HENRI GUYBET
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AAAAA A l'aube de ses soixante-quinze printemps et de ses cinquante ans de carrière, Henri Guybet a publié ses mémoires intitulés "J'aurais pu faire pire". Un titre évocateur qui prouve que son regard sur son propre parcours ne manque pas d'humilité, et qu'il n'est pas nécessaire de se prendre au sérieux pour exercer consciencieusement le métier de comédien. AAAAA Et pourtant quelle carrière ! Son autobiographie, qui regorge d'anecdotes savoureuses, rappelle au grand public qu'il n'a pas uniquement interprété le chauffeur Salomon de Louis de Funès dans "Les Aventures de Rabbi Jacob" et le soldat Tassin de la trilogie "La 7ème Compagnie". Au contraire, il a entrepris une riche carrière, du vénérable TNP de Jean Vilar à "Grossesses Nerveuses" de Jean-Yves Rogale qu'il a joué au Théâtre Daunou puis en province avec Anémone en 2011-2012. En passant par le Café de la Gare de Romain Bouteille (avec Coluche, Patrick Dewaere, Miou-Miou etc…), huit films sous la direction de Georges Lautner, et d'autres rôles intéressants chez Jacques Deray, Yves Robert, Alain Resnais, Christian Gion ou encore Claude Vital. S'il a pu jouer quelques classiques sur les planches, c'est avec le théâtre de boulevard qu'il a forgé sa popularité. Si elle ne lui a jamais amené la fortune, sa carrière lui a apporté un capital sympathie auprès d'un large public. AAAAA Outre son parcours professionnel, Henri Guybet revient sur son enfance et son adolescence, en dévoilant des souvenirs touchants et authentiques : l'amour d'une mère, la passion du cinéma, l'envie perpétuelle de faire rire ses proches comme le public. Un récit drôle et tendre, à l'image du comédien et de ses personnages. Un grand merci à lui d'avoir répondu une nouvelle fois à nos questions.
Interview de M. Henri Guybet du 15 janvier 2012 par Franck et Jérôme
- Ecrire cette autobiographie, c'est livrer - une bonne fois pour toutes - les souvenirs que l'on vous demande régulièrement de raconter ? - Oui il y a un peu de ça. Mais le public et les média continueront à me les poser car tout le monde ne lira pas le livre.
- Enfant, vous observiez les comédiens pour comprendre le métier et déceler les subtilités de leur jeu. Observez-vous encore beaucoup les comédiens aujourd'hui ? - (convaincu) Oh oui beaucoup. J'observe les comédiens de toutes les générations car nous ne jouons pas tous de la même façon. Et puis il faut aussi penser à observer son propre jeu pour voir comment il évolue. Vous savez, l'art dramatique n'est que le reflet de la société contemporaine et il faut savoir s'adapter aux changements. C'est la raison pour laquelle on réinterprète les pièces anciennes, et on voit de nouvelles façons de jouer ou d'écrire des dialogues. Autrefois, lorsque le cinéma parlant est arrivé, on a appelé des comédiens de théâtre pour se jouer devant la caméra. Pour que cette transition fonctionne, les acteurs ont dû changer leur façon de jouer, et ils ont notamment travaillé leur regard. Plus tard, on a à nouveau pensé le cinéma différemment lorsque est arrivée la télévision. Ainsi, le cinéma est un art qui évolue en permanence, les comédiens doivent en être conscients.
- Grâce aux DVD et aux rediffusions télévisées qui rendent l'accès aux films plus facile, vous arrive-t-il encore de revoir jouer vos modèles Gary Cooper, John Wayne, Gérard Philippe ou encore Fernandel ? - Oui beaucoup, lorsque je tombe sur un film que j'aime bien, je prends plaisir à le regarder. Et je ressens aussi un peu de nostalgie car je revois un "vieux film" avec mes yeux d'enfant ou d'adolescent. Et puis si c'est un film dans lequel je joue, il me rappelle des souvenirs.
- Vous qui avez été un cancre renvoyé de plusieurs écoles communales, avez-vous redouté de jouer "Le Pion" ? - (rires) Non pas du tout, mais je dois dire que j'ai ressenti une drôle d'impression en me retrouvant sur l'estrade, du côté du maître. Je n'ai pas considéré ce rôle comme une façon de me venger, de prendre ma revanche sur l'école, mais comme un coup du destin assez drôle. En revanche, je suis attaché à ce personnage de Bertrand Barabi qui est tendre et émouvant. J'ignore s'il s'agit du plus beau rôle de ma carrière, mais j'aurais aimé qu'on me propose plus souvent ce genre de personnages.
Henri Guybet et Claude Jade dans "Le Pion" (allocine)
- A la lecture de votre ouvrage, on ressent votre goût de la vie et votre besoin quotidien de rire. - Oui, il faut profiter de rire pendant qu'on est vivant, nous aurons l'éternité pour pleurer. Pierre Desproges disait que l'on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui. Je pense qu'il faudrait rire de tout et sur n'importe qui pour montrer l'absurdité de certains hommes. Le rire est mon révolver et il devrait être une arme écologique balayant les gens ridicules, qu'il s'agisse des hommes politiques, des extrémistes de tous bords, des intégristes etc...
- La casquette de Salomon et le casque de Tassin sont-ils des couvre-chefs lourds à porter ? - (rires) Oh non pas du tout, le public se rappelle de ces rôles marquants et, au contraire, je trouve ça formidable. Jouer Salomon et Tassin, c'est mieux que d'envoyer des avions dans des buildings, non ?
- Quel a été votre sentiment lorsque vous avez revu "Les Aventures de Rabbi Jacob" en public au Grand Rex en 2008 ? - Ce fut un très bon moment car c'était agréable de constater que les gens se marrent toujours avec ce film. Et puis j'ai pris beaucoup de plaisir en revoyant Suzy Delair - une grande comédienne que j'admirais lorsque j'étais jeune - et des copains qui figuraient aussi dans la distribution. Les comédiens de cinéma ont une chance incroyable, ils peuvent revoir de petits instants de leur vie grâce à ces films, qui ravivent des souvenirs. Les images sont même plus précises que les souvenirs qui paraissent parfois lointains et confus.
- Robert Lamoureux nous a récemment quittés [ndlr : le 29 octobre 2011], quelle image garderez-vous de lui ? - Celle d'un homme de talent, d'un auteur qui écrivait très bien et qui nous laisse quelques chefs d'œuvre. Je garde une tendresse pour lui car "La Septième Compagnie" a contribué à ma carrière.
Quelques Messieurs trop tranquilles, de Georges Lautner, avec Paul Presboit et Michel Galabru.
- Dans votre autobiographie, vous évoquez aussi les films - baptisés "nanars" - de Max Pécas ou Claude Mulot. Que ressentez-vous lorsqu'on vous reproche d'avoir tourné dans ces films ? Une indifférence, un mépris ou de la peine ? - A dire vrai, aucun de ces sentiments car il y a des gens qui les aiment, ces "nanars" qui sont encore diffusés à la télévision. Combien de films de Godard sont aujourd'hui rediffusés ? Avec Max Pecas, on faisait du "cinoche" et, même s'il ne s'agit pas de grands films qui resteront dans les annales du cinéma, je ne les renie pas. De toute façon, il n'est pas utile de faire du cinéma pour laisser quelque chose dans l'éternité. Il y a tant d'auteurs, de metteurs en scène, de comédiens qui se succèdent au fil des ans qu'on ne peut pas deviner les films qui resteront dans la mémoire collective. Quel film diffusera-t-on en 2070 ? Un péplum américain ? "Il était une fois dans l'Ouest" ? "Les Tontons Flingueurs" ? On en sait rien. Après tout, un acteur est une fleur qui bourgeonne, qui éclot, puis qui fane. Ainsi des artistes extraordinaires comme Louis Jouvet, qui étaient très connus de leur vivant, sont depuis tombés dans l'oubli.
- Puisque vous évoquiez brièvement Godard, quelle considération avez-vous porté à la Nouvelle Vague ? - Godard et Truffaut s'en sont bien sortis car ils sont revenus à un cinéma plus classique, normal. Honnêtement, si Godard m'avait un jour appelé pour jouer sous sa direction, j'aurais accepté. Mais son cinéma ne m'apporte pas d'émotion. Je ne veux pas porter de jugement de valeur en disant que son œuvre est mauvaise, c'est juste que ces films me laissent froid. L'art doit nous sensibiliser en nous apportant une émotion - le rire ou les larmes - sinon ce n'est pas de l'art. J'ai le même raisonnement avec l'art contemporain qui ne me parle pas toujours. Par exemple, "Guernica" de Picasso ne m'évoque pas la guerre civile espagnole. A l'inverse, Goya me touche car je vois dans son travail l'horreur de la guerre avec les soldats napoléoniens exécutant des Espagnols.
- On raconte dans le milieu du spectacle que ceux qui font pleurer voudraient faire rire et inversement. Vous qui êtes un comédien jouant le plus souvent dans le registre comique, souhaiteriez-vous aujourd'hui obtenir un rôle à contre-emploi ? - Oui bien sûr, si c'était bien écrit, je l'accepterais. A ce sujet, mon copain Maurice Risch répond à ceux qui lui demandent s'il voudrait faire pleurer : "quand on peut faire mieux, on peut faire pire" (rires). Je trouve cette formule géniale car ce n'est pas évident de faire rire. Honnêtement, lorsque des metteurs en scène m'ont demandé d'émouvoir, j'ai trouvé ça moins dur, et même plutôt facile. En réalité, je peux me sentir à l'aise dans tous les genres. Pour cela, il faut découvrir l'univers de son auteur, déceler ce qui peut être intéressant à jouer. Je ne comprends pas toujours tous les auteurs mais rien n'est définitif. Si on m'avait fait lire Ionesco il y a cinquante ans, je n'aurais rien compris à son œuvre. Après tout, si un auteur vous présente son travail pour que vous l'interprétiez, cela signifie qu'il a pensé à vous pour le jouer et qu'il vous voit très bien dans le rôle proposé. Je ne vois donc pas pourquoi je devrais répondre à l'auteur "non, ce n'est pas un rôle pour moi".
- Avez-vous déjà refusé de jouer une pièce de boulevard ? - Oui, lorsqu'un sujet ne m'amusait pas ou qu'il n'y avait rien à en sortir. Il est cependant possible de réécrire une pièce, l'adapter à son époque, ce que j'ai déjà fait à quelques occasions. Car les bonnes pièces ne sont pas évidentes à trouver, il existe des auteurs médiocres (rires) ! Je me rappelle avoir refusé "Le Roi des cons", une pièce tirée de l'œuvre de Wolinski, dessinateur entre autres à L'Humanité et à Hara-Kiri. Le projet ressemblait trop à une adaptation théâtrale de la bande dessinée et je redoutais également de la vulgarité. Finalement, Roland Giraud a pris le rôle et s'est montré particulièrement génial dans cette pièce qui a connu un succès. Par ailleurs la pièce n'était pas vulgaire mais plutôt grivoise.
Henri Guybet et Franck en janvier 2012 après une représentation de "Grossesses nerveuses"
- Quels éventuels conseils professionnels avez-vous donnés à votre comédien de fils ? - De ne jamais écouter les conseils ! Bien sûr, au départ, je lui disais qu'il pouvait compter sur moi s'il avait besoin d'aide. Mais je l'encourage surtout à faire ce qu'il aime, ce dont il a envie. Il doit porter un regard personnel sur le métier et jouer avec sa propre sensibilité.
- M. Guybet, vous venez de fêter votre soixante-quinzième anniversaire, vous avez acquis une solide popularité grâce au théâtre, au cinéma et à la télévision. Qu'attendez-vous encore du métier de comédien ? - Un rôle vachement bien payé (rires) ! Je souhaite surtout continuer à jouer ainsi, tant que mon corps et ma mémoire me le permettront. Ce qu'il y a de pire dans la vieillesse, c'est d'être en chaise roulante et ne plus rien pouvoir faire. En exerçant ce métier, j'ai eu une belle vie que je ne regrette pas et je ressens toujours cette envie de jouer. Peut-être un jour me réveillerai-je en désirant prendre ma retraite, mais ce n'est pas le cas pour le moment. Il y a des comédiens qui ne veulent plus, qui n'ont plus cette envie, c'est le cas de l'ami Pierre Tornade. Lorsque Noël-Noël en a eu assez du métier, il s'est retiré en Bretagne. Il existe aussi des actrices qui, en vieillissant, n'acceptent plus leur visage et qui se retirent dans l'anonymat. Je peux comprendre ce raisonnement, mais pour le moment, j'ai toujours envie !
- Vous venez d'achever la tournée en province de "Grossesses Nerveuses", quels sont vos projets ? - J'écris une pièce qui sera prête pour janvier 2013. C'est l'histoire d'un homme quitté par sa femme qui part avec un plus jeune. Je bâtis cette histoire d'une façon drolatique, ce sera une pièce comique.
- Pour conclure, les souvenirs de votre autobiographie sont à la fois drôles et tendres. Ce sont deux adjectifs qui résument vos personnages et collent à votre personnalité, non ? - Oh oui très certainement, je me situe entre le gugusse et le nounours...
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