Pierre GASPARD-HUIT

 

1ère interview (2007) - 2è interview (2014)

 

Vous êtes nombreux à nous avoir demandé des nouvelles de Pierre Gaspard-Huit. Depuis notre premier entretien en 2007, nous étions restés en contact avec le réalisateur et, ces dernières années, plusieurs de ses longs-métrages ont été réédités en DVD. A ce titre, son film «  A belles dents » avec Mireille Darc ou « Les Lavandières du Portugal » avec Dary Cowl ont récemment reparu. Cette heureuse initiative des distributeurs nous a permis de (re)découvrir son cinéma et l'envie d'évoquer sa carrière avec lui nous a finalement gagnée. Nous avons profité de l'occasion pour revoir ses films « classiques » comme « La Mariée est trop belle », « Christine » et bien évidemment « Le Capitaine fracasse », avec Jean Marais, Geneviève Grad, Philippe Noiret et Louis de Funès. C'est à son domicile parisien qu'il nous a gentiment reçus pour bavarder des films et des personnes qui ont compté dans sa carrière.

 

 

Interview de M. Pierre Gaspard-Huit du 8 mars 2014 par Franck et Jérôme

 

- Pierre Gaspard-Huit, vous êtes né en Gironde pendant la Première Guerre mondiale. Comment vous êtes vous retrouvé dans le milieu du cinéma ?

- Oh c'est toute une histoire ! Plusieurs choses ont fait que j'ai été attiré par le cinéma. Effectivement, je suis originaire de Saint-Emilion. Lorsque j'étais enfant, je passais mes vacances avec mon frère à Arcachon. Notre mère et nos tantes dansaient au casino de la ville. Pour se débarrasser des enfants, elles nous envoyaient dans la salle de cinéma du casino de la plage. Tout môme, j'y ai vu des tas de films dont je me souviens aujourd'hui d'une manière extraordinaire. Plus tard, j'ai rencontré un comédien révélé par le théâtre qui s'appelait José Noguero. Mais lorsque j'ai voulu faire du cinéma mon métier, l'IDHEC [ndlr : l'Institut des hautes études cinématographiques] n'existait pas. Donc je suis parti faire mes études de cinéma en Allemagne car je parlais bien la langue pour l'avoir apprise en classe. J'ai commencé ma carrière comme deuxième ou troisième assistant de version française car, à cette époque, on ne doublait pas les films. On tournait des versions différentes dans les mêmes décors. Sur le premier film auquel j'ai participé se trouvait le superviseur français Henri Chomette, qui était le frère de René Clair.

 

- Vous avez connu René Clair ?

- Oui je l'ai beaucoup fréquenté. Quand il a su que je voulais me lancer, il m'a dit que je devais certes apprendre la technique – ce que je faisais alors – mais aussi connaître le métier d'acteur. Ainsi, sous ses recommandations, je suis entré au cours Simon, dont je suis sorti avec un premier prix, devant Gérard Oury et François Périer.

 

- Vous avez été assistant réalisateur sur de nombreux films pour apprendre la technique ?

- Oh oui alors, j'en ai fait pas mal, en Allemagne et en France. J'ai tourné un plan pour « Autant en emporte le vent ». Pendant la Guerre, j'ai été fait prisonnier et j'ai travaillé aux studios Bavaria, à Munich. Je travaillais le plus souvent sur des comédies. En 1943, j'ai tourné les derniers plans du film « Titanic », montrant les rescapés dans les chaloupes. C'était un film commandé par Goebbels. Plus tard, en France, j'ai longtemps été premier assistant de Roger Richebé...

 

- Justement, puisqu'il est question de Richebé, pouvez-vous nous parler de « La Fugue de Monsieur Perle » ?

- Richebé était un metteur en scène mais aussi un producteur. Sur ce film, il était en très mauvais terme avec Noël Noël et il a laissé tomber très rapidement, dès les premières semaines. Comme j'étais son assistant, il m'a dit « vous finirez le film ». En réalité, nous étions plutôt au début du tournage et c'est moi qui en est assuré la plus grande partie.

 

- A cette époque, outre ce premier long métrage, vous débutiez la mise en scène en tournant des courts-métrages.

- Oui j'en ai fait plusieurs, peut-être une trentaine. Je me rappelle «  L'herbe à la Reyne », « Le coeur frivole ou la galante comédie ». Pour certains d'entre eux, j'ai été primé à Venise. J'en ai fait un sur le Palais du Luxembourg à l'époque où Monnerville était président du Sénat, d'autres sur des peintres des XVIIe et XVIIIe siècles comme Fragonard ou Watteau. J'ai travaillé plus tard avec un producteur belge qui, lui, faisait les films sur les peintres de l'école flamande.

 

- Des moyen-métrages figurent-ils dans votre filmographie ?

- Oui, j'en ai fait un, « La vie tragique d'Utrillo », qui a reçu le Prix Lumière en 1950.

 

 

- Revenons à présent aux longs métrages. A l'époque de « La fugue de Monsieur Perle », connaissiez-vous déjà Louis de Funès ?

- Oh oui, à cette époque, il venait souvent ici, il a connu cet endroit où nous nous trouvons. C'était le vieil appartement de ma mère, c'est ici que je recevais les acteurs qui n'étaient pas connus à l'époque. De Funès, je l'avais vu au théâtre avec les Branquignols où il jouait un numéro extraordinaire en moine. Au cinéma, je l'ai eu dans « La fugue de Monsieur Perle » et dans un autre film où je lui ai offert un petit rôle tourné dans la journée. A cette époque, il débutait sa carrière, ainsi que d'autres comédiens comme Dufilho. Dans cet appartement est venu aussi Dalida, recommandée par son impresario pour le film que je préparais et qui s'appelait « Les Lavandières du Portugal ». J'ai fait aussi débuter l'actrice Marpessa Dawn. Plus tard, tandis qu'il commençait son film « Orfeu negro », Albert Camus se trouvait insatisfait de la comédienne qu'il avait choisie. En évoquant avec moi ce sujet, il me dit « qui est cette petite que tu as déjà fait tourner et dont tu m'as dit le plus grand bien ? » Il s'agissait de Marpessa Dawn que je lui ai recommandée et qui a eu le premier rôle du film.

 

- Pour les longs-métrages, le début de votre carrière voit des films aux genres très divers comme la romance, le drame ou la comédie. Cela signifie-t-il que vous ne trouviez pas votre style ?

- Oh c'est plus simple que ça, ces films étaient des rattrapages ! Ainsi, pour « Les Lavandières du Portugal », le metteur en scène est mort et le producteur José Bénazéraf est venu me chercher sur la recommandation de Pathé pour qui j'avais déjà terminé des films. J'étais alors un « rempailleur de chaises ». Une fois, on m'a envoyé terminer un film très mal commencé. Le film s'appelait « Le Café du cadran », entrepris par Jean Gehret qui ne connaissait rien à la mise en scène [ndlr : film sorti en 1947]. Le film a en réalité fait par Henri Decoin et par moi.

 

- « Les Lavandières du Portugal » est un bon film, un pastiche de la comédie Américaine, avec Darry Cowl.

- Oui, je m'étais inspiré de films de Jerry Lewis comme « Artists and models ». C'était aussi une satire des milieux publicitaires des années 60.

 

- A présent, venons en à « La Mariée est trop belle », avec Brigitte Bardot...

- Ce film provient de mon amitié de toujours avec Christine Gouze-Rénal qui a co-produit le film avec Pathé. A ce moment-là, je travaillais comme « homme à tout faire » chez Pathé où j'acceptais de terminer les films que les réalisateurs attitrés ne pouvaient pas terminer. J'avais connu Christine lorsque j'étais apprenti comédien au Cours Simon. Devenue productrice, elle a pensé à moi pour « La Mariée est trop belle », dont j'ai signé l'adaptation et la réalisation. Nous avons tourné à Saint-Emilion.

 

- Et c'est votre premier gros succès.

- Oui c'est un film qui a eu de bonnes critiques et qui a très bien marché. A l'origine, il a compté bien plus plus d'entrées que « Et Dieu créa la femme ». Le film de Vadim n'a pas eu un grand succès à sa sortie en France mais, quelques mois plus tard, il a très bien marché aux Etats-Unis. Fort de cette réussite en Amérique, le film est repassé dans les salles françaises et a connu le succès qu'on connaît. De plus, lorsque j'ai fait « La Mariée est trop belle », Bardot n'était pas connue et j'ai tourné en noir et blanc, tandis que Vadim a eu l'avantage de tourner en couleurs. Enfin, le film a eu l'apport d'un acteur allemand qui s'appelait Curd Jürgens.

 

- Que ce soit « Christine », « Le Capitaine fracasse » ou « Sheherazade », on devine votre intérêt pour l'Histoire et la mise en scène de films en costumes.

- C'est exact mais, à dire vrai, ça c'est un peu fait comme ça, par hasard. Ces films que j'ai pu tourner étaient en costumes. Mais vous savez, j'ai écrit tant de scénarios qui seraient devenus des films historiques et qui n'ont pas été tournés. Au fond, tout cela peut paraître très disparate mais j'ai eu un terrible handicap : j'adorais les femmes. Lorsque j'étais amoureux, je faisais le tour du monde accompagné d'une petite amie, souvent une Miss France, ce qui m'a coûté une fortune considérable. Tant que j'avais de l'argent, je faisais des voyages puis, une fois l'argent dépensé, je rentrais et me remettais au travail.

 

- Justement, vous êtes l'un des rares réalisateurs à donner vos premiers rôles à des femmes, qu'il s'agisse de Romy Schneider, Brigitte Bardot, Mireille Darc...

- Ah oui c'est vrai, et dans mes films tous les comédiens étaient beaux, aussi bien les garçons que les filles. J'ai toujours eu de beaux jeunes premiers et de très jolies filles. C'était l'époque où on cherchait de beaux physiques, comme Delon, Jacques Charrier ou Jean-Claude Pascal.

 

Pierre Gaspard-Huit dirige Mireille Darc dans son film "A Belles dents" (collection P. Gaspard-Huit / ZK)

 

- Puisque vous évoquez Delon, venons en à « Christine ». Nous sommes en 1958 et vous dirigez Romy Schneider et Alain Delon dans un film à costumes.

- Là-aussi c'est encre un hasard. A l'origine, j'avais écrit un scénario sur les « Blousons noirs » que je devais tourner mais, dès avant le tournage, j'ai appris que le film serait interdit à l'exportation car il aurait donné une mauvaise idée de la France. Le producteur Michel Safra s'est dégonflé et le film n'a pas été tourné. Or, j'étais sous contrat chez Safra et je lui devais un film. A cette époque, il voulait lancer en France la petite Romy Schneider, qui était déjà une énorme vedette en Europe, et il possédait déjà les droits pour adapter la pièce « Liebelei » d'Arthur Schnitzler. Pour le réaliser, Safra a d'abord cherché parmi les plus grands metteurs en scène mais aucun n'a accepté de faire ce film car une première version avait été tournée en 1933 avec Magda Schneider, la mère de Romy, et le film avait remporté un grand succès. Ainsi, les réalisateurs convoités n'osaient pas entreprendre un remake. Finalement, Safra a saisi l'opportunité du mon contrat chez lui et j'ai retravaillé pour lui. Pour ce film, j'ai ré-écrit le scénario avec Neveux puis j'ai tourné.

 

- Comment s'est déroulé le choix du comédien pour incarner le jeune premier ?

- Romy Schneider n'était pas connue à l'époque en France et la production a souhaité engager une vedette, un acteur que le public connaissait. Ils ont un temps pensé à Roger Moore mais il était déjà trop âgé pour jouer avec Romy qui n'avait que 17 ans. J'ai donc fait passer des essais à sept ou huit jeunes comédiens. Delon a tourné un bout d'essai dans le costume que portait Gérard Philippe dans « Les Grandes manœuvres ». Et ça lui a porté bonheur ! Il était beau comme un Dieu, et en plus il s'est montré excellent dans cette scène. Magda n'avait pas envie de voir une grande vedette aux côtés de sa fille et, finalement, elle a dit « d'accord » pour ce comédien pas connu du public à l'époque. J'ai été content d'avoir Delon, ce qui n'était pas le cas du producteur Safra qui n'a pas cru en lui dès les premières semaines de tournage, et ne l'aimait pas. D'ailleurs, Safra ne l'a pas engagé dans d'autres films par la suite.

 

- En quoi est-ce difficile d'entreprendre le tournage d'un film lorsque le producteur est mécontent ?

- Safra m'a annoncé que j'avais tant de millions de francs en moins sur le budget prévu et une semaine de moins pour tourner à Vienne. J'ai donc tourné très vite et très bon marché. De plus, j'ai eu des problèmes dès le casting avec la productrice allemande qui reprochait le choix de nombreux comédiens français. Elle voulait voir plus d'acteurs allemands au générique. Ainsi, pour le personnage d'Eggersdorf, deux comédiens ont été choisis, un Français (Jean Galland) et un Allemand, et j'ai tourné deux fois chaque scène où apparaît Eggersdorf, ce qui est une perte de temps et de pellicule.

 

- Il s'agit de la première rencontre entre Romy Schneider et Alain Delon...

- Les débuts ont été difficiles, Delon la détestait. D'une part, à côté de cette fille bien élevée, Delon était une brute de décoffrage, sans tact. Il avait peu de savoir-vivre, de gentillesse auprès d'elle. D'autre part, il ressentait un sentiment d'infériorité : Romy avait touché une somme phénoménale pour ce film, d'environ vingt millions de francs, tandis que lui avait reçu un cachet grotesque de quelques milliers de francs. Néanmoins, Romy était fasciné par ce petit voyou, très différent des garçons qu'elle avait l'habitude de fréquenter à cette époque. Au début, il a été méchant avec elle mais leurs relations se sont améliorées progressivement. Je me suis douté qu'il se passait quelque chose entre eux, jusqu'à ce qu'ils soient surpris par Magda à l'hôtel où ils étaient logés à Vienne. En Allemagne, l'histoire s'est sue et a fait un scandale. Pour la presse nationale, Delon est devenu le « petit voyou français » à la réputation sulfureuse. Et le film n'a pas très bien marché en Allemagne. En plus, la version allemande du film avait été sabotée en post-production car les responsables de la synchro avaient engagé des doubleurs allemands pour prendre l'accent autrichien, ce qui était grotesque, les voix ne ressemblaient à rien.

 

- Outre Romy Schneider, vous avez dirigé des acteurs confirmés comme Noël-Noël ou Jean Marais qui étaient des vedettes. Quelle était votre recette pour les diriger sans les froisser ? Était-ce facile d'obtenir d'eux ce que vous attendiez sans les bousculer ?

- Oui c'était assez facile, je me suis toujours bien entendu avec les acteurs. Les cours que j'avais pris chez Simon pour comprendre le métier d'acteur m'ont beaucoup servi. Quand j'ai tourné avec Bardot, elle ne se cassait pas la scène. Elle me demandait de lui jouer la scène, ce que je faisais sous son regard puis, très professionnelle et très obéissante, elle reproduisait ce que je lui avais montré. [Il réfléchit un instant] Une fois, j'ai rencontré un problème avec Gaby Morlay [ndlr : sur « Orage d'été », 1949]. Le chef opérateur était Agostini, l'amant d'Odette Joyeux, la comédienne avec qui Gaby Morlay partageait le haut de l'affiche. Il passait une heure à une heure et demie à photographier Odette Joyeux, négligeant totalement Gaby Morlay. Gaby a demandé à avoir son chef opérateur. Celui-ci a été engagé, très bon mais Espagnol. Pour les nombreuses scènes que les deux comédiennes partageaient dans le film, il m'a fallu tourner chaque champ avec un chef op' puis tous les contre-champs avec l'autre. Ce ne fut pas évident du tout, mais ce fut le seul conflit que j'ai eu avec des acteurs.

 

 

XX

Interviews de Pierre Gaspard-Huit, Marthe Mercadier et Sophie Grimaldi
à propos de Romy Schneider, Alain Delon et le film "Christine".

 

 

- Vous est-il arrivé de tenir un rôle secondaire dans l'un de vos films, ou de faire de la figuration comme le faisait Hitchcock ?

- Oui, quelques fois. Dans « Utrillo », j'ai joué Modigliani, comme j'avais une vague ressemblance physique avec lui. Mais le plus souvent, l'occasion se présentait sur le plateau, pendant le tournage.

 

- Venons en à présent au « Capitaine Fracasse ». Comment est né ce projet d'adaptation ?

- Il est né assez facilement car les droits étaient libres sur le livre de Théophile Gautier, mon adaptation a plu à la maison Osso qui a produit le film. Ma version est celle la plus proche du roman, plus fidèle que le film d'Abel Gance.

 

- A cette époque, les films de capes et d'épée marchaient très bien, souhaitiez-vous profiter de ce genre en vogue ?

- Non, pas spécialement. J'ai fait ce film car le sujet me plaisait et faire un film en costumes ne me dérangeait pas. Je me rappelle de discussions que j'avais à cette époque avec Jean-Pierre Melville qui me disait : « comment peux-tu faire jouer des gens d'une autre époque dont tu ne connais pas les comportements ? » Il me disait qu'il n'était capable de mettre en scène que des personnages contemporains.

 

Louis de Funès dans "Le Capitaine fracasse"

 

 

- Le choix de Jean Marais – qui tournait ce genre de films chez Hunebelle – s'est imposé rapidement ?

- Au départ, lors de l'écriture du scénario, je voulais un film sur un ton assez léger et j'envisageais de donner le rôle à Jean-Pierre Cassel. Les producteurs m'ont dit que Jean Marais au générique, c'était plus sérieux car il était une plus grosse vedette. Je ne connaissais pas du tout Marais, que j'avais simplement croisé quelques fois auparavant lorsqu'il était avec Cocteau. Jean était un homme adorable, qui a effectué lui-même toutes ses cascades. Il ne s'est plaint qu'une fois pendant le tournage, le jour où je lui ai fait tourner la scène où il devait se traîner sur le ventre.

 

- Le film présente de nombreuses cascades, leur tournage a-t-il été une difficulté ?

- Non, elles étaient assurées par Claude Carliez et toute son équipe à qui je faisais confiance et elles demandaient peu de préparation. Comme d'habitude, les scènes se tournaient très vite, la prise retenue pour le film figurait parmi les premières tournées. En général, je ne fatiguais pas les acteurs avec plein de prises et j'ai finalement été l'un des réalisateurs à utiliser le moins de pellicule.

 

- Qu'en était-il du budget accordé pour « Le Capitaine fracasse » ?

- Correct. La difficulté est venue du fait que nous tournions en hiver et assez loin de Paris pour les extérieurs. Les journées commençaient très tard, les installations demandaient du temps et nous n'avions que quelques heures par jour pour tourner, avant la tombée de la nuit.

 

- Vous faites à nouveau tourner Louis de Funès. A cette époque, il n'était pas un figurant mais pas une grande vedette non plus.

- Oui c'est exact, mais son rôle de Scapin était tout petit. La situation était un peu la même pour Rochefort. Tenez, Rochefort, c'est l'acteur pour lequel j'ai fait le plus de prises, tant il était traqueur. Je suis arrivé une fois à trente ou quarante prises !

 

- Imaginiez-vous à cette époque que de Funès rencontrerait la carrière qu'il a eue ?

- Non, d'autant plus qu'il n'avait pas encore joué les excités avec ses grimaces que l'on connaît. D'ailleurs, Molinaro disait qu'il n'était pas un acteur mais un grimacier. Personnellement, j'aimais beaucoup cet acteur mais, vous savez, on ne peut pas prévoir une telle ascension pour un comédien. Vous l'auriez prévue pour Dany Boon avec « Bienvenue chez les ch'tis » ?

 

 

- Comme tous les « faiseurs », vous en avez pris pour votre grade dans les Cahiers du Cinéma. Comment considériez-vous la Nouvelle Vague à l'époque ?

- A vrai dire je m'en foutais, j'aimais bien Brialy qui a joué chez eux. Mais je n'ai pas tellement aimé les films de Godard ou ceux de Truffaut au début de sa carrière. A cette époque, j'aimais mieux le style d'Autant-Lara, qui a pris aussi beaucoup pour son grade. D'une façon générale, je me foutais des critiques, bonnes et mauvaises.

 

- C'était le public qui comptait pour vous ?

- Non je m'en fichais aussi. Bien sûr, c'est agréable de voir qu'un film marche et qu'il plaît au public [nous regardons ensemble de la documentation sur « Le Capitaine Fracasse » et constatons qu'il a attiré plus de trois millions de spectateurs dans les salles]. Mais je ne revoyais pas mes films. Ceux-ci marchaient toujours au sens qu'ils faisaient toujours gagner de l'argent. Aucun de mes films n'a fait perdre de l'argent à un producteur car je tournais vite et avec peu de pellicule, je ne lui coûtais pas cher. Et certains de mes films ont connu de grands succès auprès du public.

 

- Après « Le Capitaine fracasse », vous changez de genre, avec « Alerte à Gibraltar » où vous entrez dans le film d'espionnage.

- Tenez, puisque nous parlions à l'instant d'argent, voici un film qui a été une déception car je ne disposais pas de l'argent nécessaire pour le réaliser. Effectivement, le film mettait en scène un agent de l'Intelligence Service. Mais ce n'est pas un film que je trouve satisfaisant.

 

- Dans les années 1960, la télévision se démocratise, elle entre dans les foyers français. Vous vous tournez alors vers cette télévision.

- Oh oui j'ai été le scénariste de plus d'une centaine d'épisodes, et j'en ai réalisé certains. « Paul et Virginie » par exemple était une série très bien jouée, aussi bien par les petits Pistorio et Vérinique Jeannot que par d'autres comédiens comme Teynac ou Marchal. De plus, les moyens offerts par la production étaient très corrects. La série a bien marché, on m'en parle encore aujourd'hui. La différence majeure entre la télé et le cinéma, c'est le budget. Mais comme je tournais très vite au cinéma, avec parfois de petits budgets, la réalisation de séries – le plus souvent de six heures – ne me posait pas de problème particulier.

 

- Avez-vous d'éventuels regrets ?

- Oui, j'aurais voulu tourner les productions franco-espagnoles que j'avais envisagées. J'ai écrit de nombreux scénarios – que je possède toujours d'ailleurs – qui n'ont pas été tournés.

 

- Même si la démarche peut paraître prétentieux, quels conseils donneriez-vous à de jeunes réalisateurs ?

- Aucun, je n'aime pas les donneurs de leçon. D'ailleurs, ça ne servirait à rien car, aujourd'hui, avec les appareils actuels, n'importe qui peut mettre en scène. Je l'ai encore constaté récemment lorsque Laurent Delahousse et son équipe sont venus tourner pour faire un film [ndlr : « Un jour, un destin »] sur Brialy qui sera diffusé sur France 2 en septembre prochain.

 

Pierre Gaspard-Huit à son domicile parisien lors de l'interview (mars 2014).

 

- Quel regard portez-vous sur le cinéma français actuel ?

- Je pars du principe que le cinéma est fait pour divertir. Cela fait de moi un bon spectateur qui voit de bonnes choses, surtout en DVD. Je n'ai pas encore vu tous les derniers films qui ont fait parler d'eux, comme « La Vie d'Adèle » par exemple, que je suis curieux de voir. J'aime les films de Bertrand Blier, d'Albert Dupontel, j'ai bien aussi aimé « The Artist ». A l'inverse, je n'ai pas compris certains succès comme « Bienvenue chez les ch'tis ».

 

Un document d'époque sur "LE CAPITAINE FRACASSE" : ICI

1ère interview consacrée à sa carrière (2007)

 

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