Didier TAROT

 

 

azertyrezAssistant fidèle de Robert Enrico, puisqu'on le retrouve dans "Les Grandes Gueules" où se côtoient Lino Ventura, Bourvil et Marie Dubois, mais aussi dans "Zone Rouge" (Sabine Azéma, Richard Anconina) ou "Pile ou Face" (Philippe Noiret, Michel Serrault"), Didier Tarot est un technicien renommé qui s'illustre dans différentes fonctions telles qu'opérateur, directeur de la photographie ou encore en tant que préparateur/régleur caméras et plans des scènes sous-marines pour " Le Gendarme Se Marie" de Jean Girault. Il a donc eu l'honneur et le privilège de travailler avec les plus grands du cinéma dont bien évidemment Louis de Funès qu'il retrouva aussi sur "Le Gendarme et les gendarmettes" (opérateur seconde équipe) et "Le Gendarme et les extra-terrestres" (directeur de la photographie seconde équipe). C'est une interview originale et riche en anecdotes qu'il nous a accordée et nous sommes contents de pouvoir la diffuser aujourd'hui à l'ensemble des internautes. Nous le remercions pour sa grande gentillesse ainsi que pour son grand professionnalisme et espérons que tout comme nous vous prendrez plaisir à découvrir ses souvenirs.

 

Interview de M. Didier Tarot du 11 août 2008 par Franck et Jérôme

 

- M. Tarot pouvez nous dire quand et comment avez vous rencontré Louis de Funès ?

- J'ai travaillé sur les "Gendarmes" en tant que directeur de la photographie pour la seconde équipe, c'est à dire que j'étais parfois éloigné mais aussi parfois très proche du vrai tournage. J'ai très bien connu Louis de Funès : comme nous mangions ensemble à la cantine, j'étais souvent à ses côtés. Il était charmant, très bien élevé mais pas du tout rigolo, mis a part quelque fois hors tournage. Je me souviens de quelqu'un qui parlait beaucoup, qui racontait des histoires relatant des soucis de tous les jours. C'était aussi une personne très moralisatrice, à cheval sur les principes. Louis de Funès était surtout incroyablement professionnel. Il connaissait son texte au rasoir et il adorait faire des répetitions et des prises multiples. Parfois cela posait problème pour les autres comédiens mais ils ne disaient rien car ils étaient tous très gentils, comme Galabru notamment qui était tout à fait adorable et charmant. Pour évoquer le professionnalisme de Louis, je me rappelle que pour "Le Gendarme se Marie", film pour lequel il n'y avait pas de seconde équipe directe, Louis a imaginé une équipe de gendarmes sous marins, vivant sous l'eau en quelque sorte, qu'il s'imaginerait après avoir été frappé par une bouteille et être tombé dans les pommes. Il a donc fallu intégrer cette scène au scénario, ce qui a nécessité de construire des décors impressionnants tels qu'une école avec des bancs, une pharmacie, un bistrot, des pompes à essence et même un carrefour avec des feux tricolores. J'ai effectué les différentes prises de vues, c'était très dur et laborieux et de plus tout cela avait couté beaucoup d'argent à la production. Les vrais gendarmes étaient doublés par des plongeurs pros pour la scène dont un monsieur assez frêle et petit qui a doublé de Funès. A la projection des rushs, Louis a dit "Je n'en veux pas" et cela je pense parce qu'on ne le voyait pas assez durant cette scène, en train de faires des grimaces et cela ne lui a pas plu. Cette scène n'a donc pas été retenue. Ce fut un grand gâchis. Louis était donc aussi très autoritaire et exigeait aussi beaucoup de choses parfois très compliquées à réaliser. Il a entre autre presque toujours gardé le même réalisateur - à savoir Jean Girault, toujours assisté de Jacques Vilfrid - et ce depuis "Pouic Pouic". Ce que j'admirais chez lui c'était son côté infatiguable, capable de recommencer quinze fois la même prise. Il avait un côté très méticuleux et, pour résumer, beaucoup de qualités. A la fin de sa carrière il avait un but : celui de reprendre et adapter au cinéma tous les grands classiques de Molière mais il avait une image trop populaire et un comique trop populaire lui aussi pour pour pouvoir entreprendre cela. Mais c'était courageux de sa part de s'attaquer à quelque chose de beaucoup moins commercial.

 

La fine équipe dans le golfe de Saint-Tropez. Le Gendarme se marie (1968)

 

- Quelle était l'ambiance sur les différents "Gendarmes" ?

- C'était une ambiance sympathique, il y avait de très bonnes relations entre les équipes, même si il y avait une plus grande rigueur lorsque Louis était présent. Nous étions obligés de rire à ce qu'il faisait sinon il était vexé et nous disait que nous n'avions rien à faire sur le plateau. C'est vrai que rire à chaque fois pendant quinze prises pouvait paraître un peu rébarbatif (rires) ! Mon travail était parfois assez compliqué notamment pour la dernière scène du "Gendarme et les extra-terrestres" lorsque la soucoupe tombe dans le port. Cette séquence a été réalisée à la fin du film et du montage et les producteurs en avaient un peu assez que l'on dépense des sous et nous ont dit "maintenant c'est terminé !". Ce qui fait en définitive que les effets spéciaux auraient pu être je pense de meilleures qualités sur ce film. Je me souviens de Jacques Mironneau qui nous disait "Profitez bien, c'est notre dernier grand film !" (rires) ! Effectivement les conditions étaient très agréables puisque l'équipe était très pro et nous étions relativement bien payés. C'était une grosse production pour laquelle il ne manquait rien.

 

- Ques furent les relations entre Louis et Jean Girault ?

- Girault était quelqu'un de très triste mais il avait une grande qualité : il connaissait très bien la mécanique du comique. Il savait exactement où placer un gag pour que celui-ci fasse rire. De Funès savait que Girault était très calé dans ce genre et c'est pour cela qu'ils se sont si bien entendus.

 

- Est-ce Louis qui vous a imposé pour les différents films ?

- Non pas du tout, c'est la production qui m'a engagé. J'avais déjà fait un film avaec Jean Girault qui s'appelait "Le mille-pattes fait des claquettes" et je connaissais très bien Gérard Beytout, le producteur qui était tout à fait charmant.

 

- Pour les deux derniers "Gendarmes", suite à son infarctus, Louis de Funès est fatigué. Les horaires sont-ils aménagés pour lui ?

- Oui tout a fait, il fallait par exemple qu'il fasse la sieste et nous ne travaillions pas le samedi. Il avait l'autorisation de retourner dans son château, c'est son fils Olivier qui venait le chercher et qui l'emmenait à bord d'un M20.

 

- Louis était-il un acteur accessible entre les prises ?

- Absolument. C'est vrai que souvent on n'osait pas aller le déranger car il était assis tranquillement sur un banc et se reposait mais c'était un homme charmant, très intéressant et qui méritait donc son statut car il était talentueux.

 

La brigade à l'entraînement dans un plan coupé au montage du "Gendarme se marie" (1968)

 

- Approximativement, combien de prises faisait-il ?

- Toujours beaucoup, il fallait recommencer et encore recommencer. Il était très perfectionniste. Il essayait toujours de modifier ou d'intégrer un clin d'oeil, un coup de pied. cela montait parfois jusqu'à une douzaine de prises.

 

- Il avait véritablement besoin de sa famille de cinéma ?

- Oui bien sûr, cela s'est toujours su. Il y avait par exemple Claude Gensac qui était très charmante. En fait il n'aimait pas le changement.

 

- Pouvez vous nous décrire l'état d'esprit de Louis avant une prise ?

- Je le trouvais un peu tendu. Je me rappelle que Jacques Mironneau l'appelait "le petit monstre" tandis que les autres l'appelaient "Fufu". Il était très concentré sur son texte et sur la manière dont il allait le dire et jouer la scène. Vous savez, il était très dur pour lui de parvenir à jouer son style, il ne fallait pas d'hésitation pour pouvoir lancer toutes ses mimiques et grimaces en même temps que son texte.

 

- Louis était-il à l'aise avec une plus jeune génération d'acteurs sur le tournage du "Gendarme et des Gendarmettes" ?

- Oui, il a toujours été très à son aise avec les gendarmettes, tout se passait très bien.

 

- Ce film est malheureusement endeuillé par le décès de Jean Girault, comment se déroule alors la suite du film ?

- Nous étions tous très tristes. Jean était vraiment à bout, à la fin il venait sur le plateau avec une chaise à proximité, il ne pouvait plus rester debout.

 

- Avez-vous eu l'idée d'arrêter le film ?

- Non car il était évident qu'il fallait le continuer et il y a d'ailleurs eu un magnifique travail réalisé par Jacques Mironneau.

 

- Quel souvenir gardez vous de Louis ?

- Je garde un très bon souvenir de lui. Nous étions dans le confort à cette époque pour ce genre de films car il s'agissait de grosses productions. De plus, les comédiens étaient très pros et connaissaient parfaitement leurs textes. Girault était très agréable. En fait, tout était positif !

 

- Quel regard portez vous sur ces films aujourd'hui ?

- Je les trouve moyens, disons que ça atteint son but. A savoir celui de faire plaisir à une certaine clientèle fous de Louis de Funès.

 

Louis de Funès et Babeth sur le tournage du "Gendarme et les gendarmettes" (1982)

 

 

- Vous avez aussi travaillé sur "Les Grandes Gueules" avec Lino Ventura et Bourvil, pouvez vous nous faire partager vos souvenirs ?

- C'était formidable, tout se passait très bien. Lino Ventura était courtois et gentil mais pas facile sur un plateau. Par exemple il était en opposition avec le metteur en scène Robert Enrico qui - quand il lui demandait de tourner une prise dans sa version - se voyait souvent contredit par Lino qui disait "Je pense que ma version serait peut être mieux !". Du coup, ils tournaient deux fois pour que chacun ait sa version et bien sûr au montage Enrico gardait la sienne (rires) ! Je me souviens d'une anecdote concernant la scène de l'incendie : Nous nous trouvions dans une cabane pour tourner cette prise dans laquelle Ventura traversait devant la fenêtre en cherchant Bourvil. Le toit de cette cabane était en goudron puisqu'il s'agissait d'un décor. Au début, le feu ne prit pas et nous ne pouvions réaliser la scène si bien que nous avons aspergé du gasoil dans les décor. Le problème fût que nous n'avons pas tourné tout de suite et les gazs et vapeurs ont eu le temps de se répandre. Lorsque nous avons voulu redébuter la scène, nous avons allumés avec des allumettes et tout a explosé, causant de sérieux dommages. Lino Ventura nous alors insulté de tous les noms en nous disant qu'il ne souhaitait pas refaire la scène car nous étions tous des assassins, des incendiaires.... Il est finalement revenu tourner assez vite avec nous car c'était un homme très sympa et toujours agréable. A l'inverse, Bourvil était une personne très secrète, très gentille et de bonne humeur sur le plateau mais qui - le soir - mangeait tout seul à sa table.

 

La soucoupe volante du "Gendarme et les extra-terrestres". Tournage à Saint-Tropez au printemps 1978.

 

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