Marianne PERNETY

 

AAAAAA Humour et bonne humeur sont deux qualificatifs qui résument parfaitement la personnalité de Marianne Pernety. Proche de longue date d'Anouilh, dont l'amitié durera jusqu'au décès de l'auteur, elle fût l'une des fidèles de ses pièces. Débutant comme simple figurante à la Comédie Française, elle sera vite repérée par le tragédien qui l'emploiera à de nombreuses reprises, notamment dans "La Valse des Toréadors " où elle joue l'une des filles de Louis de Funès aux côtés de Sabine Azéma, débutante elle aussi. Avec l'audace et la fougue de la jeunesse, elle confie ne pas avoir été impressionnée par donner la réplique à De Funès. Elle garde de lui le souvenir d'un homme rempli de gentillesse, très discret et réservé, miné par le trac avant chaque représentation et très respectueux de son public. Durant les 198 représentations, elle n'aura de cesse de prendre énormément de plaisir à être présente sur les planches à ses côtés. Voici donc son témoignage inédit accompagné de nos remerciements sincères pour l'entretien qu'elle nous a sympathiquement accordé.

 

Interview de Marianne Pernety du 8 octobre 2012 par Franck et Jérôme

 

- Madame Pernety, comment avez-vous été engagée pour la pièce d'Anouilh "La Valse des Toréadors" ?

- J'ai eu la chance de rencontrer Anouilh à 20 ans. Nous étions alors simples figurants avec mon mari à la Comédie Française, notamment sur la pièce "Becket". J'ai débuté avec Anouilh dans sa pièce "Les Poissons Rouges" aux côtés de Jean Pierre Marielle. Il m'appréciait car il me trouvait naturelle et spontanée, il avait eu un petit coup de cœur artistique. C'est donc tout naturellement qu'il me reprît dans plusieurs de ses pièces notamment "La Valse des Toréadors".

 

- Quelle vision aviez-vous de la pièce lorsqu'Anouilh vous l'a proposée ?

- Je l'aimais beaucoup. De Funès lui a eu plus de difficultés. A cette époque le public d'Anouilh était essentiellement composé d'intellectuels qui ne s'intéressaient pas au style de Louis de Funès, je dirai même qu'il le méprisait. Le public de Louis de Funès était donc totalement différent de celui d'Anouilh et Louis en souffrait probablement. La comédie des Champs Elysées de cette époque se composait d'un public très mondain, très "bling-bling" comme on dirait aujourd'hui, à mille lieux du public populaire de Louis.

 

- Jouer avec de Funès vous impressionnait ?

- Pas tellement en réalité. J'avais le trac mais je n'avais pas d'angoisse particulière pour lui donner la réplique. A 25 ans, j'avais beaucoup d'insouciance et j'étais surtout fascinée. Louis de Funès était un homme charmant mais aussi un clown triste en privé. Il était totalement différent lorsqu'il n'était pas sur scène. Je me souviens d'un homme très réservé, timide, un peu enfant dans ses expressions parfois naïves mais aussi avec une conscience professionnelle irréprochable et une grande lucidité. C'est d'ailleurs cette lucidité qui lui donnait son immense angoisse. Il était vraiment adorable avec des yeux bleus magnifiques remplis de gentillesse.

 

- Quelles furent les relations entre De Funès et Anouilh ?

- Je me souviens d'une bonne entente entre eux même si Louis aurait souhaité être beaucoup plus encadré par Anouilh. Je me rappelle qu'un jour aux répétitions Louis butait et se tourna vers Anouilh en le suppliant : "Jean aidez-moi s'il vous plaît, je ne peux pas faire ça tout seul !". Parfois il avait du mal avec le texte, il peinait à le mémoriser et il avait peur d'avoir des oublis sur scène. Les pièces d'Anouilh sont tellement bien écrites que Louis ne pouvait pas en sortir, il était piégé par le texte et cela le limitait beaucoup dans son jeu. Je pense qu'il n'était pas véritablement heureux de jouer dans cette pièce. Peut-être avait-il voulu se donner un nouveau challenge en interprétant une pièce où on ne l'attendait pas, mais au final il pensait être une simple pièce rapportée que l'on incluait à la distribution. Cela le rendait triste car il ne pouvait pas faire du De Funès. Au cinéma, il s'était aussi retrouvé coincé dans "L'Avare", mais le format plus souple que le théâtre lui avait quand même permis de pouvoir imposer son style. Un soir sur scène il perdit son pantalon, le public hurla de rire et il pût alors en profiter pour faire une improvisation comme il en avait l'habitude. Il faut aussi dire, à la décharge d'Anouilh qu'il était un très grand auteur mais pas un grand metteur en scène. Il avait en outre tendance à passer très rapidement sur les répétitions. Louis avait besoin d'un chef d'orchestre et Jean n'en était pas un. De ce fait il ne se sentait ni aidé ni emporté. Il était aussi excellent dans une dimension dramatique mais il ne l'a jamais exploitée ce qui est vraiment regrettable .

 


Louis de Funès parle de son actualité : "La Valse des Toréadors" et "Les Aventures de Rabbi Jacob"

 

- Quelle était l'ambiance de la troupe ?

- Je n'ai pas le souvenir de difficultés particulières. Nos relations étaient cordiales mais sans être amicales. Je m'entendais très bien avec Sabine Azéma et Pierre Haudebourg car nous étions des jeunes issus du Conservatoire. Sur scène il y avait un passage où je me battais avec Sabine, nous jouions cela tellement fort qu'il lui est même arrivé de m'arracher ma perruque ! Louis de Funès nous aimait bien. Luce Garcia Ville avait parfois des petits caprices de diva, elle jouait les grandes stars mais je l'aimais beaucoup. Avec elle, il est possible qu'il ait eu des difficultés pour jouer mais Louis, comme je vous l'ai dit, n'était de toute manière pas très à l'aise dans cette pièce, il se sentait un peu perdu. Avant le lever de rideau il avait un trac fou, il en était vraiment malade. Je pense aussi que c'était parce qu'il vouait une profonde admiration à Jean Anouilh. Il souffrait aussi de la réaction de ce public qui le méprisait parfois. Pour revenir à l'ambiance de la troupe, je ne me souviens pas de Louis nous donnant des conseils particuliers ou des indications précises. Il était simplement très gentil et extrêmement discret. Il arrivait très calmement dans sa loge, on ne l'entendait jamais. Déjà en arrivant, il était rempli de trac.

 

- A son insu, fut-il donc un "professeur" pour vous ?

- Oui j'ai appris en le regardant travailler mais vous savez devant des hommes de cette stature on ne peut qu'être admirative. Je faisais déjà pareil au Conservatoire où, simple figurante, je trainais en coulisses et passais mon temps à observer de grands acteurs tels que Robert Hirsch. De Funès était extrêmement perfectionniste. Lorsqu'on le voit dans ses films, on peut se dire que tout sort facilement mais en réalité il y a un immense travail derrière. - Au fur et à mesure des représentations, sentiez-vous la fatigue de Louis grandir ? Il est évident que cette pièce l'a trop stressée et je dirai même terrorisée. Il avait vraiment peur de la jouer, c'était un véritable défi pour lui. Sur scène il avait des baisses de tension terribles, le régisseur lui préparait de grandes bouteilles d'eau sucrée. N'oubliez pas qu'Anouilh était aussi quelqu'un de très impressionnant qui avait beaucoup de détracteurs et n'était pas beaucoup aimé car on le disait misogyne entre autres.

 

- Savez-vous si la pièce fut filmée en intégralité ?

- Je ne crois puisqu'Anouilh avait un principe : il ne voulait pas que ses pièces soient captées.

 

Micheline Bourday, Sabine Azéma, Marianne Pernety, Louis de Funès et Pierre Haudebourg dans "La Valse des Toréadors" aux Champs-Elysées, 1973-1974 (collection privée).

 

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