Michel DE BROIN

 

poiuytrezLe décorateur Michel de Broin cotôya Louis de Funès à plusieurs reprises, au début de sa carrière lorsqu'il était l'assistant de Paul-Louis Boutié sur "Le Grand restaurant" réalisé par Jacques Besnard (1966) et de Robert Clavel sur "Le Tatoué" sous la direction Denys de La Patellière (1968). Quelques années plus tard, en 1976, il devint le décorateur du film "L'Aile ou la cuisse" de Claude Zidi, annonçant le grand retour de Louis de Funès au cinéma. Mais Michel de Broin a également réalisé les décors de nombreux autres films connus tels "Le Distrait", "La Grande bouffe", "La Moutarde me monte au nez" ou encore auprès de Denys de La Patellière dans "Le Voyage du Père" avec Fernandel et "Le Tueur" avec Jean Gabin (rencontré sur "Rue des Prairies" du même Patellière en 1959). Aujourd'hui, Michel de Broin nous évoque ses souvenirs sur tous ces films et nous présente son métier encore trop méconnu mais passionnant. Un grand merci à lui pour nous avoir accordé du temps pour cette interview.

 

Interview M. Michel de Broin du 16 février 2008 par Franck et Jérôme

 

- M. De Broin, à quand remonte votre première rencontre avec Louis de Funès ?

- Je l'ai rencontré sur "Le Grand Restaurant", en 1967, dans lequel je travaillais comme assistant de Paul-Louis Boutié. Nous avons tourné au studio Saint Maurice. Je l'ai retrouvé par la suite sur le tournage du "Tatoué", aux côtés de Gabin, nous étions assistants de Robert Clavel avec Marc Desages, qui est malheureusement décédé aujourd'hui. Je me souviens très bien des décors, notamment l'intérieur du château de Montignac. Nous avions réalisé une sorte de grotte souterraine ainsi qu'un escalier en colimaçon, me semble-t-il, mais ce sont des souvenirs assez lointains. Je n'ai pas dû revoir le film depuis qu'il est sorti, cela ne facilite donc pas les choses (rires) !

 

- Quelle était l'ambiance sur le plateau du "Tatoué" avec Gabin, de Funès, Patellière etc... ?

- Je connaissais Gabin depuis longtemps car mon père était producteur et l'employait énormément. Il aimait beaucoup les acteurs de cette époque comme Raymond Bussières, de Funès ou Christian Duvaleix. Mon premier film date de 1959, il s'agit de "Rue des Prairies" de Denys de La Patellière. Pour en revenir à Gabin nous nous appréciions beaucoup, il m'appelait "fiston". Concernant l'ambiance plateau, je ne me souviens pas de problèmes particuliers. C'était une époque très intéressante sur le plan professionnel. Sur "Le Tatoué", le budget était assez conséquent, ce qui est normal lorsque l'on réunit Gabin et de Funès sur le même film. Toutefois, les budgets décors étaient loin d'être les plus élevés. Il est difficile pour moi de pouvoir véritablement vous parler de l'ambiance plateau. D'autres comme Jean Paul Schwartz le ferait bien mieux que moi. D'ailleurs Gabin l'aimait beaucoup, il avait beaucoup d'affection pour lui. Je ne travaillais pas beaucoup sur le plateau mais beaucoup plus en amont et en aval de celui-ci. Vous savez, les décorateurs vont assez peu au studio. Nous assistons à la projection afin de savoir si nous pouvons détruire les décors réalisés et construire les prochains. Nous sommes donc là surtout avant car il y a un énorme travail de préparation de plusieurs mois. Le décorateur travaille dans la réalité du film et non du tournage comme un opérateur. Je me souviens d'exigences particulières de Gabin qui ne voulait pas que l'on voit la bosse qu'il avait sur le nez. De Funès était une personne plutôt compliquée, primesautière, énervée, à l'image de son personnage mais sympathique. Sur ce film, finalement, l'ambiance était amusante.

 

Paul Préboist et Louis de Funès dans les studios de Saint-Maurice, où la salle à manger du restaurant parisien Ledoyen fut reproduit à l'identique par Paul-Louis Boutié et son assistant Michel de Broin.

 

 

- Comment se déroule votre travail sur le plateau ? Travaillez vous en collaboration avec les accessoiristes, la lumière...?

- Concernant les accessoiristes, il y en a deux types : Les accessoiristes plateau qui participent au tournage et avec lesquels le décorateur a peu de rapports puisqu'il est beaucoup plus dépendant de la scripte et de l'assistant metteur en scène. Leur travail exige beaucoup de rigueur puisque les scènes ne sont pas tournées dans la continuité, on ne respecte pas l'ordre chronologique. Par exemple, la scène 123 sera tournée deux mois après la 122 et l'accessoiriste plateau doit veiller à ce que les objets soient aux mêmes places. La deuxième catégorie d'accessoiristes sont les accessoiristes décors. Le chef décorateur travaille avec un chef ensemblier, il y a donc une collaboration longue et profonde. Nous travaillons à partir du scénario puisque nous fabriquons un fond d'image qui apporte un aspect précis au film. Les décors en studio sont beaucoup plus difficiles, comme ceux du "Tatoué" par exemple. Nous imaginons le fond d'image et on organise la circulation des comédiens. Les décors sont plus ou moins importants selon les films mais si vous regardez un film comme "La Grande Bouffe", vous comprendrez l'importance du décor ! Concernant la lumière : Le décorateur a énormément de rapports avec lui. J'ai beaucoup travaillé avec Renoir, Schwartz... Tout se passait très amicalement avec Renoir. Les opérateurs sont des gens merveilleux. Ils n'ont pas le même travail que moi car je ne travaille pas, contrairement à eux, dans l'instantané. J'ai toujours un certain temps pour préparer les décors. Il y a des exigences spécifiques lorsque l'on fabrique un décor : on pense à la lumière mais aussi au cadre, c'est à dire que l'on s'imagine ce que l'on va voir. Il y a aussi les indications du metteur en scène qu'il faut bien évidemment prendre en compte.

 

- Comment se déroulèrent vos relations avec Louis de Funès ?

- On se connaissait peu, presque uniquement de vue. Je ne l'ai jamais vu à l'extérieur du plateau car, contrairement à d'autres tels que Noiret ou Depardieu, de Funès n'était pas la personne qui vous invitait au restaurant, il n'était pas méchant mais assez lointain. Ce n'est pas l'acteur que j'ai le plus côtoyé, à l'inverse de Gabin ou Noiret. Je ne l'ai connu qu'épisodiquement. En tant qu'acteur, Louis de Funès était présent sur le plateau mais nous ne le voyions jamais en extérieur. Il était moins paternaliste que Gabin ou moins affectueux que Noiret. Ainsi, comme je vous le dis, sans être désagréable, il était très lointain.

 

- Et pour "L'aile ou la cuisse" où vous êtes décorateur ?

- Je connais très bien Zidi avec qui j'ai travaillé à de nombreuses reprises notamment sur "La course à l'échalotte" et "La moutarde me monte au nez" qui sont de très bons films, très amusants. Zidi éait une personne qui sur le plateau parlait très peu. Il vous donnait le scénario, qui était toujours très clair et bien construit mais il parlait beaucoup plus avec son premier assistant. il était plus occupé par le déroulement du tournage, c'est aussi un grand chef opérateur. J'ai eu des rapports très amusants avec Coluche. L'ambiance était vraiment sympathique sur ce film, je me rappelle d'un Louis de Funès qui par contre se ménageait beaucoup même s'il était toujours surexcité. Nous n'avions pu disposer de studios car ceux ci étaient tous occupés. Nous avons donc tourné dans un hangar à Trappes, ce qui était assez compliqué car il y avait énormément de poteaux et il était très bas de plafond, ce qui ne facilitait pas les choses. Nous avons tourné certaines scènes en transparence notamment celle où Louis de Funès se retrouve dans un godet de grue, suspendu dans le vide, pour arriver dans l'usine de Tricatel. Vous imaginez bien que nous ne pouvions suspendre de Funès de la sorte, j'ai donc construit un godet et Louis était suspendu sur plateau . Pour vous expliquer le fonctionnement de la transparence, le but était donc de tourner devant un écran qui reproduirait l'image voulue en fond. Dans cette scène, il y avait donc la caméra avec le godet devant, à six ou huit mètres, puis l'écran de transparence et l'appareil de projection. Nous utilisions un système fabriqué par Minesota. Il s'agissait d'un procédé qui utilisait des perles réfléchissantes. Pour venir dans l'axe de projection, nous prenions la prise dans un miroir. nous utilisiosn d'ailleurs pour se faire une peinture bleue.

 

- Comment se déroule votre réalisation avec le réalisateur ? Vous avez "carte-blanche" ou vous devez au contraire vous soumettre à des directives précises ?

- Nous travaillons bien évidemment en collaboration en suivant le scénario qui est notre fil directeur. nous discutons beaucoup des maquettes, de la lumière, des couleurs, de l'intensité des images...Je me rappelle d'une scène particulièrement compliquée dans "L'Aile ou la cuisse" : il fallait réaliser de longs travelings lorsque Coluche et de Funès sont dans l'usine de Tricatel. J'ai travaillé avec le responsable des effets spéciaux, qui était Christian Bourqui et qui trouvait des choses très amusantes. Nous ne pouvions pas faire faire n'importe quoi à Louis de Funès car il fallait le ménager. Zidi était très exigeant, il aimait les choses compliquées mais au final les gags fonctionnaient toujours très bien.

 

- Y a t-il eu des difficultés particulières pendant la réalisation des décors ?

- Non, nous n'avons jamais travaillé dans la précipitation et si c'était le cas, nous maîtrisions parfaitement la situation. Pour les bureaux de Louis de Funès que l'on voit dans le film, nous avions tourné dans un hôtel particulier place d'Iéna, dans lequel il avait bien evidemment fallu apporter quelques modifications. En ce qui concerne les scènes de restaurants, celles ci étaient exclusivement tournées en studio. Le bureau de Tricatel avait été réalisé dans une tour à la Défense. Il y avait une grande opposition entres les deux hommes et leurs univers : les bureaux de Louis de Funès sont classiques, très académiciens, avec des boiseries alors que celui de Tricatel est à l'image de sa cuisine, son usine et son univers. L'usine a d'ailleurs été presqu'entièrement reconstituée en usine. Nous ne pouvions pas nous éloignés de Paris car de Funès ne pouvait pas trop bouger. Zidi, quant à lui, avait fait une carrière d'assistant puis de chef opérateur, il était donc parfaitement habitué aux décors naturels mais "L'Aile ou la Cuisse" nécessitait davantage de tournages en studios. Les journées étaient bien remplies puisque je commençais à sept heures avec les ouvriers jusqu'à 21 heures trente, 22 heures, après les projections. Le rythme était donc assez fatiguants et de plus, le film a necessité trois mois de préparation en amont.

 

- Les acteurs apportent-ils des suggestions quant aux décors ?

- Non ce n'est pas possible. Les comédiens n'ont en quelque sorte rien à faire dans la partie technique, même s'il existe des exceptions. Chacun a son rôle propre.

 

- Lorsque vous revoyez vos films, êtes vous critique ? Avez vous des regrets ?

- Oui bien sûr je suis toujours critique. J'aime beaucoup regarder ces différents films acec mes petits enfants qui sont très amusés d'avoir un grand-père qui a eu ce métier. Ce qui est extraordinaire est que mon travail de décorateur me sert énormément dans la vie de tous les jours. Lorsque je réalise des plans de maisons, j'imagine le déplacement des personnes dans les pièces, en fonction de la lumière. Cela me sert beaucoup. C'est une accumulation de plusieurs techniques particulières telle que la hauteur des marches qui doit respecter à des mesures très précises afin que la montée ne se fasse pas trop lentement. Il en est de même pour l'ouvertures des portes. Pour en revenir à votre question, je m'amuse beaucoup lorsque je revois les films pour lesquels j'ai participés. Je me dis "là, j'aurais pu faire mieux" ou alors "dommage, dans cette scène on ne voit pas assez mon décor"... J'ai aussi beaucoup travaillé pour la télévision, c'est un fonctionnement et des exigences différentes de celles requises pour le cinéma. Il y a de longues répétitions avec l'ensemble des caméras, dans les décors mobiles dessinés et avec les cadreurs. Nous pouvons donc déjà voir d'avance ce qui va être monté ce qui n'est pas le cas dans le cinéma. C'est un avantage non négligeable, nous pouvions anticiper. C'est peut être un peu plus frustrant au cinéma car les décors parfois se voient très peu. D'ailleurs vous pouvez observer le développement des plans américains et des gros plans. Le décor est de moins en moins visible ce qui est, il est vrai, un peu frustrant

 

- Lors de la préparation des scènes, aviez vous l'habitude de prévoir plusieurs décors envisageables ?

- Non, pour la simple et bonne raison que nous n'avions ni le temps ni les moyens de le faire. La préparation en amont du tournage est très conséquente, nous parlons beaucoup. Le travail est très différent selon le décorateur. Par exemple, pour vous donner une idée, les décors de Max Douy sont relativement compliqués, assez sombres et espacés alors que ceux de Jean André était très colorés avec de grands espaces. Tout comme Renoir ne faisait pas le même travail que Schwartz.

 

- Quels souvenirs gardez vous de Louis de Funès ?

- Ce n'est pas un comédien qui a eu une influence dans ma carrière contrairement à des personnes comme Truffaut ou Zidi. A cette époque, il y avait quelque chose de très amusant dans les studios. Il y avait différents plateaux aux seins desquels se tournaient plusieurs films. Pour "Le Grand Restaurant", je travaillais comme assistant de Paul-Louis Boutié et Max Douy travaillait sur le plateau d'à côté ainsi que d'autres décorateurs notamment pour des productions américaines. L'intérêt était que nous passions d'un plateau à l'autre aisément, tout le monde se connaissait, savait ce que l'autre faisait, nous nous passions des conseils, des tuyaux. L'ambiance était très conviviale, amusante, notamment avec les ouvriers qui étaient des gens merveilleux et adorables. Par la suite, tout cela s'est un peu compliqué puisque l'argent passait ailleurs que dans les décors.

 

page créée le 24 juin 2008, dernière modification le 11 octobre 2015.

Haut de page / Retour au sommaire des interviews / Retour au sommaire principal