Gérard Oury et son premier assistant Bernard Seitz sur le tournage de "Fantôme avec chauffeur" (Editing productions)

 

Bernard SEITZ

 

aaaaaaaaFigure bien connue du monde du cinéma, Bernard Seitz est un professionnel qui peut se vanter d'une belle carrière aussi bien internationale que nationale. Ayant monté progressivement les échelons, il est aujourd'hui directeur de production (" Tais toi " de Francis Veber (2003), " La demi-pensionaire " de Claude Pinoteau (2002), " Papa was a rolling stone " de Carole Giaccobi (2001)… Ses débuts en 1980, en tant que premier assistant réalisateur, notamment sur le film " Le Toubib " de Pierre Granier Deferre, lui donne aussi l'occasion de rencontrer Louis de Funès sur le plateau de " L'Avare " de Jean Girault, duo qu'il retrouvera un an plus tard pour " La Soupe aux choux ". Par la suite, Bernard Seitz apprend son métier en multipliant les films. Citons entre autres : " Banzai " de Claude Zidi, " American Dreamer " de Rick Rosenthal, " Le pactole " de Jean Pierre Mocky, " Two of diamonds " de Roger Andrieux ou encore " James Bond Goldeneye " de Martin Campbell. Par la suite, il deviendra conseiller à la production et réalisateur seconde équipe, travaillant notamment avec Gérard Oury sur " Le Schpountz " en 1998. Un grand merci à lui pour le temps qu'il nous a consacré pour évoquer son parcours.

 

 

Interview de M. Bernard Seitz du 13 septembre 2008 par Franck et Jérôme

 

 

- M. Seitz, vous débutez comme assistant à la mise en scène sur le film " Le Toubib " de M. Granier-Deferre, comment en êtes vous venu à travailler pour dans le cinéma ?

- J'ai en fait tout d'abord débuté comme stagiaire, comme la majorité des personnes dans ce milieu, puis je suis passé second assistant et enfin premier assistant. Maintenant je suis directeur de production.

 

- En effet, comment expliquer ce virage ?

- Ce n'est pas vraiment un virage, j'ai simplement obéi au concept français. Aux Etats-Unis, tous les assistants à la mise en scène passent à la production. J'aime l'artisanat et l'aspect technique. Comme je souhaitais pouvoir suivre et diriger l'avancée d'un film de A à Z, je me suis donc tourné vers la production car seul ce poste permettait un suivi total du film. J'ai beaucoup fait d'assistanat mais je ne voulais pas faire exclusivement de la mise en scène.

 

- Vous avez eu le privilège de travailler aux côtés d'acteurs et de réalisateurs de renoms. Quels sont vos souvenirs concernant Philippe Noiret que vous avez côtoyé à de nombreuses reprises ?

- Il était bien évidemment un immense acteur, pas toujours facile à "driver" mais rempli de talents et très professionnel. C'est un monstre du cinéma français. J'ai fait deux films à ses côtés, dont "Fantôme avec Chauffeur", et nos rapports ont toujours été bons. Beaucoup ont dit des choses méchantes sur lui mais comme tout acteur, si chacun le respectait, il n'y avait aucun problème.

 

- Vous avez aussi travaillé avec Jean Pierre Mocky ?

- Oui, à deux reprises comme assistant et comme producteur exécutif. J'ai une tendresse pour lui, c'est un fou dangereux, créatif, avec dix idées à la minute et qui change en permanence. J'ai beaucoup appris avec lui.

 

Louis de FUNES et le deuxième assistant réalisateur Bernard SEITZ, accroupi à droite, sur le tournage du film "L'Avare" (automne 1979)

 

 

- Pouvez-vous enfin nous parler de Gérard Oury ?

- Lorsque j'étais adolescent, j'ai regardé ses grands succès tels que " Le Corniaud ", " La Grande Vadrouille ", " La Folie des grandeurs " et " Les Aventures de Rabbi Jacob " et ce sont ces quatre films qui m'ont donné envie de travailler dans le cinéma. Grâce à lui, nous disposons de films français populaires de qualité.

 

- Certaines personnes ne connaissent certainement pas bien le travail et les exigences d'un directeur de production, pourriez vous faire une brève synthèse résumant votre travail sur un plateau ?

- On peut le comparer au directeur général d'une société, en l'espèce c'est le film qui s'apparente à la société. Le directeur de production coordonne l'ensemble de l'avancée du film jusqu'à la post production. Il met en place l'équipe technique du film, la choisit, la gère en accord avec le metteur en scène. Il s'occupe aussi de définir le budget du film ainsi que de la gestion et du suivi de ce dernier.

 

- Vous avez travaillé aussi pour de nombreuses productions américaines, est-ce un travail similaire ou sensiblement différent des productions françaises ?

- Il y a en effet une assez grande différence d'avec les réalisations françaises. Le film le plus marquant reste pour moi " Les liaisons dangereuses ". Mais vous savez tous ces films sont des productions américaines mais tournés en Europe ce qui a pour conséquence que je n'ai pas eu à saisir le système américain. Dans ce dernier, tout est multiplié de manière conséquente. Par exemple pour un film français où il n'y a qu'un accessoiriste, vous en trouverez quatre pour une production américaine. C'est un système qui a malheureusement tendance à aller vers une perte de responsabilité.

 

- A quelle époque remonte votre première rencontre avec Louis de Funès ?

- Elle remonte à 1979 sur le plateau du " Gendarme et les extra-terrestres " où j'étais un tout jeune stagiaire de 20 ans. Ce fut mon tout premier contact avec lui. J'avais écrit un grand nombre de lettres à Jean Girault pendant quelques années car il habitait tout près de chez moi. Un jour, il me répond et me prie de venir le voir. J'ai dû être chez lui dans la demi-heure qui suivait, il m'a reçu très gentiment et m'a dit " Vous semblez tellement vouloir travailler dans ce domaine que je vous prends comme stagiaire sur le prochain "Gendarme" que nous allons tourner avec Louis de Funès ". Par bonheur tout s'est très bien passé avec Louis de Funès qui m'a en quelques sortes pris sous sa coupe.

 

Jean-Pierre RAMBAL, Michel GALABRU, Louis de FUNES, MODO, Maurice RISCH et GROSSO à l'automne 1978 sur le tournage du film "Le Gendarme et les extra-terrestres" de Jean GIRAULT

 

 

- Quel souvenir gardez-vous de cette première rencontre ?

- A cette époque, Louis était un véritable monument du cinéma français et je me suis retrouvé face à quelqu'un que j'admirais depuis mon enfance. J'étais très impressionné, je suis resté un peu bouche bée. Il fallait gagner sa confiance, ce n'était pas quelqu'un qui vous l'accordait aussi facilement. C'est pourquoi j'ai dû commencer à lui parler uniquement au bout de la quatrième ou cinquième semaine de tournage. J'étais en quête de lui plaire et véritablement passionné par tout ce qu'il faisait sur le plateau. Dès qu'il a constaté que je faisais mon travail sérieusement, alors il m'a accordé sa confiance.

 

- Sur le tournage de " L'Avare ", vous êtes entouré d'Edmond Richard, Jacques Mironneau et même Jean Girault qui sont des professionnels très aguerris dans leurs domaines quels souvenirs gardez vous de cette collaboration ?

- C'est à cette époque où j'ai véritablement appris mon métier. J'ai eu la chance d'être entouré par des techniciens chevronnés sur ce film. Edmond Richard avait par ailleurs travaillé avec Orson Welles, notamment pour " Le Procès ", ce qui est un gage de qualité. Je regardais leur travail avec beaucoup d'intérêt.

 

- Quelle était l'ambiance plateau ?

- J'en garde un très bon souvenir. C'était très professionnel, il n' y avait pas de parties de rigolade en continu. Lorsque nous démarrions les répétitions d'un plan, il ne fallait surtout pas rire et lorsque nous rigolions, c'était lorsque Louis avait trouvé un gag qui nous amusait. Il avait de grandes exigences envers les acteurs mais aussi envers lui-même.

 

- Comment s'est déroulée la répartition du travail entre Louis et Jean Girault ?

- Il y avait une vieille complicité entre eux. Louis était très interventionniste car il avait compris que c'était lui qui était sur l'écran et non Girault. Il dirigeait toujours avec beaucoup de gentillesse et de bienveillance mais lorsqu'il n'était pas content il le faisait savoir. Il n'était pas un grand technicien, c'est pourquoi il en laissait le soin à Girault, mais il avait pour énorme qualité d'être instinctif et de voir tout ce qui se passait.

 

- Louis de Funès était-il un homme accessible hors prise ?

- Oui mais dans la mesure où il avait confiance. Lorsqu'on lui présentait quelqu'un qu'il ne connaissait pas, il le regardait toujours avec un peu de méfiance, mais jamais de manière méchante. Je n'ai pu personnellement lui parler véritablement qu'au bout de la moitié du film " L'Avare ", j'avais alors acquis sa confiance. Il nous jugeait sur notre travail. Si tout était bon, que nous étions consciencieux et professionnels, sa confiance était gagnée. Tout s'est très bien passé, j'ai beaucoup plaisanté avec lui, nous avons beaucoup discuté aussi.

 

- Christian Fechner disait que Louis était le patron, mais un patron tout à fait charmant et gentil…

- C'est exactement ça. Il était le patron, l'homme qui contrôlait tout mais toujours avec bonne humeur.

 

- "L'Avare" étant un film avec des costumes et des décors d'époque à reconstituer, y a-t-il eu des difficultés pour sa réalisation ?

- Oui, cela n'a pas été simple. Louis s'était beaucoup investi pour ce film, à tous les niveaux, aussi bien pour les acteurs que pour les décors et leurs couleurs, les costumes…Il en est d'ailleurs ressorti épuisé. "L'Avare" était en grande partie son film. Girault était plus technicien ici, puisque Louis avait simplement sollicité son aide. Louis a d'ailleurs toujours eu un immense respect pour les techniciens. Nous nous devions de faire notre travail consciencieusement car il ne supportait pas la médiocrité. D'ailleurs si une personne n'était pas à 100% de ses capacités, si elle ne s'intéressait pas intensément, elle ne restait pas longtemps sur le plateau.

 

- Y a-t-il eu beaucoup de modifications, d'improvisations ?

- Très peu d'improvisations autant que je me souvienne car De Funès préparait très bien les choses. A l'inverse, il pouvait trouver quelque chose au niveau du jeu qu'il rajoutait alors, cela ne gênait pas.

 

- Pouvez-vous nous décrire Louis de Funès avant une prise ?

- Extrêmement concentré, il n'y avait pas de plaisanteries. Il était très attentif à ce qu'il faisait, toujours avec une grande et profonde concentration et en même temps très à l'écoute des rires. Il aimait que l'équipe technique réagisse à ses gags. Sur les plateaux, comme Louis sortait de maladie, il y avait toujours un cardiologue présent, chargé de le ménager. Les horaires étaient aménagés pour lui. Après manger, il faisait une longue sieste et avant de tourner, le cardiologue prenait sa tension et l'autorisait, ou non, mais c'était très rare, à débuter les prises.

 

- Parlons enfin de " La Soupe Aux Choux ", il y avait une complicité évidente avec Carmet…

- Oui tout à fait, ils étaient très complices. Louis avait d'ailleurs très certainement choisi Jean pour ce rôle car il se rapprochait parfaitement de l'ambiance des livres de René Fallet. D'ailleurs, peut être s'agit-il pour Louis de l'un de ses plus beaux souvenirs car il y avait même beaucoup plus qu'une complicité. Carmet était toujours en retrait, il avait compris que la star sur le plateau était Louis et il s'est contenté, à juste titre, de le servir, lui et le film. Tous les acteurs qui ont raisonné comme cela avec Louis, que ce soit Carmet, Galabru, Grosso et Modo ou Claude Gensac n'ont jamais eu de problèmes avec lui. Ils n'ont pas cherché à prendre sa place. Sur de telles productions, avec un De Funès ou un Delon par exemple, on sait tout de suite qui est le patron sur le plateau. Louis aimait aussi être entouré de jeunes acteurs, par exemple Christine Dejoux ou Franck David pour les films que nous avons évoqués, il les choisissait lui-même. Beaucoup de personnes ont d'ailleurs dit beaucoup de méchancetés sur ces choix en estimant qu'il les prenait pour se servir lui-même et les mettre de dos. Je puis vous assurer qu'il n'y a rien de plus faux et j'en suis le témoin. D'ailleurs voyez-vous une fois Franck David ou Christine Dejoux de dos ? Il n'a jamais cherché à se tirer la couverture.

 

Christine DEJOUX et Louis de FUNES dans "La Soupe aux choux" (Jean Girault, 1981)

 

- Comment jugez-vous l'apport de Louis de Funès pour un film ?

- Il est capital. Il lui insuffle une véritable ampleur, une précision qui n'a rien à voir avec ce qu'un autre acteur, aussi bon soit-il aurait pu faire. Il avait un talent immense, on parlera toujours de lui. Il n'a jamais été égalé au niveau de l'intensité artistique dans le comique.

 

- Quel souvenir gardez-vous de lui ?

- Je garde un souvenir ému car c'est quelqu'un avec qui j'ai appris mon métier. Il a toujours été bienveillant avec moi. C'est un acteur qui ne sera jamais remplacé. Il a apporté une véritable qualité aux films comiques populaires. Il était un génie du comique, on ne peut pas trouver d'autres mots.

 

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