Régis FORISSIER
agaaa Né en 1929, Régis Forissier a été réalisateur à la télévision pendant plus de trente ans. D'abord engagé à l'ORTF, il mit ensuite en scène les grands rendez-vous sportifs : le Tournoi des Cinq Nations, le Paris-Dakar, les 24 Heures du Mans, Roland-Garros, mais aussi et surtout le Tour de France, qu'il savait mettre en valeur grâce à l'utilisation d'hélicoptères. L'apparition des images hors course, montrant des paysages et lieux historiques en marge des vélos, auront permis au Tour de France d'élargir son public. Ses prouesses techniques lui valurent l'attribution, en 1991 et 1992, de deux 7 d'or du meilleur réalisateur de direct. Antérieurement, Régis Forissier avait débuté sa carrière au cinéma comme assistant de Claude Sautet. Ce dernier le recruta à l'occasion de deux tournages, Bonjour Sourire en 1955, puis Ni vu, ni connu en 1957, comptant tous deux Louis de Funès dans leurs distributions respectives. Après avoir assisté Yves Robert sur La Guerre des boutons, Régis Forissier s'orienta vers la télévision et des documentaires avec Henry de Montfreid ou Joseph Kessel. Notre échange fut pour lui l'occasion de se remémorer d'agréables souvenirs de tournages. Les internautes sauront profiter, à la lecture des lignes ci-après, de la disponibilité de cet homme charmant qui avait bien voulu répondre à nos questions. Régis Forissier nous a quittés en août 2020.
Entretien de M. Régis Forissier du 15 avril 2019 avec Franck et Jérôme
- M. Forissier, vous étiez l'assistant de Claude Sautet sur Bonjour Sourire. Pouvez-vous nous expliquer comment s'est préparé le tournage de ce film ? - C'était un film produit par Georges et Pierre Tarcali qui avaient une sœur souhaitant jouer la comédie. Ils lui ont confié le rôle principal de la princesse dans Bonjour Sourire. A l'origine, Yves Robert devait réaliser le film avec Claude Sautet comme premier assistant et votre serviteur en second assistant. Mais les frères Tarcali avaient une réputation sulfureuse et, probablement pour des raisons d'argent, Yves s'est retiré de l'affaire. Robert Dhéry a aussi été annoncé mais finalement, poussé par son ami Robert Sussfeld de la Gaumont qui coproduisait le film, Claude Sautet a accepté de se charger de la mise en scène. Je dois dire que Claude n'était pas très chaud à l'idée de réaliser ce film qu'il a fait à son corps défendant. Cependant, une fois qu'il s'est engagé, il s'est donné complètement dans la mise en scène.
- De second assistant, avez-vous été promu premier assistant ? - Non, c'est un des frères Tarcali qui a occupé ce poste. Autant dire qu'il n'y avait personne... Sur le plateau, j'ai fait fonction de premier assistant mais avec le titre – et la paie – de second. Une anecdote pour que vous cerniez mieux les frères Tarcali : ma dernière semaine a été payée avec un chèque en bois.
- La sœur des frères Tarcali a joué la princesse sous le pseudonyme d'Olga Torel. Il s'agit d'ailleurs de son unique expérience au cinéma. - Oui, elle portait une perruque blonde qui, à mon sens, ne lui allait pas du tout. Un jour, j'ai même fait une réflexion idiote à Claude Sautet : « on dirait le loup dans la bergerie ». Cette pensée l'a amusé et, un peu plus tard, il l'a répétée aux frères Tarcali qui, soudain, m'ont tenu à l'œil (rires).
- D'après la presse spécialisée de l'époque, le tournage s'est déroulé du 25 juillet au 25 août 1955, soit un peu moins de 5 semaines. C'est peu, non ? - Oui, ce fut un tournage très enlevé. Le petit budget nous contraignait à beaucoup tourner chaque jour. Nous filmions dans les jardins de Bagatelle, au Bois de Boulogne, et quelques extérieurs dans Paris, au théâtre Hébertot notamment. Les prises de vues ont toutes été effectuées en décors naturels.
- Ce fut le premier film de Claude Sautet. Comment a-t-il vécu cette expérience ? - C'est un film qu'il a un peu renié par la suite. Il avait préparé le film comme premier assistant mais, n'aimant ni les frères Tarcali, ni le scénario peu intéressant, il ne voulait pas y être associé. Ce n'était pas avec ce script qu'il envisageait de signer un premier film. Bonjour sourire ne représentait pas le cinéma qu'il souhaitait entreprendre. Peu après, il a tourné Classe Tous risques et L'Arme à gauche qui furent des œuvres plus ambitieuses. Mais ce premier film, il l'a très bien fait et j'ai vu des gens rire comme ce n'est pas permis en regardant Bonjour sourire.
- Comment s'entendaient Claude Sautet et ses interprètes, en particulier Louis de Funès ? - Les relations furent très bonnes. Claude Sautet savait diriger des acteurs. Exigeant avec lui comme avec les comédiens, il pouvait être dur parfois – car il savait ce qu'il voulait – mais aussi profondément humain et c'est pour cela que je l'ai beaucoup aimé. Avec des comédiens comme Jean Carmet, Henri Salvador, Christian Duvalleix ou encore Annie Cordy, l'ambiance restait toujours au beau fixe. Tous ces artistes venant du music-hall avaient le sens de l'improvisation, chargeaient souvent leur jeu et ne se montraient pas toujours sérieux. La difficulté principale pour Claude Sautet fut de canaliser cette joyeuse troupe. Dans le cas contraire, si on les laissait partir, leur osmose les poussait jusqu'au délire. Ils étaient très drôles, se donnaient en représentation perpétuelle, même hors tournage, toujours prêts à blaguer, à rire... Quant à Louis de Funès, je garde le souvenir d'un homme plus réservé, en retrait par rapport à la troupe. Il s'entendait bien avec ses partenaires mais ne cherchait pas à faire rire en permanence, contrairement à Jean Carmet par exemple.
- Louis de Funès préparait-il ses scènes ? Répétait-il beaucoup avant une prise ? - Difficile à dire, je n'ai pas eu tellement le temps de m'intéresser à son sort. Vous savez, c'était un film où il n'y avait pas tellement de fric et, en tant que second assistant, je m'occupais aussi de questions de régie. Avec mille petites choses à faire ici et là, je ne pouvais pas toujours être en compagnie des comédiens. Cependant, deux choses sont sûres. D'une part, avec le rôle qu'il tenait, il mettait son numéro au point pour ses futures compositions. D'autre part, faute de temps, il n'a pas eu le temps de beaucoup préparer ses scènes car nous enchaînions les plans sans réaliser un grand nombre de prises.
Louis de Funès dans Bonjour Sourire (1955)
- Assistait-il aux rushes ? - Non, pas pour Bonjour sourire. A l'inverse, sur Ni vu, ni connu, il assistait aux projections à Semur-en-Auxois où l'équipe avait posé ses bagages.
- Nous supposons que vous avez été repris par Claude Sautet pour L'Affaire Blaireau qui deviendra Ni vu, ni connu. Ce fut une préparation assez longue ? Avez-vous effectué les repérages en Bourgogne ? - Oui, j'ai fait équipe avec Claude pendant trois ou quatre ans, tant qu'il était premier assistant. Il était un professeur formidable qui m'a beaucoup appris de ce métier. Pour Ni vu, ni connu, le tournage était plus long et a nécessité une plus grande préparation. Je n'ai pas participé aux repérages car je préparais le tournage aux studios de Saint-Maurice. Cependant, je me rappelle être descendu à Semur-en-Auxois deux semaines avant le début des prises de vues.
- En effet, vous avez tourné à Semur-en-Auxois à partir du 19 août 1957 puis aux studios de Saint-Maurice. Les prises de vues se sont achevées le 10 octobre, ce qui totalise huit semaines de tournage. Les conditions étaient donc plus confortables ? - Oui, Ni vu, ni connu a été tourné avec des moyens plus importants qui rendaient le tournage confortable. Le film était financé par Jules Borkon qui dirigeait une société sérieuse installée sur les Champs-Elysées. Le producteur venait parfois sur le plateau. Je garde de lui l'image d'un grand bonhomme, très sympa et très ouvert.
- Yves Robert était un metteur en scène peu expérimenté car il n'avait alors signé qu'un long-métrage en 1954. Comment collaboraient Yves Robert et Claude Sautet ? - Ils collaboraient d'une façon formidable. Ils s'entendaient très bien au point que Ni vu, ni connu est presque devenu une co-réalisation. Claude a été un super premier-assistant qui a beaucoup aidé Yves. Il s'est investi au-delà de ce que ses fonctions exigeaient de lui. La régisseuse Margot Capelier plaisantait à ce sujet, me répétant : « Claude est le super assistant d'Yves, c'est à toi de faire fonction de premier assistant. »
- Ce fut un tournage sans histoire, sans dépassements importants ? - Ce fut un tournage sans histoire, bien géré par la production et la régie. Margot Capelier a réalisé un travail formidable. Concernant l'ambiance, elle fut excellente. La troupe de comédiens apportait une bonne humeur permanente. Des acteurs comme Pierre Mondy, Moustache ou Claude Rich se montraient adorables. Noëlle Adam était absolument délicieuse. Même les petits rôles étaient merveilleux. Le soir, techniciens et comédiens partageaient la même table, sans se soucier de la hiérarchie. Je me souviens que Jean-Marie Amato et Claude Rich se lançaient des défis. Celui qui réussissait à pleurer le plus vite remportait le concours. En général, c'était Claude qui gagnait (rires).
- Contrairement à Bonjour sourire, Louis de Funès tenait le premier rôle cette fois-ci. Avait-il changé ? - Je l'ai trouvé plus nerveux et en proie au doute sur Bonjour sourire. A l'inverse, pendant le tournage de Ni vu, ni connu, il donnait l'impression d'être plus décontracté, très positif et toujours « sur le coup ». Pourtant, certaines situations n'étaient pas forcément commodes pour lui. Par exemple, pour la scène où il est immergé dans l'eau d'une rivière, nous nous sommes rendus à l'Aquarium du Trocadéro pour tourner les raccords. Je vous jure que l'eau était glacée mais, sans broncher et sans aucune difficulté, il s'est installé et nous avons tourné les plans. Il s'est même exécuté avec bonne humeur ! Il donnait l'impression de beaucoup aimer son personnage.
- Quant à Yves Robert, qui était un homme de la terre, aimant la nature et faire le jardin... il a apprécié tourner ce film, non ? - Absolument, c'est comme pour Louis. Il se sentait très proche du thème de l'histoire.
- Pour la scène du concours de pêche sur les bords du canal de Bourgogne, est-il exact qu'il a totalement improvisé dans son jeu lorsqu'il tape du pied pour attraper un poisson ? - C'est exact. Ce geste, c'est lui qui l'a trouvé. Louis de Funès était génial par ses trouvailles visuelles. Avec le chien, il a trouvé mille et un petits gestes, des attitudes qui ont apporté quelque chose à son personnage. Habituellement, c'est très embêtant de tourner avec un animal, dont les déplacements et les réactions sont imprévisibles, mais ce chien-là était particulièrement bien dressé. Nous avons eu peu de soucis avec lui. A l'inverse, s'il prenait des libertés dans son jeu, Louis de Funès n'improvisait pas dans son dialogue, il suivait le texte du script.
- Le film achevé aurait été présenté en avant première à Semur-en-Auxois, avant de sortir en première exclusivité à Paris. Avez-vous participé à la promotion de ce film ? - C'est exact, c'est là-bas qu'il a été projeté une première fois. Mais je n'ai pas assisté à cette promotion car je préparais déjà un autre film. Je l'ai regretté d'ailleurs car l'équipe avait créé des liens avec la population locale et j'aurais bien voulu revoir les habitants de Semur-en-Auxois. Pendant le tournage, les Bourguignons nous avaient adoptés et, lorsque nous sommes partis, nous avons créé un vide terrible. Des jeunes filles sont – parait-il – tombées en dépression à notre départ (rires).
Bande-annonce de Ni vu, ni connu, d'Yves Robert, sorti en 1958
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