Daniel Vogel

 

AAAIIY La carrière de Daniel Vogel - comme assistant opérateur puis caméraman et directeur photo - totalise une centaine de films qui l'ont fait à travers le monde. Pendant quatre décennies, il a travaillé dans des genres différents en alternant les emplois de cadreur et de directeur de la photographie. En effet, certains chefs opérateur acceptaient dans leur équipe un cadreur qui assurait pourtant à l'occasion les fonctions de directeur photo.

AAAIIY Ainsi, il fut le caméraman de Marcel Grignon sur "Shaft in Africa" (une production de la Metro-Gooldwin réalisée par John Guillermin), de Ghislain Cloquet sur "Love and Death" de Woody Allen, ou encore de Pierre Lhomme sur la série américaine "Mistral's daughter". Entre autres, il fut directeur photo sur "Le Distrait" de Pierre Richard, "La Modification" de Michel Worms ou encore "On a volé Charlie Spencer" de Francis Huster. A de rares occasions, les exigences de producteurs économes le conduiront à assurer les deux emplois de directeur photo et de cadreur sur un même film.

AAAIIY Dans la dernière partie de sa carrière, il se consacra à l'éclairage d'opéras et ballets à New York, à Berlin, Moscou, Cardiff ou encore Bastille, Lille, Lyon ou Strasbourg ("Katia et Volodia", "La vie parisienne", "Montezuma", "Les Sept péchés capitaux").

AAAIIY Au cours de notre entretien à la Cinémathèque de Paris, Daniel Vogel nous a évoqué ses souvenirs sur les tournages de "Sur un arbre perché " (Serge Korber, 1970) et de "Jo " (Jean Girault, 1971) où il était cadreur de Edmond Séchan et Henri Decäe. Nous remercions chaleureusement cet homme sympathique pour le temps qu'il nous a consacrés.

 

Rappel : Le chef opérateur, également appelé directeur de la photographie, est le responsable technique des prises de vues et de la qualité artistique de l'image. Sur un plateau ou en extérieurs, il prépare l'éclairage afin de restituer les tons et les couleurs selon les attentes du réalisateur. Il doit ainsi coordonner les efforts de trois équipes : caméra, machinerie et lumière/éclairage. Le cadreur (ou caméraman) est le technicien qui dirige la caméra lors de prises de vues, il est responsable du " cadrage ".

 

Daniel Vogel à la caméra sur le tournage de "Sur un arbre perché"

 

Interview de M. Daniel Vogel du 17 février 2012 pour Autour de Louis de Funès

 

- Monsieur Vogel, vous êtes un opérateur et directeur de la photographie diplômé de l'école Vaugirard Louis Lumière en 1958. En 1963, vous travaillez dans l'équipe d'André Germain sur le film "Faites sauter la banque" avec Louis de Funès. Afin de comprendre comment vous êtes devenu opérateur, pourriez-vous nous relater les cinq premières années de votre carrière professionnelle ?

- Effectivement, je suis passé par Vaugirard de 1956 à 1958. J'ai ensuite poursuivi avec une année d'études à l'IDHEC (Institut des Hautes Etudes Cinématographiques), avant de faire mon service militaire pendant vingt-huit mois au cinéma des Armées. En réalité, on ne sort pas de Vaugirard comme opérateur ou chef opérateur. Il faut entrer dans la profession pour apprendre le métier sur le terrain. Bien sur, j'ai beaucoup appris à l'école, surtout la théorie ; j'ai participé à quelques films à l'armée, mais vous savez, lorsque j'ai débuté dans le cinéma en 1962 comme 2ème assistant opérateur, j'entretenais les batteries et Les caméras qui en avaient besoin. Je faisais aussi des bouts d'essai à la demande du directeur photo. A cette époque, je ne savais d'ailleurs pas très bien vers quel genre de cinéma je voulais aller. J'ai commencé par faire du grand reportage, notamment un grand film publicitaire pour Land Rover qui a conduit l'équipe à Londres, Bombay, Katmandou, en Iran et en Afghanistan. Cette aventure a duré plus de six mois et, lorsque je suis revenu en France, il fallait que je trouve du boulot pour progresser professionnellement. Je suis devenu second assistant opérateur, puis premier assistant.

 

- C'est à ce moment que vous avez rencontré André Germain ?

- Non, j'avais connu André Germain à l'occasion d'un stage réalisé en 1957, entre mes deux années à Vaugirard, sur un film ("A pied, à cheval et en voiture") de Maurice Delbez. André Germain m'a probablement apprécié car, lorsque je cherchais du travail en 1963, il m'a pris comme assistant opérateur sur "Faites sauter la banque". Le film se tournait aux studios d'Epinay. Très tôt le matin avant le tournage, je me rendais dans les laboratoires Eclair pour suivre et apprendre l'étalonnage, ce qui m'a beaucoup servis par la suite.

 

- Quels souvenirs gardez-vous du film "Nick Carter va tout casser" de Henri Decoin sur lequel vous étiez assistant ?

- Sur le film de Decoin, je me suis demandé si je n'allais pas quitter ce métier avant d'y être vraiment entré. "Nick Carter va tout casser" se tournait à Nice. C'était le cadreur Guy Suzuki qui avait fait appel à moi et je me suis trouvé dans l'équipe de Lucien Joulin. Ce chef opérateur d'une classe exceptionnelle avait travaillé sur de nombreux films en noir et blanc, peut-être même à l'époque du cinéma muet, mais n'était sans doute pas "update" pour le cinéma du moment. La première semaine de tournage en extérieurs a été très difficile, elle avait lieu la nuit près d'une voie ferrée. Au cours de la semaine, on ne pouvait pas voir les rushes car la pellicule était directement envoyée aux studios Eclair à Paris. Une projection fut cependant organisée le samedi soir dans les studios de la Victorine qui subissaient alors d'importants travaux. Dans ces conditions, la projection ne fut pas très bonne et, une fois la lumière rallumée dans la salle, M. Constantine et le réalisateur ont été très vindicatifs contre Lucien Joulin. Le lundi matin, le chef opérateur n'était pas sur le plateau. Il s'était suicidé pendant le week-end. Cette histoire m'a beaucoup marqué et je me suis demandé s'il valait la peine d'exercer une profession qui, pour une raison injustifiée, avait poussé un homme au suicide. Joulin ne reviendrait pas, devais-je quitter ce film ? Comme ce n'était pas lui qui m'avait choisi, j'ai décidé de continuer. Le tournage a été interrompu pendant trois jours, le directeur photo Henri Persin est arrivé, et le travail a repris. C'est à cette occasion que j'ai rencontré Persin, (directeur photo de plusieurs "Angélique, Marquise des anges"), et j'ai travaillé l'année suivante avec lui sur "Coplan casse tout" de Riccardo Freda.

 

- Vous avez fait plusieurs films réalisés par Freda ?

- Non, deux seulement. "Coplan casse tout" était le premier. Sur son film suivant ("Roger la honte"), Freda m'a fait passer cadreur. Freda avait l'idée saugrenue - mais très intéressante - de tourner de nombreux plans à deux caméras. C'était surtout compliqué pour le chef opérateur car nous tournions les champs et les contrechamps en même temps, comme si nous étions sur deux plateaux différents. Pour l'image même, il fallait faire attention aux perspectives des murs. Sans précaution, le spectateur risquait d'avoir l'impression que les acteurs se trouvaient dans une pièce en forme de losange alors que les murs des décors étaient en réalité parallèles. Sur le plan technique, c'était donc très intéressant et j'ai beaucoup aimé cette expérience.

 

-Vous étiez aussi assistant sur "La Bourse et la vie" de Mocky, avec Fernandel. Quels souvenirs conservez-vous de ce comédien qui a marqué sa génération ?

- Lors des tournages, les grands comédiens comme Fernandel ou Louis de Funès avaient conscience que, lorsque leur film serait projeté sur l'écran, le regard des spectateurs ne devrait pas être attiré par quelque chose d'autre qu'eux. Or, Mocky s'occupait parfois plus des seconds rôles en arrière-plan que de la vedette Ce qui mettait Fernandel hors de lui. A la fin de certaines prises de vue, Mocky s'avançait non pas vers Fernandel mais vers le comédien Gabriello pour discuter de la scène que nous tournions. J'ignore si c'était Mocky qui avait choisi de travailler avec Fernandel - car cela ne me regarde pas - mais de nombreux détails qui entouraient Fernandel semblaient l'intéresser plus que Fernandel lui-même. Ce n'est pas une situation que j'ai connue avec Louis de Funès car tant Korber que Girault et Vilfrid travaillaient pour lui.

 

Sur un arbre perché

- En 1970, vous êtes engagé sur le film "Sur un arbre perché" de Serge Korber dans l'équipe du directeur photo Edmond Séchan.

- Oui je me suis trouvé sur ce film car je venais de faire un film comme cadreur d'Edmond Séchan. Nous venions de terminer "Le Lys de mer" de Jacqueline Audry. "Sur un arbre perché" a été une expérience intéressante, mais plus sur le plan technique qu'artistique. Le film a d'abord été tourné avec des doublures sur les falaises de Cassis. Nous avons fait des prises de vue dans tous les axes, tous les sens. Cette phase a duré au moins deux semaines, peut-être plus. Les trois comédiens principaux ne sont pas descendus dans la voiture à Cassis. Alice Sapritch et Paul Préboist ont fait le déplacement pour quelques prises de vue. On s'est ensuite retrouvés aux studios de Boulogne. Ce fut très complexe pour donner une crédibilité à la position de cette voiture, vis-à-vis de la mer que nous avions reconstituée avec une distance et une profondeur très faibles. Nous devions prévoir suivant les angles de prise de vue, si l'arrière plan devait être la mer ou le ciel, ainsi que la position de l'horizon. Edmond Séchan était passionné pour résoudre ces questions auxquelles il m'associait.

 

- Avez-vous assuré les prises de vue en hélicoptère ?

- Si ma mémoire ne me trompe pas, j'ai effectué la prise de vue aérienne du dernier plan du film tourné sur un îlot minuscule entre Antibes et Golfe-Juan. Comme l'île ne se trouvait pas en pleine mer, le plan en hélicoptère était excessivement limité par rapport au bord de mer et les immeubles qui s'y trouvent.

 

Dernier plan du film "Sur un arbre perché"

 

- Quelles relations aviez-vous avec le directeur photo Edmond Séchan et les assistants Jacques Lefrançois et Christian Dupré ?

- Très bonnes, j'ai participé à trois films comme cadreur de Séchan ("L'Arbre", "Le Lys de mer", "La Peau de Torpédo"). Mais Jacques, Christian et moi n'avons plus fait partie d'une équipe avec quatre personnes - éventuellement cinq s'il y a un photographe de plateau - comme cela avait pu se faire des années auparavant. Une équipe se constituait pour un film, elle était réunie pour cette occasion par le chef opérateur ou la production. Nous pouvions nous retrouver par ailleurs mais nous n'étions pas des cadreurs ou des assistants attachés à un seul chef opérateur.

 

- Louis de Funès appréciait beaucoup Serge Korber, non ?

- Ah oui, il y avait une connivence extraordinaire entre eux. Sur "L'Arbre", au studio, pendant la préparation d'une prise de vue, ils s'asseyaient dans leurs fauteuils très près de la caméra et étaient très détendus.

 

- Vous souvenez-vous de votre premier contact avec Louis de Funès ?

- J'ai eu beaucoup de respect pour cet homme dès notre premier contact car il était un professionnel qui connaissait très bien son métier et les attentes des spectateurs. Il savait exactement comment il devait jouer pour son public. Lorsqu'ils voyaient ses films, les spectateurs devinaient ce que de Funès allait faire en fonction des situations et de ses mimiques, mais cela ne marche que si on est seul à l'écran. J'ai connu une expérience un peu similaire sur "Mais où est donc passée la 7ème compagnie ?", où j'étais le cadreur de Marcel Grignon. Dans ce film de Lamoureux, on retrouve des acteurs français et Aldo Maccione. Le groupe français autour de Robert Lamoureux - auteurs, acteurs et producteurs - avait constaté que le personnage de Maccione attirait souvent les rires des spectateurs. On constate que Aldo Maccione ne figure plus dans les suites de la trilogie.

 

Reconstitution en studios d'un pin parasol et de la mer.

 

Jo

-Quelques mois plus tard, vous retrouvez Louis de Funès pour le tournage de "Jo". Comment vous êtes-vous trouvé dans l'équipe de Henri Decäe ?

-"Jo" fut une autre expérience. C'est un film que je n'ai pas commencé, bien que je connaissais Henri Decäe. Je crois que Louis n'était pas satisfait du cadreur qui avait commencé le tournage; Comme Louis me connaissait du tournage de "Sur un arbre perché", il m'a fait demander. Cette décision sévère pour mon collègue faisait partie du caractère de Louis. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, Louis de Funès savait exactement ce que le public voulait voir sur l'écran. Lorsque nous préparions une prise de vue, Louis observait le plateau, notamment les placements de sa doublure lumière. Quelques fois, il allait trouver Girault. Tous deux se mettaient alors à discuter tout en marchant. Et la phrase que Louis disait parfois, en faisant de petites mimiques, était "il est très, très, très gentil". En clair, le gars dont ils étaient en train de parler était soldé. Je pense que c'est ce qu'il avait dû dire du cadreur qui avait commencé le tournage, et qui, peut-être, n'appréciait pas suffisamment la gestuelle de Louis.

 

- Assistait-il à la projection des rushes ?

- Louis n'allait pas aux rushes en même temps que l'équipe ; il les voyait avec le directeur de production Ralph Baum. Il disait qu'il n'aimait pas entendre de réactions sur les rushes car il avait la sensation que c'était le montage qui allait donner de l'importance aux effets, pas forcément le fait que tout le monde éclate de rire lorsque le metteur en scène disait "coupez".

 

-Dans "Sur un arbre perché", de Funès est peu en mouvement, dans un quasi huit clos. A l'inverse, dans "Jo", il occupe différemment l'espace car il court dans tous les sens.

- Oui, ce fut complètement différent de travailler sur ces deux films. "Sur un arbre perché" fut sans aucun doute un tournage beaucoup plus intime. "Jo" était une très grosse production, intégralement tournée dans le plus grand studio de Saint-Maurice. Le décor comprenait un parc qu'on n'éclairait pas lorsqu'on n'en avait pas besoin pour ne pas brûler les arbres. Mais Louis n'était pas le seul à courir. Vous savez qu'il ne s'agissait pas d'un scénario écrit par Girault et Vilfrid, mais d'une pièce de théâtre "The Gazebo" qui avait été adaptée au cinéma aux Etats-Unis. Nous disposions d'une copie de ce film. A plusieurs reprises, et notamment pour la scène où le magot est caché dans un trou, je me rappelle que Girault, Vilfrid, Decäe et moi sommes allés dans la salle de montage pour visionner ce passage et voir comment les Américains avaient placé leur caméra.

 

- Comment était de Funès sur le plateau ? Etait-il le patron ?

- Non, le patron était le metteur en scène Jean Girault qui était tout à fait maître de ses moyens. Dans le studio que nous occupions, Louis avait sa loge et peu de raisons l'obligeaient à être présent sur le plateau avant "moteur".

AI

Toutes les scènes de "Jo" ont été tournées sur un même plateau aux studios de Saint-Maurice

 

- Quelles relations entretenaient de Funès et Girault ?

- Vu le nombre de films qu'ils avaient déjà faits ensemble, ils n'avaient pas besoin d'avoir une connivence permanente, à rigoler ensemble tout le temps. De toute façon, Girault n'était pas un homme qui riait beaucoup ou qui chahutait.

 

- Combien de temps duraient les prises de vue pour des films comme "Sur un arbre perché" ou "Jo" ?

- "Jo" a pris pas mal de temps, probablement plus de deux mois. Quant à "Sur un arbre perché", nous l'avons tourné en deux parties, je pense qu'on s'approche aussi des deux mois de tournage.

 

- De Funès improvisait-il beaucoup ?

- Ah non pas du tout. Lorsqu'il arrivait sur le plateau, son texte était appris et son jeu bien préparé.

 

- Intervenait-il sur le plan technique ?

- Non mais, en réalisant des films par la suite, il prouvait qu'il avait des connaissances techniques solides.

 

- L'occasion de travailler encore avec lui ne s'est jamais présentée ?

- Non, "Jo" a été mon dernier film avec Louis de Funès. Je travaillais alors beaucoup pour la télévision, sur des émissions ou des feuilletons qui m'intéressaient. Le tournage de ces séries prenait souvent six mois et m'a éloigné du cinéma. J'ai cependant continué à travailler sur des films ciné comme directeur photo - ou comme cadreur, notamment sur "Pas folle la guêpe" de Jean Delannoy - avant de participer à des enregistrements d'opéras, de concerts ou de ballets, ce qui m'a passionné.

 

- Etes-vous satisfait de votre carrière ?

- Je pense m'être fait plaisir et - surtout - ne pas être entré dans trop de compromis.

 

- Vous qui avez travaillé dans des registres très différents, comment considérez-vous "Sur un arbre perché" et "Jo" dans votre carrière ?

- Dans notre métier, tous les films peuvent être intéressants car ils sont tous différents, c'est à chaque fois une nouvelle expérience. Ces deux films ont leurs particularités, c'est-à-dire le côté extrêmement technique pour le premier, car le spectateur ne devait pas s'apercevoir que la moitié du film avait été tournée en studio. Quant à "Jo", j'ai aimé y participer car c'était un grand film avec les moyens pour le faire.

 

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