Patrick PREJEAN

 

IIIIIIIIIIIIII Comme nous l'avions annoncé sur le site début avril, Patrick Préjean est actuellement en tournée dans la pièce "L'Amiral", une comédie de Bernard Granger sur une mise en scène signée Xavier Lemaire.

IIIIIIIIIIIIII Il y interprète le rôle de Huges Mauradec, un homme usé par la vieillesse et la solitude, rongé par la folie et la maladie. Personnage complexe, le "capitaine" Mauradec est en proie à la schizophrénie. Capitaine ? Oui car il navigue reclus dans sa maison que son folle imagination transforme en bateau. Et comme tout commandant de navire, le vieux loup de mer conserve un trésor dans un coffre qui trône au milieu du salon. Ce coffre, il ne l'ouvre jamais pour contempler ce qu'il renferme. Un prétendu trou de mémoire l'empêcherait de se rappeler la combinaison qui permettrait d'accéder au précieux bien. Pourquoi ce désintérêt manifeste ? Car de toute évidence, il se fout de ce supposé trésor. Il est prêt à le donner aux deux personnes qu'il croise chaque jour.

IIIIIIIIIIIIII Ces deux visites quotidiennes, qui lui permettent encore de conserver un pied dans la réalité, sont celles d'Yvette son infirmière et d'Aristide son facteur. Mais entre deux piqûres administrées et deux lettres distribuées, ces personnages lorgnent le mystérieux trésor du vieux fou. Ils rêvent pavillon de banlieue, barbecue, véhicule diesel confortable. Pour Malanchon, les choses bassement matérialistes ne comptent plus. Désormais, il s'interroge sur son parcours, la vie, l'amitié, les contacts humains… Il s'entiche de son Isabelle, une bien-aimée disparue prématurément et qui hante ses nuits et ses souvenirs. En somme, l'esprit prendrait nettement le pas sur la matière.

IIIIIIIIIIIIII Pour s'approprier le mystérieux trésor, Yvette et Aristide devront monter à bord du navire du vieil homme et s'embarquer dans son univers complètement surréaliste. Et c'est en ça que Patrick Préjean surprend une fois encore. Le charisme et la complexité de son personnage, tout en nuances, ne sont pas sans rappeler son rôle dans "Du Vent dans les branches de Sassafras". Mauradec sait tenir la barre de son navire, qui traverse allègrement les continents et n'hésite pas à faire des bons dans le temps.

IIIIIIIIIIIIII C'est avant une représentation à Divonne-les-Bains (Ain) que nous nous sommes entretenus avec le comédien à propos de sa carrière et de cet univers surréaliste qu'offre "L'Amiral". Qu'il en soit chaleureusement remercié.

 

Interview de M. Patrick Préjean du 28 mars 2013 par Franck et Jérôme

 

- Patrick Préjean, nous n'avons encore jamais évoqué avec vous le début de votre carrière, lorsque vous faisiez du cabaret.

- J'avais formé un duo avec Gilles Brissac, qui a joué "Cyrano de Bergerac" à mes côtés en 1997 et que je vois toujours. Je garde des souvenirs formidables de cette époque, ponctuée de fous rires inoubliables. Nous étions jeunes, on courrait les filles (rires). Il nous arrivait même d'arrêter la voiture sur le bord de la route car nous ne pouvions plus conduire tant nous rigolions de nos bêtises et des événements très "déconnants" que nous avions vécus. Car le cabaret, il fallait se le faire ! Certes il m'a ouvert un autre espace artistique mais il m'a mis assez tôt face à des situations difficiles. Quand vous racontez des histoires avec un partenaire et que vous n'êtes pas connu, dans des boîtes où les habitués n'en ont rien à faire, ce n'est pas évident. Je me rappelle notamment de La Péniche à Saint-Cloud, un lieu de rendez-vous pour des messieurs qui venaient pour souper avec des petites pépées et non pour écouter des histoires comiques. Je me souviens du principe de notre numéro : j'étais installé dans la salle en jouant un client et mon partenaire me désignait pour monter sur scène. Quand je m'asseyais en douce à côté des clients qui mangeaient en attendant que mon compère m'invite à le rejoindre sur scène, ça ne leur plaisait pas du tout (rires) ! Sur scène, on essayait de faire notre numéro, devant des clients peu concernés, sur une petite estrade qui ne devait pas être plus grande que la table sur laquelle nous prenons actuellement notre café. Il y avait un micro pour deux, des jets d'eau qui nous entouraient faisaient un bruit pas possible et la lumière était rouge : on aurait dit deux diables sur scène. Le comble est arrivé lorsque, au moment de la chute de notre sketch, un mec a allumé devant nous une omelette flambée ! Nous sommes partis furieux en empochant notre maigre cachet et nous n'y sommes plus jamais retourné. Voyez à quel point le cabaret peut être délicat.

 

- C'était l'époque où les duos étaient en vogue, comme Poiret et Serrault…

- Absolument, Poiret et Serrault étaient déjà bien arrivés, il y avait aussi Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, Victor Lanoux et Pierre Richard, Darras avec Philippe Noiret ou Michel Galabru. Avec Gilles, on a fait tous les cabarets de la rive droite et de la rive gauche, dans des endroits prestigieux comme L'Ecluse qui avait vu les débuts de Jacques Brel, L'Echelle de Jacob, Le Port du Salut, et des boites où la clientèle était un peu plus friquée comme à La Villa d'Este. On a fait des premières parties à Bobino, pour Félix Leclerc, Jacqueline Dulac, Serge Lama. Nous avons joué dans un tas de lieux qui ont contribué à la réputation de la nuit artistique parisienne. Cette jeunesse artistique, elle n'a pas été facile mais nous étions heureux car nous rigolions bien.

 

- Etait-ce compliqué de percer à cette époque et de durer dans ce métier ?

- Difficile de répondre car je fête ma cinquante-et-unième année de carrière. Pour ce qui est de la durée, je dois dire que ma carrière s'est construite ni facilement ni très difficilement, mais d'une façon somme toute assez classique : figuration, petits rôles, rôles plus consistants, premiers rôles. Sur le plan artistique, elle est assez originale car elle est faite de hauts et de bas, de prises de risques, de surprises pour moi tant que pour le public. Les critiques sont aussi parfois surprenantes. Je me souviens notamment d'un papier de Philippe Tesson paru dans Le Figaro, lorsque je jouais Cyrano, dans lequel il disait à peu près : "On se doutait depuis quelques années que Patrick Préjean pouvait tenir un rôle comme celui-ci mais on n'en était pas certains. Je dois dire que, vu sa prestation, au nom de tous mes confrères et en mon nom, je lui présente mes excuses pour l'avoir ignoré tant d'années." Un critique parisien écrire ça, c'est d'un courage hallucinant ! Lorsque je l'ai vu, je l'ai remercié et lui ai dit bravo.

 

Patrick Préjean avec Jérôme et Franck, à Divonne-les-Bains (mars 2013)

 

- D'une façon générale, comment réagissez-vous face à la critique ?

- Quand on a beaucoup travaillé, une mauvaise critique fait toujours de la peine, ce qui prouve que les acteurs sont des êtres fragiles. Aujourd'hui, ça m'atteint moins mais, tout artiste chevronné que je suis, ça me touchera si un critique me descend en flamme. C'est plus de la tristesse qu'une remise en cause car ça reste l'avis d'une seule personne. Si on se fait flinguer par toute la presse, on peut alors se poser des questions et imaginer qu'on est passé à côté du rôle. Mais, quand on croit vraiment à la pièce qu'on défend, à la manière dont on travaillé et qu'on s'est beaucoup investi pour créer son personnage, c'est l'essentiel.

 

- Le public retient généralement les grands succès qui ont marqué la carrière d'un comédien. Ce même comédien est souvent très marqué par les fiascos professionnels qu'il a pu connaître. Ainsi, avez-vous de mauvais souvenirs de carrière et, si c'est le cas, vous hantent-ils ?

- Oui, j'ai fait des bides, je me suis fourvoyé dans certains spectacles que je ne cite pas car ils m'ont permis de manger. Ce n'était pas des spectacles très bons, je les ai acceptés quand même car je devais gagner ma vie. On se souvient toujours de ses échecs, mais ce qui a marché conserve tout de même plus de poids, c'est ça qui est positif.

 

- Lorsque vous vous apprêtez à entrer en scène aujourd'hui, ressentez-vous toujours le trac ?

- Oui, le trac est toujours présent, mais heureusement par moment il se transforme juste en une certaine appréhension. Ce n'est plus un trac paralysant, un peu schizophrénique (rires), notamment lors des premières. J'ai la hantise du travail mal fait. Je pense qu'un comédien, même s'il a fait un bide, doit donné tout ce qu'il a pour être bien dans sa peau. Comme je vous le disais, s'il est bien dans sa tête et qu'il a mis tous les moyens pour faire de son mieux, c'est le principal. D'autres paramètres peuvent expliquer un bide : je me suis trompé en n'entrant pas comme il le fallait dans le rôle, la pièce n'est pas bonne, le public n'a pas aimé… A l'inverse, c'est terrible de se dire qu'on n'a pas bien préparé son rôle.

 

- Vous apprenez toujours au théâtre ?

- (Convaincu) Ah oui toujours, et pas qu'au théâtre ! Pour tout et tous les jours, on apprend au théâtre, au cinéma, dans sa vie au quotidien, dans son couple, ses amitiés, vis-à-vis de soi-même. On accumule des choses, on en élimine d'autres et on en fait la synthèse. Je fais attention à ne pas devenir un vieux con qui assure qu'il possède la vérité. Je prends beaucoup de choses des nouvelles générations de comédiens, à qui je transmets aussi. Le parcours des êtres humains est fondé sur l'écoute, le dialogue multi générationnels. Il n'y a rien de pire que le côté sectaire du genre "lui c'est un vieux il est con" ou "lui, c'est un jeune il est con".

 

- A propos de l'échange entre les différentes générations de comédien, quels souvenirs gardez-vous de Jean Gabin que vous avez croisé au début de votre carrière sur "Le Tatoué" de Denys de La Patellière en 1968 ?

- Côtoyer un acteur aussi talentueux et prestigieux est une expérience qui m'a beaucoup marqué. Je n'ai pas eu des rapports exceptionnels avec Gabin qui restait assis dans son coin. Mais un jour mon père est venu sur le plateau et ils ont bu un verre ensemble. Fernandel qui tournait sur un plateau voisin les a rejoints. J'entendais ces trois comédiens parler de leurs souvenirs ; pour moi qui avais la même passion qu'eux pour la comédie, ça prenait une envergure incroyable.

 

- Vous revoici en tournée dans toute la France. Le public de province est-il différent du public parisien ?

- Il est très différent du public parisien lors des quinze premiers jours, après ça se rapproche beaucoup, notamment parce que des provinciaux viennent voir les pièces à Paris. Le public de province est très chouette, moins blasé, pour qui "aller au théâtre" est synonyme de fête. Il n'y a pas toutes ces générales où, sur 800 personnes dans la salle, 200 ou 250 comédiens se disent "oh moi je ne l'aurais pas joué comme ça" (rires). Ces générales m'ont beaucoup fait peur au début de ma carrière, beaucoup moins à présent.

 

Patrick Préjean, Pierre Maguelon et Jean Gabin dans "Le Tatoué" (1968)

 

- A Paris, il existe une quantité infinie de théâtres pour le public qui a l'embarras du choix. En province le public vous accueille dans leur ville...

- Bien sûr, mais ce qui ne veut pas dire pour autant que le public de province doit tout accepter. Quand un acteur utilise l'expression " on va roder la pièce en province ", il ne faut pas que le verbe "roder" soit méprisant et péjoratif. Cela donne l'impression que les comédiens vont tester des choses sur scènes devant le public de province pour être prêts à affronter le public parisien. Le problème actuel des tournées est plutôt l'irrégularité des représentations : on joue trois jours, puis plus rien pendant une semaine, et on repart pour deux jours, voire un seul. Et cette irrégularité est mauvaise pour la fluidité du spectacle. Avec le rôle que je joue actuellement, il ne m'est pas envisageable de ne pas redire le texte dans la semaine avant une représentation. C'est comme une équipe de football qui doit s'entraîner régulièrement et beaucoup jouer pour être bonne.

 

- Lors de notre dernière entrevue en octobre 2011, vous nous aviez dit que vous aviez eu un coup de cœur pour la pièce que vous jouez actuellement : "L'Amiral".

- Effectivement, j'ai eu un coup de cœur. C'est une pièce superbement écrite, d'une façon originale et très rentre-dedans. C'est une sorte de millefeuilles, mélangeant le comique premier degré du boulevard qui se métamorphose en comique absurde second degré ; il y a aussi des dimensions épique, tragique, policière. C'est souvent drôle, mais pas toujours. C'est une pièce beaucoup plus profonde qu'il n'y paraît sur la vieillesse, la société de consommation, le côté dérisoire des gens persuadés que les vraies valeurs sont les derniers portables et téléviseurs sortis dans le commerce. Techniquement, ces outils sont merveilleux mais le comportement de ceux qui en sont accros est effrayant. Pourquoi ce besoin ? On n'est pas quelqu'un parce qu'on a acquis le dernier frigo qui fait des glaçons en forme de cœur ou de cube. Ce n'est pas honteux que de ne pas posséder ces choses-là. Les vraies valeurs sont les relations humaines. Il m'est arrivé de me retrouver dans de très beaux hôtels et d'être reconnaissant envers le ciel, et de manger simplement un sandwich avec des copains le lendemain. Si le pain, le jambon et le vin sont bons, je suis aussi heureux que dans le somptueux hôtel. C'est ma philosophie.

 

 

- Pouvez-vous nous parler un peu de Natacha Amal, votre partenaire sur scène ?

- C'est la première fois que nous jouons ensemble mais nous avions déjà tourné un épisode de "Femmes de loi" et étions assez copains. Je lui ai fait lire la pièce pour laquelle elle a eu de suite un coup de cœur. Comme elle souhaite s'extraire un peu de son image "vedette de télévision", elle se tourne désormais davantage vers le théâtre [ndlr : elle a notamment rencontré un franc succès avec "Panique au ministère"]. Son rôle est double entre naïveté et pathétisme et le troisième larron, Olivier Rodier, un copain de longue date qui a joué mon fils à plusieurs reprises, a lui aussi deux rôles qu'il tient à merveille !

 

- Lors de notre dernière entrevue, vous nous aviez confié que votre personnage de Rockfeller, dans "Du vent dans les branches de Sassafras" était épuisant à jouer. Qu'en est-il de celui-ci ?

- Oui très fatiguant, ce personnage est un peu du même tonneau. Je joue un vieux mec excentrique et, bien que j'approche de 70 ans, je suis quand même obligé de me vieillir par le maquillage avant de monter sur scène.

 

- Est-ce que vous vous sentez catalogué dans le théâtre de boulevard ?

- Plus du tout depuis une douzaine d'années. Mais je ne renie pas le boulevard qui est, comme le rappelait récemment Luchini, un théâtre aussi digne qu'un autre. Seuls la vulgarité et l'ennui m'énervent. Il m'est d'ailleurs arrivé de refuser des pièces que je trouvais trop vulgaires.

 

- Lorsque vous êtes interpellé par le public, de quels rôles vous parle-t-on ?

- Ce sont "Les Gendarmes", "Les Mariés de l'an deux", "Les Pétroleuses". Mais je fais moins de cinéma actuellement, alors que la télévision et le théâtre continuent de me faire confiance. Ce n'est pas grave d'ailleurs, ce sont des phases qui rythment la carrière d'un comédien. Parfois, on me parle de "Brigade antigang" de Bernard Borderie où j'avais un chouette personnage qui s'appelait "Beau Môme".

 

- Et "Un Homme de trop" ?

- Moins mais il faut dire que je n'avais pas un grand rôle dans ce film. Ce fut tout de même une belle expérience de travailler avec Costa-Gavras - un réalisateur qui vous apporte beaucoup - dans ce film qui présentait un casting magnifique : Crémer, Brialy, Brasseur, Creton, Piccoli, François Périer etc…. Le tournage se déroulait dans des conditions difficiles, en extérieurs et dans la boue. Je me rappelle même qu'un jour, avec Crémer et Piccoli, nous tournions à Saint-Flour dans le maquis et pour nous changer les idées, nous sommes allés voir au cinéma des Laurel et Hardy. Et nous sommes fendus la pêche comme des bienheureux. Laurel et Hardy étaient des génies, j'ai d'ailleurs fait un commentaire sur leur carrière pour un film diffusé sur Arte, qui comprenait notamment des images inédites.

 

- Rejouer un classique de Molière ou Marivaux serait envisageable ?

- Oui tout à fait ce serait possible. Ça fait peur mais pas plus qu'autre chose. J'ai suivi une formation classique dans les classes de Robert Manuel au Conservatoire, Jean Perimony en cours privés et Henri Rollan [ndlr : à l'école de la Rue Blanche], ce qui me permet d'affronter ces rôles classiques, notamment sur la technique d'articulation et la mise en place de la respiration. Mais le plus difficile est de cacher cette technique, si la technique se voit lorsqu'on joue, cela devient mauvais.

 

- On connaît le livre "Albert Préjean par Patrick Préjean" déjà abordé lors d'une précédente interview. A quand le livre "Patrick Préjean par Patrick Préjean" ?

- Pas pour l'instant, mais un jour peut-être… Pour l'heure je préfère vivre ma vie au temps présent, me consacrer aux coups de cœur que je connais sur de jolies pièces, travailler avec de nouveaux comédiens et metteurs en scène.

 

- Vous n'êtes donc pas du genre à vivre replié sur vous-même…

- Non, j'ai besoin de connaître des gens de toutes conditions sociales et professionnelles : un vigneron, un commerçant, un pâtissier, un sportif etc… Les rencontres m'intéressent et je m'en inspire pour créer mes personnages. On construit les rôles en puisant dans le vécu. Et le ressenti que j'ai de la journée que j'ai passée influe un peu sur ma façon de jouer le soir. Et pour ce soir, ça va bien (rires) !

 

- Certaines phases vous guident donc plus vers la comédie ou vers la tragédie ?

- Oui c'est cela, j'ai mes périodes. Cela dépend du ressenti profond. Une chose toute simple : aujourd'hui j'aimerais raser ma barbe mais mon rôle me demande de la garder et tout le monde me dit que je la porte bien (rires).

 

Voici les prochaines dates prévues :

- le 12 mai à Marseille (13)
- le 25 mai à Chatelaillon Plage (25)
- puis joué à Paris

 

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