Roger LUMONT

 

AAAffAAA Les internautes connaissent de longue date Roger Lumont, comédien sympathique que les cinéphiles croisent régulièrement dans les films de Jean-Pierre Mocky, Jean Delannoy, Michel Audiard ou encore Philippe Labro. Il tourne à plusieurs reprises aux côtés de Louis de Funès ("Fantomas se déchaine", "Le Gendarme à New-York", "Le Grand restaurant", avant d'être la voix du maître-chanteur dans "Jo"). Au cours d'une première interview, il nous avait évoqué ces films.

AAAAgAA C'est au début de sa carrière, en 1963, que Roger Lumont rencontre Louis de Funès, au Théâtre des Variétés, lorsqu'il rejoint la troupe des Branquignols pour jouer "La Grosse Valse". Dans l'interview qu'il nous accorde aujourd'hui, le comédien revient sur cette pièce qu'il a aimé jouer, et dont il garde de très bons souvenirs. Nous le remercions une fois encore chaleureusement pour sa disponibilité et sa fidélité.

 

Interview Roger Lumont du 23 septembre 2011 par Franck et Jérôme

 

- M. Lumont, comment avez-vous intégré la troupe des Branquignols pour la pièce "La Grosse Valse" ?

- Je suis arrivé en août 1963, donc assez tardivement puisque j'ai dû jouer environ une centaine de fois avant de laisser ma place pour les dizaines de représentations restantes car j'étais engagé ailleurs. Je terminais alors ma troisième année au cours Simon où j'obtins le prix Marcel Achard ainsi qu'un chèque remis par Robert Dhéry, membre du jury cette année là. J'étais en vacances depuis une semaine dans le sud, du côté d'Uzès, lorsque mon ami Philippe Brizard appela en pleine nuit mes parents pour dire que Jean Gras, le CRS dans la pièce, devait quitter la distribution et que Dhéry me voulait pour le remplacer. Il fallait faire vite puisqu'un autre comédien était sur le coup. A l'époque je roulais en Fiat 500 et j'ai dû remonter précipitamment sur Paris. En partant à sept heures du matin j'ai réussi à être au théâtre à 17 heures trente pour être engagé. Dhéry disait alors au producteur de la pièce "Il peut tout faire, il peut remplacer tout le monde". Je n'ai pas commencé tout de suite, les deux ou trois premiers soirs je fus spectateur pour m'imprégner de la pièce. Le soir d'après, De Funès se fît mal à un genou pendant une répétition et Modo le remplaça tandis que je pris sa place et ce fût ma seule répétition. J'étais un comédien toujours très angoissé et cela ne s'arrangea pas lorsque je sus que j'avais 16 entrées à faire durant la pièce dont beaucoup face à De Funès. A cette époque je ne le connaissais pas encore, ce fût notre première rencontre.

 

- Justement, était-il facile de suivre son rythme chaque soir ?

- J'ai la chance d'être un acteur qui adore l'improvisation donc cela n'était pas dérangeant. Louis adorait changer, modifier. Je me rappelle que pour la scène du "Gendarme à New York" dans laquelle je lui traduis un article de journal, Girault nous a arrêtés en nous disant qu'elle durait près de vingt minutes ! Toutefois, sur scène, il respectait toujours le canevas original. Il y avait une scène pour laquelle il inventait chaque soir une trouvaille. Un soir il nous faisait la parade du cirque, le soir d'après l'attaque de la diligence, ensuite le loup et l'agneau. Il aimait beaucoup les références aux fables de La Fontaine. Lorsque j'étais en coulisse, j'en profitais pour le regarder et il était fabuleux, d'une honnêteté extraordinaire. Nous nous entendions comme larrons en foire. Il a mis en jeu sa vie pour satisfaire le public. Parfois au bout de quelques minutes il disait "Ils sont durs ce soir" et alors nous savions qu'il allait laisser deux litres de sueur de plus là où d'autres se seraient contentés de s'économiser. Et un quart d'heure après toute la salle lui mangeait dans la main.

 

Roger Lumont et Louis de Funès dans "Le Gendarme à New York" de Jean Girault (1965)

 

- Y'a-t-il eu beaucoup de modifications d'acteurs ?

- Robert Dhéry a débuté la pièce puis a été remplacé par Balutin tout comme Colette Brosset. Ils étaient les seconds rôles de la pièce. Mis à part cela je n'ai pas le souvenir de changements particuliers.

 

- La pièce a-t-elle été filmée un soir ?

- A ma connaissance je ne crois pas mais je ne pourrai pas l'affirmer.

 

- La presse de l'époque évoquait des gags et des moyens techniques ahurissants, que pouvez vous en dire ?

- Oui c'est exact mais c'était le principe. Il y avait des ballets fantastiques d'Angleterre. Je me rappelle une scène où les protagonistes croient fumer des cigarettes et fument du H. Ils s'envolent ensuite dans les airs sur des éléphants roses. C'était un spectacle qui coûtait très cher et qui mobilisait beaucoup de techniciens. Il a fantastiquement bien marché en France mais ils se sont plantés aux Etats Unis car ils ont embauché un anglais dans le rôle principal. Or les Américains attendaient la version "made in France" avec les prononciations et l'accent à la française. Par conséquent, la pièce qui devait se jouer pendant au moins deux ans n'a durée que quelques représentations. Michel Modo m'avait d'ailleurs raconté les réactions le soir de la générale. Suite au spectacle, les comédiens et les musiciens vont dans un restaurant et vers deux heures du matin les journaux arrivent. Tout le monde se passait le journal et très rapidement toutes les personnes présentes sont parties. C'est une réaction typique des Etats Unis.

 

- Savez-vous comment est née la pièce ?

- Au départ le spectacle était plus un simple synopsis qu'une pièce aboutie. Louis a beaucoup travaillé et discuté pour la faire évoluer et il la faisait encore progresser chaque soir mais au départ je pense qu'il n'y avait qu'une base peu développée.

 

Après avoir fumé de la marijuana, le douanier Roussel s'envole sur un éléphant

 

- Comment Dhéry travaillait-il avec sa troupe ?

- Difficile à dire car je ne l'ai pas vu diriger les acteurs. En ce qui me concerne, la seule chose qu'il m'a dite c'est : "Tu regardes et tu vois ce qu'il ne faut pas faire". Je n'avais pas un grand rôle mais je suis parvenu à l'étoffer et à lui donner une véritable consistance. J'avais l'intelligence de faire des gags marchepieds pour De Funès. Je savais que je pouvais faire rire mais il fallait aussi que cela lui serve, derrière il pouvait renchérir. C'est pourquoi il m'appréciait, me défendait lorsque Dhéry venait me dire quelque chose. Il l'interrompait en lui disant "Stop, lui il est très bien !". A cette époque nous apportions tous des petits trucs, notamment Grosso et Modo qui étaient de véritables gagmen.

 

- Comment était De Funès avant le lever du rideau ?

- Louis était un acteur rempli de trac. Je m'arrangeais toujours pour me promener sur la scène une demi-heure avant le lever du rideau. Pour parler franchement je l'arpentais en long et en large en pissant de peur et qui est ce que je croisais ? De Funès ! Nous en profitions pour bavarder et c'est au cours de ces discussions qu'il m'apprit énormément de choses dont l'importance du timing. Il me disait qu'il l'avait lui-même hérité de Carette. Il m'a aussi appris à parfois sacrifier deux ou trois petits gags afin de mieux faire fonctionner celui qui venait après. Il était toujours dans son jeu, il se mettait dans des états invraisemblables. Vous le croisiez avant en coulisses en sentant toute son énergie, il bouillonnait. Il avait un trop grand respect pour le public car il savait que c'est lui qui lui permettait de manger à la fin du mois. Chaque soir il réalisait un véritable marathon surhumain. Je n'ai jamais connu cela chez d'autres acteurs. Beaucoup de comédiens d'aujourd'hui se prétendent être les nouveaux de Funès, je peux vous affirmer qu'ils ne boxent pas dans la même catégorie. Ils n'ont ni son talent, ni son humilité, sa grandeur et sa discrétion.

 

- Quelle était l'ambiance au sein de la troupe ?

- Dans l'ensemble plutôt bonne. "La Grosse Valse" était une véritable machine écrite pour De Funès. Sans lui elle n'aurait pas existé. Tous les comédiens engagés savaient que nous étions là pour lui servir la soupe et ce n'était en rien péjoratif, au contraire ce fût un tel honneur et plaisir ! Certains ont pu s'en plaindre mais comme l'ont dit au poker "Put Up or Shut Up !". Vous acceptiez votre cachet et vous faisiez votre travail consciencieusement. Je pense que Louis appréciait mon implication, mon sérieux car je faisais évoluer le personnage et je le servais. Il n'aimait pas les emmerdeurs et les acteurs médiocres. Il les fuyait comme Gabin et tous les grands. Lorsque vous aviez sa confiance, n'importe qui pouvait lui demander conseil, il répondait avec plaisir en étant pleinement accessible. Certains ont dit de lui qu'il était prétentieux, hautain, ils étaient surtout eux mêmes parfaitement médiocres et Louis avait raison de ne pas perdre de temps avec eux. Mais avec un professionnel, il n'y avait pas de problèmes. Il était de plus parfaitement respectueux des techniciens, conscient de leur travail et de leur implication. Je me rappelle que plus tard sur les plateaux, s'il m'apercevait même de loin, il prenait la peine de se déplacer et d'échanger quelques mots avec moi. Une fois j'ai reçu une carte postale avec un petit mot. Il y avait dessiné plusieurs plantes qui grossissaient jusqu'à devenir un palmier immense sous lequel il m'avait écrit "Bientôt peut être". C'était très touchant. Un soir je rentrais en maillot de bain sur scène et au bout d'un certain temps cela faisait moins rire le public. Je vais demander l'avis de Louis qui me répond : "Oui vous avez raison, je vous ai observé et effectivement la salle rigole moins qu'auparavant. Demain soir, essayez de rentrer deux secondes plus tôt." Echec. Il me dit alors "Demain soir rentre deux secondes plus tard" et effectivement toute la salle a rigolé. Je me rappelle aussi de ses danses. Il avait un tel rythme en lui qu'il pouvait tout faire. Il exécutait une sevillana de manière incroyable. Un jour, le guitariste avait l'avant bras bloqué et la scène était tellement importante que l'on ne pouvait pas la supprimer. Comme je savais masser et que j'avais toujours un tube de pommade dans ma voiture, j'ai alors proposé mon aide, sortant Louis de la galère. Il m'en a toujours remercié car il était très fidèle aux gens qu'il appréciait !

 

- Si vous deviez garder une seule image de lui ?

L'image de cette scène dont je vous parlais et pour chaque soir il improvisait quelque chose de différent. C'était à chaque fois de grands moments. Il ne savait pas s'économiser, il avait un tel rythme en lui ! Tout allait à deux cents à l'heure, il avait un jeu physique véritablement impressionnant. Je me revois entrain de chanter "Bon comme un… " à ses côtés. Il essayait toujours de faire rire Tornade. En prenant son accent, il le regardait et disait "Il rigole, il rigole le bon chef !". Et Tornade ne résistait pas. Je me rappelle d'un grand éclat de rire du public lorsque Liliane Montevecchi ouvrait son manteau face à lui et dos au public. Louis tombait les bras en croix, les yeux exorbités, faisant ainsi comprendre au public qu'elle était certainement nue en dessous ! Je me rappelle enfin d'une scène qui au départ n'était pas très drôle ou il y avait un ensemble de tuyaux sur scène avec des acteurs dans chaque tuyau et selon les directives que l'on donnait "tuyau haut" ou "tuyau bas" ils se déplaçaient. Sur le papier rien de très marrant donc mais j'ai eu l'idée, grâce à ma forte voix, de pousser De Funès dans son jeu en criant les ordres. Un peu comme en Angleterre où il existe des concours de sergents qui gueulent le plus fort. Et Louis tirait alors une tête véritablement apeurée lorsque je hurlais "Tuyau haut - Tuyau bas" et cela faisait le bonheur du public. Il me sortait chaque soir une réplique différente : "C'est bon l'alerte est terminée ?" ou "Le métro est parti ?" . Je n'ai vraiment que de bons souvenirs à ses côtés !

 

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