Pierre HAUDEBOURG

 

AAAAIAA Pierre Haudebourg le confirme lui-même : "Ma carrière a été en dents de scie, j'ai toujours été trop impatient pour faire ce métier !" Jeune homme sorti du Cours Simon, Pierre Haudebourg se fait rapidement un nom dans le métier très fermé qu'est le théâtre. L'une de ses passerelles pour confirmer son statut est son engagement aux côtés de Louis de Funès pour la pièce d'Anouilh "La Valse des Toréadors" jouée à la Comédie des Champs Elysées à partir d'octobre 1973. Jeune homme discret, mince, ingenu, il est alors spécialisé dans les compositions d'hommes fragiles, parfois androgynes. Aujourd'hui, quarante ans après avoir exercé divers autres métiers en complément du théâtre (cinéma, peinture, architecture…) il est revenu à ses premières amours mais, plaisante t-il avec humour "surtout dans des compositions de vieux bourgeois notables types médecins ou avocats. Je suis plutôt satisfait de ma carrière, j'ai quelques déceptions bien sûr mais je regrette sans regretter car je suis toujours allé où j'avais envie d'être. Je peux donc être fier de ma filmographie."

AAAAIAA De ses moments passés sur les planches aux côtés de Louis de Funès, il ne garde que d'excellents souvenirs qu'il nous fait ici partager. Remercions donc chaleureusement cet homme charmant, toujours disponible et agréable qui nous livre ici un témoignage inédit sur une pièce encore mal connue dans la carrière du comique préféré des français.

 

Micheline Bourday, Sabine Azéma, Marianne Pernety, Louis de Funès et Pierre Haudebourg dans "La Valse des Toréadors" aux Champs-Elysées, 1973-1974 (collection privée).

 

Interview de M. Pierre HAUDEBOURG du 28 septembre 2012 par Franck et Jérôme

 

- M. Haudebourg, pouvez-vous nous raconter votre engagement pour la pièce de Jean Anouilh "La Valse des Toréadors" aux côtés de Louis de Funès ?

- J'étais un jeune acteur qui sortait du Cours Simon. Je jouais alors dans une pièce consacrée à Sarah Bernhardt qui fonctionnait très bien. Nous tournions dans le monde entier et nous étions en Italie lorsque je reçus un appel d'un ami qui me dit qu'il sortait du théâtre des Champs Elysées où il avait rencontré Jean Anouilh. Ce dernier cherchait le personnage de Gaston depuis des mois mais ne parvenait pas à le trouver. Par téléphone il me décrit le personnage, grand, mince, fragile et ingénu et me dit que j'étais le personnage. J'ai alors téléphoné à l'administrateur du théâtre en demandant à voir Anouilh, totalement au culot et à l'audace, en lui disant "Je suis le personnage de la pièce", ce qui le fit beaucoup rire. On me proposa de me présenter le lendemain à 17 heures au théâtre pour une audition. A mon arrivée, je vis Jean Anouilh qui discutait avec un jeune homme très élégant mais je compris rapidement qu'il lui expliquait que lui non plus n'était pas le personnage. Il me vit alors et s'approcha de moi en fumant ses gitanes. Il me dit "vous, vous êtes le personnage." Il m'a demandé si je connaissais la pièce ce à quoi je répondis oui. Sa réponse ne se fit pas attendre "Ne mentez pas, vous êtes trop jeune pour la connaître !". A vrai dire je connaissais quand même un petit peu l'univers d'Anouilh puisque j'avais joué certaines de ses pièces au cours notamment "Le voyageur sans bagage" mais Anouilh ayant écrit tellement d'œuvres diverses, je ne connaissais pas le style de "La Valse des Toréadors". Il demanda de la lumière et me proposa de monter sur scène pour lire quelques extraits. J'étais totalement paniqué en arrivant face à lui et durant un quart d'heure environ je me suis exécuté. Je l'entendais rire... Au bout d'un moment il me stoppa : "C'est épatant, vous allez le faire". Par la suite, j'ai poursuivi ma tournée avec la troupe de Sarah Bernhardt et durant ce laps de temps, l'administration du théâtre appela sans cesse mes parents pour leur dire que leur fils ne devait surtout pas prendre d'engagement ailleurs. En définitive cela a été très facile puisque la seconde fois où je suis retourné au théâtre ce fut pour signer mon engagement, cela devait être aux environs du 15 mai [nldr : 1973] et les répétitions débutaient dès septembre.

 

- Savoir que Louis de Funès est la vedette de la pièce est à la fois source d'angoisse et de motivation ?

- Oui tout à fait. J'ai énormément travaillé durant ces quelques mois afin qu'il ne soit pas déçu lorsque nous débuterions les répétitions. Je suis arrivé en connaissant mon texte au rasoir. Louis l'avait d'ailleurs demandé. Il n'avait pu assister au casting car il était retenu sur le tournage des "Aventures de Rabbi Jacob" mais avait demandé que tout le monde connaisse ses répliques. Et curieusement, le tournage de son film ayant pris du retard, il arriva en ne connaissant aucune ligne de la pièce. Cela m'a d'ailleurs étonné car je pensais alors le voir donné toute sa puissance comique dès les premières répétitions et je ne vis qu'un homme se confondant en excuses car il n'avait pu apprendre son texte. C'était assez exceptionnel.

 

- Est-ce une pièce complexe à jouer ?

- En réalité non car elle est tellement bien écrite que tout se passe facilement. D'ailleurs cela freina un peu Louis, il ne pouvait improviser que visuellement, sur ses gestes et ses expressions, mais ne pouvait pas dévier du texte et cela le dérangeait comme il me l'expliquait lorsque nous en parlions. Je le revois me dire "On ne peut pas changer une virgule." D'ailleurs Anouilh replaçait Louis dans le fil directeur de la pièce lorsqu'il essayait d'improviser. Il défendait sa pièce, c'était parfaitement normal et il acceptait toutes les improvisations gestuelles de Louis. Il était de toute manière conscient qu'en choisissant un tel artiste il était obligé de le laisser s'exprimer. Me concernant j'avais étudié la pièce qui était annotée comme étant une farce et lors des premiers essais Anouilh me dit que j'en faisais un peu trop et que nous allions gommer certaines petites choses.

 

- Dès le début du travail comment percevez-vous l'ambiance de la troupe ?

- Honnêtement elle n'était pas excellente. Je pense que Louis a été certainement déçu de la d'une partie de la distribution, puisqu'en raison du tournage de Rabbi Jacob, il en a laissé le choix à jean Anouilh. Cela concernait surtout Luce Garcia Ville sa femme dans la pièce qui était une tragédienne et jouait donc dans une dimension avec laquelle Louis n'était pas forcément à l'aise. Il avait d'ailleurs du mal lors du quatrième acte qui était celui des règlements de comptes et qu'il trouvait dur à jouer car la dimension tragique ne l'intéressait pas. Il essayait donc de détourner cet acte vers le comique et forcément cela ne plaisait pas à Luce Garcia-ville. Il me faisait beaucoup rire lorsqu'il tournait carrément les cadres accrochés aux murs, qui étaient des portraits, afin qu'ils n'entendent pas ce qu'elle disait. Anouilh ne chercha pas à le freiner et je pense qu'il était même d'accord avec lui. De ce fait, les relations entre les deux acteurs n'étaient pas très bonnes mais il n'y a jamais eu de clash. Il ne faut pas non plus oublier que Louis était une vedette et que lorsque la pièce était finie il rentrait directement chez lui, il ne restait jamais avec nous. Nous manquions donc d'un leader pour que se développe une véritable camaraderie. Il était comme cela, c'était son caractère et on ne peut pas lui reprocher.

 

- Quelles furent vos relations personnelles avec Louis de Funès ?

- Il a tout de suite été très charmant avec moi. Beaucoup m'avaient dit qu'il allait tout prendre et tirer la couverture à lui et bien non, il m'a toujours laissé jouer sans jamais me freiner. Je me rappelle qu'il était très fatigué lorsque nous avions débuté la pièce et qu'il venait me prévenir "Attention Pierre, je risque d'avoir des trous de mémoire. Si cela arrive, ne faites pas comme les mauvais comédiens qui essayent de dire la réplique avec la main sur la bouche mais jouez le franchement en disant "Mon général, vous deviez me dire que…" et effectivement le soir de la première il avait totalement le trac et il dérapa plusieurs fois. Je suis certain qu'il avait une grande estime pour moi ; Il me l'a exprimé à plusieurs reprises. Après la pièce et son accident cardiaque nous avons correspondus jusqu'à son décès.

 

- Avez-vous eu des difficultés face à lui ?

- Pas du tout. Tout s'est très bien passé. Je sais qu'il m'appréciait vraiment et j'ai pu le constater souvent. Un jour, alors que j'étais en coulisses, je discutais avec Gabriel Gobin de pêche à la ligne et j'ai complètement oublié de rentrer en scène. M'en apercevant tardivement, alors que Louis meublait sur scène, j'ai trouvé le moment opportun pour rentrer à mon tour. De Funès a tourné la situation de façon comique "Ah vous voilà enfin…". Nous finissons la pièce, nous saluons et j'étais mort de peur à l'idée de ce qu'il allait me dire. Dans l'ascenseur en montant aux loges, je me confonds en excuses et il me dit "Bon ce n'est pas si grave et puis j'aime mieux ça que certains acteurs qui dorment sur scène. Ah et en plus vous parliez de pêche à la ligne, très bien, c'est une bonne excuse" et tout fut oublié, il ne m'en avait pas tenu rigueur. Plus tard dans une lettre il me toucha en m'écrivant "les scènes avec vous me reposaient". Selon lui, j'occupais bien la scène donc il pouvait se reposer un peu. Il aimait aussi beaucoup Sabine Azéma .

 


Louis de Funès parle de son actualité : "La Valse des Toréadors" et "Les Aventures de Rabbi Jacob"

 

- Dans quel état d'esprit avez-vous préparé votre rôle ?

- Au début Jean Anouilh ne me donnait aucune indication de jeu. J'étais inquietl alors je lui demandais si cela allait. Je me rendis compte qu'il était comme Alfred Hitchcock dans sa façon d'aborder les acteurs. Il me répondait que s'il m'avait choisi c'est que j'étais le personnage et il me le disait : "Pierre je vous ai engagé car vous êtes bon, donc ne vous inquiétez pas c'est parfait." Travailler avec De Funès fût une expérience incroyable. Il m'a appris la rigueur et la mécanique du rire. Le timing d'un gag était très important, je me rendis compte que c'était au centième de seconde près. Je pensais être champion concernant le stress avant une pièce et très étonnamment, malgré son statut, Louis était pire que nous. Je le voyais dans un coin du décor où nous discutions et je sentais son angoisse. Il me disait "Est ce que je suis drôle ? Vous êtes sur ?" C'était incroyable. Il prenait toujours le temps de me donner des petits conseils "Pierre ne tournez rien dans la journée, venez au théâtre très tôt pour vous reposer. Vous devez arriver avec tout votre potentiel et toutes vos forces." Il avait l'habitude de manger du Banania et il en rigolait "Si les dirigeants de Banania savaient que Louis de Funès en mange autant, ils auraient droit à une sacrée pub !" Nous nous entendions vraiment très bien et lors du final de la pièce je devais lui tomber dans les bras, j'en faisais une tonne en lui tombant dessus et il me frappait. Parfois même nous dansions ! Ce sont d'excellents souvenirs il a vraiment été très gentil, charmant avec moi. I La dernière scène, très courte, devait être un moment d'intense d'émotion où Louis, avec une certaine mélancolie devait dire des choses très belles, très émouvantes, merveilleusement écrites par Anouilh. Lors des répétitions, quand il acheva ses répliques et que la lumière revint, je vous assure que tous nous avions les larmes aux yeux tellement il fut bouleversant mais il se reprit en disant "Rassurez-vous, nous la jouerons de façon comique". Il ne souhaitait pas verser dans la tristesse et l'émotion et pourtant il y était formidable. Je repense souvent à cet instant et je me dis quel dommage de ne pas l'avoir connu sous cette facette-là ! Il aurait été fantastique !

 

- Et que pouvez-vous nous dire de l'homme hors représentation ?

- Ce qui m'a le plus frappé chez lui, c'est ce mélange de naïveté et de grande conscience sur les gens. Il connaissait très bien les sentiments humains et des fois il me regardait en disant "Pierre, je sais ce que vous pensez, je connais tellement les hommes !". Et parfois il était un vrai enfant, il disait les choses avec spontanéité, très naïvement et je trouvais ça formidable. J'étais véritablement fasciné par cet homme. Il faisait tout avec une sincérité incroyable. Il y avait une telle conviction chez lui, surtout lorsqu'il jouait. Il y a d'ailleurs laissé sa santé. Je me rappelle qu'il devait faire semblant d'attrapper sur le mur du décor un sabre de cavalerie pour se battre avec moi. Il le faisait tellement fort qu'il faisait tomber les boulons et que des techniciens devaient être derrière pour retenir le décor. Le décorateur était d'ailleurs paniqué chaque soir ! Il détestait les générales où tout le gratin parisien arrivait pour le voir jouer. Il ne voulait surtout pas savoir qui était dans la salle. Je me rappelle qu'un soir, Gérard Oury et Michèle Morgan arrivèrent dans la salle. Le public les voyant, ils furent ovationnés d'applaudissements. Louis entendit et demanda immédiatement ce qui se passait. Nous devions toujours trouver une excuse afin qu'il ne s'inquiète pas. Nous lui disions alors que des jeunes étaient un peu trop virulents et faisaient du bruit alors il repartait en marmonnant "ils sont emmerdants ces jeunes", mais il avait une explication, bonne ou mauvaise je pense qu'il s'en moquait et voulait juste être rassuré même si l'on mentait. De même qu'il ne supportait pas qu'on vienne le voir dans sa loge avant le spectacle. Il a d'ailleurs viré Robert Hossein qui était venu l'encourager (rires) ! Lors de la première de gala d'Oscar il avait tellement eu le trac qu'il avait commencé par le mauvais acte. Il était totalement déconcentré car il avait fallu attendre plusieurs personnalités qui avaient du retard. Cela l'agaçait profondément c'est pourquoi il ne voulait pas de première mondaine pour cette pièce. Il disait "Tout le monde paie sa place". Je pense qu'il devait garder une petite rancœur à certains producteurs ou metteurs en scène qui seraient venus l'applaudir gratuitement alors que quelques années avant ils n'avaient pas daigné l'employer. Il fuyait aussi le public, la foule, il n'était pas rassuré. En règle générale, il faisait fermer les portes du théâtre et sortait avant le public. Il mettait alors un passe montagne et des lunettes de soleil, ce qui me faisait beaucoup rire car il était tout sauf discret, et je le voyais partir au volant de sa petite voiture. Mais un jour, il a été retenu dans le théâtre et nous sortîmes alors que le public était déjà dehors. Nous fûmes encerclés très rapidement et tout le monde se collait à nous, c'était très impressionnant. Louis le vivait mal car les gens lui disaient "Vas-y Louis encore un grimace" et lui tapait dans le dos, c'est pour cela qu'il refusait le contact avec le public. Durant trois quarts d'heures nous avons faillis être étouffés et la police a dû intervenir. Beaucoup de gens le disaient radin. Je ne sais pas si c'est exact mais à deux reprises il me fit sourire. Lorsqu'il fut invité sur le plateau télé de Zitrone, il me prit avec lui et, une fois monté dans le taxi, il me dit "je vais lui faire un chèque car avec ma signature il ne l'encaissera pas, c'est toujours ça de gagner" (rires). Pour le jour de l'an, la tradition voulait que la vedette offre un pot. Louis vint me voir et me demanda "Nous sommes beaucoup non ? Combien 11 ? Et les techniciens en plus ? Mais cela fait combien de personnes ? Et que faut-il amener ? Du champagne ? Combien ? Deux bouteilles ? " Je lui dis "Non Louis au moins une demi-bouteille par personne". Comme un enfant il resta stupéfait "Quoi ? Mais ce sont des ivrognes !" Et à la réception il n'y avait que les bouteilles de champagne, il n'avait pas acheté de petits fours alors un des techniciens, qui ne se gênaient pas pour dire ce qu'ils pensaient, cria tout fort "Le champagne est bon, il va très bien avec les toasts". Louis était furieux et la semaine d'après il y eut un autre pot avec champagne et petits fours ! (rires) ! La veille de ses problèmes de cœur, ll m'a dit qu'il avait profité de notre jour de relâche pour repiquer les pommes de terres dans son jardin. Il me dit qu'il était très fatigué et me fit voir son bras. Il avait un gros bleu dessus et cela m'a inquiété car il s'agit d'un des signes de l'infarctus. Il faut dire que sur scène il devait changer de costume à chaque acte tellement il transpirait. Il me disait qu'il perdait deux kilos tous les soirs ! Tous ses efforts il les payait, il mettait sa vie en danger. Il a d'ailleurs vu ce jour là son cardiologue qui lui a conseillé de jouer doucement Il a donc joué certaines scènes moins violemment et il fut étonné et enchanté de voir que cela fonctionnait aussi bien. Il a fait une attaque le lendemain et lorsque que je suis arrivé au théâtre pour jouer on m'a dit que Louis avait été hospitalisé à l'hôpital Necker. Nous avons dûs arrêter la pièce qui devait continuer jusqu'à trois cents représentations au moins. Nous n'en avons fait que 198 et nous devions prochainement fêter la 200ème. La première représentation était le 19 octobre 1973, et nous avons arrêté suite à l'accident de santé de Louis aux alentours du 10 avril 1974.

 

- Aviez-vous la possibilité de pouvoir apporter des gags, des petites indications ou modifications ?

- Non. Nous étions véritablement tenus au canevas que Jean Anouilh avait fixé. La pièce était tellement bien écrite que tout se jouait avec une extrême précision. Louis était d'ailleurs un peu emprisonné dans cette pièce. Je crois qu'au fond de lui, même si le challenge l'intéressait, il regrettait d'avoir accepté. Il voulait prouver à certaines personnes qu'il pouvait jouer autre chose.

 

- Quelles étaient les relations entre Louis de Funès et Jean Anouilh ?

- Elles étaient très cordiales Aux répétitions il n'y a pas eu de clash. Il est vrai qu'Anouilh freinait souvent Louis lorsqu'il sortait un peu trop de l'esprit de la pièce, cela l'énervait un peu. Mais Louis était de toute manière toujours très angoissé, on ne pouvait pas le changer.

 

- Quelles furent les critiques de la presse après les premières représentations ?

- Elles furent très bonnes, je n'ai pas le souvenir d'un mauvais papier. Tout le monde a salué la performance de Louis qui en a étonné beaucoup. Je fus aussi content d'avoir quelques belles lignes me concernant.

 

- Cette pièce fut-elle un tremplin pour votre carrière ?

- Je pensais qu'elle le serait mais paradoxalement non au final. Michel Bouquet m'avait dit "Accepte. Un rôle pareil ne se refuse pas et cela va être formidable pour ta carrière" mais je me suis vite rendu compte que ce n'était pas si évident que ça. Comme je vous l'ai dit précédemment, à cause des mauvais souvenirs d'Oscar, Louis voulait que tout le monde paie sa place et il nous était donc impossible de pouvoir inviter un producteur ou un réalisateur. Un jour, j'étais dans la queue pour acheter un billet pour un réalisateur qui souhaitait me voir et en me retournant je m'aperçus qu'Anouilh lui-même était derrière moi et attendait aussi pour acheter un billet ! Nous en avons beaucoup ri tellement la situation était aberrante ! Par la suite j'ai d'ailleurs raté un rôle avec Jean Gabin car l'entente n'avait pas été bonne entre eux. Les producteurs proposèrent plusieurs personnes à Jean Gabin pour un rôle dont moi. J'avais fourni un book avec des photos de la pièce. Jean Gabin les aperçu et dit "Il a joué avec De Funès ? Alors je n'en veux pas, c'est un con !"

 

- Y a-t-il eu des projets avec Louis par la suite ?

- Oui il m'avait promis de me faire tourner et il a tenu parole puisqu'à plusieurs reprises il me proposa des rôles mais rien n'a abouti hélas. La première fois, ce fut pour un rôle dans "Le Gendarme et les extra-terrestres" pour lequel il me convoqua à son bureau. Il me présenta Christian Fechner puis il me parla de tout sauf du rôle. Il m'a demandé des nouvelles de ma famille, de ma carrière et au final me dit : "Merci beaucoup d'être venu cela m'a fait très plaisir de vous revoir". En sortant, ne comprenant pas pourquoi rien ne m'avait été proposé, je demandais à la secrétaire qui m'expliqua "Louis vous voulait pour le rôle mais il s'est trompé sur la couleur de vos yeux et ils n'iront pas pour les éclairages avec les effets spéciaux." Il était tellement timide qu'il n'avait pas osé me le dire. Par la suite il me proposa aussi le rôle de Valère mais finalement cela n'a pu aboutir. Je me souviens aussi être allé le voir sur le plateau de "L'aile ou la cuisse" à Boulogne lorsqu'il revenait de convalescence.

 

- Aujourd'hui quel regard portez-vous sur votre carrière ?

- Je suis plutôt satisfait des rôles que j'ai interprètés. J'ai eu la chance de ne jamais faire de films alimentaires. Bien sûr j'ai raté de très beaux rôles mais je regrette sans regretter. Je n'ai pas ce besoin de vivre absolument pour le théâtre et cinéma, je ne suis pas malheureux si je ne monte pas sur scène. Je me suis tourné vers la peinture, l'architecture et diverses activités qui m'ont permis de gagner ma vie. Aujourd'hui j'écris parfois et je joue encore quelques rôles lorsqu'ils sont intéressants. Je suis en définitive quelqu'un d'assez solitaire, je fuyais les mondanités du cinéma et toutes les petites manies des uns et des autres pour se vendre et durer dans le métier. Je ne regrette pas car mon tempérament est comme cela ! René Simon me disait d'ailleurs "Malgré toutes tes possibilités tu es beaucoup trop impatient". Il avait raison, une carrière ne se construit pas uniquement sur le talent mais sur la persévérance, la pugnacité et les réseaux. Ma carrière a donc été en dents de scie mais j'assume complètement ce que j'ai fait.

 

La Provence, 27 janvier 2003 (collection privée)

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