Patrick Préjean dans sa loge lors de notre entretien (collection F&J)

 

Patrick Préjean est au théâtre du Ranelagh

 

aaaaaa Au théâtre du Ranelagh, dans le XVIe, Patrick Préjean est à l’affiche de la pièce « Du Vent dans les branches de Sassafras » écrite en 1966 par René de Obaldia, le célèbre poète et romancier, membre de l’Académie Française. A l’approche de ses 94 printemps, la direction du théâtre a décidé de monter plusieurs de ses pièces dans le cadre d’un Festival qui lui rend hommage.

 

Un comédien parisien au far west

aaaaaa Patrick Préjean reprend le rôle célèbre de Johnny Rockfeller – patriarche d’une famille de colons installée dans le Kentucky – créé par Michel Simon puis repris par Jean Marais. Mais le comédien n’a pas à rougir de sa prestation devant celles de ses illustres prédécesseurs. Dans un rôle de composition très complexe, il se révèle magistral. Son personnage rustre, râleur et traditionaliste se transforme tour à tour en un être drôle, mélancolique, émouvant. Car « Du Vent dans les branches de Sassafras » n’est pas une pièce purement comique comme celles des Boulevards qui ont forgé la renommée de Patrick Préjean. A l’instar de Cyrano qu’il avait joué sur la même scène 13 ans plus tôt, le comédien affiche tout son talent et prouve qu’un grand acteur doit pouvoir transmettre toutes les émotions à son public.

aaaaaa Outre quelques gags visuels et loufoques, cette joyeuse comédie met aussi en lumière des ballets, des chansons, un strip-tease… et Dieu qui, loué pour apporter un peu de pluie sur les récoltes, fait pleuvoir les puits de pétrole qui apporteront la fortune aux Rockfeller.

aaaaaa Avec un zeste de folie qui ne manque pas de charme, Thomas Le Douarec signe donc une mise en scène guillerette et savoureuse. Pas un faux fou rire, pas une scène où le public est pris à partie pour le forcer à s’esclaffer. Juste la sincérité de comédiens talentueux qui se dévouent, avec professionnalisme, pour satisfaire le public. La pièce se joue jusqu’au 19 novembre et connaît un succès couronné par des critiques dithyrambiques. Il est d’ailleurs envisagé que la troupe se produise dans toute la France dès la fin 2012, qu’on se le dise !

 

Quand le talent et la bonté se rencontrent

aaaaaa Dans le monde du spectacle, qui n'a pas toujours bonne réputation, il se murmure que les plus grands artistes sont souvent les plus simples. Simples dans leurs rapports avec leurs admirateurs ou la presse bien évidemment (a contrario, on nous conte parfois que certains arrivistes prétentieux sont quant à eux simples d'esprit). Avec un grand sourire remontant jusqu'aux oreilles, c'est dans sa loge que Patrick Préjean nous a donné rendez-vous - après être venu nous chercher dans le hall du théâtre - pour évoquer sa carrière théâtrale et la pièce qu'il joue actuellement. En toute simplicité… Comme à son habitude, il manifeste une profonde générosité, porte un authentique respect à notre égard et se montre délicieux au cours de l'interview qui vous est transmise ci-après. Nous remercions Patrick Préjean pour s'être livré de bonne grâce au jeu des questions-réponses.

 

 

Interview de Patrick Préjean du mercredi 26 octobre 2011

pour Autour de Louis de Funès

 

- Patrick Préjean, vous avez joué dans plus de cent pièces de théâtre…

- (impressionné, établissant un rapide bilan) Je fais ce métier depuis plus de cinquante ans à présent, c'est hallucinant !

 

- Depuis le milieu des années 1960 vous êtes à l'affiche à chaque rentrée théâtrale, faut-il en conclure que le théâtre est votre exercice physique qui vous permet de rester en forme et en bonne santé ?

- Vous avez raison d'utiliser le mot "physique", car il correspond bien au métier de comédien en scène, d'autant plus que le rôle que je joue actuellement est particulièrement physique. Il s'agit probablement d'un des personnages plus durs à jouer de ma carrière. Je joue un chef de clan, à la fois patriarche et vieux cow boy délirant, dont le parcours et l'intensité sont presque aussi importants que celui de Cyrano de Bergerac, c'est vous dire ! Je serais aussi affûté si je faisais deux heures de sport en salle tous les jours (rires) ! Et puis il y a désormais le rapport âge - intensité du rôle qui fait que c'est parfois un petit peu plus difficile, car j'avais 13 ans de moins lorsque j'ai créé Cyrano.

 

- Vous évoquez avec beaucoup d'émotion ce rôle de Cyrano que vous avez joué ici même, au Ranelagh, en 1997, s'agit-il du plus beau rôle de votre carrière ?

- (convaincu) Ah oui, sans conteste, c'est un rôle d'exception, à la fois gigantesque, plein, émouvant et dense. Il fait vraiment appel à toute la palette des sentiments. Tout ce que vous vivez au cours de la journée peut être inclus le soir en scène tant il y a la place pour toute sorte de sentiments, du plus tendre au plus violent, ou du plus souriant au plus délirant.

 

- Parallèlement au théâtre, vous êtes sollicité pour le cinéma, la télévision et la synchro, ce qui vous constitue un emploi du temps chargé. Est-ce un rythme épuisant ou au contraire stimulant ?

- Les deux, à vrai dire. Je rencontre parfois des périodes de pics extrêmement fatigantes. J'en connais une actuellement, en tournant depuis le mois de mai trois épisodes de "Une Famille formidable", deux épisodes de "Ma Femme, ma fille, deux bébés" [dont le prochain a été diffusé le 15 novembre sur M6], tout en répétant la pièce. Je ne m'en plaints car j'ai la chance de beaucoup travailler, mais si les affaires pouvaient parfois s'ordonner un petit peu mieux, cela m'éviterait d'effrayantes cavalcades (rires) ! Aujourd'hui, on vous propose un projet très tardivement qui vous demande d'être rapidement prêt. Autrefois, les comédiens étaient prévenus confortablement trois à quatre mois avant un engagement. A présent, on m'appelle pour m'annoncer "salut Patrick, on tourne le mois prochain, es-tu libre ?" Lorsqu'il y a beaucoup de lignes de texte à apprendre rapidement, cela ne rend pas les choses faciles. A l'inverse, je connais aussi des périodes de repos qui pourraient être considérées comme de bonnes périodes mais qui, en réalité, ne sont pas si bonnes pour les comédiens car ils redoutent d'être oubliés par la profession et ne plus être appelés. J'ai longtemps connu cet état d'esprit, qui m'a depuis passé.

 

- Vous avez encore le temps de jouer à la pétanque ? [Nous avons appris que vous appréciez ce loisir et que vous jouiez aux boules à Saint-Tropez lors du tournage du "Gendarme et les Gendarmettes "]

- Oui bien sûr car, contrairement aux apparences, je vis ma carrière à un rythme assez effréné sans être un boulimique de travail. Je peux très bien prendre un mois de vacances, mais celles-ci seront meilleures si je sais que les contrats arriveront après (rires) !

 

Le Théâtre du Ranelagh où se joue "Du Vent dans les Branches de Sassafras"

 

- Vous êtes actuellement à l'affiche de "Du vent dans les branches de Sassafras" au théâtre du Ranelagh, pourquoi avoir accepté de reprendre le rôle célèbre de Michel Simon ?

- Tout d'abord pour le texte et la philosophie de René de Obaldia, qui est un grand humoriste et un grand auteur à l'œuvre considérable. C'est aussi le fait d'avoir été choisi par l'auteur, ce qui est très flatteur. De plus, Thomas Le Douarec est un metteur en scène de renom, très inventif, mais aussi délirant. C'est enfin l'envie de passer d'un style de théâtre à un autre. Je me réjouis de ma carrière caméléon car, depuis le képi du Gendarme, j'ai pu changer de couvre-chef à plusieurs reprises.

 

- Effectivement, au cours de votre carrière, vous avez alterné différents genres de théâtre en jouant du Feydeau, Guitry, Hadley Chase, mais aussi Joffo, Giraudoux, Baffie etc… Cela signifie-t-il que vous vous sentez à l'aise dans tous les genres ou, au contraire, que vous pressentez un nouveau défi à relever en acceptant une pièce que vous ne connaissez pas ?

- Oui il y a effectivement la notion de défi. Un acteur doit savoir tout jouer et pouvoir retirer quelque chose des rôles auxquels il s'est frotté. Le personnage que je joue a été créé par Michel Simon puis repris par Jean Marais. Le reprendre constitue un challenge qui m'excite un peu. Ce n'est pas moi qui peux dire si j'ai l'air à l'aise dans tous les rôles mais j'essaie d'en donner l'impression. Je ne le suis pas toujours forcément de la façon la plus exceptionnelle mais si je ne transmets pas cette sensation au public, c'est déjà formidable (rires) !

 

- Comment vous sentez-vous dans ce personnage de John-Emery, patriarche d'une famille de colons installés du Kentucky ?

- Je m'y sens comme un acteur qui a la possibilité d'exprimer une tonitruance et un délire. C'est un rôle de composition, d'autant plus que le personnage tel qu'il est écrit est un peu plus âgé que moi, alors j'essaie de le vieillir par le corps, le maquillage mais aussi [prenant la voix de son personnage] la voix à laquelle je donne un plus de grain. Je dois parfois reposer mes cordes vocales au cours de la représentation car, autrement, ma voix ne peut pas tenir pendant deux heures. Ce rôle m'amuse beaucoup, mais la pièce n'est pas uniquement un divertissement où l'on rit, ça va plus loin.

 

- Outre les fusillades et l'ambiance du saloon, vous chantez aussi sur scène, c'est un exercice qui n'est pas nouveau pour vous ?

- Non ce n'est pas nouveau, j'ai énormément chanté dans "Envoyez la musique" avec Annie Cordy ou dans "Signé Boris Vian". Et à mes débuts, j'ai fait des opérettes modernes signées Charles Aznavour ou Frédéric Dard, ainsi que des opérettes des années 1930 qui étaient de véritables chefs-d'œuvre. Ainsi, "Ta Bouche" au Théâtre Antoine avec Bernard Lavalette était un petit chef d'œuvre d'humour et de réflexion sur les êtres, la condition des gens.

 

L'affiche du spectacle

 

- "Du Vent dans les branches de Sassafras" n'est pas pour autant une comédie musicale…

- Non, le spectacle comprend quelques chansonnettes bien troussées et je finis le spectacle sur une chanson assez courte. Ajoutées à quelques ballets, cela donne un tout petit côté "comédie musicale" mais c'est avant tout une pièce de théâtre.

 

- Ressentiez-vous une pression supplémentaire lorsque votre prestation était filmée pour "Au théâtre ce soir" ?

- Oui car la captation pour la télévision d'une pièce - surtout comique - peut être assez traître pour un comédien. Dans une pièce drôle, si l'ambiance de la salle n'est pas très bonne, il manquera quelque chose aux acteurs. Et, lorsqu'on est filmé en gros plan, on risque d'en faire trop. A l'inverse, si on n'en fait pas assez, notre jeu peut aussi être au détriment de l'atmosphère générale. Ce n'est pas très rassurant car on se retrouve donc "le cul entre deux chaises". Il y a donc une option à choisir qui ne fera pas forcément plaisir à tout le monde. Invariablement, certains jugeront votre jeu trop expressif ou regretteront que votre prestation ait manqué d'âme.

 

- Les pièces de théâtre filmées ressortent aujourd'hui en DVD. Lorsque vous revoyez vos prestations théâtrales ou cinématographiques, quel jugement portez-vous à votre égard ?

- Je suis assez sévère. Je dois avouer que j'ai mis de longues années à accepter mon physique, ma voix, ainsi que mon jeu que j'ai peaufiné. Mais je vous rassure, ça va beaucoup mieux car je me suis bien soigné (rires) !

 

- D'autant plus que cette voix qui vous a contrarié est désormais un sacré outil de travail…

- Bien sûr, les gens me disent aujourd'hui que ma voix fait partie de mon identité. Je double des dessins animés, des films, des séries télévisées…

 

- Nous avons grandi avec Tigrou !

- (S'exclamant comme Tigrou) Ce personnage a une voix parfaite pour se chauffer la voix avant de jouer le soir. On peut constater si les aigus sont bien là ! Et pour le film "Les Aventures de Tigrou" de Disney, j'ai chanté sur la musique de Count Basie, ce qui a été le pied pour le malade de jazz que je suis !

 

- Vous avez vu Laurel et Hardy au théâtre de l'Empire, ce doit être un bon souvenir pour l'admirateur des burlesques américains que vous êtes…

- Je crois que c'est mon père, qui les a connus à Hollywood, qui me les avait présentés. J'en ai un souvenir assez confus mais il exact que je les admire, tout comme Charlie Chaplin, Harold Lloyd ou Buster Keaton. Par la suite, j'ai beaucoup aimé Jerry Lewis, Jack Lemmon etc… J'admire des comédiens de toutes les époques. Les burlesques américains en font partie mais je ne suis pas non plus un fondu des films en noir et blanc. A l'inverse, il existe des gens qui ne veulent plus entendre parler des "vieux films", ce qui n'est pas mon cas. Je trouve qu'il sort des choses intéressantes de chaque époque. Peut-être la façon de les faire aujourd'hui est-elle un peu plus mercantile, mais sans quoi il existe encore des artistes formidables.

 

 

 

- Quels conseils votre comédien de père vous a-t-il transmis pour votre profession ?

- Il m'a conseillé de beaucoup travailler et de ne pas m'engager dans cette voie si je n'étais pas vraiment passionné, avec cette envie de transmettre des émotions dramatiques ou comiques. Vous savez, il avait raison car je m'appelais Préjean et mon père me donnait l'exemple d'un homme pour qui les choses allaient bien. Donc, d'après lui, je ne devais pas entrer dans le métier si c'était pour le faire à moitié. Il s'agissait moins de conseils artistiques que de concepts de vie et de valeurs humaines. J'essaie de les intégrer dans ma vie quotidiennement. J'ai eu la chance d'avoir un vrai père, ce qui n'a pas été le cas pour tous les fils à papa de la profession.

 

- Quels souvenirs gardez-vous de cet exercice si particulier qu'est le recueil de souvenirs de votre père, confiées pour un livre ?

- J'en garde une communion très profonde entre nous, où nous avons abordé des points que nous n'avions jamais développés en privé auparavant. Je considère cette expérience comme une aventure en commun où il s'est confié sur son entourage, ses amis, ses femmes, ses angoisses, la Guerre etc… J'ai appris à connaître l'homme en tant qu'adulte alors que j'ai continué à l'aimer aussi fort comme un enfant vis-à-vis de son père.

 

- Quels sont vos projets professionnels ?

- Ils arrivent, mais sincèrement je vais prendre avec plaisir un peu de repos pendant les fêtes de fin d'année. J'arrive au terme de ce grand pic dont nous parlions tout à l'heure, débuté en mai. Ensuite, je reprendrai pour cinq soirs la pièce "Désolé pour la moquette" de Bertrand Blier. La représentation sera filmée pour la télévision au théâtre du gymnase de Marseille. C'est une pièce merveilleuse, écrite par un homme pour lequel j'ai une profonde admiration. Je trouve qu'elle a été conçue dix ans trop tôt, elle a été en avance sur son temps. Lorsque nous l'avions jouée avec ma complice Annie Duperey, des spectateurs ont montré qu'ils l'a trouvaient franchement géniale tandis que d'autres criaient "aux chiottes" et quittaient la salle en faisant claquer les dossiers de chaises puis les portes ! C'était exceptionnel, je me serais cru au XIXe siècle (rires) ! Et puis je retrouverai l'équipe de "Une Famille formidable" pour de nouveaux épisodes…

 

- Vous faites désormais partie de la famille !

- (ravi) Oui, depuis deux saisons. C'est très réjouissant car il règne une atmosphère à tout casser sur le plateau. Je retrouve ma grande copine Annie Duperey, ainsi que Bernard Le Coq.

 

Sous le portrait de son père bienveillant et des affiches témoignant de sa riche carrière, Patrick Préjean se livre une nouvelle fois au jeu des questions-réponses avec plaisir

 

- Une tournée en province ?

- Oui, une tournée pour cette pièce se dessine pour fin 2012 et 2013. Par la suite, je voudrais créer une pièce de Bernard Granger qui s'appelle "L'Amiral", pour laquelle j'ai eu un coup de cœur. C'est une pièce mettant en scène trois personnages qui, à mon avis, sont supers. C'est un projet qui se prépare à l'avance car il prend du temps, mais le metteur en scène est déjà trouvé, il s'agit de Xavier Lemaire, qui m'a déjà mis en scène dans un tout autre registre puisqu'il s'agissait de "Après l'incendie, Saint-Paul et Sénèque" [au théâtre Petit Hébertot en 2009]

 

- Dernière question, outre "Sans Cérémonie" avec votre père, avez-vous vu Louis de Funès au théâtre ?

- (Il réfléchit un instant puis, ébahi, se remémore) Oh oui bien sûr ! Ce génie comique du cinéma mondial qu'était de Funès m'a fait pleurer de rire dans "Oscar" avec cette scène incroyable du nez. Je me souviens aussi être sorti tirebouchonné du théâtre [des Variétés] lorsque je l'ai vu jouer "La Grosse Valse". Sa performance physique m'avait épaté. C'était hallucinant vous savez, car il n'arrêtait pas pendant près de deux heures ! Aussi bien dans cette pièce que dans ses films, de Funès était une pile électrique qui fonctionnait aux volts géniales (rires) ! Et son jeu dans cette pièce se complétait très bien avec celui de Robert Dhéry, tout en finesse, avec son œil un peu ahuri. Robert était quelqu'un de formidable et dont le jeu me plaisait beaucoup. J'ai eu la chance de connaître les Branquignols, et de travailler avec eux il y a une quinzaine ou une vingtaine d'années. A l'occasion des Molières, nous avions rejoué la célèbre scène des moines extraite des "Belles bacchantes" où nous tirions sur des câbles pour faire sonner les cloches. Il y avait Jacques Legras, Pierre Tornade, Jacques Balutin, Gérard Loussine et moi. Nous avions répété pendant près d'un mois et, le soir de la représentation, nous passions au-dessus de l'orchestre. Il ne fallait pas que l'un d'entre nous ne se plante, mais c'était vraiment extraordinaire !

 

 

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