Interview de M. Lionel PAOLI
journaliste à Nice-Matin

 

AAAA A l'occasion des trente ans de la disparition de Louis de Funès, Nice-Matin consacre le 6 janvier 2013 une édition spéciale au comédien, toujours aussi populaire. Le quotidien propose des rubriques sur les films tournés dans la région, des interviews d'acteurs et réalisateurs qui ont travaillé avec Louis de Funès, et donne la parole aux anonymes qui se trouvaient sur les tournages. Cet important travail a été accompli par le journaliste Lionel Paoli, qui nous expose ci-après ses motivations et la réalisation de son beau projet. Merci à lui d'avoir répondu bien volontiers à nos questions.

La page consacrée à l'édition sur le site du journal : ICI
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La une de l'édition spéciale du 6 janvier 2013 (collection Nice-Matin, merci à Lionel Paoli)

 

Interview de M. Lionel Paoli du 27 décembre 2012 par Franck et Jérôme

 

- Lionel, comment est né le projet d'une édition spéciale consacrée à Louis de Funès ?

- A l'occasion des trente ans de sa disparition qui sera célébrée en janvier nous avons monté une édition spéciale de 16 pages dont la moitié sera "locale" pour évoquer la relation entre De Funès et la côte d'Azur. Nous traitons des films qu'il a tournés dans la région et finalement on se rend compte qu'il y en a assez peu : on retient surtout la série des "Gendarmes", "L'Homme Orchestre" ou "Sur un arbre perché" ainsi que plusieurs films des années cinquante. Le but était aussi de privilégier les gens qui avaient un rapport avec la région, c'est pourquoi vous retrouverez les interviews de Georges Lautner qui réside à Grasse ou Mylène Demongeot qui est née à Nice et qui a vécu pendant 27 ans à Porquerolles. Nous avons aussi ouvert nos colonnes à nos lecteurs qui ont pu le rencontrer sur un tournage. Nous avons reçu des anecdotes inédites, comme par exemple celle d'un psychiatre qui, après avoir déjeuné avec Serge Korber et Louis de Funès, leur avait prêté sa Lamborghini jaune pour la scène de poursuite au début de "L'Homme Orchestre". Il avait posé une seule condition : la lui rendre dans un état parfait. Lorsque la voiture est revenue, la carrosserie n'avait pas été endommagée mais le moteur était mort, du fait des nombreuses prises que les plans avaient nécessitées. D'autres nous ont transmis des polaroïds, des comédiens locaux racontent comment ils l'ont abordé. Un photographe niçois nous a confié un cliché de l'acteur réalisé à l'occasion d'une rencontre au Palais de la Méditerranée. En plongeant dans les archives de Nice-Matin et Var-Matin, nous avons pu retrouver des documents inédits qui seront publiés dans cette édition spéciale. Je voulais englober tout le monde, c'est-à-dire faire une édition populaire et accessible au public ne connaissant pas bien l'acteur, tout en intéressant les personnes au fait de sa carrière.

 

- Globalement que retirez-vous de ces témoignages ?

- J'ai été étonné de constater que tous avaient un avis, à peu de choses près, très similaire le concernant. Ils gardent un excellent souvenir de cet homme. Paradoxalement, je m'intéresse à lui depuis de nombreuses années et je m'étais toujours fait l'idée de quelqu'un de désagréable sur un plateau car beaucoup de professionnels véhiculaient cette image le concernant. On se rend compte en recoupant les témoignages qu'il était avant tout un acteur très exigeant qui ne supportait pas l'amateurisme et refusait l'approximation. Les rares personnes avec lesquelles le feeling n'est pas passé étaient d'ailleurs des professionnels peu consciencieux et cela l'agaçait prodigieusement. Même s'il était angoissé et parfois taciturne il faut tout de même retenir qu'il aimait rire et surtout qu'il adorait les comédiens. Je pense très honnêtement qu'il était à mille lieues de la personne suffisante que beaucoup de gens ont évoquée. Je reste aussi surpris de sa timidité et de sa discrétion hors caméra. Cette humilité et cette gentillesse contribuent à le rendre fascinant.

 

- Vous a-t-il fallu beaucoup de temps pour monter ce supplément ?

- J'ai travaillé pendant un mois environ sur cette édition spéciale. J'ai interviewé des acteurs locaux et je suis aussi monté à Paris pour rencontrer Patrick et Olivier De Funès, Claude Gensac, France Rumilly. Tous ont été charmants. Nos discussions, qui devaient durer une trentaine de minutes, se sont étalées sur plusieurs heures. J'ai pu bénéficier d'une grande liberté pour travailler et faire ce que je souhaitais, ce n'était pas une commande. Je pense que cela participe aussi à la qualité du travail car je suis avant tout un passionné de cet acteur.

 

Autocollant Nice-Matin aperçu dans "Le Gendarme et les extra-terrestres" en 1978

 

- Dans votre billet, vous expliquez que votre fille de 10 ans regarde aujourd'hui ses films et l'imite souvent ? Comment expliquez-vous sa popularité actuelle ?

- De Funès a toujours dit qu'il souhaitait tourner des films que les enfants puissent voir. Pour lui, ils étaient son public numéro un et d'ailleurs si l'on se penche sur les personnages qu'il joue, on constate qu'ils conservent une grande part d'enfance. Il ne faisait pas de grimaces mais reproduisait bien les expressions humaines et les enfants savent très bien observer le spectacle humain. On peut rapprocher son type de comique de celui de Guignol qui est intemporel. Il y a beaucoup de premier degré et les petits y sont sensibles. A mon sens, la force première de Louis de Funès reste d'avoir réussi à caricaturer les grandes personnes sous un aspect "bande dessinée" accessible à tous. On a beaucoup parlé de Jeanne de Funès, sa femme, comme d'une emmerdeuse sur les plateaux. Mais sur certains points elle avait parfaitement raison. Je pense notamment que sa volonté de mettre en avant les yeux bleus de son mari a grandement contribué à son succès auprès des enfants. Son regard est à la fois apaisant et parfois très gamin. Je pense que s'il a réussi à rendre sympathique des personnages odieux, ce regard y est pour beaucoup. J'avais d'ailleurs posé la question à Patrick de Funès, je souhaitais connaître son avis sur le succès ininterrompu de son père. Selon lui, à la différence d'un Fernandel qui a tourné dans de nombreux mauvais films jusqu'à la fin de sa carrière, Louis de Funès a su faire le tri à partir des années 60 et ne retenir que les meilleurs scénarii. Il est vrai que, dans l'ensemble, on trouve une certaine homogénéité de ses films à partir de cette époque.

 

- Peut-on dire que Louis de Funès participe encore aujourd'hui, à son échelle, au rayonnement économique de la région ?

- Je pense que le sud garde deux icônes : Brigitte Bardot et Louis de Funès. La quasi-totalité des touristes cherchent la gendarmerie lorsqu'ils sont à Saint-Tropez. Ce n'est pas anodin. On ne compte pas non plus les produits dérivés. On ne peut que se réjouir de l'initiative de monter un musée dédié aux Gendarmes dans l'ancienne gendarmerie de Saint-Tropez. En revanche, je m'étonne toujours qu'aucune rue ou place ne porte le nom de Louis de Funès ! Il serait temps car il est toujours présent dans l'inconscient populaire. Vous n'avez qu'à voir le record d'audience que vient de faire "Rabbi Jacob", diffusé pour la énième fois à la télévision. Comment expliquer ce succès ? Certainement parce que chacun de nous se retrouve dans son personnage. Nous avons tous été au moins une fois dans notre vie lâche face à un puissant et tyrannique devant une personne sur laquelle nous possédions une certaine autorité. Les gens peuvent facilement s'identifier à lui, il représente l'image d'une société et force est de constater qu'elle n'a pas tellement changé depuis toutes ces années. De Funès avait un talent d'observation et un regard juste, certes caricaturé, mais une caricature juste.

 

- Beaucoup ont dit qu'il aurait été merveilleux dans des rôles plus tragiques, quel est votre avis ?

- Je me rappelle d'une scène particulière : celle de "La Soupe Aux Choux" lorsque sa femme le quitte. Voilà pour moi une scène tragique, magnifiquement orchestrée par Raymond Lefèvre et dans laquelle il est bouleversant. Je serais tenté de dire que de ne pas l'avoir vu dans un film tragique à part entière est un gâchis mais pour avoir vu " La Soupe aux choux " à 9 ans, je me rappelle avoir été choqué par cette scène. Je ne voyais plus le De Funès qui me faisait rire, j'étais face à un grand-père qui était une victime - de sa femme, des promoteurs immobiliers - et cela m'a dérangé. Avec mon regard d'adulte je vous répondrais donc oui mais je ne suis pas sûr que les enfants auraient apprécié. Finalement il est resté dans son registre et je trouve qu'il s'en est très bien sorti et que sa carrière est magnifique. Selon moi, ses meilleurs films restent ceux tournés avec Oury avec "Les Aventures de Rabbi Jacob" pour numéro un exclusif. Les films d'Oury - De Funès ont été construits pour avoir un nombre maximum de niveaux de lecture, c'est-à-dire qu'ils peuvent être regardés par toutes les tranches d'âge. Je trouve compliqué à l'heure actuelle de choisir ce que l'on peut laisser regarder à nos enfants. Aucun problème en revanche avec ces films où vous ne trouvez aucune vulgarité ou grossièreté. Certaines scènes sont un peu grivoises, je pense notamment à Don Salluste observant à la longue vue la reine d'Espagne se déshabiller, mais tellement bien filmées que les enfants ne font pas le lien. D'ailleurs je considère les quatre films à succès tournés ensemble comme allant crescendo : je préfère "La Grande vadrouille" au "Corniaud" et "Les aventures de Rabbi Jacob" à la "La Folie des Grandeurs".

 

Christine Dejoux et Louis de Funès dans "La Soupe aux Choux" de Jean Girault (1981)

 

- De son vivant, il fut très souvent décrié par la presse, quel est votre avis sur le sujet en tant que journaliste ? Est-ce le propre des comiques d'être décriés de leur vivant ?

- Je ne sais pas…mais il est vrai qu'une certaine presse aimait le comique "intelligent" dans la veine de Pierre Etaix. J'entends par là qu'elle souhaitait sentir des choses derrière le comique et De Funès ne se focalisant que là-dessus, elle n'était donc pas cliente de son style très populaire. Cela valait surtout pour une certaine presse parisienne, avec de très bons journaux mais qui n'étaient pas en prise avec le grand public. La presse de province a été moins dure à son égard. Il ne faut pas non plus oublier qu'il a véritablement explosé à partir des années 60 dans le contexte très particulier de la Nouvelle Vague et de Mai 68. Il incarnait un cinéma commercial et beaucoup de journalistes ont donc critiqué son style de jeu. Prenez les "Cahiers du Cinéma", "Télérama" ou "Le Monde", tous parlaient de lui en évoquant des films idiots, grimaciers et ridicules. Pour un journaliste, il n'est jamais facile de rester neutre et objectif. Il convient de prendre de la distance mais parfois le risque est justement de trop en prendre. Le succès de Louis de Funès a agacé beaucoup de monde. Cela paraissait suspect, l'idée que cela puisse fonctionner parce qu'il avait du talent était certainement mal comprise.

 

- Louis de Funès a entretenu une relation particulière avec la presse. Il n'était pas réputé pour être très à l'aise en interview ou sur un plateau télé. Pensez-vous toutefois qu'il aurait pu l'utiliser pour en faire un vecteur plus influent de sa carrière ?

- Je ne pense pas qu'il avait besoin de cela. On ne commande pas au public ce qu'il souhaite voir ou non. Il a agi comme il le sentait en gardant ce sens très proche du public et je pense qu'il s'est parfaitement débrouillé. Il a toujours eu cette énorme conscience professionnelle d'un artisan souhaitant polir son produit pour le rendre parfait. Lorsqu'il se met en colère, il ne simule pas, il l'est vraiment et les spectateurs ne s'y trompent pas. De plus, s'il aimait être entouré de sa famille de cinéma, je pense qu'il appréciait surtout de s'entourer de bons acteurs ! Il n'essayait jamais de tirer la couverture à lui, il aimait les acteurs avant tout. Sa fin de carrière n'est pas réussie mais on peut lui trouver beaucoup d'excuses. Je reste toutefois déçu des deux derniers "Gendarmes" qui ne sont pas bons, tout comme "L'Avare". Filmé autrement, notamment par Oury, il aurait pris une toute autre dimension tant chaque page de l'œuvre était sujette à un gag. Je suis déçu quand je vois certaines scènes très mal mises en boîte. Par la suite nous aurions pu le voir tourner avec la troupe du Splendid ou jouer "Le Crocodile". Autant de projets avortés me laissant un goût amer ! Retenons toutefois son culot pour les derniers films, il a osé beaucoup de choses notamment pour "La Soupe aux Choux" où son style est radicalement différent comme nous en parlions juste avant.

 

- Beaucoup de choses fausses ont été écrites sur lui, notamment concernant sa vie personnelle, pour un journaliste, cela pose-t-il la question de la limite entre devoir d'information et respect de la vie privée de l'acteur ?

- Comprenez que lorsque l'on parle de "presse", on regroupe tout et n'importe quoi. Personnellement, je ne considère pas de mon devoir de journaliste de parler de la vie privée de telle ou telle personne lorsque cela n'est pas justifié. Beaucoup n'ont certainement pas recoupé leurs sources ou informations et étaient avides d'un scoop vendeur. Si l'on ne peut pas parler d'une faute professionnelle ou déontologique au sens propre du terme, il est clair que cela ne favorise pas les relations entre certaines personnalités et les professionnels de l'information. Je peux donc comprendre que certains aient une certaine réticence vis-à-vis des médias car en définitive vous ne savez jamais à qui vous avez à faire et quelle sera la qualité de son travail. Un acteur comme Gabin était d'ailleurs globalement mal compris. Bon nombre de journalistes sont restés sur les films tournés avant-guerre avec Renoir ou Carné. Ils écrivaient qu'il "gabinisait", qu'il faisait toujours la même chose… en omettant de souligner qu'il était aussi crédible dans "Les Grandes familles" que dans "Archimède le Clochard" ou dans "Le Président", alors que les personnages sont à des années-lumières les uns des autres. De même, de nombreux critiques ont longtemps refusé de reconnaître à Oury ou Girault des qualités, alors que celles-ci - à des niveaux certes différents - semblent aujourd'hui indéniables.

 

AI

Jean Gabin et Bernard Musson dans "Archimède le clochard" de Gilles Grangier
et avec Jean Dessailly dans "Les Grandes Familles" de Denys de La Patellière

 

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