Francis RIGAUD

 

aaaaaf Né en 1920 à Asnières-sur-Seine, Francis Rigaud a largement contribué au développement des comédies populaires « à la française », tant comme réalisateur que scénariste, en faisant tourner les duos Poiret–Serrault, Roger Pierre–Jean-Marc Thibault mais aussi Darry Cowl, Francis Blanche, Jean Richard, Michel Galabru... Parfois, le metteur en scène parvenait à réunir tous ces noms sur une même affiche, comme pour « Les Baratineurs » en 1965. Comme il l'explique, la présence au générique de ces vedettes était un gage de réussite pour monter ses projets : « à cette époque, si j'obtenais l'accord de ces comédiens pour tourner dans mon film, les distributeurs payaient des avances, ce qui était indispensable pour que le producteur accepte de financer le tournage ».

aaaafa Cette condition s'appliqua notamment pour « Nous irons à Deauville » qui réunit Michel Serrault, Jean Richard et... Louis de Funès ! Ce film, sorti à la Noël 1962, n'est certes pas le meilleur de la carrière de Louis de Funès mais il comporte des scènes divertissantes, réunit pour la première fois de Funès et Galabru à l'écran et offre une nouvelle prestation formidable de l’inénarrable Jean Richard. De plus, Vilfrid signe les dialogues, peu de temps avant « Pouic Pouic » et surtout « Le Gendarme de Saint-Tropez ». Aussi est-il intéressant d'analyser ce film en le situant dans son contexte, à l'aube du grand succès que devait connaître de Funès.

aaaiaa Francis Rigaud s'étonne : « Lorsque je suis interviewé, c'est toujours pour ce film, j'ai pourtant fait plein d'autres choses ». Et en effet, outre les films qu'il a réalisés avec les comédiens déjà cités, Francis Rigaud a produit pas moins d'onze films et a également travaillé sur des films franco-italiens avec Romy Schneider, Michèle Morgan ou encore Marcello Mastroianni. Une carrière bien remplie pour cet homme charmant que nous remercions pour le temps qu'il nous a accordés.

 

 

Interview de M. Francis Rigaud du 23 décembre 2014 par Franck et Jérôme

 

- Comment est né ce projet de « Nous irons à Deauville » ?

- Oh très simplement ! Comme pour tous les projets, on commençait par écrire un scénario puis on cherchait un producteur. Je ne me rappelle plus le titre original que j'avais donné à cette comédie. A cette époque, je connaissais Raymond Ventura, plus connu du grand public sous son pseudonyme Ray Ventura et son orchestre. Je suis allé lui proposer ce scénario que j'avais écrit et il m'a dit « c'est entendu, on fait le film, mais on va aller le tourner à Deauville » car il fréquentait beaucoup cette station. Je trouvais que Deauville pouvait très bien correspondre au scénario et je lui ai donné mon accord. Pour monter le film, Ventura s'est associé avec un autre producteur, Jean Darvey. Et comme il avait déjà produit deux films de Jean Boyer qui s'appelaient « Nous irons à Paris » puis « Nous irons à Monte-Carlo », il a suggéré d'intituler le film « Nous irons à Deauville ».

 

- Ray Ventura a donc assisté à tout le tournage du film ?

- Oui, il venait souvent car il possédait une belle propriété à cinq ou six kilomètres de Deauville. Sa maison donnait sur l'estuaire de la Seine. Dans cette partie de la Côte de Grâce, de fortes pluies ont provoqué des effondrements et sa maison a depuis disparu ! Quand on passe devant aujourd'hui, il n'y a qu'une forêt.

 

- En tant qu'ancien pianiste de bar, Louis de Funès a dû être content de rencontrer Ventura...

- Oui évidemment car il aimait le jazz. Mais vous savez, de Funès était déjà connu lui aussi et il avait une vraie personnalité. Tourner ce film à Deauville l'intéressait car il avait une résidence secondaire là-bas, une petite maison près de l'église de Deauville. En somme, il tournait un peu chez lui !

 

- De Funès retrouve un comédien qu'il a déjà croisé de nombreuses fois : Jean Richard.

- Oui, ils s'entendaient bien ensemble. Ils avaient un point commun : tous les deux avaient acheté un appartement dans une résidence construite sur la Côte d'Azur par Simone Berriau [ndlr : comédienne, productrice et directrice de théâtre, 1896-1984] et qui s'appelait Simone Berriau Plage. Tous les deux me conseillaient à ce sujet : « Mais tu devrais investir là-bas, acheter sur plan comme tout les artistes car ça s'agrandit ». J'ai finalement acheté, les de Funès sont devenus mes voisins du dessous. Dans la résidence se trouvaient aussi Marc Camoletti, Marcel Achard, Robert Dhéry, Jean Richard etc... Tout le cinéma et le théâtre y était réuni ! Finalement, de Funès y est peu venu et il a revendu pour acheter une maison dans la petite vallée de l'Epte, près de Gaillon les Andelys et du célèbre château Gaillard.

 

- Vous connaissiez déjà de Funès avant ce tournage ?

- Oui car plusieurs années auparavant, j'avais travaillé comme scénariste avec Jean Girault dans une adaptation illustrée du « Rire » de Bergson. Dans ce court-métrage, de Funès jouait le professeur de rire. Je l'ai retrouvé à l'époque de « Nous Irons à Deauville » où il était déjà au dessus de l'affiche car il était désormais beaucoup plus connu. C'est amusant que nous parlions de lui car, pas très loin de chez moi, à Courbevoie où est né de Funès, il y a un square qui porte son nom.

 

Louis de Funès et Jacques Hilling dans « Le Rire » de Maurice Regamey (1953)

 

- Au générique figure également Jacques Vilfrid, le futur scénariste de la série du « Gendarme de Saint-Tropez »...

- Oh Jacques était un vieux copain avec lequel j'avais déjà écrit beaucoup de films comiques comme « Les Livreurs », « Les Pique-assiette », réalisés par Jean Girault. Et Jacques a même écrit le scénario et les dialogues d'un film « sérieux » qui s'appelait « Les Nouveaux aristocrates ». C'était une adaptation du livre de Michel de Saint Pierre et ce fut aussi mon premier film comme réalisateur [ndlr : en 1961].

 

- A notre connaissance, c'est la première fois que de Funès et Vilfrid figurent sur le même générique d'un long métrage, à une époque où la carrière de De Funès continuait à progresser.

- C'est possible mais, vous savez, avec Jean Girault, ils se connaissaient déjà tous les trois. Nous connaissions tous le potentiel comique de Funès qui était déjà très connu, c'est vrai. Tenez, d'ailleurs, comme j'étais très copain avec Girault et Vilfrid, je leur ai suggéré de proposer un scénario au producteur Raymond Danon. C'était peu de temps après « Nous irons à Deauville ». Ils ont ressorti une vieille pièce de théâtre que Girault et Vilfrid avaient écrite et qui n'avait pas marché lorsqu'elle avait été montée. Ils l'ont adaptée avec de Funès dans le rôle principal et cela a donné « Pouic Pouic » ! [ndlr : film finalement produit par Roger Debelmas mais la société Comacico de Maurice Jacquin et Raymond Danon a distribué le film] Et peu après « Pouic Pouic », Balducci a proposé de faire « Le Gendarme de Saint-Tropez », tout s'est enchaîné ainsi pour de Funès. J'ai donc bien connu Vilfrid et Girault, deux copains qui sont partis prématurément. Leurs disparitions m'ont affecté sentimentalement et ont eu aussi un impact sur ma carrière car j'avais avec eux des projets qui n'ont jamais pu voir le jour.

 

- « Nous irons à Deauville » marque aussi une rencontre professionnelle importante entre de Funès et Michel Galabru qui jouent ensemble pour la première fois.

- Oh c'est possible. Je connaissais bien Galabru que j'avais déjà fait tourner. Je pense que j'ai suggéré cet acteur lorsque j'ai fait la distribution avec Jacques Vilfrid et Jean Girault qui ne connaissaient pas encore Michel. De Funès et Galabru formaient un duo comique classique qui marchait très bien – l'un jouant le clown, l'autre Monsieur Loyal – annonçant déjà « Le Gendarme de Saint-Tropez ».

 

- Au générique figure aussi Eddy Constantine...

- Oh c'est presque un hasard ! Il se trouvait à Deauville quand on a tourné le film. Quand on lui a proposé de tourner une petite scène amusante avec de Funès, il a accepté. Et il a tourné bénévolement. Pour terminer sur la distribution, j'ajouterai que Madame de Funès ainsi que mon épouse font de la figuration !

 

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Louis de Funès avec son épouse et Michel Galabru dans « Nous Irons à Deauville » de Francis Rigaud (1962)

 

- De Funès vous posait-il des questions techniques qui laissaient à penser qu'il passerait peut-être un jour à la mise en scène ?

- Un petit peu, mais il n'intervenait pas dans la mise en scène proprement dite. Il me laissait faire. A l'inverse, il apportait des suggestions dans le scénario. De Funès était un acteur-né qui, dans son jeu, offrait une spontanéité que peu d'acteurs pouvaient apporter, comme Jerry Lewis aux Etats-Unis ou Darry Cowl en France. Mais il y avait peu d'improvisations sur le plateau. Certains mots pouvaient être changés par les comédiens après avoir discuté avec l'auteur mais, vous savez, tourner un gag ne se fait pas aussi simplement que ça, son tournage demande de la réflexion, du travail de la part des comédiens, de la préparation, une mise en scène technique et artistique...

 

- Combien de prises faisiez-vous ?

- Cela dépendait des plans mais, en général, quand on tournait un film à cette époque-là, on faisait un minimum de quatre ou cinq prises. Sauf certains metteurs en scène qui estimaient qu'une prise suffisait. Aujourd'hui c'est différent, on en fait moins car la technique cinématographique a complètement évolué. Avant le tournage d'une scène, de Funès était très concentré et il ne fallait pas le déranger. Il n'aimait pas qu'une personne extérieure vienne sur le plateau, comme un journaliste par exemple. De ce côté-ci, il était très pointilleux. D'ailleurs, il était d'un caractère très nerveux et anxieux pour tout, y compris sur sa destinée spirituelle !

 

- Le film est sorti pour le réveillon de Noël 1962, il y a presque 52 ans jour pour jour. Il a totalisé près de deux millions d'entrées en France, ce qui constitue un succès honorable, non ?

- Oui, c'est un film qui a bien marché. Pour autant que je me souvienne, les critiques ont été bonnes. En 2013, Deauville a fêté ses 150 ans et, à cette occasion, des films tournés dans la station ont été projetés, notamment le mien. La salle était bourrée, encore plus que pour « Un Homme et une femme » qui, c'est vrai, a été déjà rediffusé plein de fois. Il n'empêche qu'une salle pleine à craquer pour « Nous irons à Deauville », ça m'a fait plaisir.

 

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