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NOUS IRONS A DEAUVILLE Francis Rigaud, 1962 AAAAA Dans le cadre de nos recherches menées sur Louis de Funès à moment clé de sa carrière, à l'aube de son immense vedettariat, il nous a paru intéressant de prendre la direction de la côte atlantique pour voir Deauville et mourir…de rire comme le veut le slogan du film "Nous irons à Deauville", tourné et sorti en 1962. D'une part, nous avons échangé avec le metteur en scène du film Francis Rigaud. D'autre part, nous nous sommes rendus dans la station balnéaire afin d'identifier les lieux de tournage du film. Tourné aux grande heures de l'époque des vacances et du chic normands, ce long métrage retrace les vacances (plus ou moins) délirantes de deux couples d'amis à qui il arrivera de multiples quiproquos et aventures cocasses. Bertrand Dicale évoque d'ailleurs précisément dans son livre le fil directeur du film : "Il se monte encore des coups dans le cinéma des débuts des années 60, des films construits sur l'idée de profiter d'un effet de mode. Or Deauville est dans le vent. D'ailleurs Louis de Funès y a acheté, en 1961, une maison non loin du champ de courses, qu'il a baptisé Santa Maria de Ortiguera, du nom du village natal de sa mère." Retour sur cette petite comédie...
les quatres amis vacanciers (Claude Brasseur, Pascale Roberts, Michel Serrault et Colette Castel) rencontrent Pierre Richard et Jean Carmet.
AAAAA Le film, d'un budget moyen fourni par deux maisons de production, est signé Francis Rigaud, un réalisateur parisien âgé de 42 ans qui devait connaître plus tard quelques succès avec Francis Blanche en vedette ('Les Gros bras", "Les Baratineurs"). En 2014, le réalisateur nous expliquait que l'affaire s'était montée très facilement : "Je connaissais Raymond Ventura, plus connu du grand public sous son pseudonyme Ray Ventura et son orchestre. Je suis allé lui proposer ce scénario que j'avais écrit et il m'a dit « c'est entendu, on fait le film, mais on va aller le tourner à Deauville » car il fréquentait beaucoup cette station. Je trouvais que Deauville pouvait très bien correspondre au scénario et je lui ai donné mon accord. Pour monter le film, Ventura s'est associé avec un autre producteur, Jean Darvey. Et comme il avait déjà produit deux films de Jean Boyer qui s'appelaient « Nous irons à Paris » puis « Nous irons à Monte-Carlo », il a suggéré d'intituler le film « Nous irons à Deauville ». AAAAA Il est avant tout intéressant de souligner que le film réunit une équipe de comédiens à la fois amis du réalisateur et partenaires réguliers de Louis de Funès. En effet, Jean Carmet, Michel Serrault, Roger Pierre, Jean-Marc Thibault, Jean Richard ou encore Michel Galabru, véritables piliers du cinéma à la française qui ont - pour la plupart - fréquenté la troupe des Branquignols, sont autant de talents que de Funès devait exiger à plusieurs reprises au long de sa carrière. En outre, de l'autre côté de la caméra, de Funès est maquillé par Marie-Madeleine Paris (qu'il devait plus tard engager pour une multitude de ses films), retrouve Richard Balducci en attaché de presse (scénariste du "Gendarme de Saint-Tropez" deux ans plus tard) et le dialoguiste Jacques Vilfrid (qui signera également les dialogues de "Pouic Pouic", "Faites sauter la banque", la série des "Gendarmes"). Ainsi, s'il n'est certes pas un chef d'oeuvre, ce film demeure important dans la carrière de Louis de Funès car il a permis au comédien de rencontrer ou de confirmer les bonnes relations professionnelles avec des personnes qui, par la suite, devaient figurer dans ce que nous pourrions appeler la "garde rapprochée" du comédien. Par ailleurs, Francis Rigaud se rappelle qu'il connaissait déjà très bien Jacques Vilfrid à cette époque, ainsi que son collaborateur Jean Girault : "Comme j'étais très copain avec Girault et Vilfrid, je leur ai suggéré de proposer un scénario au producteur Raymond Danon. C'était peu de temps après « Nous irons à Deauville ». Ils ont ressorti une vieille pièce de théâtre que Girault et Vilfrid avaient écrite et qui n'avait pas marché lorsqu'elle avait été montée. Ils l'ont adaptée avec de Funès dans le rôle principal et cela a donné « Pouic Pouic » ! [ndlr : film finalement coproduit par Roger Debelmas et la société Comacico du producteur Claude Jaeger] Et peu après « Pouic Pouic », Balducci a proposé de faire « Le Gendarme de Saint-Tropez », tout s'est enchaîné ainsi pour de Funès."
AAAAA Deux ans avant les aventures du gendarme débarqué sur les plages tropéziennes, « Nous irons à Deauville » s'annonce déjà - et avant tout - comme une comédie familiale et dépaysante. A cette époque, la petite station balnéaire de Deauville était non seulement la destination privilégiée du gratin parisien venu se ressourcer à l'air pur de Normandie mais aussi celle des familles plus modestes qui profitent des bienfaits qu'offre ce coin de paradis. Notons d'ailleurs que l'auteur du livre "Louis de Funès, grimaces et gloires" ne retient pas tout à fait la même approche du film : "Le film sort le 24 décembre 1962. Pari commercial ambigu : les fêtes de fin d'année sont le pic de fréquentation annuel des cinémas français, mais profitent surtout aux films familiaux. "Nous irons à Deauville" est plutôt un film pour "jeunes actifs" comme disent les hommes marketing d'aujourd'hui. " AAAAA Film purement commercial, il est avant
tout destiné a être vendu pour des familles entières c'est-à-dire ayant
vocation à toucher toutes les branches, non seulement familiales mais
aussi sociales. En se penchant d'ailleurs sur une analyse des personnages,
on constate que toutes les couches de la société sont en effets présentes.
Des manœuvres/employés d'usines jusqu'au patron d'entreprise aisé, de
la famille moyenne au couple huppé, du mécano un peu simplet à la bourgeoise
décalée, du gamin de 7 ans au vieillard de 77 ans…
Louis de Funès en compagnie de son épouse Jeanne (à gauche) et les humoristes Jean-Marc Thibault et Roger Pierre en commerçants truculents et loufoques (à droite).
AAAAA La scène introductive plante assez bien le décor du film : l'affichage de la pancarte "Deauville -Avertisseurs sonores interdits sauf en cas de danger immédiat" brouillée par une multitude de klaxons résonnant aux quatre coins de la ville nous révèle des vacances s'annonçant plutôt bruyantes et mouvementées. Et que dire de l'attitude des conducteurs : pas encore installé, Michel Serrault doit déjà faire face à la méchanceté de Louis de Funès, vexé d'avoir été "coincé à la sortie de Pont l'Evêque" et prêt à tout pour le lui faire payer. S'en suit un échanges d'amabilités et de gentillesses où même leurs femmes respectives (dont celle de Louis de Funès est bien la véritable Madame de Funès dans la vie) trouvent leur mot à placer ! Après avoir été quasiment éborgné par son rival vacancier, Michel Serrault et sa compagne, la charmante Pascale Roberts, parviennent enfin à s'installer dans leur maison, Les Dunes fleuries, célèbre dans toute la station pour sa vétusté aussi bien que pour la " gentillesse et l'amabilité " de sa propriétaire interprétée par Marie Marquet. Rejoints par Claude Brasseur et sa compagne Colette Castel, les vacances peuvent enfin débuter. Et c'est cela qui est frappant dans le film : retraçant les loisirs de deux couples d'amis, il est en réalité l'exemple parfait du film anti-vacances.
Premier plan du
film montrant l'entrée de Deauville (à gauche)
AAAAA A y regarder de plus près d'ailleurs, la première véritable scène dite de vacances débute après une demi heure de film. On y voit en effet tous nous protagonistes partir en vadrouille vers l'océan. Pendant la première partie, outre quelques duels amusants du tandem Serrault-De Funès et les gesticulations de l'amusant Claude Brasseur, il ne se passe à peu près rien, si ce n'est la banalité des couples de Français moyens en vacances sur la côte. Petit budget, petites vacances tranquilles donc pour le quatuor. La scène n'est d'ailleurs que relative puisque mise à part quelques plans sur le tandem Claude Brasseur/Pascale Roberts en train de lutter face aux vagues dans un canot pneumatique, le reste n'est que le prolongement de l'affrontement entre Louis de Funès et Michel Serrault, ce dernier faisant alors face de façon inattendue à son patron, Michel Galabru, lui aussi en vacances à Deauville.
Louis de Funès en compagnie de deux Michel qu'il appréciait particulièrement : Galabru et Serrault
AAAAA A la moitié du film apparaît Jean Carmet, livreur de malles pour les vacanciers mais visiblement plus souvent perdu qu'efficace dans son travail. Malgré toute sa bonne volonté les bagages du quatuor ne sont toujours pas arrivés et cette intrigue va tenter de consolider la seconde partie du film. Si ce dernier nous fait découvrir les lieux classiques des vacances (bars, plages, boîtes de nuit, quartiers résidentiels, ports…) ainsi que les multiples aléas pouvant survenir, notamment chez un garagiste, la ligne directrice reste relativement pauvre, constituée d'une succession de gags parfois réussis, mais sans histoire véritablement structurée. Pourtant, ce qui frappe reste la disposition intéressante des différents protagonistes, utilisés de façon judicieuse par le réalisateur puisqu'intervenant toujours à des moments où l'action aurait tendance a se relâcher, à perdre du rythme, et permettant ainsi de maintenir une continuité sans nous faire décrocher. Ainsi, suite aux différents soucis rencontrés lors de l'installation par les couples d'amis, les interventions de Marie Marquet et de Jean Carmet permettent une continuité de la scène comique tout en restant dans un cadre relativement banal. Pareil lors de la journée à la plage où Louis de Funès et Michel Galabru permettent de colorer de façon amusante une scénette plutôt pauvrette. Et encore une fois lors des diverses apparitions du même Carmet, qui pimente brillamment les scènes de vie quotidiennes. Pascale Roberts quant à elle se souvient : "Je n'avais malheureusement pas de scènes avec Louis dans cette comédie. Mais on se connaissait avant. Il avait une force comique terriblement efficace. De le voir tourner, j'étais écroulée de rire. C'était quelqu'un qui aimait beaucoup son métier et, contrairement à certains, très travailleur. Il prenait son métier à cœur. Pourquoi est-il encore populaire actuellement ? Parce qu'il a inventé un comique extraordinaire et que le comique en général reste éternel . Il n'y a pas mille manières de faire rire. Je vois Michel Galabru dans la ligne des héritiers de Louis. Les gens l'adorent. Ce sont des acteurs qui sont d'une grande sincérité. Leur comique est universel. Louis avait une folie et une invention rarissimes dans la façon de faire rire. Mais ce qui est formidable chez ces acteurs, c'est qu'ils savient se servir de leurs personnalités pour faire marcher leurs personnages ". La palme revient probablement à l'excellent Jean Richard, qui vient une nouvelle fois valoriser un film en faisant "son numéro", à l'instar de l'explorateur dans "Certains l'aiment... froide !" et du serrurier dans "La Belle américaine", deux rôles très appréciables pour le spectateur.
Louis de Funès dans tous ses états !
AAAAA Ainsi, c'est plus dans la répartition des rôles et la qualité de jeu des acteurs que ce film est intéressant. L'intrigue, plutôt creuse, permet aux comédiens de se mettre en avant, de pouvoir broder leurs jeux en dessus et de tirer le film vers le haut. Ce dernier tient donc par l'interprétation qui en est donnée, la forme venant compenser la quasi inexistence du fond. Pascal Djemaa fait preuve de bienveillance dans son livre Louis de Funès, le sublime antihéros du cinéma français que "les fêtes de Noel 1962 offrent aux spectateurs une bonne comédie rythmée par l'orchestre de Ray Ventura et son chanteur Sacha Distel. Nous Irons à Deauville est un face à face Serrault-De Funès qui s'affrontent sans concession au milieu d'une distribution de rêve (…). Francis Rigaud livre un long métrage sur un plateau pour Fufu qui montre l'étendue de son excitation. Irascible une fois de plus, il est ce vacancier hors du temps : pressé, infect, vicieux, colérique, méchant y compris avec un petit chien ! La cascade de gags attire un grand public ravi de voir cette avalanche de rire provoquée par l'humoriste qui monte". AAAAA La musique met en avant l'un des chanteurs les plus en vue de cette époque, Sacha Distel, qui se verra couronné de succès aussi bien auprès des jeunes que de leurs parents par des airs plutôt simples mais néanmoins entrainants. Signant la musique de "T'es partie en vacances", dont les paroles sont écrites par Maurice Tézé, ce morceau est l'un des passages de bravoure du film. Placé au milieu des jeunes de l'époque, dont Claude Brasseur et Colette Castel, Sacha Distel est le prototype même du jeune homme décontracté et du bonheur simple et à portée de tous que l'on peut trouver en vacances. Dans un style bien plus rock n'roll, et non moins agréable sur des sonorités relativement classiques type Fats Domino, le rock n' roll de l'Américain Tony Milton, interprétant "Oh Yeah Ah Ah !" est plaisant malgré un play back plutôt limite. Enfin, la bande son est signée Paul Misraki ( "Et Dieu... créa la femme" de Roger Vadim, "Alphaville" de Jean-Luc Godard) en collaboration avec l'orchestre de Michel Ganot. Cette dernière est très ancrée dans un style vacances décontractée" et, le moins que l'on puisse dire, d'une coloration très parisienne !
Sacha Distel chante (en play-back bien évidemment !) dans le film
AAAAA La sortie en salle est bien modeste, enregistrant seulement 33 120 entrées en première semaine, à la huitième place du classement hebdomadaire. C'est surtout au cours de la seconde semaine, soit celle du nouvel an, qu'un succès - timide - apparaitra. Au total il ne cumulera pas 140 000 entrées en cinq semaines. Dommage, au final, de disposer d'un scénario trop faible puisque l'environnement, la situation géographique, le cadre social des vacances prêtaient à nombre de facéties manquant cruellement dans cet emballage final ! Certaines séquences s'enchaînent difficilement, illustrant un manque de cohérence globale. Mais Louis de Funès amuse le public avec quelques trouvailles cocasses, bien qu'il trouve difficilement ses marques. En effet, à l'exception d'une courte scène avec Eddie Constantine venu saluer l'équipe en plein tournage, son personnage n'évolue pas avec des hommes hiérarchiquement plus faibles ou plus forts que lui. Il lui manque une franche dose de veulerie, de mauvaise-foi et d'insolence qui donneront de la saveur à ses personnages de Cruchot, Juve ou Fourchaume ! AAAAA Le public était en droit d'attendre mieux de cette petite comédie sans prétention mais il faut tout de même saluer la qualité de toutes les interprétations ; longues aussi bien que furtives, qui rendent ce film assez plaisant à regarder. On sourit souvent, on rigole parfois, on détourne la tête rarement. Pas certain que "Nous irons à Deauville" incite vraiment à prendre de telles vacances, mais si l'on est servis par le tandem Pierre-Thibault, si l'on se frictionne avec de Funès, si l'on croise la délicieuse Pascale Roberts ou que l'on échange quelques mots avec Jean Richard, alors oui, les vacances, même aussi mouvementées, méritent d'êtres vécues !
Crédits : - Entretien avec M. Francis Rigaud du 23 décembre 2014 par Franck
et Jérôme (ICI). Photographies : - Captures d'écran tirées du film "Nous irons à Deauville", distribution UFA - COMACICO, éditions René Château.
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