KINOU

 

AAAAA Né le 31 décembre 1945 à Gonesse (95), Maurice Recolin, dit Kinou, a dédié sa vie au rire. Clown depuis plus de 40 ans, fort de plus de 9 000 spectacles et animations, ce bouffon-animateur-magicien-amuseur est un artiste complet. Son parcours est impressionnant, il témoigne des qualités aussi bien humaines que professionnelles de l'homme : Fondateur de la phonothèque du cirque, Médaille du cirque 1982, Prix Clown de cœur 1990, auteur de plusieurs livres et cassettes, lauréat du festival du rire de Genève 1992, Médaille de bienfaisance 2005 ou encore Remise du trophée d'Or de Paris 2006, il est surtout un artiste généreux, agissant bénévolement au sein de l'association "Semeurs de Joie", qu'il a créée voilà bientôt 10 ans, afin d'offrir aux enfants hospitalisés des moments de distraction et d'évasion. Plus encore que le simple cadre du cirque qui le passionne, Kinou voue aussi une admiration sans borne pour les grands acteurs comiques. Il est donc intéressant de proposer cette interview inédite : un clown parlant d'un clown…Kinou face à Kinou. Et Louis de Funès faisant partie de sa catégorie "fétiche" de comiques, il en parlera évidemment durant cette heure et demie de bonne humeur. Découpé en plusieurs thématiques, cet entretien aborde à tout à tour sa carrière, sa vie dans les grands cirques, sa collaboration avec les artistes, notamment son ami Jean Richard, sa vision de la vie hospitalière, des enfants malades et de la touche comique à y apporter. Il évoque également la mécanique du rire, ses techniques et bien sûr sa vision du comique de Louis de Funès. Sous les grosses chaussures, le maquillage et le nez rouge, sous l'amuseur des petits et grands se cache un homme charmant, sensible et généreux. Bienvenue dans un univers de fantaisie, un monde que Kinou le Magic Clown connaît si bien… chapeau l'artiste !

 

Interview de Kinou du 25 juin 2010 par Franck et Jérôme

 

- Kinou, tu as exercé le métier de clown pendant de nombreuses années , tu le pratiques encore à l'heure actuelle, revenons tout d'abord à tes débuts et explique nous comment t'est venue la passion pour cet art ?

- J'ai toujours été passionné par le personnage du clown depuis que je suis gamin. A 10 ans, j'ai commencé à faire un petit peu le clown devant mes copains en colonies de vacances, maquillé avec de la peinture gouache qui tirait quand elle séchait. A la télé, c'était l'époque de "La Piste aux étoiles" et pour moi la vedette était Achille Zavatta. J'ai cette passion pour le personnage de l'auguste. Il y a deux clowns : le clown blanc, personnage sérieux et l'auguste avec une dualité entre ces deux personnages. Mes parents n'étaient pas très d'accord pour que je me lance dans le métier, mais j'étais aussi passionné par les chevaux et j'ai donc débuté dans le milieu équestre, à côté de Melun. J'ai commencé à la base, faire les boxes, s'occuper des chevaux…Par la suite j'ai passé les second et troisième degrés et mon monitorat d'équitation. J'ai enchainé dans l'armée dans un service vétérinaire à Compiègne où l'on faisait le débourrage des chevaux pour la Garde Républicaine. En même temps ouvrait un parc d'attractions dans l'Oise qui s'appelait "La vallée des Peaux Rouges". Je me suis retrouvé un jour en permission dans ce parc de 40 hectares avec diligences, cow-boys, camps indiens et 5 000 visiteurs par jour. J'ai travaillé dedans dès ma sortie de l'armée. Je faisais déjà pas mal de clown en amateur pour des petites fêtes mais un jour l'animateur du parc est parti et le directeur m'a proposé de reprendre sa place. Ca été une école fabuleuse car je présentais des scénettes amusantes de western avec tous les aléas que cela comporte, par exemple un tir de carabine qui ne fonctionne pas mais le bonhomme qui tombe quand même, alors il fallait broder. Cela m'a permis d'apprendre l'improvisation. Le parc n'était pas loin de Paris et avec ce décors western des films s'y tournaient. Je me rappelle de moments fabuleux avec Claude François pour des émissions comme "Salut les Copains" , les tournages de films et de vidéos. Par la suite pendant des années, j'ai fait des ouvertures de grands centres commerciaux, c'était la mode de l'époque, et le samedi il y avait une "locomotive" , c'est-à-dire une tête d'affiche qui venait pour dédicacer des photos…C'est là que j'ai bossé avec des gens comme Maurice Biraud, Carlos et les vedettes TV de l'époque. Je faisais beaucoup d'activités entre les centres, le parc d'attractions, les arbres de Noël…

 

- Selon toi, quelles sont les qualités pour être un bon clown ?

- Il faut surtout le vouloir, le côté technique vient assez rapidement. Au départ bien sûr ce n'est pas évident, je ne savais mêmes pas où acheter une boîte de maquillage je ne connaissais rien du tout. En 1979 j'ai crée la Phonothèque du cirque, j'ai pris un petit engin pour enregistrer et je suis allé voir les vieux clowns encore vivants sur Paris ce qui m'a permis d'avoir un fonds sonore intéressant sur Fratellini et tous ceux qui avaient tourné avant Guerre.

 

- Quelle est ta vision du métier aujourd'hui ?

- Il ne faut pas jouer les passéistes, mais c'est vrai qu'il y a un changement, un virage, il y a différentes modes. En ayant étudié l'histoire des clowns, je me suis aperçu que tout a toujours bougé. Si on prend les histoires des bouffons, il existe quelques livres à ce sujet, on peut s'apercevoir que les maquillages, les costumes, la manière d'aborder et de faire rire, tout est différent en fonction des périodes. Ce qui faisait rire à une époque ne marche plus forcément maintenant.

 

- Plutôt clown maquillé ou non maquillé ?

- A une certaine époque sur Paris, beaucoup de théâtres de mimes ont fermé leurs portes et les gens du cirque ont eu l'idée de reprendre leur maquillage, le visage peint en blanc. De là est né le clown blanc, avec sa face traditionnelle et par la suite certains ont rajouté une oreille rouge, un petit point sur le nez… Mais ce qui est intéressant c'est que chaque clown depuis l'origine, 1873 environ, a un sourcil maquillé différemment, avec sa propre signature. L'un va faire un trait fin, l'autre plus gros. Un jour, il y a un bonhomme, dans un cirque en Allemagne, qui était saoul ou sobre mais avec l'idée de faire des farces. Il est arrivé avec un costume trop grand sur la piste où un clown se produisait. Ce gars a commencé à se prendre les pieds dans le décor, a tout renversé et le clown sur la piste, vexé, lui a botté les fesses. Les gens rigolaient et criaient "august " qui veut dire "idiot" dans l'argot de la région de Berlin. Donc le personnage de l'auguste est arrivé de manière impromptue. Quand le directeur a vu ce succès il a demandé à ce que cela soit mis en place chaque soir. Et l'auguste avec les costume larges, les grosses chaussures et le nez rouge a démarré dans chaque cirque.

 

 

- Comment as-tu choisi ton maquillage ?

- J'ai eu deux, trois maquillages différents. Au début quand on travaille sur une piste de cirque, les gens sont loin alors on a tendance à faire une bouche un peu plus grande . Aujourd'hui le maquillage a évolué car on est désormais plus près des gens, notamment avec la TV. Il y a certains gadgets qui n'existent plus, comme la perruque qui tourne et les yeux qui pleurent parce que c'est un petit peu désuet. On a des augustes modernes qui tournent avec très peu de maquillage. A une certaine époque, certains clowns ne voulaient plus de clown blanc avec le traditionnel costume pailleté. Il a été remplacé par des clowns en smoking noir, d'ailleurs d'anciens clowns blancs, mais qui au final donnaient toujours la réplique. Et c'est toujours le cas aujourd'hui, la technique ne change pas ! Pareil pour les acteurs comiques tels Laurel et Hardy ou De Funès, où il y a toujours quelqu'un qui fait valoir directement ou indirectement les répliques ce qui est indispensable. C'est une dualité fondamentale.

 

- Donc est-il différent de faire rire selon que l'on soit maquillé ou non ?

- Oui c'est différent par rapport à ce que l'on fait. Dans un cirque, il y a des enfants mais aussi des parents et des grands-parents comme spectateurs donc il faut que le clown fasse rire toutes les personnes. Le comique du clown doit profiter à toutes les tranches d'âges mais il peut aussi ne travailler que pour les adultes. Je fais beaucoup de soirées avec essentiellement du close-up c'est-à-dire de la magie de table en table, on a alors un peu le rôle du bouffon. Lorsque je travaillais sur Paris à la Conciergerie j'ai exercé ce rôle du bouffon et j'ai été étonné de voir que pendant le repas, le bouffon peut se permettre de faire et de dire un certain nombre de choses tout en restant correct. Il a un côté un peu rentre dedans qu'on ne peut pas faire si on est un animateur traditionnel parce qu'il y a des limites. Mais avec un nez rouge tout passe car les gens s'aperçoivent que c'est pour rire.

 

- Alors qu'apporte le maquillage en plus ?

- Il est plus dans le côté traditionnel du clown et de l'auguste mais il est certain que certaines entrées de clowns peuvent se faire sans maquillage, notamment pour un spectacle d'adultes. Pour les enfants, le coté grosses chaussures et maquillages passe bien même si le maquillage s'épure de plus en plus.

 

- Comment as-tu choisi ton nom de scène ?

- Lorsque j'étais à l'armée, je faisais le clown en amateur et les gars de la chambre ont commencé à me donner des surnoms : Kiki, Kirou, et un jour Kinou. A cette époque j'ai rencontré mon partenaire Rocky et je me suis dit que les clowns Rocky et Kinou c'était sympa comme noms, ça sonnait bien. Et à la sortie de l'armée je l'ai déposé comme pseudonyme officiel.

 

- Peux tu nous parler de la vie, du quotidien dans un grand cirque ?

- Tout le monde voit le côté un peu pailleté et fabuleux sous le chapiteau mais le cirque se déplace avec les familles et les problèmes. Il y a pas mal d'histoires internes, de petites salades. Et très souvent les camions sont garés loin de la piste ce qui veut dire que 9 fois sur 10 il faut mettre les pieds dans la gadoue pour y parvenir. Il est clair qu'il existe un certain nombre de contraintes mais il y aussi des moments fabuleux, des fêtes, des mariages. J'ai fait peu de tournées de cirques car une grosse tournée dure 10 mois et ce n'est pas forcément évident pour la vie de famille, la scolarisation de enfants…J'ai fait plus des tournées de plages de 2 ou 3 mois.

 

- Quelle est ta conception du cirque aujourd'hui ? Es tu plus pour un show grandiose à la Barnum ou pour un spectacle de proximité ?

- Clairement pour la proximité car plus le chapiteau est immense plus les gens sont loin et ce n'est pas évident. Les structures fixes telles le Cirque d'Hiver à Paris permettent même en haut des gradins de voir le maquillage des artistes en poste. Si on prend la conception du cirque, je suis persuadé que l'on va progressivement vers un cirque sans animaux parce qu'ils sont dans des petits cirques et ne sont pas spécialement heureux de tourner dans des cages de trois mètres de large avant de faire un numéro. La protection animale est intervenue et la prise de conscience du public fait qu'aujourd'hui les mentalités changent.

 

- Tes publics changent au fur et à mesure des spectacles, comment prépares tu ces derniers ? As-tu un canevas fixe autour duquel tu vas broder en fonction des soirs ?

- Quand on fait une entrée de clowns à deux, on a intérêt à avoir deux trois ficelles et de bien connaître le métier. Mais parfois si il y a un incident technique avant de rentrer sur scène, il faut pouvoir anticiper pour embrayer sur une autre entrée, donc avec un nouveau numéro.

 

- L'art du clown est-il plus visuel, gestuel ou de situation ?

- Il y a du visuel. Etant plus jeune on peut se permettre de tomber plus facilement, avec des ballons et d'autres accessoires, lorsque l'on vieillit on est plus dans des numéros fixes. Chaque situation est différente. S'il y a beaucoup de bruit , avec un bar à côté, on ne va pas faire de la parodie puisque les gens n'écouteront pas alors on axera beaucoup plus sur le visuel. Il faut adapter en fonction de la scène, de la salle, du public.

 

- Fais-tu beaucoup d'improvisations ?

- Le clown hospitalier travaille de plus en plus dans l'improvisation, souvent en binôme. Lorsqu'on arrive, c'est intéressant car parfois on ne sait pas du tout sur quoi on va partir, même si l'on a une trame de base on peut partir dans n'importe quel délire en fonction d'un objet, de la salle, de l'enfant ou de sa pathologie. Et puis j'aime bien changer, j'achète souvent des nouveaux tours de magie, pour proposer des gags et des situations nouvelles. J'aimerais aussi changer mes entrées. Il existe des clowns qui ont fait carrière pendant 40 ans avec la même entrée. Je pense que ça devait être un peu rébarbatif. Exemple Grock qui a fait un numéro d'horloger pendant plus de trente ans.

 

- Dans ta carrière, t'est-il déjà arrivé d'être confronté à une audience qui ne rit pas et si oui, comment fais-tu alors pour rattraper ton public ?

- Oui c'est déjà arrivé d'avoir des spectacles un peu durs où ça ne part pas mais c'est étonnant car on peut faire la même entrée, les mêmes sketchs et répliques devant un autre public, on aura jamais le même résultat. Si un premier gag ne porte pas et que le second ne fonctionne pas non plus, on entend souvent le clown blanc qui dit à l'auguste d'accélérer pour amener plus vite les gags qui portent. Il faut savoir vite passer à autre chose mais quand on a le métier on y pense vite. Encore une fois il faut avoir un numéro adapté à l'âge du public. Le clown ne va pas proposer les mêmes choses face à des ados ou des maternelles.

 

- Il existe une vision très stéréotypée du clown, comment expliques tu cela ?

- Cette vision du clown a été stéréotypée par rapport aux médias et à la publicité. On voulait faire une pub pour une lessive on mettait un clown avec un costume à carreaux et un maquillage un peu forcé. Pourtant chaque véritable clown dispose de ses propres qualités. L'un va être doué pour faire de la magie avec des objets, d'autres avec des cartes. Ce qui fait que chaque spectacle est différent, notamment pour la visite d'enfants malades où chaque instant passé avec eux sera différent en fonction des chambres.

 

- Parle nous un peu de l'association, comment t'es venu l'idée de proposer aux enfants d'hôpitaux des spectacles et visites de clowns ?

- Je tourne en clown depuis des années, je suis arrivé en Haute Savoie il y a 27 ans et il m'est arrivé peu après un petit accident vasculaire car je faisais partie des mecs un peu speed, plus j'en avais dans l'agenda plus j'étais content ! Il fallait que je trouve un truc pour déstresser, désangoisser et être un peu plus cool. Je rencontre un médecin qui s'occupe beaucoup de relaxations, d'homéopathie et de médecines douces et qui après avoir discutés me dit "Je veux absolument que l'on bosse ensemble car je fais des réunions sur plusieurs sujets et je voudrais qu'on fasse une conférence ensemble". Il me propose alors une réunion à la faculté de Genève où j'arrive avec mes chaussures et mon nez rouge. Erreur de ma part : je ne lui ai pas demandé le thème de sa conférence et elle portait sur le SIDA et le cancer. Je me suis servi de ce que je savais c'est-à-dire que dès que je voyais qu'il était un petit peu trop stressant, angoissant dans son exposé, j'intervenais pour faire un gag, un tour de magie ou de ballons, les gens rigolaient et donc je trouvais toujours un à propos pour arriver à placer un gag. Le docteur enchanté m'a dit alors qu'il serait intéressant de faire une conférence sur le rire. En tant que clown j'ignorais pourtant les bienfaits du rire. Quand on rigole, on a mal à la ceinture abdominale tout simplement parce que le diaphragme monte et descend et fait un massage. Pourtant quand on étudie ce que le rire apporte à l'être humain, on s'aperçoit que l'on a rien inventé puisque des populations africaines pratiquent depuis des siècles cela. Quand une personne est malade, ils se réunissent autour de lui pour le faire rire afin que le mal qui est en lui sorte. Les apaches aussi depuis des années coupent le sorcier pour faire rire les gens au milieu de ses actions. On a retrouvé des documents datant de 1 500 ans A.V.J.-C. de prêtres chinois qui expliquaient les bienfaits de la relaxation. C'est intéressant car, à l'heure où tout le monde revendique les bienfaits de la pensée positive, on s'aperçoit que tout existe déjà depuis des milliers d'années. A cette époque, les chinois faisaient allonger la personne et lui faisait visualiser un sourire qui passait dans les différentes parties de son corps afin d'ouvrir le cœur notamment. Pareil chez les esquimaux, lorsqu'il y a un conflit, tous les gens du village se réunissent dans une grande pièce et les deux personnes en conflit doivent se faire rire afin de mettre un terme au problème. Aujourd'hui on parle de thérapie par le rire, il ne faut pas non plus pousser le bouchon trop loin. Pour moi le rire est plus une énergie positive qui est complémentaire à toute forme de thérapie. Si l'on rit plus, on est plus dans le positif et on a plus de chance de s'en sortir parce qu'on a cette énergie du rire qui aide. On a des résultats étonnants. Par exemple, j'étais un jour à un goûter d'anniversaire côté suisse, face à des gamins plutôt énervés c'est pourquoi à la fin je ne me suis pas changé, je suis resté habillé et maquillé et en passant la frontière française je suis allé voir les gamins à l'hôpital qui ne m'attendaient pas. J'ai commencé à leur faire des petits tours de magie, des tours avec des ballons. J'y suis retourné régulièrement, les infirmières me connaissaient toutes, j'ai fait ça pendant 15 ans. Un jour le Lion's Club nous a offert un chèque de 1000 euros chacun pour acheter des ballons et du matériel. L'année d'après, ils ont recommencé et il m'est venu l'idée de structurer une association où l'on achète du matériel (costumes, cadeaux pour les enfants, perruques et accessoires de magie). Aujourd'hui l'association est bien structurée, on est une quinzaine et l'on tourne dans les cinq hôpitaux de la Haute Savoie toutes les semaines. Un clown passe dans les hôpitaux et quand je dis clown j'entends aussi bien un magicien, un musicien, une conteuse qui vont voir les enfants pour leur faire des animations. Cette association s'appelle "Semeurs de joie" et en plus des hôpitaux on a rajouté des centres pour enfants handicapés, des IME…

 

 

- Quelle est ta démarche face à un enfant blessé physiquement ou moralement ? Dédramatiser ?

- C'est plus pointu. J'ai créé un code de déontologie assez sérieux. Il y a certains critères à respecter, d'hygiène, de choses à ne pas faire…Dans les hôpitaux du coin on trouve des pathologies classiques mais si un enfant à un gros problème type cancer, il est transporté sur Lyon ou Grenoble. Il y a environ 15 ans, j'ai travaillé avec les structures de Lyon où l'on adopte un travail complètement différent. En tant que clown, on peut changer certaines situations. Si l'enfant est derrière une glace, on peut lui faire certains gags visuels, s'il est dans une bulle, il y a juste deux mains et on peut les passer pour lui faire un tour de magie. Pour les grands brûlés, recouverts de bandages jusqu'au cou il faut aussi s'adapter donc à chaque fois il y a des techniques que l'on peut faire. Je démarre actuellement la visite d'enfants à domicile qui sortent de chimio et de traitement lourds. Nous sommes là pour leur apporter une petite récréation, une détente accompagnées de joie et de bonne humeur plutôt que de passer l'après midi devant la TV.

 

- Comment le corps médical vous reconnaît-il ?

- Dans les premières interventions de type clownesque dans les hôpitaux, personne n'était préparé. Depuis il y a eu beaucoup de réunions, de conférences, d'émissions, d'articles. Il y a des accords passés avec le médecin car le clown ne rentre pas comme cela dans un hôpital et au début on craignait qu'un clown rentre dans un service lourd en disant qu'il avait un gros nez rouge mais au final on s'est aperçu que le gosse était tout de suite prêt à s'amuser et à rire. Il le reçoit très positivement comme les parents qui sont bouffés d'angoisse avec les problèmes de leur enfant depuis des semaines voire des mois et qui se surprennent à sourire parce qu'ils voient leur enfant s'amuser. Il se passe alors un truc fabuleux et petit à petit il y a une connivence qui s'est faite. En Suisse les clowns ont accès aux dossiers médicaux des enfants moi je ne pense pas que ce soit nécessaire. En revanche, il est important que le clown ait quand même une information. Savoir de quel problème souffre l'enfant peut nous éviter de commettre des erreurs.

 

- Penses-tu que l'on puisse rire de tout ?

- Au début je pensais que l'on ne pouvait pas rire de tout, je pense qu'il y a quand même des thèmes à respecter, sur le plan humain il a des choses délicates c'est-à-dire qu'on ne peut pas rire de tout n'importe quand et n'importe comment. Par contre je m'aperçois qu'on retrouve le rire partout et en tout. Beaucoup de personnes sont venues me voir suite à une conférence en me disant "Vous savez, j'ai connu les camps de concentration", heureusement que l'on peut rire de cela. Des personnes rigolent dans les endroits les plus sordides, où des enfants fouillent dans les poubelles, on parle des favelas, des ghettos et là bas le rire y est permanent. En Afrique les gamins qui vont chercher l'eau à trois kilomètres de chez eux avec des gamelles le font en rigolant alors que chez nous si l'on n'a pas d'eau au bout de dix secondes c'est une catastrophe !

 

- Formes-tu des personnes pour devenir clown ?

- Pour le travail de clown hospitalier, je donne des éléments et des indications mais actuellement je ne travaille que pour l'équipe hospitalière même s'il arrive que des gens viennent d'ailleurs pour avoir des informations techniques.

 

- Parle nous des acteurs, lorsque tu les regardes à la télévision, tu te sens assez proche d'eux par rapport à la façon de travailler le comique ?

- Oui je me sens très proche des duettistes, que ce soit Laurel et Hardy, Roger Pierre ou Jean Marc Thibault car au final on a toujours une dualité. Pour eux ce sont des sketchs, pour nous des entrées de clowns mais le principe reste le même, que ce soit la parodie, le dialogue…

 

- Tu as très bien connu Jean Richard, que peux tu dire de lui ?

- Ce n'était pas un patron mais un ami. C'était un homme passionné, des animaux d'abord, il a d'ailleurs monté le zoo Jean Richard, puis est venue la passion du cirque. Il existait d'ailleurs un cirque qui n'était pas à lui mais qui portait son nom, en réalité ce cirque appartenait à la famille Gruss. Après il y a eu le cirque Pinder Jean Richard, puis il a racheté Médrano qui faisait alors faillite. A une époque il possédait ces cirques plus la Mer de Sable et le zoo. C'était un grand monsieur, un personnage étonnant, passionné de comique, des clowns et du rire. Il faisait partie d'un clan de cabarets. Beaucoup ignorent qu'à ses débuts il était caricaturiste, il faisait des dessins et il était, à cette époque, avec quelques personnes dont Francis Blanche, Roger Pierre, Jean Marc Thibault, Darry Cowl et ils tournaient dans des cabarets comme L'Amiral par exemple.

 

- Concernant Roger Pierre ?

- Il habitait justement à Ermenonville et il était le parrain du fils de Jean Richard. Il était très sympa, gentil mais tous étaient des gars abordables. Quand on se croisait on discutait ensemble quelques minutes, il n'y avait jamais aucun problème.

 

- Tu as aussi connu Maurice Biraud ?

- Oui, on a fait une tournée ensemble, je l'ai bien connu. Je me souviens de quelqu'un de très avenant, ouvert, pas de grosse tête et un excellent comique !

 

- Et pour finir Jean Lefèbvre ?

- J'ai de bons souvenirs avec lui aussi parce qu'on a mangé ensemble le midi pendant un long moment durant le tournage d'un film où je jouais un petit rôle de cavalier et qui s'appelait "Le fou du labo 4" où étaient notamment présent Pierre Brasseur et Bernard Blier. Le tournage a eu lieu dans ce fameux parc de western et j'étais souvent avec lui. Ce qui m'a touché c'est qu'il possédait un côté très clown, un côté auguste, à côté de ses pompes et ce qui est drôle c'est qu'il était aussi comme ça dans la vie. Dans une scène de film, il devait arriver déguisé en Zorro avec un fouet il n'a jamais pu le claquer, il était dangereux tellement il était maladroit, tout le monde se planquait et il a même du être doublé !

- Tu es plutôt muet ou parlé ?

- Je n'ai pas de préférences même si j'admire des acteurs comme Chaplin qui à l'époque devait forcer l'effet pour faire passer le comique et faire ressortir le gag. Aujourd'hui certaines choses peuvent nous paraître désuètes mais elles étaient fondamentales dans le comique de cette époque. Certains clowns font beaucoup de muets tels Charlie Rivels tout simplement parce qu'il avait horreur d'apprendre les autres langues. Il a fait beaucoup de pays, notamment en Scandinavie. Alors que les clowns apprenaient phonétiquement pour jouer dans les autres pays, lui n'était pas intéressé.

 

- Nous allons parler de Louis de Funès mais avant peux tu simplement nous dire quelle est ta réaction face aux diverses critiques, bonnes ou mauvaises que tu as rencontrées ?

- Les critiques ont souvent été positives même si on ne peut jamais plaire à tout le monde. Par exemple pour De Funès, il ne plait pas à tout le monde. Beaucoup vont dire "Oh il est un peu trop exubérant" et justement il a ce côté où il force le gag tout en restant dans le comique pu et dur, de base. Mais il y a des gens qui préfèrent l'humour à l'anglaise et heureusement d'ailleurs qu'il en existe pour tous les goûts mais pour revenir à la critique lorsqu'elle est positive elle permet toujours d'avancer. Concernant Louis de Funès j'ai personnellement toujours beaucoup aimé cet acteur, je retrouve en lui l'auguste à travers ce côté pétillant. Ce n'était pas un grand bonhomme physiquement mais il était une véritable boule de nerfs qui gesticulait. Il y a eu des augustes comme ça, dont François Fratellini. Il appuyait énormément ses mimiques car il en avait la possibilité à travers son visage. De Funès savait jouer avec ses traits, ses expressions. Ce qui est fantastique dans ses films, notamment le Gendarme, c'est qu'il y a une silhouette familière qui symbolise quelque chose, un gendarme ou un patron par exemple, où l'on respecte le personnage mais on se moque de ce qu'il représente. On retrouve toujours ses répliques rapides, qui jaillissent, ça va vite et c'est très riche. Il avait une véritable nature comique, qu'il a développée et qu'il a fait vivre. Je ne l'ai hélas jamais rencontré, j'aurais vraiment apprécié.

 

- De Funès disait que le public le plus exigeant reste les enfants…

- C'est vrai. Je le remarque particulièrement lorsque je fais des tours de magie. Un enfant va avoir une certaine naïveté, un côté rêve de gosse à s'émerveiller d'un objet qui disparaît contrairement à l'adulte qui est dans la pure analyse technique et cherche le pourquoi du comment en se disant qu'il existe forcément un truc ! Et très souvent le gamin est prêt de comprendre le tour car l'illusion reste dans la grande majorité des tours simples avec de la manipulation et des trucages de base. Il vaut mieux rester dans le rêve; c'est pourquoi l'enfant s'amusera plus.

 

Louis De Funès au Gala de l'Union 1963

 

- On disait de lui qu'il était un clown…

- Dans le sens noble du terme bien sûr, il était un véritable auguste. J'aime beaucoup ses duos comiques notamment avec Bourvil. Le tandem accroche vraiment bien, ils étaient excellents avec un magnifique côté faire valoir. Bourvil avait ce côté un peu rentré, un comique plus forcé, d'ailleurs il était très timide, et avec un de Funès qui grimpe aux murs et qui fait la toupie, les rôles sont distribués d'office et le comique prend immédiatement. Le risque des duos reste que l'un peut chercher à bouffer l'autre ou à lui marcher dessus. Avec Bourvil et De Funès ce n'était pas le cas, certainement aussi parce qu'ils étaient bien dirigés et que Bourvil n'avait pas ce côté rentre dedans. Ils n'ont pas cherché à tirer la couverture ce qui augmente encore plus le duo comique ! Prenons l'exemple de Gabin qui avait une personnalité forte, il était évident que cela se passait plus douloureusement ! Quand ton partenaire a du mal à se chauffer il faut le tirer et c'est un travail qui reste complémentaire entre les deux !

 

- Aurais-tu imaginé Louis de Funès faire des one man show comme certains de l'époque le faisaient ?

- Je pense que oui mais il lui aurait fallu une mécanique bien adaptée. Mais il connaissait cela puisqu'il a longtemps fréquenté les cabarets.

 

- Comment expliques-tu sa dimension universelle ?

- Un de Funès, c'est du film parlé, avec une gestuelle forte et une trame qui sera toujours d'actualité donc il n'y a pas de problème. Contrairement à Chaplin qui est muet, donc moins vendeur et que certaines générations n'ont pas suivi ce qui fait que beaucoup d'enfants d'aujourd'hui ne le connaissent pas parce que leurs parents ne s'y intéressaient pas ! Mais ce que j'aime chez lui c'est que même dans ses rôles où il rabroue les autres ce n'est pas le méchant mais le chiant !

 

- Selon toi la plus grosse qualité de son jeu ?

- La sincérité car quand tu fais rire et que ça t'emmerde de le faire ça se voit et avec lui il n'y avait pas de tricheries. Il aimait faire rire et il le faisait avec spontanéité. Il y a une phrase qui ressortait souvent chez les vieux clowns que j'ai interviewés et qui correspondrait à De Funès : ils ne disaient jamais "Oh j'ai fait un tabac, j'ai fait un malheur". Quand ils sortaient de scène et qu'ils avaient accompli un numéro magnifique ils disaient "Ce soir on a fait plaisir", c'était l'expression de ces vieux clowns du début du siècle. Pour faire plaisir il faut donner et donc être sincère. C'est ce que De Funès faisait.

 

- On parle toujours du mythe des comiques tristes dès que l'éclairage s'éteint ?

- Je pense que c'est faux, c'est une image. Il y a eu beaucoup de représentations de tableaux, de peintures, de dessins, de sketchs, de poèmes sur le clown triste. Lorsque l'on voit De Funès dans une scène de film entrain de s'activer, et qu'à la pause, il s'assoit cinq minutes, le gars qui va passer à ce moment là va se dire "Qu'est-ce qu'il est triste" parce que les gens veulent voir leur comique tout le temps comme il exerce son métier. Mais un clown peut perdre se femme, avoir un cancer ou des problèmes familiaux et professionnels. Il n'est pas triste il est réaliste. J'ai noté que la majorité des grands artistes sont d'une nature assez sensible, je dirais même très sensible pour certains, et je suis sûr que De Funès faisait partie de ces gens là qui ont une hyper sensibilité. Beaucoup d'entre eux faisaient des poèmes ou écrivaient des petits textes, prenaient des notes…Ils étaient sensibles aux problèmes du monde, à la douleur d'un gamin. Ce n'est pas être triste mais les gens ne le comprennent pas toujours.

 

- Pour clôturer cette interview, quel regard portes-tu sur ta carrière ?

- Je ne vais pas faire de l'autosatisfaction, j'espère surtout faire encore beaucoup de choses. Je ne veux pas me mettre en avant et faire le vieil artiste sur scène. J'ai souvent vu des clowns en augustes qui, à 70 ans, faisaient des numéros encore très propres. Mais le jour où tu fais moins marrer il faut que tu raccroches. Mais tu peux transmettre ton savoir et le faire partager aux nouvelles générations. On a tous des regrets dans notre carrière. Je n'ai pas accepté les propositions de grandes tournées de cirques car cela posait trop de contraintes pour ma famille et mes enfants.

 

- Quelle aurait été ta vie si tu n'avais pas été clown ?

- Je ne la voyais pas autrement mais sans aucun doute dans le domaine du spectacle avec des chevaux.

 

Le site de Kinou : ICI

L'association Semeurs de Joie : ICI

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