Chronique d'un film

Une souris chez les hommes

 

Première partie / Deuxième partie / Troisième partie

 

AAAA Dans la droite lignée des films dont les dialogues sont signés Audiard, après avoir étudié le fameux et délicat "Des pissenlits par la racine", tournons nous à présent vers le long-métrage non moins spécifique "Une Souris chez les hommes". Spécifique, en effet ce film l'est à bien des égards. Non seulement au niveau des critiques, concernant aussi bien de Funès que d'autres acteurs, mais aussi quant à l'intrigue ou encore le ficelage global du film. Comme bien souvent, beaucoup de méchancetés et surtout d'inepties ont été dites à propos des films comiques, incarnant soit-disant de vulgaires représentations de la France d'en bas, sournoisement appelée "populaire", friande d'un humour facile et gras, totalement dépourvue du moindre intérêt intellectuel. Et pourtant quoi de plus naturel que de faire rire ?

AAAA Intéressons nous donc de plus près au film de Jacques Poitrenaud, qui n'avait sans nul doute guère plus d'ambitions - mais cela est ô combien déjà énorme et difficile - que celle de faire passer un moment agréable au public, autour de scènes cocasses jouées par des acteurs dont on pressent à travers eux, dès le début du film, l'aspect bon enfant et amical régnant sur le plateau.

 

Louis de Funès, Dany Saval et Maurice Biraud (collection Marie Radel / F&J)

 

AAAA Chose suffisamment rare pour être soulignée, Louis de Funès campe le rôle d'un cambrioleur qui, assisté de son acolyte Maurice Biraud, s'en prend aux bourses et fortunes diverses de la région francilienne. Rares ont été les possibilités de voir Louis de Funès dans la peau d'un malfrat, de l'autre côté de la loi. Les puristes regrettont ici ses fantastiques compositions de faux-jeton constamment excité. Que dire de cette expérience ? Plusieurs choses en réalité. Tout d'abord sur l'aspect visuel : cela devient l'une des constantes de son jeu, Louis de Funès abandonne le rictus si particulier au coin de ses lèvres ou se frotte moins les yeux, autant de classiques représentations de son comique des débuts. Il est d'ailleurs amusant de constater que De Funès porte des moustaches postiches pour ses cambriolages, les retirant lorsqu'il cesse ses activités nocturnes. Tout un symbole : de Funès abandonne là l'attribut important qui composait ses personnages mesquins, grinçants ou parasites des années 1950, notamment dans "Ah les belles bacchantes", "Poisson d'avril", "Au diable la vertu" etc... Un personnage qu'on ne retrouve guère dans les années 1960, si l'on excepte le commissaire de police de "La Belle Américaine".

AAAA De Funès opte ici pour un jeu axé plus sur un comique de situation : des scènes de cambriolage souvent cocasses, des quiproquos avec Maurice Biraud, des manifestations situationnelles parfois grotesques face à Dany Saval, il est indéniable de considérer que si le jeu de Louis de Funès se trouve amplifié, c'est évidemment par contre balancier de situations purement dramatiques dans lesquelles les protagonistes se retrouvent. C'est là que le génie de Louis de Funès fonctionne, même dans des scènes parfois à la limite du ridicule pour les principaux personnages ("ridicule" dans le sens comique du terme). La mise à niveau s'opère instantanément par un battement d'œil, une main menaçante rageusement levée, un rictus de sourcil ou un tremblement de peau. Peu d'artistes réussiraient, comme il le fait, à amplifier une situation tragique. Bien au contraire beaucoup d'entre eux, voulant trop compenser, s'enliseraient dans une représentation totalement dénaturée du contexte.

AAAA S'il ne semble toujours pas formé aux dialogues d'Audiard (dont la participation demeure ici assez limitée, l'essentiel du travail étant réalisé par Simonin), son interprétation vocale reste très bonne. Parfaitement à l'aise dans un rôle de caïd, il sait rendre son personnage ridicule mais à la fois crédible, uniquement en apparence cependant, tant il semble persuadé du bien fondé de son action. Visiblement plus manuel qu'intellectuel - car le "cerveau" du duo est manifestement attribué à Biraud - il montre vite ses limites malgré un souci du détail et une conscience professionnelle qui laisse parfois pantois.

AAAA Accordons une mention spéciale à trois scènes qui, à elles seules, valent la vision de ce film. Dans la première, "érotico-comique" partagée avec la sensuelle Dora Doll, Louis de Funès réalise une prouesse dont il n'a pas l'habitude, ou plutôt la volonté, de développer au cinéma : la séduction d'une femme. Toutefois, malgré l'envie prenante face au lit conjugal, il déchantera vite en se rappelant les promesses faites à son ami, et créant ainsi une scène d'épilepsie stupéfiante. La seconde, lorsque Maurice Biraud lui annonce qu'il "raccroche", où il rend son personnage humain, émotif, attachant... Abandonné "comme un chien au coin d'une rue" (dixit son personnage), il termine un monologue par un "et toi tu ne sais même plus ce que ça signifie la conscience !" plein de rancune et de détresse. Quelques minutes à l'écran qui prouvent que, contrairement à ce que pensèrent certains spécialistes et même le principal intéressé, Louis de Funès était en mesure de tout jouer. Soulignons enfin une scène se déroulant dans un restaurant où le brigand démontre d'étonnantes connaissances de médecine lorsqu'il se fait passer pour un professionnel de la chirurgie.

 

 

Ci-dessus : De Funès dans deux scènes inhabituelles à son registre

Ci-dessous : Louis de Funès en "grand chirurgien" épate Dora Doll (collection Marie Radel / F&J)

 

AAAA Enfin c'est aussi l'aspect vestimentaire qui marque. Loin des costumes soigneusement taillés pour patrons de multinationales, les deux malfrats se retrouvent affublés de grands imperméables sombres complétés par des chapeaux stetson frisant le grotesque, mais tellement comiques au regard des situations engendrées. Et le port de moustaches, rappelant quelque peu les inspecteurs Dupont-Dupont dans une trilogie habit-physique-maladresse, n'arrange pas les choses… On peut même dire qu'ils sont plutôt sympas, ces cambrioleurs durs à cuire, prêts à torturer une jeune femme ou à l'expédier chez les crocodiles ! Cédant au moindre de ses caprices, ils font pâle figure lorsqu'ils sont à chaque fois repêchés in extremis par la "souris" avant l'arrivée des services de police (dont la médiocrité concernant la résolution d'une enquête mérite d'être soulignée). Par sûrs, comme ils l'affirment, qu'ils aient "lu le Code pénal", mais après tout pourquoi pas…?

 

AAAA Qu'en est-il de la distribution du film ? Maurice Biraud, précédemment cité, est un acteur que Louis de Funès connaît bien lorsqu'il le retrouve dans cette comédie. "Bibi" fait une composition savoureuse, toujours exacte, à la limite entre l'énervement du petit étudiant, le calme de l'homme réservé et sûr de lui, et la menace du bandit, à la bouche duquel les mots d'Audiard - son grand ami qui l'impose dans de nombreux films - frappent encore une fois juste, même s'ils demeurent moins percutants que dans les "Pissenlits par la racine " (Georges Lautner, 1963) ou l'excellent "Un Taxi pour Tobrouk" (Denys de La Patellière, 1961). Pas évident de jouer un personnage alternant autant de facettes…Si sa prestation s'avère légèrement en deçà de celle du film de Lautner, Biraud demeure néanmoins l'acteur s'en tirant le mieux.

AAAA Contrairement aux apparences, le film ne met pas en scène un duo, encore moins une unique vedette comme le laisse entendre le titre "Un drôle de caïd" lorsque le film est ressorti plus tard). Aux côtés des deux comédiens, la jeune Dany Saval vient former un trio original et impromptu. Que les cinéphiles ne s'y trompent pas, Louis de Funès n'est pas (encore) la pièce maîtresse du groupe ! Si, à l'écran, les trois protagonistes partagent des temps d'apparition globalement identiques, la production misait essentiellement sur Dany Saval, dont le charme et le talent lui avait valu un succès croissant depuis "L'eau Vive" en 1956. Ainsi, le film fut titré "Une Souris chez les hommes" et la jeune femme occupa la place principale sur l'affiche originale.

 

Dany Saval sur le tournage du film (collection F&J)

 

AAAAN'ayant qu'un grand succès commercial à son actif ("Pouic Pouic") lorsque le film fut présenté le 17 juillet 1964, de Funès fut alors considéré comme un second rôle de premier choix. En salle pendant tout l'été, le film ne trouva pas son public et, aujourd'hui, ne fait pas figure de "classique" dans la filmographie de l'acteur. En outre, en 1972, alors que de Funès était devenu la plus grande vedette du cinéma français, la production (une entente entre les Films Procinex, Corona, Filmsonor, Mondex et Franco-Films) n'hésita pas à ressortir le film sous le titre "Un drôle de Caïd" avec une grande photo de Louis de Funès sur l'affiche. A l'instar de "Un Coup Fumant" et de "Dans l'eau qui fait des bulles", ce film reparu en salles démontre comment l'image de l'acteur fut - a posteriori - largement exploitée par les sociétés de production. Quant à Dany Saval, elle dispose d'un rôle qui tranche totalement avec l'univers du film, un peu comme Mireille Darc dans certains films plutôt sombres. Sans grande prouesse artistique, à l'exception d'un exercice remarquable avec ses yeux, elle tire néanmoins son épingle du jeu face à deux excellents acteurs de la vieille école. On peut également noter la présence de Jacques Dynam en concierge attachant, du jeune Gérard Lartigau (que de Funès retrouvera sur les planches du Palais Royal avec "Oscar") et de l'amusante Maria Pacôme, dans le rôle d'une tante déjantée amatrice et collectionneuse de bibelots farfelus et surtout complètement inutiles. Apparition courte mais néanmoins réussie… Enfin, la séduisante Dany Carrel complète la distribution de ce film.

 

Maria Pacôme, Louis de Funès, Maurice Biraud et Dany Saval (collection Marie Radel / F&J)

 

AAAA Autre aspect impressionnant du film : le jeu de couleurs réglé par le réputé directeur de la photographie Marcel Grignon ("Cadet Rousselle", "Le Bossu", "Le Capitan", "Cent mille dollars au soleil", "Fantômas", "Paris brûle-t-il ?", "Les Grandes vacances"...). Dans ce film tourné en noir et blanc pour des raisons économiques évidentes, l'accentuation entre la noirceur des délits commis et la pâleur représentant la légèreté, le comique et l'insouciance est particulièrement soignée. Tantôt totalement sombre, parfois rayonnant, l'univers se transforme au gré des humeurs et des situations. Habileté du mélange des couleurs qui se retrouve particulièrement lors des scènes d'infractions et de cambriolages (notamment celle du chalumeau) ainsi que lors du changement de tenue vestimentaire dans les bois. Au final, bien que reposant sur une facette tragique rehaussé d'un comique précis et travaillé dont la complémentarité De Funès-Biraud nous ravit, le film reste toutefois en deçà de ce que l'on pouvait attendre.

AAAA Si la composition des différents protagonistes est impeccable, le fond quant à lui reste trop classique. L'intrigue finale n'est pas difficile à démêler, mais n'oublions pas non plus que le film se veut avant tout comique. C'est donc une réalisation que l'on peut qualifier d'honnête mais qui n'a pas laissé un souvenir impérissable aux spectateurs… probablement pas non plus à Louis de Funès. Se laissant toutefois regarder avec plaisir, il n'est pas sûr qu'elle ravisse les spécialistes les plus pointus du cinéma de cette époque. Ce film est l'avant dernière collaboration d'Audiard sur un "de Funès". Les deux hommes se connaissaient de longue date car s'étaient retrouvés à douze reprises sur les plateaux (depuis 1949 et "Mission à Tanger" de André Hunebelle). Par ailleurs, le dialoguiste avait imposé de Funès à plusieurs reprises pour des rôles intéressants ("Poisson d'avril", "Le diable et les dix commandements", "Carambolages"). Devenu vedette quelques mois après le tournage de ce film, avec la sortie du "Gendarme de Saint-Tropez", de Funès n'occupa plus réellement de rôles à contre-emploi par la suite. Son statut plus confortable l'autorisait désormais à accepter des scénarios sur mesure.

 

Louis de Funès, Maurice Biraud et Dany Saval dans la dernière scène du film (collection Marie Radel / F&J)

 

Merci à Marie Radel, Philippe Durant, Eric Leguèbe et Bertrand Dicale pour leur travail. Dernière mise à jour le 23 avril 2016

 

DEUXIEME PARTIEa/aTROISIEME PARTIE

Haut de page / Retour à l'index des chroniques de films / Retour au sommaire principal