Michel LARIVIERE

 

Atydgdgq Discuter avec Michel Larivière, c'est approcher successivement le théâtre, la télévision, l'écriture,. C'est aborder des questions diverses, qui n'ont parfois aucun rapport avec Louis de Funès, qu'il a pourtant bien connu, puisqu'il a joué avec lui « Oscar » au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, en 1961. Il y tenait le rôle d'Oscar, le chauffeur de Bertrand Barnier (Louis de Funès) et l'amant de sa fille. C'est pour évoquer ces trois années passées à jouer tous les soirs avec Louis de Funès, que nous avons pris contact avec Michel Larivière Mais notre discussion ne se borne pas à ses souvenirs théâtraux, elle bifurque subrepticement vers la suite de sa carrière et son goût pour la recherche historique et l'écriture.

Atydgdgq Avant de jouer « Oscar », il a été reçu au Conservatoire, et passe trois années comme stagiaire à la Comédie-Française, où on le prévient parfois la veille ce qu'il doit jouer. Un jour de 1958, le metteur en scène Jacques Charon lui a demandé de jouer « Octave » des Fourberies de Scapin avec Robert Hirsch « au pied levé » car le titulaire du rôle…. s'était cassé la jambe. Bien qu'il soit lauréat au Concours de sortie du Conservatoire, l'aventure dans la prestigieuse institution ne se poursuivra pas. « Au Français, il y a des clans et je n'étais pas dans le bon », reconnaît-il.

Atydgdgq En 1964, Michel Larivière réussit un concours d'administration et entre à l'O.R.T.F. Homme de théâtre avant tout, il s'étonne alors que des pièces ne soient pas diffusées. « Je m'en suis occupé, je suis allé voir l'administrateur de la Comédie-Française qui s'était montré intéressé ». Au terme de discussions avec la direction le projet n'aboutit pas. « Les syndicats se sont opposés complètement à ce qu'on filme les pièces pour la télévision, je n'ai pas su leurs raisons ». Il faudra attendre des années avant que ne soient reprogrammées des pièces jouées en direct, comme à l'époque d' « Au théâtre ce soir ». En 1974, le Président Giscard d'Estaing veut assouplir la mainmise de l'Etat sur les médias en faisant éclater l'ORTF en plusieurs société :TF1, Antenne 2, FR3, Radio-France, INA? les Buttes-Chaumont. Michel Larivière ironise d'ailleurs sur ce sujet : «. Imaginez ce que cela a pu coûter, car chaque nouvelle chaîne séparée a dû créer ses propres services de production, son propre secrétariat, son propre service d'accueil des textes, soit autant de dépenses de plus pour l'administration et autant de moins pour la production. A l'époque, on a cassé l'ORTF car on a jugé que c'était une trop grosse machine, et que fait-on aujourd'hui ? On a recréé l'ORTF avec le groupe France Télévisions qui comprend France 2, France 3 et d'autres chaînes rassemblant le service public. On reconstruit ce qu'on avait cassé !!! ».

Atydgdgq Depuis 1975, cet « écrivain d'Histoire », comme il se définit, est l'auteur de six ouvrages sur l'histoire de l'homosexualité. Le dernier, paru en avril « Les Amours Masculines de nos Grands Hommes » est sujet à controverses. « Les Historiens sont très frileux là-dessus, pour ne pas dire quelques fois homophobes », poursuit-il. Il est pourtant un auteur reconnu, car Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au CNRS, lui a demandé d'écrire quatorze biographies dans le très sérieux « Dictionnaire des sexualités » paru chez Robert Laffont. Ainsi, Michel Larivière poursuit sa carrière d'écrivain et aujourd'hui, il prend un instant pour remonter le temps avec nous. Ces années 1960-1961 correspondent précisément au début de sa carrière sur le Boulevard. Un grand merci à lui de nous avoir confié ses souvenirs.

 

Interview de M. Michel LARIVIERE du 25 juillet 2014 par Franck et Jérôme

 

- Monsieur Larivière, pouvez-vous nous expliquer comment vous êtes devenu comédien et comment vous avez été engagé dans « Oscar » ?

- J'étais au conservatoire et j'ai été lauréat du concours de sortie en passant une scène d' «Oscar » en juillet 1960. La pièce avait été créée quelques années avant par Pierre Mondy et Jean-Paul Belmondo. Le metteur en scène Jacques Mauclair, qui savait que j'avais été récompensé dans « Oscar » au concours de sortie du conservatoire, a fait appel à moi pour jouer à la Porte-Saint-Martin.

 

- Il s'agit donc de votre première pièce sur le Boulevard. Quel contact avez vous eu avec Louis de Funès ?

- Je garde un souvenir vraiment délicieux de cet homme charmant, d'une grande gentillesse. Avec toute la troupe, il avait un contact direct, simple, car il ne jouait absolument pas à la star. S'il avait voulu, il aurait pu se montrer plus distant car, pour lui, il y a eu un « avant Oscar » et un « après ». Avant, il avait joué de nombreuses silhouettes, il était valet de chambre chez Sacha Guitry dans « La Vie d'un honnête homme » (1952), ou braconnier dans un film d'Yves Robert « Ni, vu, ni Connu » (1957). Le public avait découvert un comique extraordinaire – et surtout un mime – dans "Ah ! Les Belles Bacchantes" de Robert Dhéry. Mais dans « Oscar », le succès a été fabuleux, fou même. C'était une idée de génie du producteur Jean-Jacques Vital de miser sur de Funès en disant « Je vais en faire une star ». La pièce a été un succès et les critiques n'ont parlé que de Louis. Par exemple, dans « Le Figaro », la critique de Jean-Jacques Gautier était uniquement composée d'adjectifs qualifiant de Funès « formidable », « extraordinaire », « irrésistible », « un vrai clown ». sans un seul mot à propos de tous les autres comédiens ! (rires).

 

- Vous gardez donc le souvenir d'une personne accessible.

- Oui, la troupe ne l'appelait pas Monsieur mais Louis. Il était très simple mais aussi anxieux. Certains soirs, il est arrivé que le public soit moins nombreux dans la salle et « moins bon » – comme disent les comédiens – alors que la représentation de la veille avait été un triomphe. Dès que le public ne réagissait pas assez vite à ses mimiques, c'était tout de suite la panique, Louis de Funès disait en coulisses « ils sont durs ce soir » et alors il en rajoutait une couche, il forçait jusqu'à ce que le rire se déclanche.. Il sortait de scène en eau, complètement en transpiration, c'était ahurissant. Il buvait à même une bouteille d'un litre d'eau, l'équilavent de ce qu'il avait transpiré ! Il changeait non seulement de chemise, mais aussi de veste ! Il possédait plusieurs costumes identiques pour être raccord. Quand j'y repense aujourd'hui, je comprends qu'il soit mort d'une crise cardiaque car c'était de la folie tant il se donnait à fond.

 

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A gauche, le metteur en scène Jacques Mauclair. A droite, le producteur Jean-Jacques Vital. Dans une interview accordée à Charlie-Hebdo, Patrick de Funès complète le témoignage de Michel Larivière : "Je dois préciser que c'est d'abord le producteur Vital qui a eu l'idée de reprendre "Oscar" au théâtre de la Porte-Saint-Martin." (source : Charlie Hebdo, 6 août 2014, p.07)

 

- Parliez-vous d'autre chose que de théâtre ?

- Il me parlait de petites choses de la vie quotidienne ou de ses habitudes, comme une fois où il me déclare : « moi je me lève tous les matins à 7 heures, je prends mon café, et je me rendors jusqu'à midi » ! (rires). Le café, ce n'était peut-être pas ce qu'il y avait de mieux pour le nerveux qu'il était !

 

- La pièce débute en janvier 1961. Combien de temps avez-vous joué ?

- J'ai joué deux ans et demi ou trois ans, avant de quitter la pièce, car j'avais réussi un concours d'entrée dans l'administration de l'O.R.T.F. Pendant toute cette période, l'ambiance avec toute la troupe a été très bonne. Tout en jouant le soir, de Funès tournait dans la journée. Dès le début de la pièce, il a tourné avec Marais [ndlr : dans « Le Capitaine Fracasse »]. Je me rappelle d'une réflexion un peu amère qu'il m'a faite à propos de ce film : « oh vous savez ce qui compte pour le producteur c'est Marais, moi j'ai un petit rôle, il faut que je me débrouille pour trouver un créneau et qu'on me voie. ». Il tournait aux environs de Paris et il était inquiet d'être à l'heure pour jouer au théâtre. Il m'a dit qu'il avait prévenu l'équipe : « je vous préviens, j'arrête de travailler à six heures, car ce qui est important pour moi, c'est ma pièce et je ne veux pas être en retard au théâtre. » Un peu après, il a joué dans « La Belle américaine », de Robert Dhéry. Ce film, qui a bien marché à l'époque, a été pour lui un début de succès au cinéma, car son rôle était déjà plus important, bien qu'il ne soit pas encore la star qu'il deviendra avec les films de Gérard Oury.

 

- Guy Bertil nous a raconté que la pièce n'a pas marché à ses débuts jusqu'à la présence dans le public du Shah d'Iran, vous confirmez ?

- Oh je ne pense pas qu'on puisse dire cela. La pièce a bien marché dès le début, notamment grâce à la bonne critique de Gautier du Figaro. A une époque où les critiques à la télévision n'existaient pas, la presse avait un rôle très important. Gautier était redouté car de sa critique dépendait le succès ou l'échec d'une pièce. Bien sûr, je me rappelle la visite du Shah d'Iran et Louis en avait été très flatté. En revanche, une certaine presse s'était montrée étonnée de ce choix : non, la place du Shah d'Iran était à l'Opéra ou à la Comédie française, pas à une pièce de boulevard, c'était indigne d'une personne de son rang ! Ce commentaire était vraiment ridicule.

 

- Au fil des représentations, de Funès a eu des trouvailles fantastiques, notamment cette représentation visuelle du nez qui s'allonge et qu'il noue. Mais improvisait-il beaucoup sur le texte ?

- Effectivement, il pouvait rajouter du texte., mais surtout des gags visuels. D'ailleurs, quand il est tombé malade pendant huit jours environ, le comédien qui l'a remplacé nous a prévenu « moi je joue tout le texte de l'auteur ! », sous entendant qu'il se refusait à toute improvisation. De Funès avait créé un jeu de scène avec son nez, un gag qu'il développait et augmentait sans cesse. Il a commencé avec le nez qu'il tire et qui devient si long qu'il le descend jusqu'aux genoux. Ensuite il a inventé le nez long qu'il coupe en mimant une paire de ciseaux, puis un avion bombardant des boutons qui explosent comme des bombes sur sa figure …et ainsi de suite. Lorsqu'il a tourné le film d'Edouard Molinaro, il a repris pratiquement tous les gags qu'il avait inventé au théâtre.

 

- Quels souvenirs gardez-vous de l'auteur Claude Magnier que vous évoquiez à l'instant ?

- Avant « Oscar », il n'était pas un auteur très connu, ses précédentes pièces avaient obtenu des succès moyens, cette pièce est devenue le triomphe de sa carrière. Je me rappelle que, pour la centième ou la deux-centième représentation, Magnier avait organisé une grande fête chez lui avec son épouse la comédienne Claude Larue. Madame de Funès n'avait pas voulu venir et Louis était venu seul. Nous passions une agréable soirée, à manger, à rigoler et à danser lorsque Madame de Funès appelle son mari au téléphone. J'entends qu'il l'envoie sur les roses : « tu m'embêtes ! Oui, oui, j'ai compris, je vais rentrer ! ». Mais à minuit et demi, Louis était toujours là. Alors, Madame de Funès est venu chercher son mari. A son arrivée, elle le sermonne : « mais enfin Louis, il faut rentrer, tu es déjà saoul, tu vas être fatigué pour jouer demain » etc... Et là commence une véritable scène de ménage (rires). Je revois Mario David qui intervient alors auprès de Madame de Funès, qui la prend dans ses bras et qui lui dit « mais non Madame, laissez Louis s'amuser, et moi je vais vous faire danser ».

 

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A gauche, l'auteur Claude Magnier ; à droite, le comédien Mario David.

 

- Vous avez un peu connu la famille de Louis de Funès ?

- Jeanne de Funès surveillait son mari, elle assistait très souvent aux représentations. J'ai connu un peu son fils Olivier, que son père amenait parfois au théâtre et qui était un jeune homme très bien, très gentil. Un jour, je lui dis « Louis, vous avez fait un très joli garçon ». En se frottant l’œil comme dans ses films, il fait mine de me raconter : « ah oui c'était un beau soir... » (rires)

 

- Une scène captée, avec Denise Provence, Odile Poisson et Guy Bertil, a déjà été utilisée dans plusieurs documentaires sur Louis de Funès. Savez-vous si la totalité de la pièce a été filmée ?

- J'en doute car ces captations intégrales ne se faisaient pas à cette époque. Il arrivait parfois qu'une scène soit captée pour des émissions hebdomadaires spécialisées comme « Place au Théâtre » qui en diffusaient quelques extraits. D'ailleurs, une des premières personnes à faire ces captations a été mon amie du conservatoire Myriam de Colombi, directrice du théâtre Montparnasse. Il y a vingt ou vingt-cinq ans, le fils de son second époux, Monsieur Vilgrain, a créé une société qui captait toutes les pièces jouées au Montparnasse mais aussi des pièces de boulevard, pour les vendre en DVD, ou à un abonnement TV de chaîne payante.

 

- Un peu plus tôt avaient déjà lieu les retransmissions avec « Au Théâtre ce soir »...

- C'est autre chose, ces pièces étaient répétées, jouées et diffusées en direct du Théatre Marigny. C'était un concept original, qui a eu beaucoup de succès. Quelques unes de ces pièces ont été captées et transformées en DVD.

 

L'affiche et un extrait de la pièce "Oscar" en 1961.

 

- Avez-vous revu Louis de Funès par la suite ?

- Oui, on s'est retrouvé un peu plus tard à Deauville, où il avait loué une villa pour des vacances en famille. En bavardant sur la plage,, je lui ai raconté que je revenais d'un voyage en Grèce et il m'a posé des questions à ce sujet. Il n'avait pas encore beaucoup voyagé et n'avait pas une grande culture mais il était curieux et intéressé par tout. Il écoutait ce que je lui disais sur la découverte de l'Acropole. Avec enthousiasme, il disait « il faut que j'aille voir ça, je ne connais pas la Grèce » etc... Dans les rues de Deauville, j'ai remarqué qu'il était de nature timide. Quand il marchait sur le trottoir, les gens le reconnaissaient et il baissait la tête et regardait pour ne pas croiser leur regard, pour qu'on ne lui demande pas d'autographes. Autant il était ravi d'être sur scène, il n'aimait pas être sollicité dans la rue.

 

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