François VALS

 

AAAIUAMaurice Chevalier nous a quittés le 1er janvier 1972. A l'occasion du quarantième anniversaire de sa mort, son secrétaire et ex-manager a été beaucoup sollicité par la presse. En 2002, il a publié son livre "Maurice Chevalier" dans lequel il raconte les vingt années qu'il a passées à côté de l'artiste. Dans l'interview qu'il nous a accordée, François Vals revient sur son parcours et évoque Louis de Funès, qui manifesta régulièrement sa grande admiration pour Maurice Chevalier. Aujourd'hui retiré en Bretagne, François Vals continue de défendre la mémoire de l'un des plus grands artistes français, resté célèbre dans le monde entier. Nous le remercions chaleureusement pour avoir répondu à nos questions.

 

Couverture du livre "Maurice Chevalier" par François Vals, éditions Didier Carpentier, 2002

 

Interview de François Vals du 28 janvier 2012 par Franck et Jérôme

 

- M. Vals, vous avez été l'homme de confiance de Maurice Chevalier pendant près de vingt ans, pourquoi avoir écrit ce livre souvenir ? Etait ce un devoir de mémoire ? Un hommage ? Un plaisir personnel ?

- J'ai progressivement réalisé au fil du temps combien Maurice Chevalier était un artiste extraordinaire, je voulais par conséquent lui rendre un hommage mérité. C'est l'éditeur Didier Carpentier qui m'a contacté afin d'alimenter sa série consacrée aux géants de la chanson dont il souhaitait éditer un volume consacré à Maurice. Il m'a demandé si ce projet m'intéressait et c'est ainsi que nous avons travaillé pendant plus d'un an à cet ouvrage dont je suis assez fier. Sur les 58 livres écrits sur Chevalier à travers le monde, il s'agit du seul que l'on pourrait qualifier de "livre cadeau" car il ne se compose pas que d'une simple biographie de l'artiste. L'éditeur a vraiment réalisé un ouvrage magnifique que tout le monde a salué.

 

- Pouvez-vous nous raconter votre première rencontre avec Maurice Chevalier ?

- En 1940, durant l'Occupation, j'habitais à Bordeaux où je fus placé après le décès de ma mère puisque mon père voyageait beaucoup et ne pouvait donc s'occuper de ses trois enfants. Un jour, alors que j'écoutais la radio pendant mes révisions scolaires, une colonne de blindés allemands traverse l'avenue et s'arrête presque à ma hauteur ce qui était très impressionnant pour un jeune. J'éteins la radio et je regarde les soldats descendre et discuter dans la rue. Après une vingtaine de minutes, les allemands sont repartis. J'ai alors rallumé mon poste et le présentateur a annoncé une chanson de Maurice Chevalier écrite pour sa mère "Toi, toi, toi". Sans la doute la combinaison entre la peur ressentie précédemment et cet hommage de Chevalier très émouvant pour sa mère, qui m'a touché puisque je n'avais plus la mienne, m'a fait ressentir une émotion très particulière, un vrai frisson m'a parcouru et depuis ce jour là je suis véritablement devenu ce qu'on appelle "un fan" de Chevalier. J'achetais tout ce que je pouvais trouver sur lui, je collectionnai toutes les cartes postales, les articles de presse, les disques...Déjà à cette époque il était une véritable légende populaire. Neuf ans plus tard, le journal local Sud Ouest annonce que Maurice Chevalier va venir chanter durant une semaine au théâtre français de Bordeaux. Tous les soirs, il chantait devant une salle comble et je me suis décidé à aller le rencontrer. C'est ainsi qu'après une représentation, je me suis retrouvé devant l'entrée des artistes où beaucoup de monde attendait déjà. Maurice est arrivé et a commencé à dédicacer et poser auprès de son public. J'avais peur qu'il ne s'arrête juste avant moi mais il est arrivé à ma hauteur. Je lui ai dit combien je l'admirais en lui faisant voir un "cahier souvenir" dans lequel j'avais collé plusieurs photos et articles le concernant. Visiblement ému, il m'a répondu "Non je ne peux pas vous dédicacer votre cahier comme ça, venez plutôt me voir demain matin à 11 heures à l'Hôtel Splendid. Je vous le dédicacerai". Je suis reparti fou de joie et le lendemain à l'heure promise il est venu me rencontrer. Il a commencé à me poser des questions sur ce que je souhaitais faire plus tard, mes objectifs dans la vie… Je lui ai expliqué que j'allais effectuer bientôt mon service militaire et qu'ensuite je partirai travailler dans les filatures de Roubaix ce à quoi il me répondit "Merveilleux, vous allez travailler avec un ami à moi, je suis très content pour vous si vous travaillez avec cet homme." Il s'agissait de Jean Prouvost, le célèbre industriel et patron de presse. Il a ensuite regardé mon cahier attentivement, l'a trouvé touchant et me l'a très gentiment dédicacé. Avant de nous quitter il m'a glissé "Si vous êtes dans une ville dans laquelle je me produis, n'hésitez pas à venir me voir, ce sera avec grand plaisir". Après mon service militaire, j'ai commencé à travailler pour Prouvost et une fois sur Paris, je me suis remis en contact avec Maurice qui me répondait en envoyant des petits mots et des photos. Pour la nouvelle année je lui envoie une carte dont la réponse me parvient rapidement : "Bien reçu vos vœux, je suis au théâtre des Variétés venez me voir vers 20h". J'y suis rapidement allé et l'on m'a emmené dans sa loge. C'est alors qu'il me confia : "J'ai mon administrateur actuel qui est atteint d'une leucémie. Pour l'instant on ne sait pas comment cela va évoluer mais je vais devoir très certainement le remplacer. Je me suis souvenu de vous et je vous propose de travailler avec moi. Je pars aux USA pour plusieurs mois mais donnez moi votre réponse à mon retour." Personnellement je n'avais pas une hésitation mais ma famille était réticente, notamment mon père qui craignait que la popularité de Chevalier ne retombe car la vie d'un artiste est très inconstante.

 

- Et vous avez finalement accepté...

- Bien évidemment. Je lui ai donné comme convenu ma réponse et il m'a dit "Je suis enchanté. Ne vous inquiétez pas il n'y aura pas de problèmes, ce sera très facile. J'ai parlé de vous avec Prouvost et vous allez pouvoir travailler avec moi très rapidement". Tous les deux avaient cherché à me préserver puisque Prouvost me dit "Saisissiez cette chance magnifique mais je tenais à vous dire qu'avec Maurice nous avons décidé que si dans un an vous n'êtes pas heureux, ou que vous ne faites pas un travail qui le satisfait, les portes vous seront à nouveau grandes ouvertes". C'est ainsi que je fus tout à la fois son secrétaire, son administrateur, son homme de confiance et son manager. Je dois reconnaitre qu'il était très facile de travailler avec lui. Il avait un sens de la droiture énorme. Lorsqu'il avait promis, à l'oral, de venir chanter dans une ville, il n'y aurait presque pas eu besoin de contrat écrit. Il était demandé partout et nous avons ainsi fait le tour du monde. Il a toujours été très content de mon travail et jusqu'à sa mort il est resté mon idole. Pour vous illustrer sa gentillesse et sa fidélité, j'ai su plus tard par des proches qu'à l'époque où il recherchait un nouveau collaborateur il avait dit "Il y a un jeune gars que j'ai rencontré à Bordeaux, il me plaît beaucoup, je le veux".

 

 

- Etait-il un homme disponible pour son public ?

- A l'inverse d'un Fernand Raynaud qui se faisait taper dans le dos lorsqu'il marchait en ville, Maurice Chevalier était réservé, ce qui fait que les gens l'approchaient peu. Il n'était en revanche jamais hautain. Il se faisait simplement respecter mais en restant simple et humble. Il a toujours eu une profonde gratitude envers son public, il ne vivait que pour lui. Il me confiait : " Je ne suis jamais entré en scène sans penser que tout ce qui m'arrive, c'est à eux seuls que je le dois ". En privé il n'était pas toujours très gai, souvent inquiet, angoissé comme tous les grands artistes. Il avait peur que sa carrière retombe.

 

Quel homme privé était-il ?

- Tout à fait ordinaire. Nous voyagions toujours ensemble avec nos proches. Nous formions une véritable petite famille. Tout était très simple, Maurice aimait marcher, faire de bons repas. Il appréciait d'être seul car il souhaitait réfléchir durant ces moments là. Il y avait deux êtres en lui : l'excessif, qui aimait les femmes, le tabac et des drogues telles que l'éther et le raisonnable qui lui permettait de tempérer ses dérives. Il oscillait constamment entre les deux.

 

- Comment a-t-il vécu les différentes critiques durant sa carrière ?

- En règle générale, il les écoutait, il les prenait en compte mais ne s'en formalisait pas outre mesure. Il considérait qu'il y en avait de justifiées, d'autres non. Il est exact que certaines ont été plus dures à encaisser pour lui. Je pense notamment au fait qu'il ait été interdit de séjour sur le territoire des Etats Unis entre 1951 et 1955 et déclaré dangereux après avoir signé l'accord de Stockholm. Pour rétablir la vérité, il ne s'intéressait que très peu à la politique et un jour l'équipe du film lui a fait signer cette convention en lui expliquant de quoi il s'agissait. Sans y prêter grande attention et par solidarité avec son équipe il a posé sa signature. Les USA ont peu de temps après considéré que sa seule présence sur le territoire était contraire aux intérêts fondamentaux de la nation. Il avait été blessé par cette attaque car il devait beaucoup aux Américains qu'il respectait profondément. Durant la Seconde Guerre mondiale il s'attisera les foudres de Londres et de la Résistance lorsque pressé de façon incessante par Vichy de tourner en Allemagne, ce qu'il refusait, il accepta toutefois d'aller chanter pour les prisonniers militaires de camps. Le lendemain un journaliste a écrit qu'il avait signé pour une tournée en Allemagne - ce qui était absolument faux - et les attaques ont commencé. Joséphine Baker, alors en Afrique du Nord a été particulièrement virulente. Elle a dit des choses invraisemblables le concernant, notamment qu'il était sans aucun doute plus dangereux que Goebbels. Elle s'en prit tellement méchamment à lui qu'elle réussit même à le faire condamner, par contumace, à la peine de mort par le tribunal d'Alger en 1942. Il a alors commencé à avoir peur de représailles, à son domicile ou dans la rue. Il a été accusé d'être un collabo alors que sa compagne d'alors, Nita Raya qui était juive et avec qui il vécut entre de 1942 à 1946, confirma dans un entretien du 17 octobre 1946 au journal Jeudi-Cinéma, "les journées et les nuits épouvantables qu'il a passées, non parce qu'il avait peur pour lui, mais parce qu'il s'était fait un devoir de sauver quelques êtres que le destin avait mis sur sa route." Par la suite, il fût blanchi et reprit sa carrière. Il fût même salué par le Général de Gaulle qui était un grand admirateur. Lors d'un dîner à l'Elysée, où tous les plus grands chefs industriels français étaient présents il déclara "Messieurs, je vous présente le plus grand ambassadeur français non officiel de tous les temps". Je me rappelle d'ailleurs d'une lettre qu'il a adressée à Maurice dans laquelle il lui avouait le respect inconditionnel qu'il avait. Il concluait en expliquant que "son exceptionnel rayonnement artistique a bien servi la France". Les plus grands politiques lui vouaient une vraie admiration, nous avons ainsi rencontré Reagan, Nixon, la Reine d'Angleterre.

 

 

- Qu'en était-il de sa relation avec Louis de Funès ?

- Maurice l'aimait beaucoup et c'était réciproque. Je me rappelle d'un magnifique sketch entre eux où il vient lui poser plusieurs questions à son appartement. De Funès a d'ailleurs écrit une très belle lettre à la famille Chevalier. Je l'ai rencontré une ou deux fois lors de cocktails et je dois dire qu'il était un homme d'une très grande simplicité ce qui est la marque des grands artistes. Il était un comique extraordinaire. Je me rappelle l'avoir vu au Palais Royal à l'époque ainsi que dans une pièce de Robert Dhéry qui s'intitulait "La Grosse Valse". A cette occasion je lui avais envoyé plusieurs photos de Maurice Chevalier et il m'avait gentiment répondu qu'il les mettrait dans sa loge afin de les voir tous les soirs. Il était un grand admirateur de Maurice. C'est d'ailleurs ce dernier qui avait conseillé à De Funès d'aller tenter sa chance aux Etats Unis mais il n'a jamais osé le faire. Je pense qu'il aurait pu percer mais cela aurait été compliqué car les Américains ne fonctionnent pas comme le public français qui va vite adopter ou rejeter un acteur. Aux USA les performances ne se jugent pas sur une ou deux représentations.

 

 

Louis de Funès et Maurice Chevalier seront réunis deux fois à l'écran pour des court- métrages :

- 1954 : "Maurice Chevalier et le recensement", court métrage du journal actualité fiction de 1mn 30 réalisation anonyme, où l'on voit De Funès dans le rôle de l'agent recenseur posant des questions à Maurice Chevalier.

- 1966 : "Maurice Chevalier", court-métrage documentaire de 7 minutes de Mirea Alexandresco : Louis de Funès interviewe Maurice Chevalier à son domicile.

 

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