoup d'acteurs de cette époque (Dominique Zardi joue les loubards, Bernard Lavalette les ministres, Jacques Castelot les hommes du monde hautains, Pierre Doris les gentils abrutis…) et le public le perçoit ainsi au travers de compositions originales et sans cesse renouvelées. Retour sur une carrière intéressante, trop tôt interrompue.

AAAAAA Ses débuts dans le monde du cinéma sont relativement précoces, puisqu'à tout juste vingt ans il n'a déjà de cesse d'écumer les plateaux à la recherche de petits rôles. Ses véritables débuts restent "Le voyageur de la Toussaint" de Louis Daquin, puisqu'il ne fût qu'une silhouette dans "Hôtel du Nord" en 1938 sous les ordres de Marcel Carné. En 1942, il est toutefois mentionné dans le film (encore) de Daquin "Madame et le mort" mais certaines biographies sont divergentes sur sa participation à ce film. Pour Daquin, il est un ivrogne de premier ordre, uniquement rassuré lorsque sa bouteille est à proximité. Composition juste et qui révèle le travail effectué en amont lors de sa formation théâtrale. Dans cet univers qu'il côtoiera durant toute sa carrière, il se révèlera être un excellent metteur en scène, tout comme un professionnel reconnu du décor.

AAAAAA Becker sent immédiatement tout le potentiel qu'il peut tirer de ce jeune acteur et l'embauche dans son premier grand rôle, celui de Jeandu dans le film "Goupi mains rouges". Raymond Chirrat dira de lui : "Valet de ferme trop fragile et un peu "demeuré", il y est couvé par sa mère, la Marie des Goupi, et rossé par le redoutable Goupi Tisane. Le rôle oblitère l'acteur consciencieux qui va fournir dès lors maints exemples d'une douceur si touchante qu'elle devient écœurante, d'une bonté si chaleureuse qu'elle devient visqueuse. Il a la chance de paraitre tout de suite dans des films importants."

AAAAAA La carrière d'Albert Rémy ne tarde donc pas à débuter. Troisième rôle et premier grand succès qui le font connaitre des professionnels. Ainsi, pour la seule année 1943, il n'apparait pas moins de 6 fois sur les écrans : "Le voyageur de la Toussaint", "Goupi mains rouges", "Madame et le mort", "Adieu Léonard", "Douce" et "Le ciel est à vous". Il devient un acteur apprécié de certains grands réalisateurs, notamment Claude Autant Lara qui l'emploie de nouveau pour "Le diable au corps" en 1946 suite à sa prestation jugée satisfaisante dans "Douce". Marcel Carné aussi n'a pas oublié l'apport de Rémy pour ses films et il l'engage à nouveau lors de l'année 44 pour ses deux volets des "Enfants du Paradis". Parmi les fidèles on retrouvera aussi André Cayatte (" Avant le déluge ", " Le passage du Rhin "), Henri Verneuil (" Paris, Palace Hôtel ", 1956, "La vache et le prisonnier ", 1959, " Week-end à Zuydcoote ", 1964 et " La vingt cinquième heure " en 1967.), mais surtout Daquin avec qui il collaborera encore pour " Maître après Dieu " en 1950, et " La foire aux cancres " en 1963.

 

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AAAAAA Il devient un acteur incontournable - et "bankable" - sur lequel on peut miser sans craindre d'échec. Figure devenue populaire, ses prestations sont toujours exactes, sans jamais tomber dans la caricature ou l'exagération. Et pourtant, certaines furent particulièrement risquées… Ainsi, gagnant pas à pas ses galons, il étend son registre au théâtre dans lequel il est à la distribution d'une dizaine de pièces. Avec Louis de Funès, Jean Le Poulain, Marthe Mercadier et Pierre Mondy, il partagera notamment l'affiche de "La Puce à l'oreille" en 1953 au théâtre Montparnasse, pièce qui sera jouée l'année suivante au théâtre lyonnais des Célestins. Robert Dhéry lui fera aussi confiance pour interpréter "Bouboute et sélection" au théâtre Vernet. Au théâtre du Vieux Colombier, il recevra de belles critiques pour son rôle dans "Le voyage en calèche" de Jean Giono. De cet auteur, il interprètera aussi, dans un "Roi sans divertissement", le rôle du maire d'un petit village de la région du Trièves où un assassin sévit et terrorise les habitants, plongés dans l'ennui et coupés du monde à cause de la neige abondante. En définitive, sur les planches Albert Rémy est capable d'interpréter du boulevardier vaudevillesque comme des pièces d'une intensité dramaturgique plus profonde (et Giono en est un parfait exemple). A plusieurs reprises il se lança dans les courts métrages. Il réalisa lui-même "Achille le victorieux " en 1947 et "Ali en est baba". Jean Perdrix lui fera confiance à de nombreuses reprises : en 1950 " Deux cœurs sur la route " puis " Rumeur publique " et " Le hasard mène l'enquête ". Enfin, la télévision aussi ne l'oubliera pas. Ainsi Stellio Lorenzi l'emploiera pour " Sylvie et le fantôme ", " La nuit d'Austerlitz " et la captation de " La Puce à l'oreille " que l'on retrouve adaptée pour le petit écran. Claude Barma ou Claude Loursais seront aussi des collaborateurs réguliers.

AAAAAA Avec Louis de Funès il eut quelques scènes de premier ordre : On pense notamment à celle captée par Georges Lautner pour son film à sketches "Les Bons vivants", dans lequel Albert Rémy, inspecteur à la Mondaine, fait la chasse au tapin et se voit houspiller par M. Haudepin-De Funès prenant la défense de la jeune Mireille Darc, excellente dans un rôle de fille légère. Ils feront plusieurs affiches communes : 5 films et la pièce de théâtre "La Puce à l'oreille" durant nombre de représentations. Au cinéma, leur première collaboration sera pour "Croisière pour l'inconnu" où Rémy sera Albert (et oui ca ne s'invente pas !) sous la houlette de Pierre Montazel. Par la suite les deux hommes apparaissent aux génériques de "Au diable la vertu ! ", " Légère et court vétue " (deux films grivois - style très en vogue à cette époque - de Jean Laviron), "Les Hussards" d'Alex Joffé avant de se retrouver dans une scène cocasse du film "Les bons vivants".

 

AI

Dans "La Puce à l'oreille" de Feydeau en 1952.

 


Leur unique confrontation intéressante, dans le sketch "Les Bons vivants" de Georges Lautner. Louis de Funès joue un vertueux agent d'assurance, jouissant d'une renommée locale. Rémy interprète l'inspecteur Graunu, brutal et quasi-analphabète.

 

AAAAAA Selon Olivier Barrot, "sa carrière décrit une courbe harmonieuse et la mort est venue bien vite. Quoi de plus mal aisé que de mettre sur pied des êtres falots et fades. Il faut y employer beaucoup de talent. François Truffaut évalue celui d'Albert Rémy et lui confie, en 1958, le rôle tout en nuances du beau père des "Quatre cent coups". Des perspectives nouvelles s'ordonnent et les compagnies américaines s'en mêlent. Mais les activités de l'artiste se ralentissent et lui-même disparait sans laisser plus de traces qu'une fumée légère, vite dissipée."

AAAAAA De grandes scènes resteront à jamais ancrées, notamment la confrontation entre Rémy et Fernandel pour "La vache et le prisonnier". Le gentil Collinet, prisonnier de guerre dans la scierie, fatigué avant même d'avoir travaillé se révèle excellent face à l'acteur marseillais. Loin de se démonter, il en volerait presque la vedette au comique marseillais qui ne semble pas lui en tenir rigueur et s'amuse autant que lui. Dans le même univers de la Second Guerre mondiale, il a un second rôle remarqué dans "Week-end à Zuydcoote" aux côtés de Jean-Paul Belmondo.

AAAAAA Phrasé pouvant être populaire ou soutenu selon les rôles, homme du monde ou clochard saoul, Albert Rémy a mené sa carrière sans étiquette, sans parti pris sur un style pour lequel il se serait révélé plus à l'aise que les autres. Si les situations comiques sont restées sont terrain de jeu favori, les drames passionnels et les films de psychologie haletant ont aussi eu leur part belle. Décédé très jeune, le 26 janvier 1967, à l'âge de 52 ans à Paris, il laisse un style quelque peu orphelin. Bien des acteurs ont aujourd'hui ses capacités physiques, sa verve et son phrasé mais d'aucun n'a encore eu la faculté de faire son chemin aussi vite dans ce monde impitoyable.

 

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