Ilan ZAOUI

 

Dans l’inconscient populaire, la danse hassidique des "Aventures de Rabbi Jacob" est immédiatement rattachée à Louis de Funès, génial interprète de ces pas maintes fois repris par les petits et les grands depuis quarante ans. Mais dans l’ombre du célèbre comédien se cache Ilan Zaoui, musicien talentueux et chorégraphe professionnel. Si cette danse est aujourd’hui encore si populaire, c’est sans conteste aussi grâce à cet homme qui apprit passionnément et patiemment au comique numéro un les pas et les réglages de ce ballet. Passionné de musique juive, souhaitant transmettre et communiquer au public des messages de paix aux travers de la danse qu’il considère comme un vecteur formidable de communion entre les peuples, Ilan Zaoui est un homme investi depuis de nombreuses années dans la défense de la culture israélite. Sa plus grande réussite s’illustre au travers de la troupe Adama, qui célèbrera bientôt ses 40 ans d’existence et qu’il dirige avec deux de ses frères. Professeur de danse durant de nombreuses années, Ilan a parcouru de nombreux pays pour assouvir sa passion : Pays-Bas, Canada, Etats Unis, Yémen, Israël, Espagne, Europe de l’Est ou encore de nombreux pays d’Orient. Remercions cet homme absolument charmant pour sa gentillesse, sa disponibilité ainsi que pour les photos inédites du tournage dont il nous a fait part. Ce fût un plaisir de nous plonger dans les souvenirs de plateaux à ses côtés.

 

 

Interview de M. Ilan Zaoui du 24 juillet 2013 par Franck et Jérôme

 

- M. Zaoui, comment avez-vous été engagé sur le film de Gérard Oury « Les Aventures de Rabbi Jacob » ?

- Pour être honnête cela se fît totalement par hasard puisque je revenais tout juste d’Israël ou j’avais séjourné au Kibboutz , notamment pour remplir mes obligations militaires. A mon retour sur Paris, je fus informé qu’un film à gros budget de la Gaumont était sur le point de se monter et qu’un casting allait se dérouler pour rechercher des musiciens juifs. Comme je connaissais bien les musiques et les instruments israélites, je me suis présenté à Margot Capelier qui gérait les auditions. Lors de notre discussion, je lui ai parlé de ma troupe et des spectacles que nous interprétions. Elle sembla intéressée et me proposa de venir à l’une de nos représentations. Elle fut enchantée et me dit « Il faut absolument que Gérard voie ça ». C’est ainsi qu’Oury est venu à son tour accompagné de Michèle Morgan, Louis de Funès et de quelques membres de l’équipe technique dont Bernard Stora.

 

- La scène de la danse n’était pas prévue dans le scénario original ?

- C’est exact, ils avaient d’abord envisagé un véritable morceau de bravoure, assez traditionnel de la culture juive, où Louis de Funès prenait un violon et commençait à jouer des mélodies célèbres. La scène de la danse n’est pas une création unique pour le film, nous l’interprétions depuis un certain temps déjà dans notre troupe et face à ce spectacle, Gérard Oury nous a spontanément proposé de l’intégrer au scénario. Louis de Funès a donné aussi son accord pour y participer. Il a paru emballé, nous avons échangé quelques mots puis nous nous sommes serrés la main. La première étape était franchie et je devais désormais lui apprendre l’ensemble de la chorégraphie. J’ai d’ailleurs adapté cette dernière au format du film ce qui a nécessité plusieurs modifications. La danse du film est beaucoup plus courte que celle que nous interprétions sur scène.

 

- Dans quel état d’esprit étiez-vous alors ?

- Je dirais un mélange d’excitation et d’appréhension mais avec le sentiment que le challenge était formidable à relever. J’avais pour habitude de donner des cours de danse collectifs mais jamais je n’avais enseigné à un seul élève et mon premier fut Louis de Funès (rires). Je n’étais pas vraiment impressionné à l’idée de cette confrontation, sans doute aussi parce que je n’avais que 22 ans et l’inconscience qui va avec. Je fus en revanche plus impressionné du faste des productions de la Gaumont. Les jours précédents notre première répétition la réalité m’a quand même rattrapé et je me suis posé la question de savoir comment j’allais pouvoir aborder ce travail.

 

Ilan Zaoui au premier plan à gauche, pendant la danse du film.

 

 

- N’avez-vous pas eu peur qu’un film « comique » vienne tourner en ridicule la communauté juive ?

- Absolument pas car je connaissais le cinéma d’Oury. J’étais un inconditionnel de « La Grande vadrouille » et du « Corniaud » notamment. Je ne doutais pas du contenu du scénario et je me suis en effet rapidement rendu compte que l’ensemble de l’écriture allait dans la bonne direction.

 

- Comment s’est déroulée la première répétition avec Louis de Funès ?

- Nous avons répété dans l’un des studios de Boulogne Billancourt. Je suis arrivé relativement détendu sans trop d’anxiété. Louis de Funès est entré un peu plus tard avec plusieurs personnes à ses côtés. Je ne m’attendais pas à cela. La première chose qui m’a frappé fût sa tenue vestimentaire : il était en costume cravate. Je lui ai alors demandé s’il avait prévu une tenue de sport et j’obtins une réponse négative. Il n’avait pas non plus de chaussons pour danser. Par chance, j’en prenais toujours plusieurs avec moi et comme nous faisions la même pointure je l’ai donc dépanné d’une vieille paire. L’ensemble des personnes présentes avec Louis de Funès me demandèrent alors ce que je souhaitais. Je répondis spontanément « Qu’on nous laisse seuls pour travailler ». De Funès me fit alors un clin d’œil qui signifiait « Bravo » et nous avons pu débuter notre travail de répétition. Le lendemain, on nous fit livrer une grande quantité de chaussons de danse. De Funès en essaya plusieurs paires mais n’était pas à l’aise dedans et me proposa donc de garder ma vieille paire (rires).

 

- Vous notez tout de suite le grand professionnalisme de Louis ?

- Oui, il était increvable à l’effort, recommençant sans cesse à répéter ses pas. Il était rare qu’il demande une pause et ne souhaitait souffler que lorsque nous avions terminé un passage entier. J’étais moi aussi relativement exigeant et je pense que ma conscience professionnelle lui a plu. Nous dansions environ 1h30 sans relâche ce qui est très fatigant. Il ne lâchait rien, je dois reconnaître qu’il était un excellent élève, assidu et concentré. Nous nous arrêtions parfois pour boire un verre d’eau et nous discutions alors un petit moment mais il restait très concentré. Il s’est toujours montré poli et agréable, je jouais vraiment sur du velours.

 

- En tant que catholique et fervent pratiquant, a-t-il eu du mal à s’immiscer dans les traditions et la culture juives ?

- Je n’ai pas le souvenir d’une quelconque difficulté, au contraire je pense que ce film lui a permis de changer sa vision du judaïsme. A cette époque, la bourgeoisie parisienne avait des idées très convenues et une certaine défiance à l’égard de la culture juive mais Louis a rapidement pu constater que la réalité en était assez éloignée.

 

- Son passé de pianiste l’a-t-il aidé pour le sens du rythme ?

- Tout à fait, il n’avait aucun problème de rythmique, il me suffisait simplement de lui apprendre la chorégraphie ce qui a grandement facilité notre travail. Il était de plus parfaitement à l’aise avec son corps ce qui n’est pas le cas de beaucoup de comédiens.

 

- A-t-il proposé des ajouts ?

- Oui, il m’a suggéré certaines petites choses, notamment au niveau de la gestuelle des mains. Ses propositions étant parfaitement cohérentes avec l’esprit de la danse, elles furent donc intégrées. Il l’a légèrement adapté mais en la respectant.

 

- Gérard Oury supervisait-il ce travail ?

Non, il me fît pleinement confiance et n’est jamais intervenu dans notre travail commun avec Louis. Il est en revanche passé plusieurs fois pour s’enquérir de l’avancée du travail et prendre de nos nouvelles. Cela révèle le caractère généreux de Gérard et de la confiance qu’il pouvait vous témoigner. Je ne le connaissais pas très bien à cette époque mais nous nous sommes découverts par la suite puisque nous avons tourné ensemble « L’as des As » puis « Lévy et Goliath ».

 

- Combien de temps ont duré les répétitions ?

- Ce fut assez long et intense, je dirais une dizaine de jours à travailler en face à face avec Louis. Parfois, Claude Giraud nous rejoignait pour régler les quelques pas qu’il devait exécuter. Nous avons ensuite passé deux jours à reconstituer l’intégralité de la chorégraphie dans un théâtre parisien mis à notre disposition. Nous répétions sur une grande scène, ce qui était particulièrement confortable. Toute la troupe était présente et le travail s’est déroulé de manière très professionnelle et dans une bonne humeur constante. Ce fut très agréable.

 

Tournage de la célèbre scène.

 

 

- Abordons maintenant le tournage, comment vous sentiez vous au premier jour ?

- Je ne me souviens pas très bien mais je devais plutôt être confiant car j’avais à cœur de bien faire les choses. Le dispositif était relativement impressionnant avec une caméra épaule et trois ou quatre caméras fixes. Il y avait aussi toute la figuration, avec énormément de gens que je connaissais. Durant la danse, Louis n’a eu qu’une seule exigence, que je sois à ses côtés. Je suis donc resté proche de lui et il n’avait qu’à donné un bref coup d’œil pour s’aider.

 

- Quelle fut la durée du tournage ?

- De mémoire, je dirais trois ou quatre jours en comptant aussi tous les apartés comiques entre Guybet et De Funès. Nous faisions une dizaine de prisesde vue par jour ce qui fut très éprouvant.

 

- Pouvez nous décrire Louis de Funès sur le tournage ?

- Relativement tranquille à son arrivée. Il se concentrait progressivement. Parfois, nous prenions un café ensemble puis il partait se préparer. Il attendait dans son coin qu’on vienne le chercher pour tourner. J’ai d’ailleurs récemment retrouvé une photo de tournage où je suis aux côtés de Louis de Funès. On le voit très concentré et moi à côté très tendu aussi, probablement juste avant une prise. Entre les prises il était relativement accessible et j’ai souvent eu la chance de pouvoir manger avec lui.

 

- Comment Gérard Oury dirigeait-il ses comédiens ?

- Avant tout avec passion et générosité. Il était très calme, poli mais savait parfaitement ce qu’il voulait. Il était profondément gentil et avait beaucoup de classe et de grandeur. Il traitait tout le monde avec beaucoup d’égard, de manière toujours courtoise. Pour les trois films que nous avons fait ensemble, je n’ai aucun souvenir d’un éclat de voix. Il aimait son travail et se référait beaucoup aux avis et propositions des acteurs et des techniciens. Il riait des situations et cherchait constamment à innover avec eux. Il respectait beaucoup ses collaborateurs. Par exemple pour « Rabbi Jacob », la scène de la danse devait être précédée d’une scène de prières. Nous l’avions déjà répétée et peu avant le tournage, Oury m’appelle : « Je suis embêté, il faut absolument que l’on se voie demain concernant la scène de prières ». Nous nous retrouvons donc et il m’explique que cette scène nuit à la dynamique du film. Il était gêné car il la trouvait magnifique et n’aurait pas souhaité la supprimer mais pensait qu’elle cassait le rythme, ce qui du reste, était parfaitement exact. Il a quand même pris la peine de me rencontrer pour en discuter avec moi et me faire part de son sentiment alors que d’autres l’auraient purement supprimée. Je n’avais aucun poids sur le montage global du film et pourtant il a respecté le travail que nous avions déjà fait.

 

- Qu’en est-il de la collaboration de Josy Eisenberg ? A-t-il participé à l’ensemble de l’écriture du scénario ou intervenait-il qu’en tant que simple consultant ?

- Il était présent pour toutes les scènes judaïques afin d’éviter les erreurs ou les contre sens. Concernant le scénario, je sais qu’il y’était impliqué mais je ne saurais pas vous dire à quelle échelle puisque je n’y ai personnellement pas participé.

 

- Vous rappelez vous le jour de la première ?

- Bien sûr ! La première s’est déroulée dans un cinéma des Champs Elysées. Nous étions tous présents et à la fin du film Oury est venu me voir et m’a chaleureusement remercié. Il avait pu utiliser la scène de la danse comme bande annonce et comme moyen publicitaire. Je fus heureux d’avoir pu contribuer à cette réussite.

 

- Les évènements de la guerre du Kippour ont, parait-il, menacé le film...

- Je crois me souvenir de quelques tensions mais je ne pense pas que le film ait été menacé. Pour être honnête je n’ai pas fait le lien entre la déclaration de guerre et le film. Je sais qu’il fut critiqué et vu comme une provocation à l’époque. Je me demande d’ailleurs comment on pouvait prendre le message du film comme une provocation car il était porteur de paix avec de grands moments symboliques, notamment la poignée de mains entre Salomon et Slimane, un acte fort qui scellait la réconciliation entre juifs et arabes et qui a beaucoup contribué à apaiser le climat entre les deux communautés.

 

- Quel fut l’accueil de la presse à la sortie du film ?

- Oury était très satisfait de l’accueil. Il y a eu énormément de photos et d’articles parus dans les quotidiens nationaux. Le public aussi a répondu présent mais en revanche le succès et la popularité de la scène de la danse n’ont pas été immédiats. La communauté juive a été divisée quelques temps avec les pro et les anti Rabbi Jacob mais ils n’étaient qu’une minorité et fort heureusement tout le monde s’est rallié à la cause du film.

 

- Aujourd’hui quel regard portez-vous sur le film ?

- Je ne l’ai revu que deux fois. La première pour la réédition du film en DVD où la Gaumont avait créé un événement commercial spécifique et une projection inédite en cinéma. Nous étions tous invités : Henri Guybet, Danièle Thompson, Vladimir Cosma…Gérard Oury n’avait en revanche pu être présent en raison de ses ennuis de santé. Ce fut une journée très émouvante et incroyable. Tout rappelait le film, nous sommes d’ailleurs arrivés à bord d’une DS ! Je l’ai revu une seconde fois à la télévision. Jusque-là je n’avais pas souhaité le revoir puis je me suis laissé prendre au jeu et je dois dire que je fus à nouveau surpris par la qualité du film. J’en garde une grande fierté. 40 ans après les gens me parlent encore de cette scène de la danse, c’est assez incroyable. Beaucoup d’artistes m’ont d’ailleurs sollicité pour l’interpréter. J’ai coaché Valérie Lemercier qui l’a dansé lors de la remise des Césars, Omar Sy l’a improvisé avec moi sur un plateau télé, Jean Luc Reichmann aussi l’a tenté…

 

M. Ilan Zaoui en studio.

 

 

- Avez-vous participé à la comédie musicale montée par Patrick Timsit ?

- Oui et je dois avouer que j’en garde un souvenir mitigé. La production a investi beaucoup d’argent et ce fut un fiasco. Avec le recul, je ne pense pas qu’il fallait le faire. Cela n’enlève en rien la bonne interprétation des comédiens mais la mise en scène était très moyenne. Ils ont souhaité innover mais sans Louis de Funès et sans Oury il était difficile de faire un projet cohérent. J’ai réglé les scènes de danse et j’avais aussi le rôle d’un des membres de la famille juive. Je dansais donc chaque soir sur scène aux côtés des artistes mais l’expérience fut brève puisque la comédie a tenu deux mois au Palais des Congrès avant de s’arrêter.

 

- Comment expliquez-vous cet échec ?

- J’avais moi-même déjà réfléchi par le passé à l’idée d’une comédie musicale autour du film mais je n’avais pas trouvé le bon créneau pour exploiter cette idée. Lorsque l’on se penche en détails sur le film, on constate que la scène de la danse représente deux minutes du film. Outre celle-ci et la musique de Cosma il n’y a pas d’autres scènes propices, musicalement parlant, à une comédie musicale. Tenir 1 heure 30 sur scène était donc compliqué.

 

- Danièle Thompson explique souvent lors d’interviews qu’un film comme « Les aventures de Rabbi Jacob » serait aujourd’hui impossible à tourner...

- J’aurais envie de dire le contraire, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas à nouveau tourner un film dans la même veine que celui-ci. De part mes convictions, je dirais même que ce serait nécessaire. On devrait pouvoir à nouveau aborder des sujets sensibles, parfois graves, comme les relations entre diverses religions, au travers de films comiques. C’est un excellent vecteur pour faire passer des messages. D’un autre côté peut être qu’il n’existe plus de réalisateurs de l’envergure de Gérard Oury pour le faire.

 

- Pour l’anniversaire des 40 ans du film, vous nous avez évoqués l’idée d’un projet hommage, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

- C’est exact j’essaye actuellement de créer un hommage au film dont nous célébrerons les 40 ans au mois d’octobre. Je réfléchis encore à la forme car plusieurs possibilités peuvent s’offrir. J’ai une piste auprès d’une chaine de télévision mais j’aimerais aussi pouvoir créer un grand évènement autour de la danse car c’est un art qui me tient à cœur. Je réfléchis à l’idée d’un grand Flash Mob où les gens de tous pays pourraient danser simultanément sur la musique de Rabbi Jacob. Nous pourrions évoquer les thèmes du film qui aujourd’hui encore sont plus que jamais d’actualité. Le fait de se réunir autour de cette danse, très typée mais aussi universelle, serait un moyen populaire et sympathique qui me séduit beaucoup.

 

- Au final, quels souvenirs conservez-vous de ce tournage ?

- Uniquement des bons souvenirs. De Louis de Funès je retiens l’image d’un homme charmant, poli et respectueux. Un acteur très concentré et professionnel qui aimait son travail. J’ai eu la chance de développer une longue relation avec Gérard Oury qui refit plusieurs fois appel à moi pour ses films et que j’ai appris à connaître sur le long terme. Je ne peux dire que du bien de cet homme dont la gentillesse n’avait d’égal que la courtoisie et le respect des hommes qui l’entouraient. Je suis toujours énormément sollicité pour parler de ces souvenirs et c’est à chaque fois un plaisir de me replonger dedans.

 

- Un grand merci à vous !

- Je vous en prie, merci à vous deux.

 

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