Michèle Frascoli

 

AAAAAAA Le charme, la grâce, l'élégance… Autant de qualités qui conviennent à Michèle Frascoli. Cette artiste complète fut tour à tour comédienne, danseuse, meneuse de revues. Elle travailla des deux côtés de l'Atlantique dans des lieux prestigieux et branchés des grandes villes. En effet, elle participa aux spectacles parisiens des Folies Bergères, de l'Alcazar, du Lido ou encore du Gaumont Palace. Elle sillonna aussi les Etats-Unis en se produisant aussi bien à New York qu'à Las Vegas, en passant par le Texas et la Floride. Au début des années 1980, elle tient la guitare basse au sein du groupe David Appel Group, avec lequel elle enregistra un album suivi d'une longue tournée.

AAAAAAA Néanmoins, ce n'est pas uniquement comme danseuse qu'elle fut engagée en 1962 aux Variétés par un certain Robert Dhéry. Adolescente, elle effectua ses premières prestations théâtrales aux côtés des Branquignols. Le spectacle se nommait " La Grosse Valse " et les 31 membres de la troupe concoctèrent une savoureuse revue burlesque. Le rôle principal fut attribué à Louis de Funès, un comédien qui ne cessait de prendre du galon. En effet, depuis son franc succès dans la pièce " Oscar ", il apparaissait au cinéma dans des rôles de plus en plus consistants. Cette véritable ascension qui devait déboucher sur les succès commerciaux que l'on connaît, Louis de Funès la poursuivait quotidiennement lorsqu'il interprétait, chaque soir, le douanier Roussel de " La Grosse Valse ".

AAAAAAA Au cours d'un entretien présenté ci-après, Michèle Frascoli nous a aimablement reçus pour nous confier ses impressions et ses souvenirs sur cette pièce qui a été un vrai triomphe à Paris pendant quinze mois. Nous la remercions chaleureusement pour le temps qu'elle a consacré à nos nombreuses questions, avec sympathie et drôlerie. Nous lui adressons toute notre amitié.

Franck et JérômeAAAAAAA

 

Première partie / Deuxième partie

Interview de Madame Michèle FRASCOLI du 25 octobre 2011 par Franck et Jérôme

 

- Madame Frascoli, nous souhaiterions commencer en évoquant le tout début de votre carrière. Vous avez, semble-t-il, appris la danse dès l'enfance…

- En effet, j'ai fait toutes mes classes à l'école de danse de l'Opéra de Paris, qui est très difficile. Chaque année il faut se présenter à un concours exigeant et se classer dans les cinq, voire les trois premières pour passer à la classe supérieure. Si vous n'accédez pas à la classe supérieure, vous êtes renvoyée. Il règne donc un esprit de compétition. Une émission récemment diffusée à la télévision affirmait que c'était une école " plus dure que l'école militaire " (rires) !

 

- Cette exigence devait vous demander une sérieuse motivation…

- En réalité, j'étais dans une véritable quête de l'absolu. L'opéra représentait plus qu'une école de danse ou une salle de spectacle. A mes yeux, c'était une planète ! A cette époque, les cours de danse et l avaient lieu à l'opéra de Paris et nous participions déjà à certains ballets et opéras comme Carmen ou Rigoletto.

 

- Pourquoi, une fois la formation de "petit rat" achevée, n'avez-vous pas débuté une carrière à l'Opéra ?

- Je suis grande et ma taille m'a handicapé. Au début, j'étais un "petit rat", avant de devenir un "moyen rat" et de terminer par un "trop grand rat" (rires) ! Je me suis fait virer de la dernière classe au motif que j'étais trop grande. Devais-je persévérer dans la danse ou reprendre mes études ? J'ai devais faire un choix. L'énergie du désespoir m'a soutenu et j'ai décidé de continuer. J'étais déjà inscrite dans des cours de chant et de comédie dans l'école de Robert Manuel où j'avais Jean Périmony comme professeur. J'ai continué en suivant des cours de danse moderne. Ma formation classique s'éloignait et je me tournais désormais vers la comédie musicale.

 

- Vous avez été rapidement engagée au Lido ?

- Un peu plus tôt, j'ai travaillé à Rome puis j'ai rejoint le corps de ballet du Châtelet. C'était un beau théâtre avec de bons artistes engagés mais l'ambiance et les cachets étaient très mesquins (rires). Par la suite, j'ai passé une audition pour le Lido que j'ai réussie. Et parmi toutes les filles, j'étais la plus petite ! Tandis que j'avais essayé à l'Opéra de jouer le cou rentré dans les épaules pour paraître plus petite, je me suis redressée au Lido, je portais des chaussures à talons et des plumes sur la tête pour paraître plus grande !

 

- Vous aviez 15 ans lorsque vous travailliez au Châtelet, puis 16 ans à l'époque du Lido. Quel regard vos parents portèrent-ils sur votre jeune carrière ?

- Initialement, mes parents ne voulaient pas que je sois danseuse. A l'âge de huit ans, j'étais un peu garçon manqué, élevée avec mon frère, et je voulais être archéologue. Jusqu'au jour où mon enseignante m'a dit "mais Michèle, ce n'est pas un métier de femme" ! J'ai alors réalisé que j'étais une fille. Et qui y avait-il de plus féminin qu'une danseuse ? Mes parents ont été surpris et outrés lorsque je leur ai annoncé que je voulais devenir danseuse. Après plusieurs négociations, ma mère a statué : "entendu, mais c'est l'Opéra ou rien", même si cela devait coûter cher à mes parents. Par la suite, ils ont signé un papier qui m'autorisait à travailler même si je n'étais pas majeure. Les sacrifices de mes parents m'ont appris la discipline et la rigueur.

 

Michèle Frascoli et Jean-Marie Rivière, animateur de L'Alcazar à Paris.

 

- L'expérience du Lido vous a-t-elle plu ?

- Le Lido offre un très beau spectacle, très professionnel, où les danseuses doivent être dans la mesure et en conformité. Mais l'esprit de compétition que j'avais connu à l'Opéra me manquait et je commençais à m'ennuyer. C'est à cette époque que j'ai eu connaissance de l'audition que faisait passer Robert Dhéry pour une pièce de théâtre, et je me suis présentée au Théâtre des Variétés.

 

- Robert Dhéry ne vous connaissait pas à cette époque ?

- Non je ne crois pas qu'il soit venu voir mon spectacle au Lido.

 

- Quand et comment s'est déroulée l'audition ?

- Elle a eu lieu environ six mois avant le début du spectacle [nldr : d'après Colette Brosset, en mars 1962]. L'écriture de la pièce devait déjà être assez avancée et Louis de Funès disponible pour tenir le rôle phare car le Théâtre des Variétés était réservé pour la troupe. A l'audition, il fallait danser et chanter. Je ne me rappelle plus de ma prestation mais ce que j'ai fait sur scène a plu au jury. Ses membres m'ont posé plusieurs questions concernant ma formation et mes disponibilités et, rapidement, j'ai appris que j'étais engagée. Ce qui est assez amusant dans l'histoire, c'est que j'ai laissé un très bon salaire au Lido pour accepter un cachet beaucoup plus maigre dans la troupe de Dhéry. Mais cela en a valu la peine ! D'autres danseuses et comédiens ont aussi été engagés sur audition, nous avons finalement formé une équipe de 31 membres.

 

- Qui composait le jury ?

- Je me souviens qu'il y avait Robert Dhéry, Colette Brosset et d'autres personnes difficilement identifiables. Vous savez, tandis que vous êtes sur scène et concentrée sur votre prestation, le jury se trouve dans l'obscurité. Sans en être persuadée, je crois que le producteur Arthur Lesser était présent, et éventuellement le compositeur Gérard Calvi.

 

Les 31 membres de la troupe. Michèle Frascoli se trouve au 3ème rang, avec un chapeau blanc.

 

- Après plus de deux mois de préparation et de répétition, la générale a lieu le 15 octobre 1962. Etiez-vous prêts ?

- Vous savez, on n'est jamais vraiment prêts dans ce genre de spectacles. Ce n'était pas la débâcle mais les comédiens - et aussi les techniciens et les décorateurs - s'activaient sur les derniers préparatifs, on améliorait encore lors des dernières répétitions. Parfois, plus la situation parait "bordélique" la veille, mieux la Générale se déroule le lendemain ! Mais 48 heures avant la première représentation, on se dit " est-ce que ça va marcher ? " ou " mais qu'est ce que je suis venu faire dans cette galère ? " (rires) ! Je n'ai jamais joué une avant première où, à la fin, la troupe était enthousiaste en se disant "c'est parfait" ! Par contre, j'ai joué une fois un spectacle au Gaumont, avec des animaux sur scène dont des éléphants et des petits cochons. On nous avait vanté les mérites des cochons mais ceux-ci ne faisaient pas du tout ce qui était attendu. Nous avons pris beaucoup de retard dans la préparation et nous répétions encore lorsque les premiers spectateurs ont pris place dans la salle ! Le soir de la première, devant un public qui comprenait Michelle Morgan, Eugène Ionesco ou encore Marcel Achard, les cochons n'ont pas du tout joué leur rôle mais le public entier voulait les voir sur scène, les spectateurs se sont levés et les cochons, pourtant inefficaces, ont eu droit à une "standing ovation" (rires) !

 

- On devine toutefois la pression qui repose sur vos épaules juste avant la Générale…

- Bien entendu, car c'est très difficile de faire rire. Mais le spectacle était bien construit et la troupe, en osmose, comprenait des comédiens accomplis comme de Funès ou Dhéry, ce qui était rassurant.

 

- Pouvez-vous nous rappeler le scénario de "La Grosse Valse" ?

- La grosse valse était en la réalité une grosse valise que Robert Dhéry et sa bande présentaient à la douane d'Orly. De Funès, qui était déjà dans son personnage du gendarme [Ludovic Cruchot dans la série de Jean Girault, à partir de 1964], jouait le douanier méfiant, refusant de laisser passer un bagage aussi énorme. L'objectif de notre équipe valise était donc de tout tenter pour tromper la vigilance du douanier et pouvoir passer avec la valise.

 

- Il y avait donc les douaniers face aux passagers ?

- Oui, la troupe était divisée en deux équipes : l'équipe "valise", à laquelle j'appartenais, et l'équipe "douaniers/aéroport". Mais, pour la plupart des scènes, certains parmi nous passaient dans l'autre équipe afin de jouer le personnel de l'aéroport. A l'exception des grands rôles comme ceux de De Funès, Dhéry, Brosset ou Tornade, nous jouions tous plusieurs personnages et entrions à plusieurs reprises sur scène. Une fois une scène terminée, nous nous changions en vitesse dans une grande pièce en coulisse pour retourner aussitôt sur scène.

 

- Une véritable "entrée des artistes"…

- C'est un peu cela, la pièce était interprétée par des comédiens ambulants et aurait pu être jouée dans un cirque.

 

- Combien de personnages et figurants jouiez-vous ?

- Au total, je devais probablement cumuler dix à quinze personnages, à la fois comme danseuse et comédienne. J'intervenais dans presque toutes les scènes.

 

- Quels souvenirs avez-vous du rôle de De Funès ? La presse de l'époque raconte qu'il avait très peu de texte à réciter, au plus 15 lignes.

- De Funès ne faisait pas que parler, il chantait aussi ! Son comique était très visuel et il est possible que les gags qui avaient été imaginés ont été accompagnés d'un minimum de texte. Mais chaque soir, il en rajoutait avec les comédiens qui l'entouraient.

 

- Parlez-nous de la technique nécessaire aux gags loufoques, propres à l'univers de Dhéry.

- Toute la pièce avait été soigneusement montée, de façon ingénieuse. C'était très bien fait, avec une solide technique, des décors réussis et des accessoires le plus souvent en mousse. C'était d'ailleurs nécessaire pour assurer l'effet des gags et leur bon enchaînement, pour transformer rapidement la valise en bateau pirate, en piano bar, en château fort ou en taverne bavaroise. C'était un tourbillon d'univers destinés à occuper de Funès et lui faire oublier son devoir de douanier. Je me rappelle d'une scène dans laquelle nous soulevions tous cette énorme valise, avec d'énormes godasses à nos pieds, et essayions de passer discrètement la douane tandis que Robert Dhéry occupait le douanier en lui chantant "moi je suis bien dans mes godasses". Et une fois la chanson terminée, alors que nous nous apprêtions à passer la douane, de Funès reprenait son service et nous ordonnait "hé là-bas, revenez ici ! Revenez ici tout de suite !"

 

- Avez-vous des souvenirs de la scène des éléphants ?

- Oui, elle se déroulait à la fin du premier acte lorsque nous faisions fumer de la marijuana au douanier. Dans cette scène, des hommes - dont Romuald et Robert Destain - portaient des smokings, tandis que Liliane Montevecchi, Annick Tanguy et moi étions en robes de soirée. Nous jouions les femmes du monde, chics et un peu snob, proposant au douanier de fumer avec nous une cigarette. Celui-ci acceptait et prenait de la marijuana [en réalité ce n'en était pas, il s'agissait d'un accessoire de théâtre]. Sous nos tenues, nous étions tous attachés à des ceintures. Au premier plan, des valises se transformaient alors en éléphants roses et, tandis que nous nous envolions, nous saisissions chacun un éléphant, de façon à donner l'impression que nous volions dessus. Après avoir fumé, De Funès devait commenter avec son inimitable accent : "je me sens bien, mais léger" !

 

Louis de Funès sur son éléphant après avoir fumé de la marijuana

 

- Avez-vous d'autres souvenirs comme celui-ci ?

- Sur scène se trouvait en permanence une balance américaine, représentant une pin-up grandeur nature, sur laquelle de Funès faisait monter les gens. Lorsqu'un passager qu'il trouvait un peu gros se présentait à la douane, il lui demandait de se peser. Il prévenait : "enlevez votre manteau". La voix de la balance annonçait "50,5 kilos". De Funès demandait au voyageur de remettre son manteau et de se peser à nouveau. La balance disait alors "130,5 kilos" avant que de Funès ordonne au passager de le suivre au poste (rires) ! Lors de la scène des éléphants, tandis que de Funès affirmait qu'il se sentait "léger", la balance annonçait son poids : "60 kilos", puis "40 kilos", puis "30 kilos"… Je me rappelle également d'une scène où la valise se transformait en tournoi médiéval. Christian Leguillochet et d'autres comédiens, déguisés en chevalier, montaient des chevaux. C'était à la fois truqué - car les chevaux étaient des accessoires de théâtre et les comédiens se déplaçaient en pliant un peu les genoux - et ingénieux car les prolongements sur les selles cachaient tout de même leurs jambes.

 

- Pouvez-vous nous évoquer le dénouement de la pièce ?

- Au fil du spectacle, le douanier de Funès se prenait d'affection pour les passagers à la grosse valise. A la fin du spectacle, après en avoir vu de toutes les couleurs, il décidait de partir avec eux !

 

- Et "La Grosse valse" a rapidement conquis "le tout Paris"…

- Oui, la pièce a rencontré un grand succès. Je me rappelle que Marcel Amont est venu plusieurs fois voir le spectacle, ainsi que Johnny Hallyday et Sylvie Vartan, avec qui on est sortis après la représentation. Bien entendu, nous pouvions être moins performants certains soirs que d'autres. Un soir, un gag fera rire aux éclats, et beaucoup moins voire pas du tout le lendemain. Néanmoins, le public était globalement satisfait du spectacle. Et curieusement, des comédiens ont parfois du mal à admettre qu'ils ont été moins bons sur une représentation, préférant affirmer que le public n'était pas bon ce soir-là (rires) !

 

- Le spectacle, prévu pour deux mois, a été joué pendant plus d'un an [octobre 1962 - janvier 1964]. A combien de reprises la pièce a-t-elle été prolongée ?

- Je l'ignore, d'autant plus que je ne suis pas restée jusqu'à la fin. Mais les prolongations confirment le succès et la rentabilité de la pièce car il fallait aussi payer les comédiens, les techniciens et les musiciens pendant quinze mois.

 

 

- Pourquoi êtes vous partie ?

- On m'a proposé de chanter et de danser à Las Vegas dans la revue "Casino de Paris". Mais j'aimais beaucoup "La Grosse Valse", si bien que lorsque je revenais sur Paris, j'assistais à la plupart des représentations. J'ai autant aimé voir la pièce que la jouer. Je la connaissais mais je pouvais encore être surprise par les improvisations des comédiens.

 

- Les improvisations pouvaient rallonger la représentation mais, initialement, combien de temps durait la pièce ?

- Difficile à dire, peut-être un peu plus d'une heure trente, à laquelle doit s'ajouter une dizaine de minutes entre les deux actes. Les improvisations ne concernaient que le texte. Nous ne touchions pas aux gags car ils avaient été soigneusement préparés et ils nécessitaient l'intervention des techniciens. La pièce était trop structurée pour oser une improvisation.

 

- Est-il exact que Robert Dhéry et Colette Brosset ont été remplacés ?

- Oui, ils sont partis avant la fin de "La Grosse Valse". Dès le début, Christian Leguillochet avait été engagé pour être la doublure de Dhéry si celui-ci ne pouvait pas jouer. Mais quand Robert est parti, c'est Jacques Balutin qui l'a remplacé. Forcément, Christian a été un peu déçu.

 

- Quels souvenirs avez-vous de Dhéry et Brosset ?

- Robert était une personne à la fois exigeante, minutieuse et très agréable, qui obtenait ce qu'il voulait dans le calme. Je ne me rappelle pas l'avoir vu en colère. Colette était charmante également, nous sommes restées en contact. A la disparition de Colette, j'ai appris quelque chose qui m'a beaucoup touchée. Les Branquignols étaient une grande famille et, à ses obsèques, tous les noms de la troupe ont été mentionnés, y compris le mien.

 

- Vous étiez en couple avec Christian Le Guillochet.

- Oui, je l'ai rencontré dans cette pièce. Christian n'était d'ailleurs pas comédien, il a lâché son métier pour rejoindre la troupe de Dhéry qu'il avait rencontrée un peu plus tôt. C'était assez fou de la part de Dhéry de faire appel à des amateurs ! Mon intégration dans la troupe s'est d'ailleurs facilitée lorsque nous sommes devenus un couple.

 

- Quand avez-vous rencontré Louis de Funès ?

- Je l'ai rencontré au cours des répétitions lorsque Dhéry nous a présentés mais je l'avais vu au cinéma dans de petits rôles marquants, notamment dans "La Traversée de Paris".

 

Michèle Frascoli dans le programme du Théâtre des Variétés, 1963.

 

- Quels souvenirs avez-vous de sa personnalité ?

- De Funès était quelqu'un de très gentil et discret. Il ne faisait aucune réflexion désobligeante ou méchante. Ce n'était pas le genre de personne à draguer les comédiennes. Son caractère n'avait rien à voir avec les personnages qu'il jouait sur scène ou à l'écran. Hors scène, je ne l'ai vu drôle qu'une seule fois lorsque, un jour, il nous a racontés les premiers métiers qu'il avait exercés. La façon dont il racontait et mimait, c'était du délire, nous étions écroulés de rire. Dans son personnage de douanier, il paraissait heureux, c'était un rôle qu'il semblait vraiment aimer.

 

- De Funès jouait avec vous le soir, mais il tournait aussi la journée. En 1963, il a enchaîné "Pouic Pouic", "Des Pissenlits par la racine", "Faites sauter la banque" et "Une souris chez les hommes". Avez-vous ressenti une fatigue chez lui ?

- Très honnêtement, s'il s'est senti fatigué certains soirs, cela ne s'est jamais vu. Vous savez, lorsqu'il arrivait, il se rendait dans sa loge, nous le voyions en coulisse un peu avant le spectacle. Lorsqu'il était sur scène, c'était de la folie et, une fois le spectacle terminé, il ne s'attardait pas. Sa femme venait le chercher et il rentrait chez lui. Ce n'était pas dans ses habitudes d'aller boire un verre avec les comédiens après la représentation.

 

- Vous-même, sortiez-vous avec les autres comédiens après une représentation ?

- Oui cela arrivait parfois avec Robert et Colette, Jean Gras ou Christian Le Guillochet. Ensuite Christian me ramenait chez mes parents avec sa 4CV (rires) !

 

Louis de Funès avec Maurice Biraud et Dany Carrel dans "Une Souris chez des hommes" de Jacques Poitrenaud, à l'époque de "La Grosse Valse". La journée, avant de rejoindre le Théâtre des Variétés, Louis de Funès ne cesse de tourner.

 

- Sur scène, de Funès dansait et chantait…

- Oui, il se débrouillait bien en danse, d'autant plus qu'il n'avait pas eu une formation de danseur et qu'il n'était pas évident de se familiariser avec les attitudes et les mouvements à adopter sur scène. Il chantait aussi quelques morceaux, dont un slow avec Baby, le personnage de Françoise Moncey. Je l'avais remplacée un soir où elle n'avait pu venir au théâtre. J'ai chanté ce slow "Pour Toi" dans une baignoire. J'avais eu la trouille car je reprenais le rôle de Baby sans avoir répété. A la fin de la représentation, de Funès a été très gentil avec moi et m'a rassurée en me disant "c'était très bien".

 

- Manifestement, il chantait et dansait assez bien…

- Oui, tout avait été bien préparé. Il ne fallait pas non plus sortir du conservatoire pour chanter et danser sur ces morceaux, mais tout ce qu'il faisait, de Funès le faisait bien, d'autant plus qu'il était excellent pianiste. Jamais je n'ai été marquée par une mauvaise performance de sa part.

 

- En 1962, imaginiez-vous que de Funès allait connaître la carrière qu'il a connue avec les "Gendarmes" et les films de Gérard Oury ?

- Il y avait déjà eu "Oscar" au théâtre qui avait très bien marché. Je ne pouvais pas prévoir une telle ascension mais, lorsqu'elle est arrivée, elle ne m'a pas étonnée. Aujourd'hui, ce succès me parait assez logique. Par ailleurs, les personnages du "Gendarme de Saint-Tropez" sont des copier coller des rôles que tenaient de Funès, Pierre Tornade, Grosso et Modo dans "La Grosse Valse". On retrouve l'uniforme, les mimiques, les deux mêmes subordonnés et le chef avec lequel de Funès est un véritable fayot. C'est pourquoi le rôle du supérieur de De Funès, que joua Galabru, aurait pu être tenu par Tornade dans la série du "Gendarme".

 

- Parlez-nous de la complicité entre les douaniers de Funès, Tornade, Grosso et Modo…

- Parfois ils s'amusaient en ajoutant dix minutes de texte, ou ils improvisaient si l'un d'entre eux avait un trou de mémoire. Ces innovations faisaient du bien aux comédiens car jouer le même texte tous les soirs peut devenir monotone. Leur complicité rendait le spectacle encore plus vivant. Mais, comme je vous l'ai déjà dit, ils ne touchaient pas aux gags pour ne pas déstructurer le spectacle.

 

Pierre Tornade entouré de ses deux subordonnés Grosso et Modo

 

- Quels souvenirs avez-vous de Jacques Legras ?

- Avant les répétitions, Legras aimait se rendre sur le balcon du théâtre qui surplombe le boulevard [nldr : le théâtre se situe 2, boulevard Montmartre]. Il attachait une pièce de monnaie ou un billet à un fil invisible. Il faisait descendre l'argent sur le trottoir et attendait qu'un passant se penche pour ramasser la monnaie. Legras remontait alors le fil invisible en criant "au voleur ! au voleur !".

 

- De Funès n'a jamais tiré la couverture ?

- Non, il n'en avait pas besoin car, dès le départ, il tenait le personnage principal. La vedette du spectacle c'était lui, indiscutablement. Même Robert et Colette qui étaient de grands acteurs lui servaient la soupe et, lorsqu'ils sont tous les deux partis, ils ont été remplacés. Mais de Funès n'aurait pas pu être remplacé dans le rôle du douanier. Malgré tout, il restait très simple et correct, sans prendre la grosse tête.

 

- Vous n'avez pas le souvenir d'une captation de la pièce ?

- Non je ne crois pas que la pièce ait été filmée. C'est aujourd'hui regrettable, mais ce n'était pas la mode à cette époque. Quelques images du spectacle tournées pour un reportage circulent mais on ne voit pas grand-chose.

 

- La musique était-elle diffusée sur une bande ou l'orchestre de Gérard Calvi jouait-il tous les soirs ?

- Je n'en ai pas un souvenir précis mais je pense que les musiciens jouaient, comme dans la plupart des spectacles de cette époque. L'utilisation de la bande est apparue plus tard. Je ne me rappelle pas avoir porté un micro pour le chant.

 

- Vous avez quitté la troupe à regret ?

- Oui car la pièce et la troupe étaient bonnes mais je suis partie à Las Vegas pour ce superbe projet "Casino de Paris". C'était saisissant car la ville n'était pas aussi développée qu'aujourd'hui et, tout autour de nous, le désert du Nevada était très présent. Ce décor naturel rappelait les westerns. A Las Vegas, où je suis restée deux ans, j'ai vu des artistes comme Dean Martin ou Elvis Presley.

 

- Vous êtes ensuite revenue sur Paris ?

- Oui, j'ai été engagée aux Folies Bergères, puis à L'Alcazar par Jean-Marie Rivière. Puis on m'a proposé un autre contrat au Canada, à Montréal, puis à New York. Je me rappelle notamment avoir échappé à un incendie. Une nuit, en décembre, l'hôtel où nous étions logés avec le producteur a pris feu et, après avoir endossé un manteau de fourrure, je suis montée sur le toit. Je suis descendue par la grande échelle des pompiers… sans culotte… alors que les journalistes me filmaient ! Malheureusement, tout le monde n'a pas eu la chance de s'en sortir cette nuit-là.

 

- Vous avez travaillé sur plusieurs spectacles en France et aux Etats-Unis, vous avez même tenu la guitare basse au sein d'un groupe de rock. Vous êtes satisfaite de cette carrière bien remplie ?

- Je pense avoir eue une vie intéressante, qui m'a permis de voyager et de faire de belles rencontres. Mais sur le plan professionnel, j'ai trop laissé parler mon cœur et j'ai raté quelques belles opportunités.

 

Deuxième partie : Interview sur sa carrière et la publication de ses souvenirs : ICI

Le site internet de Michèle Frascoli : ICI

 

Merci à Mme Frascoli, propos recueillis pour Autour de Louis de Funès, reproduction interdite

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