Faites Sauter la banque

 

aaaaaaa "Faites sauter la banque" se révèle être l'un des premiers films où Louis de Funès put exprimer au mieux tout son talent. Disposant du premier rôle, son nom se trouve en haut de l'affiche, sur laquelle on ne voit que lui ! Avec ce film, il se vit confier, et devait ultérieurement la garder, la confiance de Jean Girault, qui avait pris le pari (risqué, disait-on) de jouer la carte "de Funès" alors que beaucoup ne donnaient - au mieux - au comédien que le crédit d'un faire-valoir.

aaaaaaa Avec le recul, il est évident que l'équipe technique sentait déjà bon la saga des Gendarmes puisqu'outre Jean Girault signant le scénario et l'adaptation, son inévitable compagnon Jacques Vilfrid écrivit les dialogues, réadaptant tout deux le scénario original de Louis Sapin. Les décors furent crées par une personnalité phare de l'univers de Louis de Funès : Sydney Bettex. Paul Mauriat et Raymond Lefèvre co-signèrent la B.O.F., la direction de la photographie fut confiée à André Germain. Enfin les films Copernic se chargèrent de la production, via l'intermédiaire du producteur délégué Raymond Danon. Détail amusant, ce dernier et Jean Girault apparaissent tous deux dans le film, le temps d'une scène.

 

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Jean-Pierre Marielle dans le film, avec le réalisateur Jean Girault (tout à gauche) et le producteur Raymond Danon (tout à droite)

 

aaaaaaa L'histoire se résume ainsi : Victor Garnier (Louis de Funès), marchand d'articles de pêche et de chasse, est un homme respectable et respecté. Parmi sa clientèle, André Durand-Mareuil (Jean-Pierre Marielle), directeur de la banque située juste en face de son magasin, lui conseille d'investir ses économies dans les actions du Tangana. Mais lorsque ces dernières s'effondrent, la famille Garnier se voit ruinée. Victor décide de récupérer son bien par tous les moyens. Avec l'aide de sa femme (Yvonne Clech) et de ses enfants, il organise un hold-up en creusant un tunnel reliant sa boutique à la banque. Mais cette opération ne se réalise pas sans incidents…

 

Bande-annonce du film

 

 

L'équipe du film

aaaaaaa Les principaux comédiens qui entourent Louis de Funès ont été choisis par le réalisateur Jean Girault, comme nous le rappelle Michel Tureau, qui jouait le fils de Garnier dans le film : "J'ai rencontré de Funès uniquement au moment du tournage, c'est-à-dire que je ne l'ai pas vu avant. Je n'ai eu que des contacts avec Girault qui était le metteur en scène et qui m'avait vu dans une pièce que je jouais. Louis de Funès était un homme très simple, mais très exigeant ; Comme tous les comiques, il était inquiet, à l'extérieur il était concentré sur son travail et ne faisait pas hurler de rire. C'était un monsieur très inquiet, nerveux et qui demandait une grande attention des gens qui travaillaient avec lui, on devait toujours être sur le coup. C'est à travers les répétitions qu'il nous demandait de l'aider pour trouver quelque chose de nouveau. Souvent il réglait les gags et les rapports de jeux, il y a par contre eu peu de corrections de textes pour ce film. Il était très directif, il donnait des conseils, un peu comme un chef d'orchestre, il indiquait le tempo du gag et analysait s'il collait ou non. Et surtout il ne supportait pas la médiocrité."

aaaaaaa Yvonne Clech, interprétant Mme Garnier, nous confie également ses souvenirs : "J'ai tourné avec lui quand il n'était pas encore très connu donc les relations ont peut-être été un peu facilitées. Il était toujours angoissé mais c'était quelqu'un de délicieux et très perfectionniste, je pense que c'était d'ailleurs sa faiblesse car il n'avait pas confiance en lui, il demandait l'approbation de ses camarades." Michel Dancourt, qui joua quelques scènes, se souvient de l'extrême professionnalisme dont faisait preuve de Funès : "Il n'était pas tendu outre mesure, juste attentif à ce qu'il faisait. C'est sur qu'il ne sautait pas juste avant de débuter une prise, il a toujours agi comme un immense professionnel !"

 

Alix Mahieux, Louis de Funès et Michel Dancourt

 

aaaaaaa Georges Wilson, Claude Piéplu et Jean-Pierre Marielle - qui devait connaître peu après d'énormes succès avec "Week-end à Zuydcoote" et "L'Homme à la Buick" - complètent la distribution des seconds rôles.

aaaaaaa "Je n'ai pas le souvenir de choses drôles mais plutôt d'un véritable travail. J'ai beaucoup appris avec lui sur l'exigence que peut avoir un comédien sur son métier avec cette ambiguïté du sérieux sur un travail comique. A la fin de la prise, il était le seul à ne pas rire et voulait savoir si l'effet était réussi ou non." relate Michel Tureau, dont les propos sont confirmés par le comédien Claude Piéplu, qui apparait dans le film le temps d'une scène : "De Funès avait un tempérament particulier, il n'y a qu'un de Funès et la manière dont il abordait les rôles et les développait avec son sens de l'improvisation était fantastique. Cela avait l'air d'une improvisation mais cela se dessinait dans sa tête et il n'était jamais à côté. Il allait au-delà de l'inimaginable".

aaaaaaa Selon Michel Dancourt il n'y a pas eu tellement d'improvisations. "Louis n'improvisait pas pendant une séquence, il trouvait ses gags et ses modifications pendant les répétitions. Après, dès qu'il avait trouvé, il répétait exactement son texte. Les improvisations et rajouts étaient donc surtout présents lors des essais". Et Turreau de conclure : "C'était un monsieur d'une grande correction, très sympathique, pas paternaliste du tout. Je n'ai que des rapports professionnels avec lui mais il y avait une sympathie entre nous car je le servais bien. Il jouait un personnage qui était toujours très méchant mas qui était sympathique, c'est la nouveauté de son personnage, il n'existait pas à cette époque et personne n'a joué cette carté depuis que ce soit en France ou à l'étranger."

 

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Louis de Funès et toute la famille Garnier (à gauche) et Georges Wilson (à droite)

 

aaaaaaa "On a souvent dit qu'il était très enquiquinant mais je dois dire que je n'ai jamais eu de problèmes avec lui" se rappelle le producteur délégué Raymond Danon. "Il plaisantait, il blaguait, il était plutôt agréable. C'était un angoissé avec un humour noir, comme dans ses films". Michel Dancourt se souvient : "De Funès avait une force comique impréssionnante et cela même dans la vie ordinaire. Même lorsque selon lui ce n'était pas drôle j'étais mort de rire. Je me rappelle une fois où Louis m'expliquait comment il avait réussi à glisser sur une bouche d'égoût et j'étais plié en deux. Louis me disait "mais t'es con y'a rien de drôle !" mais il était à mourir de rire, je ne pouvais pas m'en empêcher (rires) !

 

Ambiance de tournage

aaaaaaa Contrairement à ce qui a été écrit par des précédents biographes, ce ne fut pas le succès de Pouic-Pouic - réalisé quelques mois plus tôt - qui aboutit à la réalisation de Faites sauter la banque. En effet, ce sont les producteurs, portés par les honorables recettes des précédents films de Girault avec Francis Blanche et Darry Cowl, qui firent confiance au metteur en scène. Par ailleurs, Pouic-Pouic ne sortit que le 20 novembre 1963, c'est à dire le lendemain du premier jour de tournage de Faites Sauter la banque ! Il est également probable que, sur le tournage de Pouic-Pouic, Jean Girault et Louis de Funès évoquèrent leur volonté de travailler à nouveau ensemble. Ainsi, le tournage de Faites Sauter la banque se résume en peu de mots : confiance et bonne ambiance. Michel Dancourt résuma en juin 2007 : "L'ambiance était très bonne. Girault était un ami de longue date, tout comme Jacques Vilfrid son collaborateur. Je leur avais monté d'ailleurs leur première pièce au théâtre qui s'appelait "L'amour, toujours l'amour". Sur le plateau, l'ambiance était sympathique mais toujours très professionnelle. Je me souviens d'ailleurs que l'une des actrices, lors du premier jour de tournage, était partie faire les boutiques, ce qui a rendu furieux Louis qui disait "C'est pas vrai, premier jour de tournage et elle est absente !"

 

Jean-Pierre Marielle et Louis de Funès

 

La sortie du film

aaaaaaa Français moyen, le personnage de Louis de Funès connaît un succès auprès du public car ce dernier peut facilement s'identifier au personnage de Victor Garnier. Il connaît les déboires que chacun peut avoir : des soucis financiers qu'il doit contrer pourremonter la pente, la crainte du premier homme tournant de manière sérieuse autour de sa femme, la débrouillardise justifiée par l'obligation d'assurer la décence et une vie convenable à ses proches, des soucis de contravention avec la police…Bref un homme ordinaire avec les soucis d'un homme ordinaire. Père de famille, il dispose d'une tribu unie à ses côtés. Là encore, film populaire et tout public, chaque membre de la famille présente en projection peut d'identifier et être séduite par l'interprétation de l'un ou l'autre des personnages. C'est aussi la qualité de jeux des acteurs qui permet de tirer ce film vers le haut. En effet, Jean Pierre Marielle, Georges Wilson (déjà relativement connu à l'époque comme homme de théâtre) et même Louis de Funès sont des vedettes montantes, encore peu habituées aux grands succès mais dont la conscience professionnelle n'est plus à prouver. Leurs exigences, leurs trouvailles et leurs interprétations sont autant de gages d'un succès prometteur. "Faites sauter la banque" s'envisage donc comme un vivier d'acteurs de talents. Arriverions-nous donc à regretter une suite ? Peut-être pour la présence de ces comédiens aux personnalités bien distinctes, qui comblent admirablement les points faibles du scénario, dont notamment un dénouement assez lourd et racoleur.

aaaaaaaLe résultat est à la hauteur des ambitions. Film modeste, succès éphémère. Raymond Danon se rappelle : "Le film coûtait 1 million et demi. Il n'y avait pas décors impressionnants. Nous avions du construire un tunnel mais ce n'était pas bien méchant. Et puis le film était en noir et blanc." La promotion du film annonçait "un nouveau film de Funès à tout casser !" Mais lorsque le film sort en salle en novembre 1963, le public n'accroche pas. Après une bonne première semaine d'exploitation, le bouche à oreille inexistant ou défavorable fait reculer le film, ecclipsé par les performances de Belmondo dans L'Homme de Rio et d'Alain Delon dans La Tulipe noire. Faites Sauter la banque restera donc - aux yeux du public - un film gentillet, un brin franchouillard, dans lequel les comédiens s'en donnent à coeur joie. Aujourd'hui, les cinéphiles considèrent d'avantage ce film comme un tramplin pour de Funès.

 

Louis de Funès et Michel Tureau percent le tunnel dans leur cave

 

Un succès pour Louis de Funès

aaaaaaa Michel Tureau expose un point de vue intéressant : "Ce n'était pas une vedette à l'époque, c'était un monsieur connu, très drôle, mais je n'ai pas eu le trac. Bizarrement je peux dire que j'étais plus impressionné par des gens comme Wilson qui déjà était un homme de théâtre ou Marielle qui avait presque plus de notoriété à l'époque que De Funès." Hypothèse confirmée par Raymond Danon : "De Funès me faisait toujours rire et pourtant à cette époque il était toujours un second rôle". C'est définitivement la rencontre avec Girault qui propulsa l'acteur. Ayant parfaitement compris le jeu du comédien, le réalisateur filma et monta le film de façon à mettre en valeur de Funès. Comme dans Pouic-Pouic, le film est un quasi huit-clos où l'acteur s'apparente à "une mouche dans son bocal", selon l'expression d'Edouard Molinaro. Malheureusement, le tempo de Faites Sauter la banque est résolument plus lent et les gags - insuffisants en nombre - ne s'enchaînent pas mécaniquement. Qu'importe pour de Funès. Dès avant la sortie du film, il est déjà tourné vers de nouveaux projets. Il apparait au générique du nouveau film de son ami Georges Lautner, Des Pissenlits par la racine, puis à celui d'Une Souris chez les hommes de Jacques Poîtrenaud. Devait ensuite venir pour lui l'heure de la consécration avec les tournages successifs du Gendarme de Saint-Tropez, de Fantômas et du Corniaud !

aaaaaaa Michel Tureau conclut parfaitement : "De Funès travaillait énormément et était inquiet, car "Faites sauter la banque" était l'un des premiers films où il avait le rôle principal. Comme il ne supportait pas la négligence, il était méticuleux et faisait très attention à tout. Il était poli, mais son inquiétude ne le rendait pas très gai." Enfin, Yvonne Clech se rappelle avec plaisir une scène mémorable hors plateau en nous confiant : "Je me rappelle aussi qu'il était un peu peureux en voiture car il m'avait ramené des studios une fois, dans une grosse voiture, et on avait fait du 40 à l'heure de moyenne !"

 

Louis de Funès et Georges Wilson

 

Crédits

- Extraits des interviews d'Yvonne Clech, Michel Tureau et Michel Dancourt réalisées par Franck et Jérome (voir rubrique "Témoignages").

- Interviews de Michel Tureau, Raymond Danon et Calude Piéplu / DVD Studio Canal "Faites Sauter La Banque", bonus, histoire de tournage.

 

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