source : Europe 1

 

Jean-Paul ROULAND

 

AAqAA Jean-Paul Rouland peut non seulement être considéré comme une « mémoire vivante » de l'histoire de la télévision et de la radio, auxquelles il a consacré quarante ans de sa vie, mais il se distingue aussi comme un remarquable conteur, partageant ses souvenirs avec entrain, joie et humour. Lui-même se considère, non sans une certaine autodérision, comme « un rescapé de 88 ans » qui regrette « de voir disparaître tous les amis du métier qui ont jalonné [s]on parcours » Ce tout-à-tout de talent a entrepris une formation de comédien au Centre du Spectacle, pendant la Second Guerre mondiale, alors qu'il n'était qu'adolescent. Après quelques films dans lesquels il interprète des rôles secondaires, il se consacre pleinement à ses activités radiophoniques (il a œuvré au lancement de la chaîne Europe 1 avec son émission « Vous êtes formidable ») et aux jeux télévisés, avec notamment « La Tête et les jambes » où il officie avec son ami Pierre Bellemare.

AAqAA Jean-Paul Rouland, c'est l'Amuseur – avec une majuscule – l'ami de la famille qu'il distrait tous les jours à l'heure de son émission populaire. Michel Galabru lui a un jour confié : « tu es un comédien qui a inventé un comique de télévision, tu joues un rôle avec un œil qui avertit le public ''je suis le copain de service et on va se marrer ensemble'' ». Plus récemment, une dame rencontrée dans un avion lui a élégamment témoigné sa sympathie « Je vous regarde tous les soirs sur la chaîne Histoire, vous êtes la friandise de mon dessert ».

AAqAA Lorsqu'on évoque avec lui son expérience éphémère au cinéma, il se définit avec humour comme « un comédien qui a mal tourné ! ». Et parmi les quelques films qui jalonnent son début de carrière figure la comédie de Jean Bastia « Certains l'aiment… froide ! » (1959) avec Francis Blanche, Pierre Dudan, Robert Manuel, Mathilde Casadesus, Jean Richard et Louis de Funès. C'est de ce film dont il est principalement question dans cet entretien. Remercions chaleureusement celui qui a accepté de nous confier quelques unes de ses savoureuses anecdotes, recueillies dans son dernier livre « Petites Histoires de mon showbiz » aux Editions Hugo et Cie, où il se remémore ses rencontres avec Lino Ventura, Yves Montand, Michel Simon, Sacha Guitry, Maurice Chevalier, Simone Signoret et bien d’autres encore...

 

 

Interview de M. Jean-Paul Rouland du 11 mai 2016 par Franck et Jérôme

 

- Monsieur Rouland, le film « Certains l'aiment... froide ! » marque vos débuts au cinéma, à une époque où vous faisiez déjà de la radio à Europe 1. Comment êtes-vous arrivé sur ce projet cinématographique ?

- En effet, ce sont mes débuts au cinéma car il s'agit de mon deuxième film. Auparavant, j'avais obtenu un rôle de pharmacien aux côtés de Jean Richard dans « Le Gendarme de Champignol », avec Roger Pierre également, que Jean Bastia avait mis en scène. J'ai retrouvé ce réalisateur sur « Certains l'aiment... froide ! » en 1959. Comment me suis-je retrouvé dans ce film ? Ce fut une question d'opportunité car un impresario dont j'ai oublié le nom m'a repéré à la télévision et m'a appelé pour me dire qu'il avait un petit rôle pour moi. A l'origine, j'avais une formation de comédien que j'ai suivie au Centre du Spectacle pendant la Guerre. A l'époque des films de Bastia, on m'avait promis une belle carrière de comédien. L'impresario m'avait même proposé d'autres projets que je n'ai pas pu accepter car, en 1958, j'étais déjà très occupé par la radio et la télévision. D'une part, je faisais « La Tête et les jambes » et, d'autre part, j'avais fondé une société de production pour la télévision avec Pierre Bellemare qui m'a demandé énormément de travail. Je devenais donc vedette à la télévision, ce qui m'avait valu une couverture de TV Magazine, mais pas au cinéma. Cet investissement a entravé ma carrière de comédien pour le grand écran Mais je ne le regrette pas car j'ai fait mille autres choses entre la radio, la télévision et le théâtre, notamment avec la pièce « Reviens dormir à l'Elysée » que j'ai jouée au théâtre pendant huit ans.

 

- Vous connaissiez déjà Jean Richard au moment de « Certains l'aiment... froide ! » ?

- Je l'ai connu en 1955 lorsqu'il a monté son célèbre cirque. A cette époque, il était sous contrat avec Louis Merlin qui, cette année là, a fondé Europe 1. Pendant six mois, je parcourais les routes de France avec ce cirque où je réalisais quotidiennement un feuilleton avec Jean Richard, Claudius Binoche qui jouait un benêt et Albert Préjean qui tenait le rôle de Monsieur Loyal. Jean et moi sommes devenus très amis à cette occasion, nous nous sommes revus en travaillant pour la télévision. Je pense que c'est grâce à lui que je me suis retrouvé sur « Certains l'aiment... froide ! » car il m'a présenté à plusieurs metteurs en scène, dont Jean Bastia, avec lequel il était très ami.

 

- Un homme important sur le plateau était Pierre Dudan car il produisait et avait l’un des rôles principaux. Quel homme était-il ?

- J'ignorais qu'il avait produit ce film qui racontait une sombre histoire d'héritage. J'ai en effet tourné avec cet homme, qui était très bon chanteur, mais il n'y a jamais eu d'autres collaborations entre lui et moi par la suite. A l'inverse, j'ai eu l'occasion de retravailler avec tous les autres comédiens comme Robert Manuel, Mathilde Casadesus, Jean Richard... J'ai surtout retrouvé Francis Blanche sur ce tournage, avec lequel j'ai fait des épisodes de la Caméra invisible par la suite...

 

- Quel homme était-il sur le plateau ?

- En jouant, il n'arrêtait pas de rajouter de petits trucs, au détriment de l'histoire ou des autres comédiens. Il pouvait changer quelque chose entre deux prises, ce qui rendait la tâche compliquée pour le metteur en scène, si bien qu'à un moment du tournage, il y a eu une petite friction entre Francis et Jean Bastia, qui était pourtant très sensible aux détails que les comédiens pouvaient apporter. Bastia prenait Francis à part : « Ecoutes Francis, fais ce qui a été convenu, c'est très bien, mais ce que tu viens d'ajouter, ça ne va pas, tu en fais trop... » Mais c'était prêcher dans le désert car, comme vous pouvez l'imaginer, Francis ne tenait compte de rien (rires). Il était génial mais ça pouvait devenir parfois devenir du grand n'importe quoi. Mon frère Jacques et moi avons énormément travaillé avec cet homme imprévisible. Sa participation à notre émission « Le Défi », quelques jours avant sa disparition, a été sa dernière prestation publique. On lui avait consacré une soirée exceptionnelle.

 

- Dans le film, il y avait effectivement des comédiens aguerris que l'on devine assez libres dans leur jeu. Quelle était l'ambiance sur le plateau ?

- Je me rappelle d'une ambiance excellente. Je débutais dans le métier et croisais ces comédiens qui avaient déjà une grande réputation et une renommée. Ils étaient très libres et se retrouvaient tous dans la cour du studio pour se raconter des histoires de comédiens émaillées d'histoires rigolotes. Robert Manuel racontait tout le temps des histoires amusantes tandis que Francis Blanche faisait n'importe quoi.

 

- Vous trouvez-vous bon à l'écran ?

- Votre question est amusante car des amis ont récemment découvert ce film à la télévision. Ils ont été étonnés de me voir jouer : « sais-tu que tu es bon comédien ? ». Je leur ai répondu que JE SUIS un comédien... qui a mal tourné (rires). J'irais même plus loin en vous répondant que je suis surpris de me voir avec une certaine justesse dans ce rôle, en me disant que je n'étais pas trop mal.

 

- Quel regard portez-vous sur ce film ?

- C'est un film franchouillard fait de bric et de broc. Ce film s'inscrit dans une série de films typiques qui se montaient à cette époque, avec souvent les mêmes comédiens tels Francis Blanche ou Robert Manuel qui prennent des accents impossibles pour jouer leurs personnages. D'ailleurs, ils ne sont pas bons dans cet exercice car ils ''chargent'', ils en font vraiment trop (rires) ! Pour être bon, le comique ne doit pas être chargé mais tenu, mesuré. C'est dommage de constater que ces hommes ont été mal utilisés dès qu'il s'agissait de faire rire. Très peu de grands films comiques français ont été réalisés à cette époque, principalement ceux de Gérard Oury avec Bourvil et Louis de Funès. Mais on peut dire qu'entre « Certains l'aiment chaud » – qui est un chef d’œuvre international – et « Certains l'aiment… froide ! », il y a un monde (rires) !

 

- Avez-vous travaillé avec Louis de Funès ?

- Non mais vous observerez qu'il n'avait qu'un petit rôle dans ce film et que, lorsqu'il est devenu une immense star, ce film est ressorti avec lui en gros sur l'affiche. Ce n'est pas le seul film qui a connu ce destin car de Funès avait tourné dans un nombre incalculable de films avant de devenir un premier rôle. Mais je suivais sa carrière et j'entendais parler de lui, notamment auprès des Branquignols de Dhéry. Une anecdote m'a d'ailleurs été rapportée concernant « Fufu » – comme nous l'appelions dans le métier. C'était à l'époque où Robert Dhéry montait son spectacle « Ah ! les Belles bacchantes ». Dhéry se méfiait alors de Fufu et de Blanche qui étaient tous deux des comédiens incontrôlables faisant leur numéro. Dhéry estimait qu'il n'y avait pas de rôle pour de Funès dans son nouveau spectacle. Mais Fufu aurait pris connaissance du scénario par l'intermédiaire de René Sancelme, le directeur du théâtre Daunou, avant d'aller trouver Dhéry pour lui demander le rôle du flic qu'il trouvait à sa convenance. Dhéry n'était pas persuadé de cette idée car il ne s'agissait que d'un petit rôle mais il s'est laissé convaincre par de Funès qui a beaucoup insisté et a peut-être été un peu obligé par le directeur du théâtre. Le soir de la générale, de Funès a réalisé son numéro où il imite le poulet... et il a fait un triomphe ! Le lendemain, Dhéry était furieux car la presse ne parlait que de Fufu. Le théâtre a été un vrai tremplin pour de Funès qui a explosé dans « Les Belles Bacchantes » puis en jouant « Oscar ». D'ailleurs, Dhéry avait compris son potentiel et s'est bien rattrapé en lui proposant « La Grosse Valse » aux Variétés.

 

- Avez-vous vu « La Grosse Valse » au théâtre ?

- Oui j'ai vu la pièce à ses débuts. Jacques Balutin m'a raconté qu'il était la doublure de Robert Dhéry dans ce spectacle. Un jour, Dhéry lui expliqua : « Je me suis engueulé avec Louis ce soir, demain tu prendras ma place ! » Et à sa grande surprise, Balutin constata en effet, le lendemain, l'absence de Dhéry. Entre-temps, ce grand consciencieux avait travaillé son rôle pour être prêt à jouer. Le soir venu, lorsqu'il entra en scène, il trouva un de Funès surpris qui s'exclama « ah c'est toi ?! ». En réalité, personne n'avait prévenu de Funès du changement (rires) ! Balutin a ri, tout comme le public qui avait compris ce remplacement au pied-levé. D'ailleurs, Dhéry n'a pas rejoué la pièce, c'est Balutin qui a tenu le rôle pour les dernières représentations.

 

- Etiez-vous client de l'humour de Louis de Funès ?

- Oh oui, Fufu m'a toujours fait rire ! Comment rester de marbre devant ses gags ? Je l'ai vu dans « Oscar » au théâtre, où il avait chaque jour une trouvaille géniale ! Dans nos épisodes de « La Caméra Invisible » intervenait régulièrement la comédienne Dominique Page qui, le soir, retrouvait le théâtre de la Porte-Saint-Martin pour interpréter la bonne dans la pièce. Elle a d'ailleurs repris ce rôle dans le film de Molinaro. Et bien quand elle venait dans nos bureaux, elle nous commentait la représentation de la veille : « Vous savez ce qu'il a fait hier soir ? Il a pris le cendrier qui était posé sur la table pour jouer à la marelle avec pour montrer qu'il redevenait un enfant. Un vrai gamin ! ». Le public était évidemment mort de rire. C'était prodigieux ! On raconte qu'une annonce était faite avant le spectacle pour annoncer l'heure à laquelle la représentation terminerait car il y avait eu, dit-on, des protestations de certains spectateurs. Ceux-ci avaient raté le dernier métro tant la pièce était prolongée par des improvisations et réclamaient le remboursement du taxi qu'ils avaient été obligés d'appeler pour rentrer chez eux. Christian Marin, qui était un très grand ami, me racontait les visionnages des rushes sur la série du « Gendarme ». Lorsqu'un comédien faisait quelque chose de très drôle à l'écran, Louis de Funès se tournait vers lui et, avec deux doigts, lui faisait signe que ce serait coupé au montage. C'était de l'humour bien entendu…

 

 

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