Jean PIEUCHOT

 

azerty Homme de l'ombre, le régisseur est un personnage essentiel et indispensable sur un tournage. Il a pour mission d'avoir l’œil à tout. Ainsi, c'est lui qui – entre autres – accueille les comédiens, trouve des figurants, des places de parking et des hôtels, est chargé d'acheminer le matériel technique.... En un mot, sa priorité est de gérer le quotidien des plateaux...

azerty Jean Pieuchot connaît bien ce métier et ces tâches complexes qui le caractérisent. En effet, il a été régisseur sur 114 films, ce qui – de son propre aveu – « n'est pas trop mal ». D'autant plus qu'un très grand nombre de ces films ont connu un succès auprès du public et parmi ceux-ci, plusieurs sont encore diffusés à la télévision. La liste est longue : « Les Grandes Manœuvres » de René Clair et « Marie-Antoinette » de Jean Delannoy, deux films avec Michèle Morgan dans le rôle principal. Puis « Paris Blues » avec Paul Newman, « Un Singe en Hiver » d'Henri Verneuil, « Le Diable par la queue » de Philippe de Broca, « Z » de Costa Gavras, « Le Samouraï » de Jean-Pierre Melville... Ajoutons « Le Cinéma de papa » de Claude Berri et « Les Bronzés font du ski » de Patrice Leconte dans lesquels il fait aussi des apparitions...

azerty Il a également travaillé auprès de Gérard Oury et Louis de Funès sur « Le Corniaud » (1964) et « La Folie des grandeurs » (1971). Le tournage en extérieurs du « Corniaud » ayant été assez compliqué techniquement, rendant ainsi la tâche du régisseur encore plus ardue devant les impondérables, nous avons beaucoup parlé de ce film. C'est d'ailleurs le premier long-métrage qui vient à la mémoire de Jean Pieuchot lorsque nous prononçons le nom de Louis de Funès, qu'il avait connu bien avant, dans les années 1950, lorsque celui-ci cumulait les petits rôles au cinéma.

azerty De cette carrière bien remplie, Jean Pieuchot a livré ses souvenirs dans « Régisseur de cinéma », un excellent recueil paru aux éditions Dualpha en 2003 que tout cinéphile devrait posséder dans sa bibliothèque. Un grand merci à lui pour le moment qu'il nous a accordés pour répondre à nos questions.

 

Interview de M. Jean Pieuchot du 21 octobre 2014 par Franck et Jérôme

 

- M. Pieuchot, nous nous rencontrons pour parler de votre métier de régisseur et de vos souvenirs avec Louis de Funès...

- Oh je l'ai bien connu ! Il n'y a encore pas si longtemps de cela, un monsieur est venu pour parler de de Funès, pensant qu'il n'était pas facile à vivre, pas toujours très gentil, notamment avec Jean Marais... Mais je dois dire que j'ai toujours eu avec de Funès d'excellents rapports et je n'ai pas à me plaindre de lui. J'ai connu aussi son épouse qui disait être une descendante de la famille de Maupassant. J'ai fait plusieurs films avec Louis de Funès, notamment « Le Corniaud ».

 

- Pour des raisons techniques et de direction d'acteurs, Gérard Oury a souvent dit que ce tournage avait été difficile.

- Oui, nous avons commencé le tournage à Rome, toutes les scènes importantes se tournaient avec Bourvil. Je me rappelle notamment que la scène où Bourvil dîne au restaurant [ndlr : tournée à la Villa Borghese] était parmi les premières tournées. La deuxième équipe filmait les passages de la voiture de Louis dans Rome en pleine nuit. On ne voyait presque pas Louis, si bien qu'assez rapidement après le début du tournage, alors que nous étions sur une plage en Italie, Madame de Funès est arrivée, elle a fait part de son mécontentement auprès d'Oury : « Gérard, ça ne va pas, j'ai compté les plans et il n'y en a pas beaucoup de mon mari ». Bourvil, qui entendait la conversation, s'est approché et a dit avec humour « Ecoutez Madame, puisqu'il en est ainsi, j'offre mes plans à Louis ! », C'était marrant mais de Funès ne disait rien, il laissait parler son épouse et Gérard Oury était ennuyé. On a prévenu le producteur Gérard Dorfmann qui a demandé à ce que des plans supplémentaires soient accordés à de Funès. C'est comme ça que quelques scènes sont nées, comme sous la douche au camping ou lorsqu'il répare la Cadillac au garage. Pour cette scène, il s'était beaucoup inspiré des grands comiques américains comme Chaplin et Buster Keaton qu'il connaissait parfaitement car il se passait souvent leurs films chez lui.

 

- Il n'y a pas eu d'autres problèmes avec les acteurs par la suite ?

- Non, tout s'est très bien passé par la suite. Vraiment, de Funès et Bourvil s'entendaient merveilleusement. Louis était vraiment très gentil. Une fois, au cours du tournage, il vient me voir et me dit, faisant référence à une lointaine époque : « toi, tu m'as fait faire de la figuration ». Je lui ai répondu « Non Louis, je t'ai proposé pour de petits rôles et tu as été accepté ».

 

- Vous avez donc connu Louis de Funès au moment où il additionnait les petits rôles...

- Oui et je l'ai retrouvé peu avant qu'il ne devienne une grande vedette. Nous avions fait un film sympa qui s'appelait « Un drôle de caïd ». Nous tournions peu en décors, plutôt en extérieurs, notamment au Bon Marché. Il avait un rôle assez éprouvant, avec beaucoup de courses, de sauts et de chutes. Il me disait, comme étonné : « mais je suis un cascadeur ! » (rires). Dans ce film aussi, de Funès s'est montré très gentil. Le problème venait plutôt de deux comédiennes qui ne s'appréciaient pas : Dany Carrel, avec qui j'étais très copain, et Dany Saval. Son mari, le compositeur Maurice Jarre, était un type bien, je discutais pas mal avec lui lorsqu'il venait chercher sa femme. Malheureusement, Dany Carrel – qui devait être bien avec le réalisateur Jacques Poitrenaud – a eu un bouton sur la figure et se l'est gratté. « Elle ne pourra plus tourner celle-là » disait Dany Saval. Le soir même, j'ai emmené Danny Carrel chez un ami dermatologue que j'avais prévenu par téléphone. Le médecin lui a donné un produit efficace, si bien que le lendemain, elle a pu se maquiller. Dany Saval, furieuse contre moi, ne m'a plus parlé pendant une semaine.

 

Jean Pieuchot avec François Périer sur le tournage de "Je Reviendrai à Kandara" (1956).

 

- Certains réalisateurs ont parfois eu peu de considération pour les régisseurs... Vous avez travaillé avec Marcel Carné qui n'était vraisemblablement pas toujours facile.

- Carné pouvait se montrer insupportable mais je ne lui en veux pas, il a été un très très grand réalisateur. Verneuil était très pointilleux mais possédait une grande technique, j'ai fait « Un Singe en hiver » avec lui, qui est vraiment un très bon film. On a tourné ce film un peu dans l'urgence, en Normandie, car il fallait que tous les plans soient tournés avant la fin de l'année 1961. Mais je dois dire que le seul metteur en scène que j'ai trouvé vraiment méchant, ce fut Jean-Pierre Melville. Puisque nous parlions à l'instant de Verneuil, je me souviens un jour de Melville qui m'a demandé les noms des metteurs en scène avec lesquels j'avais déjà travaillés. Lorsque je lui ai dit « Henri Verneuil », il m'a répondu : « parce que vous appelez ça un metteur en scène, vous ? ». J'ai travaillé avec Melville sur « Le Doulos », où il a fait des scènes au chef opérateur qui était pourtant très bon. Tenez, un jour, il a appelé Gérard Oury pour lui demander quel chef opérateur il engageait pour le tournage de son prochain film. Oury lui répondit qu'il avait choisi Henri Decaë (nldr : Oury l'a engagé pour « Le Corniaud », « La Folie des Grandeurs », « Les Aventures de Rabbi Jacob » etc...). Melville lui répondit : « lui, un chef opérateur ?? Mais il ne sait même plus éclairer ! ». C'était à la fois méchant et gratuit car Decaë était très compétent.

 

- Vous avez retrouvé Gérard Oury et Louis de Funès pendant le tournage de « La Folie des grandeurs » en 1971.

- Oui c'est ça, nous tournions les extérieurs en Espagne, notamment dans le désert d'Alméria. A cette occasion, j'ai retrouvé le réalisateur de la deuxième équipe, Jacques Besnard, qui avait lui aussi beaucoup travaillé avec de Funès et qui était quelqu'un de vraiment sympathique. C'est lui qui a tourné les plans de coupe, mais pas seulement ! De Funès a été très bien, en effet il a accepté de tourner des scènes complètes avec la seconde équipe de Besnard. De Funès avait des origines espagnoles, son père était né à Malaga, et il parlait très bien la langue.

 

- En Espagne, vous êtes chargé du casting pour les figurants ?

- Il fallait trouver des comédiens pouvant jouer les Grands d'Espagne, qui rendaient un côté comique à côté de De Funès qui était bien plus petit. Je connaissais Don Jaime de Mora y Aragón, dont la sœur était reine de Belgique, qui m'a aidé à les trouver. En plus de deux autres grands espagnols, Venantino Venantini a complété la distribution. Gérard Oury a été si content du résultat obtenu qu'il a même donné un rôle à Don Jaime !

 

- Etait-ce vous aussi qui étiez chargé de l'engagement des cascadeurs ?

- C'est à dire que j'entrais en contact avec Claude Carliez qui gérait après son équipe et réglait les cascades. Tous ses cascadeurs étaient sympas et devenaient copains avec les comédiens, que ce soit Gérard Philippe dans « Fanfan la tulipe » ou Gina Lollobrigida dans « Les Belles de nuit ». C'est aussi dans ces cas-là que j'ai compris que je ne devais faire aucune différence entre une vedette et un machiniste sur un plateau. C'est pour cela aussi que je suis devenu copain avec Gabin qui, lui non plus, ne faisait pas de différence. A l'inverse, les relations étaient plus difficiles avec Lino Ventura qui était lunatique, voulant toujours « qu'on ne le prenne pas pour un con », comme il aimait à le répéter. Lors du tournage du film « Le Silencieux » de Claude Pinoteau, une équipe de télévision s'est présentée pour l'interviewer. A l'idée d'échanger avec les journalistes, il s'est montré très gêné et m'a confié son embarras : « Je ne sais pas quoi leur raconter, je n'ai pas de culture ». Sur ce même tournage, nous avons tourné à l'aéroport de Genève. Lino devait monter dans une voiture et démarrer. Lorsqu'il s'installa, il cala. Comme il ne pouvait pas engueuler son comédien, Claude Pinoteau m'a attrapé et reproché de fournir une voiture qui ne marche pas. Sans me plaindre, je suis allé voir Lino et un seul regard a suffi pour qu'on se comprenne. Lors de la prise suivante, il a démarré (rires).

 

- Gérard Oury, dont vous parliez, disait que votre métier était à la fois « ingrat » et « noble », vous partagez ?

- Oui, c'est à dire qu'avant le métier de régisseur n'existait pas vraiment lorsque les films étaient tournés exclusivement en studios. Le régisseur était plutôt un recruteur de figurants, dégotés dans un bistrot proche des plateaux. Mais dans les années 1950 puis avec la Nouvelle Vague, le tournage en extérieurs s'est développé et le métier de régisseur aussi. Ainsi j'avais pour fonction de trouver puis de présenter de possibles décors naturels au metteur en scène avant de demander et d'obtenir les autorisations de tournage. Je devais aussi réserver les chambres d'hôtel, transporter le matériel, organiser les cantines... Croyez bien que c'était tout un métier. A cette époque, le régisseur était devenu un proche du metteur en scène, à qui il pouvait soumettre parfois des idées.

 

- Plusieurs régisseurs sont devenus directeurs de production au fil des années. Vous avez œuvré quelques fois dans la direction de production mais vous avez continué votre carrière comme régisseur. Pourquoi ce choix ?

- A dire vrai, j'ai pris ce métier de régisseur très au sérieux et je m'y suis bien amusé. Au départ, je voulais être réalisateur, c'est la raison pour laquelle je suis entré à l’IDHEC [ndlr : Institut des Hautes Etudes Cinématographiques]. Mais je n'aurais jamais pu être réalisateur. Sauf avec Louis de Funès lorsque l'occasion s'est présentée. J'avais déjà réalisé deux courts-métrages, l'un sur Maupassant, l'autre sur Jules Renard. Je lui avais montré les deux et Jules Renard l'avait beaucoup intéressé car il avait joué autrefois « Le Journal ». Il m'avait dit « Je te signe un papier pour qu'on tourne un film sur Le Journal de Jules Renard que tu mettras en scène ». On en a beaucoup parlé, mais j'étais embêté car je ne savais pas quel rôle je pouvais lui donner (celui de Jules Renard ne lui convenait pas tellement). Je n'ai jamais réussi à construire un vrai scénario, si bien que le projet n'a jamais abouti.

 

- Vous aviez d'autres sujets de discussion avec Louis de Funès ?

- Oui, nous avions en commun certains auteurs que nous aimions lire. Nous parlions de Sacha Guitry et de William Shakespeare, qu'il aurait voulu mettre en scène comme il a mis en scène Molière en tournant « L'Avare ».

 

- Vous avez sympathisé avec certains comédiens du film pendant le tournage ?

- Une comédienne, Beba Loncar. Lorsqu'on a commencé le tournage du « Corniaud » à Rome, elle avait une secrétaire qui s'occupait beaucoup d'elle. Mais elle s'est retrouvée sans cette dame en France. Un jour, elle prit l'avion pour Nice où j'étais chargé de l'accueillir à l'aéroport, et elle se présenta toute seule. Je l'ai emmenée dîner, si bien qu'on a dîné ensemble presque tous les soirs pendant le tournage. Un jour, alors que nous tournions à Paris, elle me dit « les Français, vous êtes comme ça, vous invitez au restaurant mais jamais chez vous ». Je lui ai répondu « écoutes, tu n'as qu'à venir dîner à la maison ». Elle logeait à l'hôtel George V et je suis passé la récupérer pour qu'elle mange ici, avec ma famille. Elle parlait très bien le français. Après le tournage, on est resté en contact et on s'est pas mal écrit. Elle a tourné jusqu'en 1980 puis elle s'est occupée de ses enfants. Pour la scène tournée à Saint Raphaël, où elle se baigne de nuit dans la Méditerranée, elle a demandé à ce qu'on engage une doublure car elle avait peur d'avoir des problèmes pour sa carrière en Serbie.

 

Bourvil et Beba Loncar dans "Le Corniaud" en 1964.

 

- Votre métier demande un sens de la débrouille, une réactivité devant l'imprévu.

- Absolument. Il faut trouver des solutions rapidement. Un jour, dans un restaurant des Champs Elysées où nous tournions un téléfilm, un réalisateur me dit embarrassé : « J'ai oublié que la scène se passe de nuit...». Je lui ai répondu « ça ne fait rien, on va arranger le coup en bâchant le restaurant », ce qu'on a fait, et on a tourné. Une fois, j'ai été engagé en plein tournage du film « Le Rideau rouge » que réalisait André Barsacq. Pour mon premier jour sur ce film, son assistant Marcel Camus avait préparé la feuille de service [ndlr : indiquant les plans à tourner, les lieux de tournage, les comédiens convoqués etc...], nous devions tourner entre quinze heures et minuit. Tout à coup, le deuxième assistant vient me trouver pour m'annoncer qu'il manque deux des comédiens pour la scène de nuit. Il en parle alors à Marcel Camus. J'ai passé mon après-midi à essayer de les contacter, appelant chez eux, leurs imprésarios, leur famille etc... Finalement, les comédiens ont été prévenus et sont arrivés pour tourner. J'ai dit au second assistant « Tu vois, tout est réglé, tu n'avais pas besoin de prévenir Camus ».

 

- Votre métier vous imposait d'être discret, notamment concernant la vie privée des vedettes.

- Oui il ne fallait pas commettre de bévues. Je me rappelle d'une femme à l'accent anglais qui appela un jour sur un plateau de tournage. C'était la maîtresse de Pascal Thomas. Le lendemain, nouveau coup de téléphone et encore un accent anglais : j'appelle la dame par son prénom, croyant avoir la maîtresse au bout du fil, lorsque j'entends : « mais non, c'est la vraie madame Thomas ! ». J'étais embarrassé et je suis allé prévenir Pascal Thomas qui m'a répondu, très naturellement : « aucune importance » (rires).

 

- Revenons au début de votre carrière. Comment êtes-vous devenu régisseur ? Puisque vous avez fréquenté les Beaux Arts puis l'IDHEC, c'est donc un parcours inattendu...

- J'étais encore à l'IDHEC quand l'un des formateurs, Jean Demousseau, qui était le régisseur du réalisateur Jean Epstein, m'a engagé comme assistant. Puis se préparait alors le tournage de « La veuve et l’innocent » d’André Cerf, avec Sophie Desmarets et Jean Desailly. J'aurais voulu être engagé comme second assistant mais ça ne s'est pas fait car je ne connaissais pas le réalisateur. Mais le régisseur Jean Demousseau travaillait encore sur ce film et m'a dit « tu n'as pas été pris mais moi je t'engage comme assistant régisseur ». Ce n'était pas très conventionnel car, sorti de l'IDHEC, j'aurais normalement dû commencer comme stagiaire sur trois films. Ce qui fait que j'ai eu des ennuis mais le régisseur, Sophie Desmarets et Jean Desailly ont demandé à la production et aux syndicats de me laisser terminer le film comme assistant. Par la suite, d'autres régisseurs ont fait appel à moi. Et des copains devenus assistants de metteurs en scène, comme Denys de La Patellière, me faisaient signe lorsqu'ils entendaient qu'il y avait un poste à prendre comme régisseur adjoint. Ce qui fait que je me suis éloigné de la mise en scène et j'ai poursuivi comme assistant avant de devenir régisseur principal.

 

- Quels sont vos souvenirs des Beaux Arts ?

- J'ai quitté Nevers, où je suis né, pour faire les Beaux-Arts à Paris. J'y ai connu le comédien Albert Rémy qui venait nous voir parfois. Sous l'occupation, il a monté « Les Trois mousquetaires » dans une grande salle des Beaux-Arts, il m'a donné un rôle d'ailleurs. On est devenu copains. Je me suis rendu compte qu'il avait vraiment l'esprit des Beaux-Arts lorsque, à l'occasion d'une fête, il est monté sur un char et s'est « déguisé » pour parader. En fait, il était presque nu et s'était recouvert de peinture qui lui ont causé des problèmes de respiration, il a failli étouffer. Fallait le faire !

 

- Revenons à Louis de Funès. Vous l'avez rencontré sur le tournage de « Week-end à Paris » ?

- Je crois bien, oui. C'était en 1953, il jouait le chauffeur de taxi. Je l'ai connu lorsqu'il était pianiste de bars. Je me rappelle l'avoir conseillé auprès du metteur en scène Marc Allégret pour l'engager dans un petit rôle mais le réalisateur a finalement choisi Darry Cowl [ndlr : nos recherches laissent à croire qu'il s'agit du film « En effeuillant la marguerite » en 1956].

 

- Vous l'avez revu sur « L'Etrange désir de Monsieur Bard » ?

- Non, sur ce film, j'étais juste chargé d'engager des figurant particuliers : des bébés !

 

- A cette époque, Louis de Funès cumulait les « panouilles »...

- Absolument, et il était déjà angoissé, tendu et consciencieux. Il pensait sans cesse à ses personnages, à son jeu. Je me souviens qu'il me disait « je regarde les films américains, les films de Buster Keaton, pour m'en imprégner ». Mais il proposait déjà des gags aux metteurs en scène, même s'il occupait un petit rôle. C'était déjà un comédien bien considéré par l'équipe. Il est formidable dans « La Traversée de Paris » d'Autant Lara par exemple. Je l'ai revu dans « Frou Frou » avec Dany Robin. Il avait encore un petit rôle. Ce tournage m'a encore demandé un sens de la débrouille. Nous avons rencontré le mauvais temps à Deauville pendant l'hiver 54, si bien que pour les extérieurs, j'ai arrangé la situation et nous avons tourné à Saint Aygulf. Quand j'y repense, De Funès était certes plus distant et timide que Bourvil, mais il était très gentil finalement ! On devait bien travailler avec lui pour gagner sa confiance. En fait, il fallait le comprendre, c'est à dire ne pas l'embêter quand il travaillait, lorsqu'il répétait, car il souhaitait se perfectionner sans cesse. Et, surtout, il n'était pas comme d'autres à vouloir faire rire à tout prix son entourage.

 

- Quelle image gardez vous de Fernandel, avec qui vous avez fait deux films ?

- On a travaillé sur « Paris Holiday » puis « Le Voyage à Biarritz ». Fernandel était... (il cherche ses mots) comment vous dire ? Ce n'était pas quelqu'un de désagréable mais il n'avait rien à dire. Un jour, nous tournions chez Maxim's et Fernandel alla trouver le directeur de production : « je suis tout seul ce soir, je vous invite à dîner ». Celui-ci lui répond, un peu gêné : « c'est embêtant car, ce soir, je suis déjà avec Jean Pieuchot ». Fernandel reprend : « aucun problème, j'invite aussi Jean Pieuchot ». Et nous voici à trois à une table chez Maxim's. Autant Gabin savait raconter des histoires, autant je suis tombé sur un Fernandel morne, pas très rigolo, et à la fin du repas, il se tourne vers le directeur de production : « je serais bête de vous inviter à dîner, il vaudrait mieux que ce soit la production qui règle la note ». Fernandel était du genre cabotin, avec sa cour, aimant que sa propre habilleuse et son propre maquilleur rigolent à ses blagues. Son habilleuse lui faisait aussi la cuisine sur les plateaux et il mangeait ses plats dans sa loge. Sauf sur le tournage de « Paris Holyday », il prenait son assiette pour venir manger avec l'équipe.

 

Fernandel, avec Daniel Ceccaldi, en 1962 dans « Le Voyage à Biarritz »

 

- Et Bourvil ?

- Je l'aimais beaucoup. J'ai fait « Les Culottes rouges », « Tout l'or du monde » avec lui, puis « Le Corniaud » bien sûr. A Rome, il m'a invité au restaurant. Il me raconta une anecdote concernant son habilleuse au théâtre. Celle-ci lui avait demandé un jour « avez-vous déjà couché avec une Noire ? » Bourvil répondit non. Elle ajouta, « Moi, je suis déjà allée avec un Noir, et bien tout ce qu'on dit sur eux, c'est pas vrai. Et pourtant, je suis catholique et tout ! » Ce « et tout » nous fit tellement rire que, régulièrement, je lui demandais « Alors Bourvil, tu es catholique et tout ? »

 

- Vous évoquiez tout à l'heure la simplicité de « monstres sacrés » comme Bourvil ou Gabin. La vedette de cinéma n'a jamais d'exigences personnelles ? Pour la cantine par exemple ?

- En ce qui concerne Gabin, avec qui j'ai fait cinq films, il aimait bien manger, c'est vrai. Je me rappelle un tournage vers Saint-Germain-en-Laye, il déjeunait avec toute l'équipe dans un petit restaurant qui semblait lui plaire. Il me répétait régulièrement « Je mange trop » et me faisait comprendre qu'il ne pouvait plus se permettre de manger avec nous au restaurant. Puis il me demandait « Vous mangez quoi à midi ? ». Je lui répondais « du bœuf en daube ». Alors il ne pouvait pas résister et m'annonçait « Bon je viens manger avec vous, mais c'est la dernière fois ! » (rires)

 

- Dans votre filmographie, on trouve une grande diversité. Vous tournez avec Julien Duvivier et René Clair, mais aussi Lautner, et même la Nouvelle Vague (Chabrol)...

- Oui, j'ai travaillé aussi avec Chabrol, on a fait « A double tour » ensemble. Grâce à lui, j'ai pu tourner plusieurs courts-métrages comme réalisateur. Il adorait manger et aller dans les restaurants. Celui que nous avions sur le tournage de « A double tour » ne lui convenait pas, car il était très difficile, et j'ai dû trouver une autre adresse. J'ai senti des ambiances de plateau différentes entre les films de la Nouvelle Vague et les films plus classiques. Les réalisateurs de la Nouvelle Vague donnaient beaucoup d'indications, de conseils, y compris aux machinistes. Chez eu, j'aimais beaucoup Jacques Demy qui me rappelait un peu René Clair dans son travail. Mais vous savez, si j'ai pu choisir quelques fois « mes films » lorsque je recevais plusieurs propositions à la fois, j'acceptais tous les contrats qui se présentaient, que ce soit la Nouvelle Vague ou autre.

 

- Un bon nombre de ces films ont rencontré un beau – voire un grand – succès auprès du public. Quelques uns ont moins marché, comme « Ho ! » avec Belmondo par exemple. Comment viviez-vous un échec commercial ou artistique ?

- Je pouvais être déçu si je trouvais que le film n'était pas très bien mais je n'étais pas sensible aux critiques car je ne les lisais pas. J'avais peut-être tort ? A propos de « Ho ! », un impresario estimait que l'échec venait du titre : « On n'appelle pas ainsi un film avec Belmondo ! » Vous savez, le succès ou non d'un film pouvait avoir une petit incidence sur ma carrière. Lorsque j'ai fait la régie générale du film « Les Grandes manœuvres », qui était un grand film, j'ai été considéré dans le métier comme un très bon régisseur. Mais si j'avais fait plusieurs films qui n'avaient pas marché comme « Ho ! », le métier n'aurait peut-être plus voulu de moi ! Et pourtant, le film n'était pas mal... J'ai eu la chance d'avoir toujours du travail, à raison de trois films par an, jusqu'au milieu des années 1980 où mon activité a ralenti.

 

- Comment vous êtes vous retrouvé dans « la bande à Lautner » ?

- Je ne me souviens plus mais j'ai beaucoup aimé travailler avec son équipe, sur le film « Des Pissenlits par la racine ». Lautner savait organiser parfaitement ses plans car il avait un sens du montage. Pendant le tournage, il organisait des repas le soir, où l'équipe faisait pas mal la fête, et bien évidemment il fallait tout débarrasser le lendemain matin. D'ailleurs, cette habitude aurait été le motif de fâcherie entre lui et Ventura, avec qui il a beaucoup travaillé. Lino disait « je refuse de travailler avec des gens qui s'amusent comme ça ! ». Sur le film « Des Pissenlits par la racine », Audiard apportait les dialogues sur le plateau le matin même du tournage. Mais finalement, ce film est plutôt réussi, assez bon, même si le budget pour le faire était tout petit.

 

- Un budget peu important est une réelle contrainte pour un régisseur ?

- Non, lorsque le budget n'était pas très important, il fallait simplement trouver des idées pour s'adapter et parvenir à ce que nous voulions. Par exemple, sur le film « Des Pissenlits par la racine », on cherchait un lieu pour tourner la scène de la surprise-party et nous avons trouvé une maison de rendez-vous, dans un hôtel situé rue Nicolo, où nous avons pu tourner. Sur un film « Des Pissenlits par la racine », j'étais tout seul pour assurer la régie. A l'inverse, un budget plus important, comme sur « La Folie des grandeurs » qui était une « grosse machine », j'avais des assistants auprès de qui je pouvais déléguer certaines tâches, notamment dans la recherche et l'engagement de figurants, tandis que je m'occupais principalement de l'obtention des permis de tourner.

 

- Vous connaissiez Francise Blanche (qui joue dans le film) ?

- Je l'ai rencontré lorsqu'il était enfant. Je me trouvais dans un hôtel avec mon père, de retour d'un voyage en Suisse me semble-t-il. La famille Blanche est entrée dans l'hôtel, leur voiture avait fait une sortie de route et le petit Francis a atterri dans une marre, il était tout trempé. Bien plus tard, sur le film « Des Pissenlits par la racine », je lui raconte cette scène, qu'il ne se rappelle absolument pas. Peu après le tournage, j'ai entendu l'un de ses sketchs dans lequel il avait repris cette histoire !

 

- Sur ce film, mais aussi dans « Une souris chez les hommes », vous retrouvez de Funès et Maurice Biraud. Comment travaillaient ensemble ces deux comédiens ?

- Ils s'entendaient très bien car, comme Louis, Maurice Biraud était un acteur très consciencieux, très professionnel. Lui aussi était un formidable acteur qui travaillait trop, entre la radio, le cinéma... et il est parti assez vite, comme Louis. Ils n'étaient pas jaloux l'un de l'autre et travaillaient dans la bonne humeur. Une ambiance agréable est d'ailleurs essentielle à la bonne marche du tournage, c'est pourquoi je considérais que mon métier consistait aussi à faire en sorte que l'ambiance générale soit bonne pendant un tournage. Et sur les films que j'ai faits avec de Funès, je dois dire qu'il y a toujours eu de la bonne humeur.

 

« Une souris chez les hommes » en 1964.
Maria Pacôme, Louis de Funès, Maurice Biraud et Dany Saval (collection F&J)

 

- En 1964, peu après la sortie de « Une souris chez les hommes / Un drôle de caïd », vous travaillez sur « Le Corniaud », comment vous êtes-vous retrouvé sur ce film ?

- Je crois bien que c'est le directeur de production Yves Laplanche qui m'a engagé. J'ai participé à toute la préparation de ce film, ainsi que mon épouse, avec l'équipe de Gérard Oury. Puis nous sommes partis à Rome pour débuter le tournage en extérieur. Et je dois dire que ce fut vraiment compliqué. Yves Laplanche n'était pas présent sur le tournage mais je l'ai vu arriver en Italie pour nous annoncer qu'il n'y avait plus d'argent. Un peu plus tard, le producteur Robert Dorfmann est venu me trouver et m'a dit : « Voilà, il reste deux semaines de tournage pour terminer le film et nous n'avons plus d'argent. Alors, si vous êtes d'accord, vous serez réglé à la sortie du film. » On a tous accepté. Dorfmann était un grand bonhomme, il a rétabli la situation en prenant de sacrés risques car les assurances ne le couvraient plus. C'est dégueulasse, ces sociétés d'assurance – tout comme les producteurs italiens – l'ont laissé tomber car tous ne croyaient pas en ce film. Mais le film a pu être terminé. On a terminé le tournage par la scène de la 2CV, au Panthéon. C'était en décembre et ce matin-là, il y avait de la neige sur la chaussée. La scène a quand même pu être tournée.

 

- Le tournage de ce film est aussi pour vous une question de voitures qu'il faut gérer : Jaguar, 2CV, Cadillac...

- Ce n'était pas moi mais l'ensemblier qui était responsable des véhicules. Il avait fait venir une Jaguar verte que conduit de Funès dans le film. Malheureusement, nous avions fait l'erreur de ne pas limiter l'utilisation de ce véhicule pour les besoins de film. Après le tournage, la voiture n'était pas placée sur une remorque mais était conduite par un membre de l'équipe. Et le fils du 1er assistant Serge Vallin l'a empruntée un soir pour baratiner une fille. Il a eu un accident sur le chemin du retour : la Jaguar est rentrée dans un poteau. Le lendemain matin, Gérard Oury en a voulu à Serge Vallin. Et ce dernier était paniqué et furieux, me disant « je ne veux plus voir mon fils ! ». Je le rassurais : « ne déconne pas, ce n'est qu'un accident, la production a eu tort de laisser ce véhicule, il aurait fallu faire autrement... ». Il a fallu que les Italiens nous trouvent un autre véhicule identique, le peignent du même vert, pendant que la première voiture était en réparation. Par la suite, nous avons utilisé les deux Jaguar vertes, uniquement pour les besoins du film.

 

- La légende raconte aussi que Bourvil s'est fait une belle frayeur au volant de la Cadillac...

- C'est exact. Au port de Naples, il a fait une marche arrière avec la Cadillac qui a buté contre un pilier costaud. Et heureusement ! Autrement, il plongeait dans l'eau à bord de la voiture... et il n'y avait plus de film ! Quand j'ai vu sa tête lorsqu'il est descendu de l'auto, j'ai compris comme il avait eu peur. Que de souvenirs à Naples. Un soir, tandis que nous tournions une scène de nuit [ndlr : celle où le garagiste napolitain dérobe le pare-choc d'une Cadillac] vers onze heures ou minuit, une grosse voiture est arrivée, comme dans les films américains et arrête ses roues presque sur le travelling : la mafia venait de débarquer. Alors, toutes les lumières se sont éteintes dans les maisons autour de la place et tout le monde a foutu le camp ! Nous restions seuls, les régisseurs italiens et moi. Les régisseurs italiens ont bavardé avec les mafiosi et ont rapidement compris qu'ils voulaient de l'argent. Mais, comme ils ne demandaient pas tellement (un million et demi, je crois), on a appelé le comptable du film qui a réuni la somme, est venu les payer. Lorsque la grosse voiture est partie, toutes les lumières des maisons se sont rallumées (rires). Un peu plus tard, alors que nous trouvions devant une petite rue contrôlée par la mafia, Gérard Oury me dit : « On va tourner tel plan dans cette petite rue ». Je lui ai tout de suite répondu : « si tu veux tourner dans cette rue, il faudra à nouveau payer la mafia ». Alors on a trouvé un autre endroit pour tourner.

 

La scène où est intervenue la mafia pendant le tournage.

 

- C'était votre rôle de trouver des lieux de tournage pour tourner certains plans ?

- Pas exactement, c'était plutôt l'assistant réalisateur qui était chargé de les trouver. Mais je venais parfois car mon rôle était d'obtenir les autorisations auprès des propriétaires pour tourner les scènes. L'assistant réglait des questions techniques tandis que Gérard Oury s'occupait beaucoup de la direction d'acteurs, de la mise en scène. Oury était un rigolo. Sur le tournage, Michèle Morgan le rejoignait, alors il exigeait que je lui réserve une suite dans les hôtels où nous descendions. Le dimanche, il nous convoquait dans sa suite pour des réunions qui duraient jusqu'à midi, tandis que toute l'équipe attendait qu'il offre l'apéritif (rires). Et l'équipe repartait sans avoir bu un verre. Ces réunions n'étaient pas très utiles et je ne voulais pas passer tous mes dimanches matins à ces réunions. Ainsi, le dimanche matin suivant, alors que Gérard m'a convoqué, j'ai décidé de passer par la fenêtre de ma chambre et d'aller me promener. A mon retour, j'ai trouvé un mot d'Oury « rappelle-moi dès que tu rentres »... ce que je n'ai pas fait. Le lendemain, sur le plateau, nous n'en avons pas parlé, il ne m'en voulait pas.

 

- Après le tournage à Rome, Tivoli, Naples, Pise etc..., vous quittez l'Italie pour tourner en France, notamment à l'ancienne douane de Menton et dans la cité médiévale de Carcassonne.

- Ça, c'est encore une autre histoire. Il a fallu passer la douane de Menton, où nous tournions une scène, vous avez raison. Pendant le tournage, j'ai passé cette douane un grand nombre de fois, pour transporter du matériel. Il suffisait qu'Henri Decaë me demande un appareil par exemple, et j'allais le chercher de l'autre côté de la frontière. Là où se fut plus compliqué, ce fut pour passer les armes, même si elles n'étaient que des accessoires de théâtre.

 

- Sur « La Folie des grandeurs », vous êtes à nouveau engagé par le directeur de production ?

- Absolument, il s'appelait Henri Baum. Sur ce film, de Funès jouait avec Montand qui a beaucoup hésité avant de venir en Espagne, en raison de ses idées politiques. Son épouse ne pouvait même pas l'accompagner. Il était inquiet de se retrouver au pays de Franco. Il m'avait demandé : « tu crois que les Espagnols vont m'accepter ? ». je lui ai répondu : « Bien sûr, ils ne sont pas fous ! ». Pour rigoler, je lui avais donné une voiture avec chauffeur, mais pas n'importe laquelle, une voiture de couleur rouge (rires) ! Celle de De Funès, avec chauffeur aussi, était verte... Et Montand se plaignait encore parce que les chauffeurs ne portaient pas ses bagages, même si je lui répétais que chauffeur et bagagiste étaient deux métiers différents.

 

- Et au début du tournage, comment se sentait Montand à l'idée de tourner avec de Funès sous la direction de Gérard Oury ?

- Montand était assez inquiet au début du tournage car je crois que, dans son esprit, il s'était engagé dans une adaptation de Ruy Blas beaucoup plus fidèle. Je me souviens qu'il m'avait fait cette remarque : « Tu sais, j'ai quand même accepté Victor Hugo ! » Il n'avait pas dû lire correctement Ruy Blas et le scénario (rires). Finalement, Montand n'était ni insupportable, ni désagréable et il s'est bien entendu avec de Funès... (il enchaîne) de Funès que je n'ai jamais vu désagréable ou méchant. Je l'ai vu une fois contrarié sur le tournage de « La Folie des Grandeurs ». L'assistant Serge Vallin était allé le trouver pour lui annoncer que devions tourner un dimanche matin. Il était embêté car il allait rater la messe. Finalement, le tournage a été retardé, Serge Vallin lui a dit qu'il était libre dimanche matin et de Funès a pu aller à l'église !

 

- Vous confirmez que de Funès parlait l'espagnol, contrairement à ce qu'il a pu déclarer dans certaines interviews ?

- Oui il parlait bien cette langue et ses propos sur l'Espagne, le pays d'origine de sa famille, lui plaisait, il en parlait gentiment. Je crois d'ailleurs que, pendant le tournage, Louis est parti à la recherche de la tombe de son père [ndlr : cette histoire est exacte mais Louis de Funès ne retrouva pas la tombe de son père, inhumé en 1934 à Malaga, en Andalousie]. Il se donnait vraiment à fond sur le tournage. Je me souviens d'ailleurs d'une discussion que nous avons eue sur ce film : « Tu ne crois pas que je serais mieux à cultiver mes roses chez moi, au calme ? » me demande-t-il. En plaisantant je lui réponds « Oh tu n'as qu'à arrêter ta carrière, tu peux à présent ». Et il a ajouté avec sérieux et gravité « mais tu sais, avec mon château, j'ai des frais ». Bref, il se dépensait beaucoup sur un tournage et, un peu après ce dernier film qu'on a fait ensemble, il a fait un infarctus.

 

- Hormis les Grands d'Espagne déjà évoqués, vous vous occupez de l'engagement d'autres comédiens ?

- Oh oui ! Avant le tournage, Gérard Oury et moi nous sommes rendus à Rome puis à Munich pour voir et engager les comédiens étrangers. Gérard devait bien m'aimer car c'est moi qu'il avait choisi pour l'épauler dans cette tâche plutôt que ses assistants. J'avais emporté avec moi un un dossier dans lequel se trouvaient plein de photos de comédiens et de comédiennes. Un jour, dans notre hôtel à Rome, le producteur de la Paramount entre dans ma chambre, saisit le dossier et envoie en l'air toutes mes photos bien classées. Je lui demande de se calmer et de se présenter. Il demande à rencontrer Gérard Oury, que je vais réveiller dans la suite d'à côté. Lorsque je reviens dans la chambre avec Oury, on retrouve le producteur en train de fouiller dans mon dossier. Je m'énerve, lui dis que j'en ai rien à foutre qu'il soit producteur à la Paramount et je lui demande de laisser ces photos une bonne fois pour toutes. Il me répond en rigolant « tous les producteurs européens sont à mes pieds ! » Je lui réponds « pas moi » (rires). Figurez-vous que la situation l'a amusé, il nous a dit : « vous êtes sympathiques, je vous invite à déjeuner ». Et on a mangé le midi-même ensemble et j'ai trouvé cet homme sympathique. Nous sommes ensuite partis à Munich pour engager des comédiennes. Nous avons finalement engagé Karin Schubert dans le rôle de la reine.

 

- Comment se déroulait le tournage avec des comédiens étrangers, espagnols et allemands ?

- Bien, mais ça a été dur pour Karin Schubert. Gérard Oury a rapidement eu des intentions à son égard mais elle est restée indifférente. Gérard lui a fait un peu payer cette histoire en étant parfois assez méchant avec elle. Par exemple, Oury avait fait venir un grand chapelier qui avait déposé de petites fleurs dans les cheveux de la comédienne pour le tournage d'une scène dans la Cour des Lions à Grenade. Dès que Karin Schubert bougeait, les fleurs tombaient. Ce n'était pas de sa faute bien sûr mais Gérard l'engueulait. J'ai vu avec des accessoiristes qui ont réglé ce problème de fleurs et la scène a pu être tournée. Et le tournage de la première scène du film – lorsque de Funès collecte les impôts – a posé un petit problème car le comédien espagnol qui lui donne la réplique n'était pas bon. Ce comédien était petit et rigolo – je crois que Gérard l'avait choisi pour ça – mais il avait du mal à jouer son rôle. Dans le film, il est doublé en français. Et pour une autre scène je me rappelle d'un figurant espagnol qui devait dire « une carta por el rey ! » (« une lettre anonyme pour le roi ! ») Le malheureux a tellement pensé à son personnage, a tellement répété LA phrase qu'il devait prononcer que, au moment du tournage, il a été incapable de dire sa réplique !

 


Karin Schubert et Yves Montand dans la Cour des Lions à Grenade


Louis de Funès et le comédien espagnol « petit et rigolo » (Ángel Álvarez)

 

- Comme avec Beba Loncar, vous étiez proche de Karin Schubert car vous étiez allé la chercher en Allemagne ?

- Oui je dînais souvent avec cette comédienne que j'étais allé chercher à Munich. Sur le tournage, à la fin de la journée, lorsque Alice Sapritch me disait « mon chéri, tu sors avec nous ? », je déclinais sa proposition et elle reprenait « forcément, tu préfères Karin Schubert ! » (rires).

 

- Après ce film, vous commencez à travailler avec de nouvelles générations de comédiens.

- Oui, j'ai fait des films avec les Charlots, qui étaient des gars sympas, mais pas très bons comédiens. J'ai connu la troupe du Splendid, que j'ai beaucoup aimée, nous avons fait ensemble « Les Bronzés font du ski » et « Le Père Noël est une ordure » de Jean-Marie Poiré. Sur ce film, j'étais directeur de production. C'était pratique pour moi car tout était tourné en studio, à l'exception des derniers plans au zoo de Vincennes. C'était vraiment drôle, avec Christian Clavier en « bonne femme » et Marie-Anne Chazel qui a accepté de s'enlaidir avec de fausses dents (rires).

 

- Vous êtes globalement satisfait de votre carrière ?

- Oh oui, j'ai fait 114 films comme régisseur, directeur de production, j'ai tourné quelques courts-métrages et j'ai été comédien sur certaines scènes [nldr : il joue entre autres son propre rôle dans « Le cinéma de Papa » de Claude Berri et une scène avec Josiane Balasko et Gérard Jugnot dans « Les Bronzés font du ski »]. Vous savez, j'ai rencontré des gens vraiment biens, je garde un seul mauvais souvenir, c'est Jean Pierre Melville, j'avais envie de partir avant la fin du tournage. Sur « Le Samouraï », Alain Delon en plaisantait, il me disait « Toi, tu peux partir si tu veux, moi je dois finir le film ».

 

- Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un jeune commençant une carrière de régisseur ?

- Ce serait de faire attention au scénario et d'être tout dévoué au film pour que le film soit bon. C'est un métier où il faut être diplomate, mais aussi débrouillard en se disant que tout problème comporte une solution.

 

- Un grand merci à vous pour cet entretien.

- De rien, merci à vous pour votre amitié et votre démarche.

 

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