L'Avare

Jean Girault -Louis de Funès

1980

SUITE

 

 

Louis de Funès n'ayant jamais en effet eu une formation pour une discipline aussi technique, la mise en scène se retrouve parfois bloquée comme l'explique Michel Galabru : " Louis voulait faire de la mise en scène mais en ignorait les principes. A tout moment, il se dirigeait vers le réalisateur et le harcelait : " Je veux qu'on fasse ça ". Bien évidemment tout n'était possible techniquement ". Concernant la direction des comédiens, Michel Galabru se remémore avec plaisir : " Louis nous dirigeait de manière tout à fait amicale, en nous traitant tous sur un pied d'égalité. "

 

 

L'ambiance était en effet au beau fixe, sans perdre son sérieux, comme l'explique Pierre Aussedat : " Louis de Funès était très à l'écoute des comédiens sur le plateau. A la cantine, il mangeait avec tout le monde. Il avait une grande responsabilité sur ce film. Il a participé aux aménagements mais n'a pas coupé le texte. Je me rappelle d'une ambiance très sérieuse et studieuse mais sans pression. Il a toujours été très simple avec moi, sans aucune hiérarchie ".

" Louis était considéré comme un monstre par l'ensemble des acteurs et de la technique et je dis monstre au sens "acteur". Un vrai génie. Il y avait autour de lui un grand respect. On faisait très attention à lui car il était fatigué et il se réservait beaucoup. Il était une sorte d'icône alors que lui ne se considérait pas du tout comme ça. Sur le plateau, il n'arrêtait jamais, il inventait sans cesse. "

Jean Marie Dagonneau se rappelle de l'ambiance : " C'était professionnel. De plus, le film se situe à une époque où Louis était malade et donc lorsqu'il tournait une scène, il devait tout de suite se reposer. Nous tournions dans la chronologie avec des horaires aménagés pour lui. A savoir de 12 heures à 19 heures 30. " Et Louis de se montrer toujours disponible comme l'explique Bernard Menez : " Tout ce qu'il faisait pouvait paraître exagéré mais c'est toujours naturel et drôle. J'ai beaucoup discuté avec lui, je voulais connaître ses débuts. J'avais une grande admiration pour Louis, c'était un acteur génial et très humain. "

 

 

Pierre Aussedat conclue admirablement bien : " La chose la plus touchante dont je me rappelle, c'est que sur le plateau, alors que j'étais assis dans le décor, comme un enfant, en essayant de ne pas faire trop de bruit, plusieurs personnes rentraient avant Louis en disant "Silence c'est Louis, tout le monde se calme" et il arrivait en costume d'époque avec un passe montagne par dessus car il faisait très froid. On ne voyait que ses mollets qui dépassaient et ses formidables yeux bleus. Je le revois marchant à petit pas, autour de lui il n'y avait pas un bruit. Il venait parfois s'asseoir dans le décor avec moi, avec une grande simplicité, sans aucune hiérarchie, sans dire "je suis Louis de Funès, toi tu n'es qu'un petit acteur débutant", pas du tout, ce n'était pas son genre. Il était très simple et je pense que si les gens l'aiment même encore aujourd'hui c'est parce qu'il dégage une grande humanité. Et c'est cette humanité qu'il ma transmis en venant discuter avec moi, de la manière qui soit la plus simple possible. Louis de Funès, c'est un regard, un amour, une gentillesse que je retiens de lui. "

Certains auront plus tard un avis contrasté sur le film, comme Henri Virlojeux : " Ca n'a pas marché car Louis avait cru qu'avec Girault il serait libre. Or, on ne peut pas être libre dans un classique. On a besoin d'être dominé, d'être guidé. Il s'agit de répondre à une option…Mais là, Louis a fait ce qu'il voulait, scène après scène. C'est une erreur. Il s'en est aperçu après et il a reconnu qu'il avait manqué son Avare. On peut penser que cela l'a marqué… "

 

 

Dans sa chronique du journal L'Express, Jean François Revel se réserve lui aussi un discours plutôt nuancé : " Peu de rôles classiques étaient donc davantage faits pour un acteur comme Louis de Funès, dont les ressources résident presqu'entièrement dans la mimique et les gestes. Dans L'Avare, le texte colle à l'expression corporelle et physionomique et, si drôle soit-il à lire, ce texte ne vit vraiment que par le jeu ; Louis de Funès ne s'est pas trompé en pensant que c'était un rôle pour lui. A-t-il su en tirer parti et le servir en même temps ?

S'il s'agit de juger l'acteur, la réponse est oui, sans hésitation. S'il s'agit de juger l'adaptation cinématographique, la réponse devra sans aucun doute être beaucoup plus réservée, et même, peut être n'y a-t-il pas lieu de répondre, faute de question. A part en effet quelques audaces bien timides qui laissent plutôt indifférent qu'elles ne font problème - Harpagon revêtu de plumes de paon, les scènes initiale ou finale - il n' y a pas de transposition cinématographique. La mobilité de la caméra ne permet pas plus de variété, pour l'essentiel qu'un décor à transformations. Les décors même n'ont rien de somptueux et les "trouvailles" y sont d'un goût discutable. La fidélité au texte prime. Mais en tant que théâtre filmé, on ne pourrait mieux faire. Les outrances de mimiques proprement funésiennes sont, encore une fois, dans la logique du rôle : pour les spectateurs du XVIIIème ce n'était pas seulement un droit, c'était un devoir que l'acteur en rajoute et leur en donne " pour leur argent ". Et de Funès fait merveille. On en peut l'accuser d'avoir fait un one man show et d'avoir négligé le reste de la distribution. Galabru dans le rôle de Maître Jacques équilibre largement Harpagon. Et les rôles, si difficiles, parce que si fades, des jeunes gens, sont sauvés avec conviction et talent." Et de conclure : " Louis de Funès et sa troupe joue, à mon avis, aussi bien L'Avare qu'il est possible de le faire : comme une comédie à l'état pur, une comédie un peu grosse, trop grosse pour véhiculer d'autre intention que de faire rire. Tout Molière n'est pas dans L'Avare mais tout L'Avare est dans le film de Louis de Funès. "

 

Explication d'une pièce

 

 

" L'Avarice qu'est ce que c'est ? C'est la passion de l'argent. " Le fil directeur est lancé par Michel Galabru. " Nous avons tous quelque chose qui nous passionne. Tout le monde a quelque chose qui le passionne. Mais si quelqu'un est passionné par une idéologie quelque conque il n'admet pas d'être contredit. Il devient rouge et s'énerve. La folie de L'avare c'est l'argent. Dès qu'intervient l'argent, le type devient fou. C'est ce que De Funès avait remarqué. "

Le thème de l'argent, abordé donc ici de manière prédominante, fait d'ailleurs passé ici d'autres messages et thèmes qui lui sont extrêmement liés. La mort par exemple symbolisant son addiction à la monnaie. Une mort représentée par une femme tout de noir vêtu qui vient à différents moments du film lui quêter quelque sou. Danièle Heymann explique d'ailleurs cela : " Tandis que sa silhouette noire émergeait de la dune, tandis que de loin on pouvait lire, dans la manière dont ce forçat insolite se hâtait, la certitude qu'il éprouvait enfin d'échapper enfin à la cupidité de ses contemporains, une ombre noire se profila à sa suite, à sa poursuite. Une quêteuse en noire secouant sa sébile. C'en était fait. Maintenant il savait : il pouvait toujours se hâter, toujours on en voudrait à son or. Et la femme en noir c'était la mort ".

 

 

Belle explication de Molière afin de symboliser les conséquences d'une telle avarice : le reclus sur soi, l'obligation de fuir et de n'être confronté au final plus qu'avec la mort : elle seule résiste, c'est le triomphe du mal et du vice ; l'homme court dès le départ à sa perte. Il est difficile de baser une pièce sur un aspect aussi sombre que l'argent, et ses dérives, en faisant tenir à égale force l'aspect comique. Mais Molière y parvient :

" Dans une permanente dévotion au texte, sur un rythme infernal imposé à toute la troupe. Et avec de soudaines échappées dans un délire typiquement funésien. Un délire où transparait, sublimé par le rire, ce qu'il y a de pire en nous (comme chez Molière) et - redoute t-il - en lui : l'envie, l'égoïsme, la lâcheté, l'orgueil, l'avarice. " Je suis ignoble et ça fait rire " constate t-il sobrement. Je n'aurais jamais pu jouer les humbles, comme Bourvil. Mon humble à moi aurait aussitôt paru sournois. "

Au final comment évoquer un tel film ? Trop long pour certains, excellent de drôlerie pour d'autres…certains ont même dit de lui qu'il était un véritable massacre de l'œuvre originale…Et peut être est-ce cela le succès d'un film car aussi modeste soit-il - il faut bien avouer que "L'Avare" n'a pas eu un triomphe tonitruant - il parvient à rendre chez le spectateur une palette d'émotions aussi diverses que compréhensibles. Tout le monde n'aime pas Louis de Funès, tout le monde ne rit pas à ses gags.

 

 

Certains préfèrent sans doute la Comédie Française…et la magie de ce film est que s'opère ici une véritable rencontre entre un homme de lettres, respectable et respecté, et un saltimbanque adulé des foules pour son comique. Deux univers qui, originellement, semblaient peut être inconciliables (Mon Dieu ! Louis de Funès le comique dans un rôle aussi dramatique ?!) se réunissant pourtant.

Etonnant de voir un Louis de Funès mêlant humour décapant et tristesse infinie, malheur…des facettes dont il n'avait pas l'habitude à s'approprier. Beaucoup l'attendaient au tournant, beaucoup était prêt à le "descendre", trop ravi de pouvoir se payer la tête d'un comique qui a osé s'attaquer à ce pan de la Comédie Française. Louis de Funès peut être fier de lui, son pari est réussi. Peut être pas de la meilleure des manières, peut être pas avec le succès qu'il espérait mais il n'en reste pas moins un triomphe pour lui. Les admirateurs du comédien sont unanimes, "L'Avare" représente le testament cinématographique de l'acteur.

Une vraie victoire démontrant que le comédien - alors âgé de 65 ans, affaibli, et enterré par les mauvaises langues, disposait encore d'un potentiel incroyable et était en mesure de nous surprendre.

 

Louis de Funès, se perdant dans le désert de Nefta, nous laisse un film qui n'a pas connu le succès qu'il méritait probablement...

 

 
 

 

Page précédente

Haut de Page / Retour au sommaire "les chroniques" / Retour au sommaire principal